19.
Il faisait bon et tiède dans les écuries du château. Quelques traits de lumière se faufilaient entre les poutres du voligeage, par les trous qu'avaient laissés des tuiles absentes. Allongé sur sa paillasse, Yoongi examinait la broche sous plusieurs angles. Il la manipulait entre son index et son pouce, la tournant légèrement pour que les rayons de la fin d'après-midi se reflètent sur la pierre froide et inerte. Mais il avait beau la tourner et la retourner, il n'en tirait rien de particulièrement surprenant.
Dehors, l'activité de la basse-cours battait encore son plein. On entendait Telma, la cuisinière, crier d'une voix forte et le balais de Berte frotter activement le sol à l'extérieur des stalles. Un hennissement et quelques éclats de voix retentissaient parfois.
Depuis qu'ils étaient revenus de Cardend, sire Jung n'avait plus pointé son nez aux écuries ni sollicité la présence de son écuyer. Yoongi, en l'absence d'ordre de sa part, s'était contenté de faire ce qu'il savait le mieux réaliser; s'occuper des animaux. Berte lui donnait du travail et il y avait suffisamment à faire dans les environs. Yoongi avait donc repris ses habitudes d'avant le voyage; il se levait à l'aube avec les palefreniers, nettoyait les boxes, nourrissait les bêtes et en prenait soin. Quatre jours s'étaient ainsi écoulés, dans une routine bien installée et tranquille.
Il avait même rencontré l'écuyer de sire Barras, un garçon qui n'avait pas encore dix printemps. Yoongi avait appris de la bouche de Berte, un soir autour de la table, que ce garçon venait à peine de débuter, bien qu'il était auparavant chez sire Jung et que, de ce fait, il n'était encore qu'un galopin; il s'occupait essentiellement de nettoyer les boxes, tout comme lui. Yoongi le croisait assez souvent, et il lui souriait toujours lorsqu'il le voyait malgré leur rang social bien différent. Dans ce genre de moment, Yoongi réalisait que même s'il avait de la chance d'être écuyer, il ne serait jamais rien d'autre.
Yoongi se redressa en position assise et fit sautiller la broche dans sa paume. Songeur, il décida de mettre fin à sa pause et d'aller s'occuper un peu de la monture de sire Jung, histoire de se maintenir occupé jusqu'au repas du soir. Si Berte le surprenait a tirer au flanc, elle allait sûrement vociférer. Il rangea le précieux bijou dans la poche à l'intérieur de sa chemise, puis se leva, tapota sur son pantalon pour en retirer les brins de paille et sortit. Dans le couloir, il salua Berte qui balayait l'entrée. Elle lui adressa un bref signe du menton. Il alla prendre une corde et chercher le cheval d'Hoseok. L'équidé l'accueillit d'un appel sourd, les nasaux frémissants. La bête fut bien heureuse que Yoongi le sorte; l'écuyer le devinait, car il devait maintenir fermement la corde pour ne pas se faire emporter par son impatience.
Hors des écuries, il faisait plus frais malgré le ciel dégagé. Yoongi mena le cheval, dont la longue foulée le forçait à accélérer le pas, jusqu'au centre de la basse-cour. Ses sabots soulevaient la poussière sur son passage. Il lui fit faire quelques tours, lui flatta l'encolure puis s'immobilisa en entendant des fracas sourds provenant du baraquement des gardes, bien que personne d'autre ne semblait y faire attention. Curieux, l'écuyer s'y dirigea en tenant toujours le cheval du bout de la corde. Il croisa plusieurs servantes portant des paniers de draps propres sur leurs épaules, et alors qu'il passa sous l'arche de pierre et arriva dans la cour d'entraînement, il comprit ce qui faisait de tels bruits.
