𝟷𝟿 | 𝚍𝚒𝚡-𝚗𝚎𝚞𝚏
Bonne lecture !
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Spencer se cogne à deux personnes en sortant du parking.
Il sait que c'est à cause de son sac, son sac qu'il ne met pas sur son dos mais qu'il serre contre lui de toutes ses forces : il court sans ses bras, avec des jambes qu'il ne sent même plus. Sa tête tourne et l'envie de pleurer le prend au nez à présent, l'arrête juste en dessous de ses yeux. C'est ridicule, impossible, impossible.
Il essaye de se dire que c'est impossible, qu'il a sûrement tout inventé parce que dans un sens ça serait tellement plus logique, mais son esprit lui hurle également que s'il a tout inventé, alors ses gènes portent sûrement la même malédiction que sa mère et ça ça le terrifie et Spencer ne veut pas être terrifié mais il doit penser à autre chose car son corps est entièrement courir, courir, courir, et non, non, non.
Il traverse l'entrée du parc, longe le chemin de gravillons, pour finalement arriver enfin à la place.
Et cette vision habituelle et rassurante le fait s'arrêter net, en plein milieu. La poitrine brûlante, s'abaissant et se relevant à une allure effrénée, il balaye l'endroit des yeux sans réussir à poser son regard sur un lieu fixe.
Ses pieds font un pas tout seuls, puis un autre et encore un jusqu'à s'approcher de l'une des tables sur les côtés. Lucienne lui fait face, et il voit le dos de Marc (le dos de Marc, le dos de Marc, le dos de Marc) et tout à coup sa peau est trop petite, trop serrée, trop brûlante et il a envie de tout arracher et de se jeter par terre pour frotter ces cailloux pointus sur chaque centimètre carré de ses poignets, de ses chevilles, de sa cuisse, de ses lèvres et de son visage entier —
Lucienne relève la tête, et sourit un instant en le voyant. Mais il tombe bien vite quand ses yeux se posent sur lui, se posent vraiment. Marc s'est déjà retourné et s'exclame :
— Mince, tu tombes bien ! Figure toi que là où je vais aller il y a une salle de repos avec un échiquier alors tu dois absolument me donner tes....
Sa voix meurt, tout comme son air ravi et les couleurs de ses joues. Il est si pâle que Spencer pense pendant une seconde qu'il va s'évanouir.
— Putain de merde, tu...
Il se lève, et sa chaise se coince dans le gravier et tombe au sol mais personne n'y prête attention : quelques spectateurs se retournent vers eux, et il entend les voix de quelques joueurs qu'il connaît. Des chuchotements, des murmures, tandis que Marc fait deux, trois, quatre pas pour arriver jusqu'à lui.
Une main se pose sur son épaule, et Spencer se dégage si brusquement que Marc fait finalement un pas en arrière. Le garçon se mord la lèvre, et le goût du sang remplace celui du miel alors c'est bien, c'est presque bien.
— Spencer, qu'est-ce qui t'arrive ?
Il ne sait même pas pourquoi il est venu ici. N'importe qui pourrait poser une main sur son épaule et ensuite essayer de remonter sa main le long de sa cuisse, n'importe qui pourrait lui faire peu à peu ouvrir une porte pour ensuite défoncer les quelques centimètres restants à coup d'épaule et le pousser au sol pour le faire mourir petit à petit.
N'importe qui pourrait être là, et ne le voir en fait que comme... comme quoi ? Il n'en sait rien. Mais Spencer ne peut pas penser à autre chose qu'à Riley, au petit Riley que sa mémoire a complètement effacé parce que là-bas aussi, ça aurait pu être lui.
Ça aurait pu être lui, ça aurait pu être n'importe qui, ça aurait pu être tout le monde, et Spencer serre ses propres épaules avec ses mains en résistant à l'envie de se baigner dans de la javel parce que plus jamais, jamais il ne resserra une main ou ne mangera un bonbon.
— Tout va bien, d'accord ? Spencer regarde moi, est-ce qu'on a besoin d'appeler... les secours ou quelque chose comme ça ?
