13.
Il fallait prendre la route tant qu'il faisait beau. C'était ce qu'Hoseok ne cessait de se répéter. Pourtant, malgré les cieux calmes et le vent inexistant, lui et son groupe n'était pas encore parti. La fin de la matinée se terminait, la basse-cour devenait de plus en plus fébrile, agitée. Le chevalier se dit qu'à ce rythme, il aurait presque put prendre son repas ici et profiter encore quelques heures du confort dont il serait privé. Agacé, il jeta un regard panoramique du haut de son cheval, sondant la grande cour pour espérer fixer sa mauvaise humeur sur un visage bien particulier. Mais il ne trouva pas l'air perdu de son écuyer, il ne vit pas sa peau trop pâle, son allure fragile et malade. Il commençait sérieusement à s'impatienter. Pourquoi ça lui prenait tant de temps ?
Bien droit sur sa monture, Hoseok tentait de ne pas perdre la face devant son groupe, qui attendait à ses côtés tout comme lui, mais aussi devant des visages qu'il ne pouvait apercevoir. Caché derrière les carreaux des vitres, dans les tours du château, il savait que les dames aimaient observer les départs depuis leurs appartements. Quelques unes étaient venues lui souhaiter bonne route, tout à l'heure, et certaines lui avaient même apportés de menus cadeaux, comme des fleurs ramassées dans le jardin ou un en-cas délicat à emporter. Mais l'heure de s'en aller s'éternisait, et il demeurait ici avec ces quelques fleurs de chèvrefeuille dans la main. Elles étaient d'ors et déjà meurtries d'avoir été arrachées à la terre. Dame Maignory n'était pas venue lui souhaiter bonne route, mais elle l'avait prévenu du voyage à sa manière, l'autre jour. Sa manière à elle de lui faire profiter de ses faveurs.
Hoseok, une main tenant les rênes, tendit l'oreille pour se distraire. Son groupe patientait derrière lui, près des portes ouvertes qui attendaient leur départ. Le jeune chevalier écouta leur discussion, bien que d'ordinaire il n'y accordait pas la moindre importance. Mais il s'ennuyait tant que même leurs piètres sujets l'occupaient. Là, leur conversation tournait autour de préoccupations bien singulières.
« C'est fou, je crois que les pièges à rat de Telma fonctionnent, dit l'un des soldats, son casque à nasal sous le bras.
– Qu'est-ce qui te fais dire ça ? lança un autre, curieux. Elle t'a tapé dans l'œil pour que tu la complimentes ? »
Quelques rires moqueurs fusèrent, et Hoseok les trouva bien idiots et simplets. Néanmoins, il écouta le reste.
« Nan, marmonna le garde qu'on avait moqué. J'ai moins d'rats qui me passent sur le corps la nuit et j'en ai moins dans ma couchette, pas vous ? J'suis d'avis qu'les pièges marchent, moi.
– Ouais, j'ai remarqué aussi, ajouta un autre soldat.
– Peut-être bien, mais j'espère qu'elle ne pioche pas dans la réserve pour attirer ces bestioles dans ses pièges, commenta un troisième. Entre le sommeil et manger, j'préfère le second. »
Quelques-uns acquiescèrent à cette remarque, et la conversation vira sur ce qu'ils avaient eu comme repas récemment, l'appréciation des rations qu'on leur servait puis sur les réserves qu'ils avaient emmenés. Hoseok fut bien heureux de ne plus avoir à les entendre parler de bestioles quelconques. Ce genre de préoccupation ignoble l'indisposait. Il s'estimait heureux de ne pas rencontrer ce genre de problème; quelle horreur ce serait, de tomber nez à nez avec un rat dans sa chambre ! Le chevalier en frissonnerait presque de dégoût sous son armure.