Quatre gardes, deux par deux, échangeaient quelques passes. Le fracas des épées en bois résonnait contre les remparts de pierres polies, se répercutant en échos multipliés. Une autre rangée d'homme –à peu près une dizaine– se tenait face au mur à plusieurs pas de là, devant lequel étaient alignées des cibles. Ils brandissaient tous un arc en bois rudimentaire, dont les cordes tendues semblaient prêtes à lâcher. En s'approchant un peu, Yoongi entendit une grosse voix crier:
« Tirez ! »
Une volée de flèche fila dans le vent et la moitié d'entre elles touchèrent les cibles, bien qu'aucune ne frappa dans le mille. Yoongi, tout absorbé dans la contemplation de l'exercice, ne remarqua le commandant que lorsque ce dernier avançait déjà dans sa direction.
« Bonjour sire Jeon ! lança brusquement Yoongi, prit au dépourvu par son approche.
– Salutations, répondit l'homme à l'air sévère avec un léger ton sympathique. »
Il jeta un regard au cheval que Yoongi tenait, puis regarda à nouveau l'écuyer. Il portait un simple surcot d'entraînement et une épée factice était accrochée à son flanc. L'après-midi semblait dédié à l'exercice.
« Je vois que tu prends bien soin de la monture de sire Jung, dit-il, atone. »
Yoongi hocha vigoureusement la tête par réflexe, puis sembla se souvenir de quelque chose.
« Messire, je voulais vous remercier, commença-t-il.
– Et pour quoi ?
– Pour l'arbalète, messire, continua Yoongi, reconnaissant. Elle... elle m'a été très utile, alors je voulais vous remercier. »
Le commandant n'eut l'air qu'à moitié étonné, comme si on lui avait déjà dit ça mais d'une manière légèrement différente. Un court instant, il observa le visage de l'écuyer et sonda ses traits de ses yeux d'expert. Il ne trouva pas ce qu'il cherchait et en parut ravi, l'espace d'un court instant.
« Fort bien, dit-il, puis il montra les tireurs d'un geste de la main. Que dirais-tu de participer à cette séance de tir ? »
Yoongi aurait pu loucher si son regard ne s'était pas directement porté sur les archers derrière le commandant. Ces derniers récupéraient les flèches qu'ils avaient tirées dans un semblant d'ordre. Ils discutaillaient çà et là, sur un ton bas, de crainte que leur supérieur ne les remette à l'ordre. Ils semblaient tous bien se connaître.
« Je... je ne sais pas si... »
L'écuyer n'osa rien dire de plus, trop hésitant sur sa manière de décliner l'offre. Puis il lança un regard au cheval de sire Jung. L'animal commençait à s'impatienter et raclait le sol de son sabot, les oreilles en arrière.
« Ne t'en fais pas pour ce cheval, assura le commandant. »
Il se tourna alors, amena sa main à sa bouche et siffla un coup sec. Le son sonna l'arrêt pour les épéistes, qui cessèrent d'échanger des coups. Le commandant fit un geste de la main et l'un d'eux sortit du lot pour venir vers eux en trottinant. Lorsqu'il arriva à proximité, il se raidit et salua formellement son supérieur.
« Oui commandant ?
– Ramène cette monture aux écuries, ordonna sire Jeon. »
Le soldat hocha la tête et Yoongi fut bien obligé de lui céder la corde. Dès qu'il n'eut plus la garde du cheval et que le commandant l'incita à approcher du groupe de soldat, l'écuyer sentit qu'il aurait dû insister pour refuser son offre. Il n'avait rien à faire là –sa place était aux écuries, pas dans la cour d'entraînement. Il osa un coup d'œil furtif au soldat qui partait vers les écuries; la monture avait davantage l'air de mener le pas que l'homme qui la tenait.
« Prend un de ces arcs, lança le commandant à Yoongi, en indiquant le râtelier d'arme contre le mur des baraquements. »
Cette fois-ci, l'écuyer n'avait plus le sentiment d'avoir le choix. Les mots avaient sonnés comme un ordre, alors il s'y plia et alla chercher un arc et un carquois, qu'il agrippa de ses mains moites. Il craignait de décevoir l'homme qui lui avait donné une chance. C'est de plus en plus raide qu'il se plaça ensuite maladroitement en rang à côté des archers, dont quelques-uns lui jetèrent un coup d'œil intrigué. Aucun d'eux ne devaient s'attendre à ce qu'un garçon d'écurie, même écuyer, se joigne à eux. Néanmoins, le commandant reprit l'entraînement où ils l'avaient laissés et ne se formalisa pas de faire une quelconque présentation, ni la moindre démonstration.