Spencer secoue la tête, si vivement et brutalement que ça le déséquilibre. Il ne peut pas, c'est impossible parce qu'alors des gens le toucheront et il ne veut plus que personne ne le touche, personne ne le touchera plus jamais, jamais, jamais.
Ses oreilles sifflent encore. Puis il entend derrière lui, au loin :
— Spencer !
Il tombe à genoux, dans la poussière de ce parc toujours trop bondé ou toujours trop vide, dans ce parc qui représentait une bulle si agréable. Une jolie fleur blanche, et quelqu'un vient d'écraser un insecte sur un pétale, répandant le sang partout.
Il ne peut pas. Il ne peut pas faire ça. Il veut sa maman, l'unique personne en ce monde qui le voit comme Spencer Reid, l'unique personne à pouvoir le prendre dans ses bras et à le serrer tellement fort que ça lui laissera des bleus (et c'est bien parce que ça crée une réaction chimique qui calme la stimulation trop poussée ou trop brusque mais personne ne comprend) et il veut entendre de la poésie et de la littérature et sa voix qui repousse ses cheveux et sèche ses larmes en disant « mon fils est un cadeau de Dieu ».
Il ne veut pas écouter, il ne veut pas écouter les pas qui se rapprochent dans son dos, cette voix qui lui a dit que tout était normal, qui a envoyé sa tête valser sur le côté d'un simple retour de main, qui va l'attraper et le ramener et alors-là il n'y aura plus de chance, il ne reverra plus jamais sa mère et elle croira qu'il l'a abandonnée comme tous les autres. Il se bouche les oreilles en sentant les larmes et en se tordant en avant pour poser son front contre ses genoux et ne plus rien voir.
Il entend :
— Spencer, tu....
— Toi ! Putain, mais toi !
Ça brise l'agitation, et son cerveau imagine la scène qu'il refuse de regarder parce que la voix de Marc contient une fureur telle que ça lui fait l'effet d'un seau glacé en pleine figure.
— Merde je savais que y'avait un truc louche avec toi, tu viens que quand il est là et tu rôdes dans les parages comme un vautour depuis des mois ! George m'avait dit que t'étais pas net et que tu traînais bien trop du côté des jeux, de l'autre côté du parc mais je me disais simplement qu'il exagérait parce que des malades dans ton genre on les voit pas venir !
Les pas deviennent confus, il entend un bruit de froissement et devine que Marc vient de le pousser. Spencer se balance légèrement, d'avant en arrière, essayant de retrouver son centre.
— Fallait que tu touches à Spencer, hein ? Évidemment que fallait que tu t'attaques à lui parce que c'est qu'un gamin et que toi t'adores ça, espèce de sale fils de pute !
Un nouveau bruit, une voix étouffée qui dit quelque chose comme « écoute, je crois que tu te trompes... ».
— Ne le regarde pas, c'est clair ? Je t'interdis de le regarder !
Le bruit suivant est plus fort, et les épaules de Spencer tremblent : il sait que c'est un coup, un gros coup qui a sûrement cassé un nez. Un corps tombe par terre, loin derrière lui.
— Les bâtards comme toi méritent pire que la prison, ils méritent pire que tout et comment t'as pu... comment t'as pu !
Des grognements, des pas précipités (plusieurs, qui passent à côté de lui et qui vont très certainement rejoindre Marc).
— Putain, non, lâchez-moi ! Cette pauvre merde doit juste....
C'est un cri de rage qui conclut sa phrase, et l'agitation reprend : Spencer imagine l'homme, debout, les poings serrés et la mâchoire tellement crispée que ses dents grincent. Il imagine ses phalanges qui commencent à gonfler, et son regard haineux qui se pose sur un homme qui se redresse avec difficulté.
Il entend des « laisse-le, Marc, c'est toi qui va avoir des emmerdes », des « pense au gamin, allez ». Puis finalement, un :
— Si l'un d'entre nous te revoit ici, si l'un d'entre nous te voit respirer, si l'un d'entre nous te met la main dessus, je peux t'assurer que ce ne sera pas la police qui viendra t'enlever tes immondes couilles de dégénéré !
