Cela faisait maintenant une quinzaine de minutes que Seungmin avait garé sa voiture sur le parking du cinéma, et attendait patiemment que ce mystérieux garçon arrête de pleurer. Il se sentait un peu coupable de le laisser comme ça, vulnérable aux yeux de tous, alors que lui était en sécurité dans sa voiture. Mais qu'est-ce qu'il pouvait y faire ? Il ignorait la raison de ses pleurs, cependant, ce qui était sûr, c'est que ces larmes semblaient un peu trop lourdes pour un simple film. Seungmin se demanda alors s'il pleurait parce qu'il connaissait celui qui avait disparu et qu'il s'inquiétait, et cette pensée était une nouvelle bonne raison pour aller lui parler.

Il ne savait pas si l'envie de parler à ce garçon aux cheveux bruns s'expliquait uniquement par le souhait d'avancer dans son enquête ; il l'avait juste vu assis sur ce banc, la tête dans ses mains, au milieu de tous ces gens impatients qui se précipitaient vers la porte d'entrée, et une pensée avait germée dans son esprit : il ne partirait pas de ce parking tant qu'il n'aura pas vu un sourire se former sur le visage de ce garçon. Alors, il attendait là, dans sa voiture, que quelque chose se produise.

Seungmin lâcha quelques secondes des yeux le garçon et ouvrit la vitre pour passer sa main de l'autre côté, et sentir alors le souffle chaud d'un été bien entamé lui effleurer les doigts. Quand il redirigea ses yeux vers celui qui l'intriguait tant, il fut surpris de constater que celui-ci avait levé la tête et regardait dans sa direction. Est-ce qu'il avait remarqué sa présence ? Seungmin se sentit soudainement pris au piège, et, ne voulant pas s'aventurer dans une bataille de regards à distance, il prit son courage à deux mains et se résolut finalement à sortir de sa voiture pour s'approcher du garçon.

À mesure qu'il s'approchait, les traits de l'inconnu devenait plus nets, et Seungmin ne pouvait pas ne pas remarquer sa beauté, la beauté qui résidait dans son visage, dans ses yeux sombres, ses cheveux fins, ses lèvres roses et même la forme de sa mâchoire. Il avait encore des rougeurs sur sa peau à cause de ses larmes, mais il avait arrêté de pleurer. Seungmin, quant à lui, se sentait de plus en plus intimidé, parce qu'il avait toujours ce regard posé sur lui, mais aussi parce qu'il se perdait sans le vouloir dans ses pensées. Comment devrait-il lui parler ? Le garçon semblait aussi jeune que lui, alors, il ne savait pas s'il devait lui adresser la parole formellement, comme il parlait d'habitude en tant que policier, ou plutôt naturellement, comme à un adulte de son âge.

— Désolé de t'avoir fixé, je voulais te parler mais j'osais pas te déranger, commença-t-il alors qu'il était arrivé à hauteur de l'inconnu.

Il avait choisi de parler amicalement, se disant qu'ainsi, il aurait peut-être plus facilement des réponses, et aussi parce qu'il ne s'imaginait pas lui parler avec froideur.

Il s'assit sur le banc, à côté du jeune homme, l'air de rien, pendant que celui-ci l'observait toujours sans parler.

— Qu'est-ce que tu veux ? finit-il par demander d'une voix douce, et faible.

— Je vais pas te le cacher... Un homme qui travaille ici a disparu, et je me demandais si tu le connaissais.

Le garçon leva les sourcils, en regardant Seungmin d'un air intrigué. Apparemment, il ne semblait pas du tout au courant de la nouvelle.

— Qui ça ? s'interrogea-t-il en faisant mine de réfléchir. Il y a celui qui vend les tickets, celui qui les déchire à l'entrée de la salle, et puis sinon, celui qui vend les popcorns.

— Euh... j'avoue que je n'en sais pas plus, répondit Seungmin qui ne s'attendait pas à ce genre de réponse. Tu les connais tous ?

— Je vais souvent au cinéma, donc je les vois à chaque fois. Mais je peux pas dire que je les connais car je sais même pas leurs prénoms.

Seungmin acquiesça, d'un air compréhensif. Visiblement, le garçon ne semblait pas avoir quelque chose à voir avec l'affaire. Cependant, il ne pouvait pas s'empêcher de ressentir l'envie de lui poser d'autres questions, comme la raison pour laquelle il pleurait, mais il n'était pas certain que ce soit une bonne idée.

— Comment tu t'appelles ? finit-il par demander à l'autre garçon, préférant y aller par étapes.

— Jeongin. Et toi ?

— Moi c'est Seungmin.

Le dénommé Jeongin hocha la tête en détournant le regard, et courba son dos pour poser son menton dans la paume de sa main, les yeux vers le sol. Il avait toujours l'air triste, et Seungmin ressentait l'envie d'y remédier.

— Qu'est-ce qui te rend si triste ?

Le brun planta à nouveau ses yeux sombres dans ceux de son interlocuteur, visiblement surpris qu'on lui pose la question. Seungmin sentit de l'hésitation sur son visage, et se demandait s'il avait bien fait de la lui poser, et même s'il allait vraiment lui répondre.

— C'est mon père, murmura-t-il finalement.

Seungmin le regardait avec attention, l'incitant à continuer.

— Il est décédé récemment, et j'ai vraiment, vraiment du mal à me sentir mieux, poursuivit-il.

— C'est normal de ressentir ça, t'as le droit d'être triste, tu fais encore ton deuil, voulut le rassurer Seungmin.