« Préparez-vous ! aboya sire Jeon de sa voix redevenue sévère. »
Les soldats se saisirent d'une flèche et bandèrent leur arc, désynchronisés mais rapides. L'écuyer se hâta de les imiter et à peine eut-il tendu la corde et envoyé son coude vers l'arrière que la voix du commandant résonna à nouveau:
« Tirez ! »
Les flèches fusèrent. Yoongi relâcha la corde et son projectile fusa à son tour, précédant les autres de peu. Les cibles furent criblées et un silence s'abattit droit après, durant lequel tous les soldats regardèrent où avaient filés leurs flèches. À première vue, aucune n'avait touché en plein dans le mille. Yoongi ne trouva pas tout de suite la sienne, occupé à vérifier ce qu'avaient fait les autres, jusqu'à ce qu'il entende des murmures dans la rangée.
« Impressionnant, concéda sire Jeon en passant derrière Yoongi pour se poster près de lui. Tu vises très bien. »
Tous avait le regard tourné vers la cible qui faisait face à Yoongi, et dont le centre exact était percé d'une flèche. Sa flèche à lui. La seule du groupe à ne pas avoir manqué le centre. Yoongi fut tout aussi surpris que les autres, et pour cause, c'était la première fois qu'il retirait à l'arc depuis des années. Depuis que son père le forçait à apprendre. Et en ces temps-là, il n'avait jamais été bon.
« Aucun de mes hommes n'a jamais tiré dans le mille du premier coup, songea sire Jeon à voix haute, en lissant sa moustache.
– Un simple coup de chance, assura Yoongi en rougissant de félicité, l'air presque horrifié par sa propre prestation. »
Il cessa de fixer sa flèche plantée dans le mille, s'intéressant plutôt à ses pieds et à ses mains serrant l'arc. Oui, un simple coup de chance.
Mais Yoongi n'arrivait pas à cesser de se repasser dans sa tête les murmures des soldats et les mots du commandant. Ce qu'il ne remarqua pas un seul instant, ce fut la silhouette qui se dressait derrière la fenêtre à meneau, loin au-dessus d'eux. Celle de la chambre d'Hoseok.
Le commandant gratifia Yoongi d'une tape sur l'épaule et alla se repositionner à l'extrémité de la rangée. À nouveau, il leur ordonna de se préparer, puis de tirer. L'entraînement continua, et les soldats alternaient entre les tirs et aller récupérer les flèches figées dans les cibles. Yoongi ne réitéra pas l'exploit, mais il ratait à présent le centre de quelques pouces seulement. Il commençait tout juste à se sentir à l'aise lorsqu'une domestique s'aventura soudainement dans la cour en trottinant rapidement. Yoongi dégagea la flèche de la cible et l'observa du même air curieux que certains soldats. La servante, élancée et maigrelette, semblait habituée à porter des messages, puisque le commandant s'approcha d'elle comme s'il connaissait déjà la raison de sa présence.
« Sire Jung demande son écuyer, dit-elle en se pliant en deux dans une sorte de révérence grotesque. »
Sire Jeon fit un signe du menton à Yoongi, qui le regardait déjà. Ce dernier s'approcha. Que pouvait bien lui vouloir le chevalier si soudainement, alors que ça faisait des jours qu'il ne l'avait plus sollicité ?
« Bien entendu, dit le commandant. »
Ce dernier fit face à Yoongi, qui sut que la séance de tir s'arrêtait là pour lui. Il s'avança à regret et déposa l'arc et le carquois qu'il avait emprunté dans les mains de sire Jeon. L'homme le salua d'un hochement de tête, le visage fermé et sans dire un seul mot. A présent un peu inquiet, Yoongi suivit la servante qui l'attendait.