L'instant d'après est brouillon, trop long ou trop court, certainement trop lumineux pour Spencer qui peine à trouver son point d'ancrage et qui peine à se convaincre que sa peau ne va partir en lambeau, que son cerveau ne va pas simplement s'éteindre pour ne jamais se rallumer.
Ses sanglots se sont calmés, mais les larmes continuent de couler à flots. Le corps humain, dont l'eau représente 60% de la masse chez un adulte. Son corps à lui est peu à peu en train de se vider jusqu'à lui donner mal à la tête.
— Spencer, chuchote une voix non loin, à sa hauteur.
Il entend un échange, un « on va devoir appeler la police, ou les secours, faut prévenir quelqu'un... », « tu connais Spencer, tu sais que c'est pas aussi simple », « c'est un gamin traumatisé, Marc, c'est aussi simple ! Il faut appeler le 911 ».
Enfin, sa bouche s'ouvre :
— Deux, treize, cinq cent neuf, soixante-neuf quatre-vingt-dix neuf, souffle-t-il tout bas.
Il entend les voix se taire, puis :
— Quoi ? Spencer, tu peux répéter ?
— Deux, treize, cinq cent neuf, soixante....
— Qu'est-ce qu'il raconte ? Il a eu un coup sur la tête vous pensez ?
— La ferme, Daren. Spencer, répète-moi ça, d'accord ?
— Deux, treize, cinq cent neuf....
Il entend Marc se relever d'un coup.
— Est-ce que quelqu'un a un téléphone ?
Comme personne ne lui répond, il répète sa question plus fort. Cette fois, une voix de femme lui répond et s'approche d'eux. Quelques secondes plus tard, la voix de Marc est à nouveau près de lui.
— C'est un numéro, n'est-ce pas ? Vas-y, Spencer. Je t'écoute. Je suis là, d'accord ?
— Deux, treize, cinq cent neuf, soixante-neuf quatre-vingt-dix-neuf...
Sa voix se brise sur la fin, et il appuie son front avec encore plus de force sur ses genoux. Il entend quelques « bips » sonores, puis finalement, enfin, une voix douce au bout du fil :
—... allô ?
Dieu sait que Diana Reid déteste les téléphones. Elle ne répond jamais quand Spencer est à la maison, parce que ça veut dire que ce n'est pas important. Son fils est avec elle, en sécurité, alors le téléphone n'est pas important.
Elle a décroché. Spencer a envie de lui présenter ses excuses jusqu'à la fin des temps. C'est une mère formidable, et il est un fils affreux.
— Madame.... euh, excusez moi, mais vous êtes... ? demande Marc, incertain.
Elle ne va pas répondre à ça. Il le sait.
— Vous êtes du gouvernement ?
La suspicion et le dégoût débordent dans chaque mot, et le silence se fait pendant quelques longues secondes. Jusqu'à ce que Spencer gémisse, les yeux pleins de larmes :
— Maman....
Même à cette distance du téléphone, la réponse de Diana immédiatement.
— Spencer ? Mon chéri, c'est toi ? Pourquoi est-ce que...
— Madame, écoutez il y a un problème avec votre fils, et je suis désolé mais... nous sommes au...
Il lui donne l'adresse du parc, très précisément, et Spencer sait qu'elle a déjà enfilé des chaussures sans même penser à prendre une veste. Il entend une porte claquer. Il l'entend dévaler les escaliers. Comment est-ce possible d'entendre chaque bruit qui s'échappe du combiné alors qu'il n'arrive même plus à différencier les murmures et les pas des promeneurs qui leur lancent des regards curieux.
Alors ils attendent.
Personne n'essaye de le toucher, de lui passer une main dans le dos. Marc lui parle, mais il n'écoute pas.
Il attend. Il attend. Il attend.
Quand sa mère arrive enfin, Spencer ne pense plus qu'à deux choses : les statistiques sur l'échange de germes lors d'un baiser, qui est d'après des études moins importante qu'une poignée de main, et son cerveau qui n'est pas encore atteint par la schizophrénie paranoïde présente dans ses gènes, car il n'a malheureusement rien inventé.
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Des bisous !
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