𝟷𝟼 | 𝚜𝚎𝚒𝚣𝚎
Bonne lecture !
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— Et ils m'ont appelé en plein milieu du cours de langue française (et on est que dix à suivre cette option, à l'école). Je me suis dit qu'ils allaient enfin me disputer ou me punir pour avoir loupé autant de cours sans justificatif, mais en fait un représentant de CalTech s'était déplacé en personne ! Pour me voir !
Spencer pioche dans la salade devant lui, les jambes croisées et les talons sous ses fesses. Il ne peut s'empêcher de sourire, et cela fait au moins trois heures : trois heures depuis qu'il est sorti du bureau de la conseillère.
— C'était un maître de conférences qui a travaillé sur de l'ingénierie de haut niveau, il a carrément révolutionné la manière de...
Il lance un coup d'œil en direction de Simon, qui le regarde avec amusement.
— Enfin, on a discuté un moment. Ou peut-être que j'ai parlé tout seul, parce que j'avais lu sa thèse sur le sujet il y a quatre cent vingt-deux jours et j'avais des questions à poser sur quelques points qui me paraissaient pas très détaillés, je veux dire il a quand même rédigé presque trois cent cinquante pages, mais il est passé trop rapidement sur certaines transformations qui l'ont amené à...
Spencer prend une nouvelle bouchée de son plat : il n'aime pas particulièrement les carottes d'habitude, mais là, dans une salade recouverte d'une sauce fraîche, il trouve ça bon. Il a loupé le repas du midi, et n'a pas eu le temps de déjeuner le matin car sa mère a insisté pour qu'ils lisent ensemble une nouvelle écrite dans le journal auquel la voisine est abonnée. Elle leur donne toujours celui de la veille.
Quand il a croisé Simon, sur le chemin du parc, il n'a pas pu s'empêcher d'être ravi de le voir. Il ne peut pas vraiment parler de ça à sa mère, car cette dernière serait anéantie de savoir que la raison pour laquelle son fils adoré ne peut pas partir faire les études qu'il mérite , c'est car il est trop inquiet de la laisser seule. De l'abandonner.
Son estomac n'a mis qu'une minute à peine pour le trahir.
Et Simon n'a pas mis plus de temps à lui proposer d'aller chercher des plats emballés dans des récipients en carton, dans un restaurant de l'autre côté de la rue. Spencer a voulu refuser, trop gêné par l'argent dépensé pour lui, mais il n'en a finalement pas eu le temps.
Posé sur un banc, Simon l'écoute à présent sagement avec une mine attendrie.
— Donc il t'a plu ?
Il demande ça avec hésitation, l'air de rien.
— Il m'a plu ?
— Oui. CalTech a l'air de t'intéresser, non ?
Spencer fait un petit « oh » silencieux avant de fourrer une feuille de salade pleine de sauce dans sa bouche. La fourchette ne se plante pas bien, trop petite et dans un plastique assez moue.
Mais ce repas, c'est l'un des seuls qu'il ait pris autrement que seul à la cantine, ou en compagnie de sa mère. Ça fait du bien, en un sens. Ça lui donne l'impression d'être quasiment normal.
— Qui ne serait pas intéressé par CalTech ? Ils ont... un programme scientifique très intéressant.
— Et ils se sont déplacés pour toi.
— Oui. Je sais pas trop pourquoi, d'ailleurs.
Il fronce les sourcils quelques secondes, puis suppose :
— J'avais donné quelques travaux à un professeur de mon lycée pour qu'il me dise ce qu'il en pense, mais il m'a dit que... que ça dépassait légèrement ses capacités, et qu'il allait tout envoyer à l'un de ses amis en Californie. C'est peut-être ça.
— Peut-être.
Simon avale une nouvelle bouchée.
— Et alors, tu vas me dire pourquoi tu veux pas y aller ?
— J'ai jamais dit ça.
— Non mais t'en parles comme si tu n'allais plus jamais avoir l'occasion de parler à ce monsieur à la thèse sûrement beaucoup trop longue. Pourquoi est-ce que tu comptes pas y aller ?
Spencer fait la moue, et hésite un long moment. Parce que ça, quelque chose comme ça, quelque chose d'aussi important, ça ne se dit pas à la légère.
— Je peux pas partir. Je peux pas quitter Vegas.
— Pourquoi ?
— Je peux pas quitter ma mère.
C'est dur, de le dire comme ça : de faire comme si sa mère est un poids alors qu'elle est la chose la plus merveilleuse dans sa vie. Quand elle le coiffe, quand elle lui lit de la poésie, quand elle se sent assez en forme pour faire à manger, quand elle insiste pour qu'ils regardent la TV ensemble, quelques fois. Une vieille TV qui ne marche qu'une fois sur deux.
Simon sourit, comme s'il comprenait.
— Je sais que ça doit être dur, Spencer. Je comprends, c'est ta mère. Mais... c'est comme ça que les choses doivent se passer : tu es mature pour ton âge, alors tu quittes le nid plus tôt. Elle ne t'en voudra pas, tu sais ?
— Je sais. Ma mère est... plutôt géniale.
Spencer sait pourquoi Simon dit ça, c'est normal. Une mère est une mère. Mais la mère de Spencer n'est pas comme les autres, tout simplement.
— Mais je ne peux pas. Pas tout de suite. Je vais faire des lettres, pour leur demander de repousser mon inscription et... et ma bourse. Ou alors je peux commencer un mémoire à distance, avec simplement les notes incomplètes de quelques professeurs si...
— Spencer ?
— Je ne peux pas partir, répète-t-il, et cette fois son regard croise celui de Simon.
L'homme l'observe, attentivement et sérieusement, et finalement ses lèvres se serrent tandis qu'il acquiesce. Des doigts un peu hésitants se tendent vers la joue de Spencer pour repousser quelques mèches derrière ses oreilles. La main de Simon est chaude.
— D'accord, dit-il. D'accord, je comprends.
Il ne dit rien de plus, et même si Spencer est certain qu'il ne comprend pas tout à fait, il apprécie tout de même énormément. Il n'aime pas les débats inutiles, essayez de faire changer d'avis une personne qui de toute évidence n'a pas envie de changer d'avis. Parfois, des explications, des statistiques et des faits, tout ça ne sert à rien.
Parfois, il n'y a que la vérité, qu'on ne veut pas entendre.
— Merci, souffle-t-il tout bas avant d'avaler une nouvelle bouchée de sa salade à la sauce délicieuse.
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Des bisous !
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