« Où allons-nous ? demanda-t-il alors qu'ils quittèrent la cour d'entraînement, passèrent sous l'arche et prirent la direction des portes massives menant au château.
– Sire Jung veut vous voir dans ses appartements. »
Yoongi arbora un air soucieux. Il n'était jamais allé là-bas, ni dans le château. Il hésita à demander à la domestique ce qu'il pouvait bien lui vouloir ou pourquoi il ne venait pas aux écuries s'il voulait lui parler, mais elle était si pressée que l'écuyer devait la suivre en trottinant. Il ne trouva pas l'occasion de lui poser ces questions, car ils passèrent la double-porte et arrivèrent dans la cour. Là, le changement de décor fut à la fois subtil mais remarquable.
Bien moins spacieuse que la basse-cour, le lieu était néanmoins plus propre. Immense et colossal, le château abritait en son centre un jardin en plein air, dont les fleurs et les arbrisseaux si colorés semblaient irréels par rapport à la grisaille de la pierre. Sur le chemin abrité par des arches, un trio de nobles dames discutaient tranquillement, enveloppés de parures et de châles.
« Par ici, indiqua la servante. »
Elle montra à Yoongi le chemin à suivre. Ce dernier, qui avait ralenti pour observer ce nouvel endroit un peu plus longtemps, marcha sur ses pas avec la désagréable impression que la domestique rasait les murs. Ils pénétrèrent par une porte simple à moitié cachée par une haie touffue, et non par celle qui donnait probablement sur le hall principal. Ils traversèrent un couloir étroit, certainement réservé aux domestiques. Ils en croisèrent d'ailleurs en bas des escaliers, après que le couloir ait débouché sur un hall plus large.
La femme qui guidait Yoongi gravit rapidement les marches couvertes d'un somptueux tapis bleu roi. Il faisait bien sombre dans le château, car il y avait peu de fenêtre. Pour pallier ce manque, des candélabres étaient accrochés à la pierre et leur éclat chaleureux rendait les murs moins froids.
Yoongi ignorait combien de marches ils gravirent, mais il lui sembla que c'était interminable. Lorsqu'il songea à la manière dont il allait repartir d'ici, il regretta de ne pas avoir tenté de mémoriser le chemin; le château était un véritable dédale de couloirs étroits et d'escaliers en colimaçons. En haut d'une série de marche, la servante fit soudainement un grand pas de côté pour laisser passer quelqu'un, alors qu'il y avait suffisamment de place pour se croiser. Yoongi crut bien qu'elle allait se tasser contre le mur tant elle parut se recroqueviller, et l'écuyer fit de même avec la crainte soudaine de voir apparaître le suzerain en personne. Mais il ne s'agissait que d'une dame.
La domestique s'inclina à nouveau en faisant cette même révérence grotesque –rien à voir avec la façon dont Taehyung s'y prenait. Une main délicatement posée sur la balustrade, la noble la considéra un court instant. Puis son regard se porta sur Yoongi, debout sur une marche, qui put alors voir ses prunelles d'un bleu de glace. Elle regarda l'écuyer droit dans les yeux durant une poignée de seconde seulement. Ce fut elle qui brisa l'échange en tournant la tête brusquement, avant de descendre l'escalier avec une hâte tout juste élégante. Lorsque Yoongi la suivit prestement du regard, il le regretta l'instant d'après; le visage mortifié de la domestique en disait long sur le rang de la dame. Et l'écuyer était quasi certain qu'il n'aurait pas dû la regarder, même de loin.
Il eut tôt fait d'oublier ce soucis. Un couloir plus loin, la servante s'immobilisa devant une porte précise. Elle toqua trois coups légers et Yoongi reconnut la voix de sire Jung lorsque ce dernier leur ordonna sèchement d'entrer. La domestique fit un signe pressé à l'écuyer, lui ouvrit la porte mais ne posa pas un seul pied au-delà du seuil. Yoongi pénétra alors seul dans cette pièce qu'il n'avait jamais vu, sans soupçonner un seul instant la raison de sa présence ici.