Jeongin poussa un léger soupir à l'entente de ces derniers mots. Peut-être qu'il avait déjà entendu la même chose.

— J'imagine... mais j'ai l'impression que je sais pas comment m'y prendre pour que ça s'arrange. On se connaît pas, tu vas me prendre pour quelqu'un qui exagère, mais pour tout te dire, mon plus grand problème c'est que j'ai peur d'oublier mon père.

Il interrompit sa phrase quelques instants, paraissant hésiter, mais sous le regard bienveillant de Seungmin, il continua.

— J'ai mangé au restaurant où on avait l'habitude d'aller tous les vendredis, j'ai été au zoo voir les animaux qu'on préférait, j'ai goûté sur la plage notre glace habituelle, et puis je suis allé à ce cinéma où on allait souvent, mais malgré tout, j'ai peur que tous ces souvenirs s'effacent à tout moment.

Jeongin acheva de parler, en baissant la tête, attendant une réponse de Seungmin à ses problèmes mais elle ne venait pas. Celui-ci le regardait avec des yeux ronds, pendant que des tonnes d'interrogations se bousculaient dans sa tête. Il ne comprenait pas.

— Tu as fait quoi ? finit-il par répondre d'une voix tremblante, trop choqué pour rester calme.

— Je suis retourné dans les endroits où j'avais l'habitude d'aller avec mon père. Alors, tu penses que c'est inquiétant ?

Seungmin ne savait plus comment réagir. Il alternait entre l'envie de réconforter Jeongin et l'incompréhension totale face à ses paroles qui avaient inévitablement un lien avec l'enquête qu'il menait.

— Non, c'était une manière pour toi de raviver les bons souvenirs avec ton père... Le souci, c'est qu'à vrai dire, je travaille sur une enquête policière et... en plus de cet homme du cinéma, un serveur, une soigneuse animalière et une marchande de glaces ont aussi disparu.

Jeongin regarda Seungmin avec une mine tout autant surprise que lui, et posa ses mains sur ses joues, en proie à une tonne de nouvelles inquiétudes.

— Je crois que j'y suis pour quelque chose alors, conclut-il, mais sa réponse ne réglait pas plus d'incompréhensions dans le cerveau de Seungmin.

Il avait beau tourner la question dans tous les sens, il ne comprenait pas comment Jeongin pouvait être le responsable de toutes ces disparitions.

— J'ai peut-être... tellement voulu enfermer ces souvenirs dans mon esprit que ces gens que j'avais tant l'habitude de croiser avec mon père ont disparu de la réalité, suggéra finalement le garçon avec hésitation.

— Tu veux dire qu'ils sont dans ta tête ? demanda Seungmin, qui faisait tout son possible pour comprendre.

— Je crois que c'est ça, oui.

— Et, tu peux les faire revenir ?

— Je suis vraiment obligé ?

Jeongin avait toujours son visage triste, apparemment très peu emballé par cette idée.

— Les proches de ces personnes sont vraiment inquiets. Oh, et moi aussi j'étais inquiet, mon collègue Changbin a également disparu, et j'aimerais beaucoup qu'il revienne. Est-ce qu'il a quelque chose à voir là-dedans ?

— Ah, oui, je m'excuse vraiment pour lui... Une fois, il a donné une amende à mon père, et mon petit-frère trouvait ça injuste. Il voulait lui écrire une lettre pour lui demander d'annuler son amende. On lui a empêché de la faire, mais c'était drôle. Je l'ai aperçu récemment près de chez moi, donc ça m'a rappelé cette histoire.

Seungmin ne put se retenir de rire à l'entente de ces explications. Jeongin, de son côté, ne paraissait toujours pas plus ouvert à l'idée de se laisser aller, alors le jeune policier ne baissait pas les bras et s'armait de son enthousiasme habituel pour le rassurer.

— Tout le monde m'a dit que la glace à la fraise était la meilleure glace que faisait cette femme alors j'aimerais bien la goûter un jour moi-aussi, affirma-t-il, plein d'entrain, un sourire sur ses lèvres, mais Jeongin semblait encore hésiter.

— Je suis désolé mais j'ai vraiment peur d'oublier ce souvenir, confia-t-il.

— Mais tu ne l'oublieras pas. Tu aimes trop ton père pour ça, et puis sinon, tu pourras écrire tout ce que tu veux dans un carnet comme moi ! J'ai un journal où je note plein de trucs, pas toujours intéressant, mais au moins j'oublie jamais ce que j'ai fait.

Seungmin sentait qu'il était sur le point de faire changer d'avis Jeongin. Ce dernier commençait enfin à se détendre, et regardait devant lui d'un air plus confiant.

— Alors, qu'est-ce qu'on fait maintenant ? se risqua à demander Seungmin à Jeongin après quelques secondes sans réponse de sa part.

Une sensation de chaleur se dégagea dans son corps quand il vit le jeune homme se tourner vers lui, sûr de lui, prêt à lui donner ce qu'il attendait.

— C'est la glace à la vanille ma préférée, mais si tu veux, on peut aller à la plage pour que tu te fasses ton propre avis.

Et sur ces mots, un grand sourire se forma sur les lèvres de Jeongin, faisant ressortir ses fossettes sur ses joues, et Seungmin sourit alors à son tour, heureux d'avoir réussi à lui donner confiance. En voyant le visage illuminé du garçon, il se dit qu'il avait bien eu raison de patienter pour ce moment ; Jeongin avait le plus beau de tous les sourires, et il allait tout faire pour le garder intact.