« Enfin, dit sire Jung depuis le fauteuil où il était installé. »
La décoration de la chambre était d'une infinie délicatesse, tout comme les manières du noiraud lorsqu'il ne portait pas ses attributs de chevalier. Vêtu presque comme lors de leur première rencontre, Hoseok arborait un petit air ennuyé qu'il dissimulait à peine. À côté de son fauteuil rembourré trônait une table d'appoint sur laquelle étaient éparpillés des parchemins. Tout dans sa posture indiquait qu'il était là depuis un long moment, mais Yoongi eut comme l'impression que ce n'était pas vraiment le cas. Le tressaillement de son genou signifiait qu'il avait probablement fait les cents pas avant de s'asseoir, peut-être par dépit. Dans tous les cas, son humeur était mauvaise.
« Approche, ordonna le chevalier alors que la servante refermait la porte derrière Yoongi dans un claquement se voulant discret, plongeant la pièce dans un court silence. »
Sire Jung lui montra brièvement la chaise libre en face d'un bureau en bois, dans un coin de la pièce où s'élevait deux petites bibliothèques remplies de bouquins.
« Prends un parchemin vierge et écris ce que je vais te dicter. »
Yoongi regarda Hoseok, les yeux écarquillés.
« Quoi donc ? s'impatienta le chevalier. Qu'est-ce que tu attends ?
– Messire...
– Assieds-toi ! »
L'écuyer tira la chaise et s'assit, mais il ne fit rien d'autre. Il regarda encore Hoseok et ouvrit la bouche pour parler, sauf que le noiraud se leva pour l'interrompre. Il était en colère contre lui pour une raison qui échappait totalement à l'écuyer.
« Prend un parchemin vierge, ordonna-t-il encore alors qu'il avança vers lui. Là, dans ce tiroir. La plume est devant toi. »
Il fit un geste brusque pour lui montrer, comme s'il s'adressait à un idiot. Yoongi ouvrit le tiroir à contrecœur pour en sortir une feuille qu'il froissa à moitié en la posant sur le bureau.
« La plume maintenant, commanda encore Hoseok, visiblement agacé.
– Mais...
– Qu'est-ce qu'il y a encore ? Tu ne sais pas écrire ou quoi ? »
Le silence qui suivit fut révélateur. Hoseok sembla en tomber des nues. Il perdit son agacement visible et fronça les sourcils. Il sonda Yoongi de bas en haut, comme s'il allait trouver une réponse dans son allure. L'écuyer sentit la colère poindre dans ses entrailles. Ses vêtements avaient l'air d'être des haillons en comparaison de ses beaux apparats.
« Ah, suis-je bête, marmonna finalement sire Jung au comble de l'évidence alors qu'il portait une main à son propre menton. Bien sûr que tu ne sais pas écrire. Et tu ne sais pas lire non plus, évidemment. Tu n'était qu'un paysan. »
Yoongi serra la mâchoire et les poings, qu'il garda immobile sur ses genoux. Il détestait quand il s'adressait à lui de cette manière si suffisante, si détestable. Ça lui donnait envie... de mordre.
« Ça ne fait rien, conclut Hoseok à la hâte. Essaie tout de même. »
Il se posta derrière lui, ouvrit l'encrier puis prit la plume d'oie posée sur la table. Dans sa main, elle semblait augmenter son élégance insupportable. Toutefois, ce ne fut que pour montrer l'exemple, car il ne parut pas décider à s'en servir lui-même.
« Tiens, et essaie d'écrire quelque chose de potable. Ton prénom, par exemple. Oui, c'est cela, dit-il. Écris donc ton prénom pour commencer. »
Il tendit la plume à Yoongi, qui la prit entre ses doigts incertains sans savoir comment la tenir correctement. Hoseok retira aussitôt les siens lorsqu'ils se frôlèrent. Il fit également deux pas en arrière et se contenta de l'observer par-dessus son épaule. L'écuyer se demanda s'il le trouvait si répugnant pour ne pas oser s'approcher; peut-être que l'odeur des écuries l'indisposait. Quelque part, ça satisfaisait Yoongi. Le plus loin il se trouvait et mieux il s'en porterait.
« Écris, ordonna le chevalier. »
Et Yoongi écrivit ou du moins, il essaya. Au départ, il trempa le bec de la plume trop profondément dans l'encrier et les gouttes tachèrent le haut du parchemin lorsqu'il l'amena sur le papier. Une grosse goutte noire s'y déposa. Dans son dos, l'écuyer entendit Hoseok émettre un son réprobateur. Malgré tout, il fit de son mieux pour tracer un trait tremblant avant de s'arrêter par dépit, bien incapable de faire ce qu'on lui demandait. Toutefois, et peut-être parce qu'il sentait le regard du chevalier peser derrière son crâne, il se remit à tracer une forme en espérant que cela ressemble à une lettre. Peu importe laquelle.
« Mais non, enfin, pas comme ça voyons, râla Hoseok. Il faut que ton geste soit souple. Non, pas comme ça ! »
Sûrement outré par l'affront que Yoongi réalisait avec sa tentative, le chevalier revint près du bureau. Il posa sa main sur le dos de la sienne pour guider son mouvement.
« Tu vois, comme ça, ce n'est pas bien compliqué, non ? »
Et il traça une lettre souple que Yoongi ne parvint pas à identifier, mais qu'il devina comme étant la première de son prénom. Il ignora le geste de recul qu'eut ensuite le chevalier en retirant sa main de la sienne et préféra nettement contempler l'encre encore fraîche sur le papier. Hoseok se racla la gorge et l'écuyer leva les yeux vers lui. Mais le chevalier, en croisant son regard, se détourna lâchement. Il émit à nouveau un raclement de gorge et, les mains derrière le dos, se mit à vaquer dans la pièce comme s'il réfléchissait.
« Ça n'ira pas, non, marmonnait-il. Je ne peux décemment pas avoir un écuyer qui ne sait pas écrire... Tu as besoin de prendre des cours. »
Il fit encore quelques pas, revint en arrière, puis repartit. Cette fois-ci, il croisait les bras, la mine songeuse.
« Des cours, oui, pourquoi pas. Mais avec qui ? Maître Jared ? Non, il est trop vieux pour reprendre un élève... »
Sire Jung cita encore quelques noms, mais trouva toujours quelque chose à leur reprocher qui les rendait indigne ou inapte. Il se tourna soudain vers Yoongi, le jaugea du regard mais secoua la tête de gauche à droite. L'écuyer lui aurait demandé à quoi il pensait si l'autre n'avait pas soudainement eu une idée qu'il s'empressa de mettre en oeuvre. Avec curiosité, Yoongi l'observa reprendre un parchemin vierge dans le tiroir, se saisir de la plume et, après avoir essuyé le bec sur le bord de l'encrier, se mettre à écrire, penché sur lu bureau. Il le regarda faire attentivement, se demandant bien ce qu'il pouvait rédiger avec un tel empressement. Le bec de la plume grattait frénétiquement le papier. Lorsque le chevalier eut terminé, il empoigna la bougie qui trônait sur le bureau et versa soigneusement de la cire en bas du document. Puis il alla chercher quelque chose dans un coffret près de la fenêtre, revint avec une bague dans les doigts et apposa son sceau sur la cire encore chaude.
« Bien, dit-il. Va en ville et accroche ce parchemin à la vue de tous, sur le panneau d'affichage. Tu ne pourras pas le rater, il est sur la grande place du marché, devant le temple. Oh et, pendant que tu y seras, j'ai quelques courses à te confier. »
Yoongi n'en crut pas ses oreilles. Il irait à la citadelle. Seul.
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