Yoongi arriva finalement en trottinant vers lui. Hoseok le remarqua sans peine; il reconnaîtrait sa dégaine entre mille. Il portait une chemise trop grande, un pantalon en toile de jute et des bottes encrassées. Il aurait pu avoir la décence de se décrotter avant le voyage. Et dire qu'il allait devoir traverser la citadelle en sa compagnie ! Même les rustres soldats faisaient meilleures figures.
Yoongi avait l'air essoufflé lorsqu'il s'approcha, mais Hoseok dédaigna ce détail lorsque son écuyer lui tendit la sacoche qu'il l'avait envoyé quérir. Il ne la prit pas.
« Accroche-la. »
Yoongi baissa la tête comme pour acquiescer, bien qu'il ne fit pas le geste jusqu'au bout. Avec les lanières en cuir, il accrocha du mieux qu'il put la sacoche à la selle du chevalier. Ce dernier affichait un air à la limite de l'ennui, à peine ébranlé sur sa selle par les tentatives du garçon de la fixer correctement à sa monture. Il regarda ce dernier durant toute l'opération, détaillant ses cheveux mal coiffés et les marques sous ses yeux. Son état était encore pire que la dernière fois qu'ils s'étaient vus. C'était à croire que la vie à la basse-cour n'avait qu'à peine amélioré sa situation. Lorsque la sacoche fut en place, il tendit son heaume au garçon afin qu'il le porte pour lui. Il n'allait pas traverser la citadelle le visage couvert. Yoongi le saisit en silence, sans un rictus sur son visage blême.
« Tous le monde en selle, ordonna brusquement Hoseok aux soldats. Nous partons ! »
Les hommes se turent et s'installèrent sur leurs chevaux dans une cacophonie de métal qui s'entrechoque, de cuir qui se tire et de sabot raflant le sol. Lorsqu'Hoseok cessa de les regarder se préparer pour zieuter son écuyer, ce dernier venait tout juste de monter sur le poney costaud qui l'attendait non loin, dont l'allure n'était aucunement comparable à l'élégance de son cheval à lui. La monture de son écuyer avait été chargée de la plupart des réserves pour leur voyage, et le garçon ne devait pas peser bien lourd car la bête réagit à peine lorsqu'il s'installa sur la vieille selle.
Yoongi n'était pas à l'aise et Hoseok le remarqua bien; il n'avait sûrement appris à monter que récemment. Il n'était là que depuis quelques semaines. Le chevalier détourna le regard, estimant qu'il lui avait accordé bien plus d'importance qu'il n'aurait dû. Lui rendre la broche avait été un geste de compassion à son égard, le seul qu'il méritait. Il ne vit pas que son écuyer le fixait à présent à son tour, et il ne vit pas non plus l'expression profonde de son regard.
« Allons-y, lança alors le chevalier en talonnant sa monture. »
Il prit la tête et le groupe ne s'attarda pas; ils suivirent et franchirent à leur tour les larges portes gardées qui menaient à la citadelle. Aucun des gardes qui en surveillaient le passage ne salua Hoseok, et ce dernier n'en tint pas rigueur car il ne le fit pas non plus. Il était trop occupé à songer aux modalités de leur mission.
Le groupe de cavalier descendit la rue pavée jusqu'à la place du marché. Ils passèrent à côté du temple, qui dominait la place et devant lequel quelques pèlerins se tenaient à genoux, la main gauche sur le front. Quelques initiés vaquaient parmi les habitants de la citadelle. Hoseok fit le signe en passant à côté d'eux; sa paume gauche sur son front, puis son index et son majeur sur ses lèvres. Les initiés qui le virent lui rendirent son signe, tandis que les badauds rôdaient sur la place et regardaient le groupe de soldat fendre la foule dans le brouhaha d'activité. Ils s'écartèrent à leur passage. Hoseok guida son groupe dans la rue menant à l'une des portes du Levant, celle qui pointait le plus vers l'est. Traverser les rues de la citadelle était toujours quelque chose que le chevalier appréciait, bien qu'il n'était pas là pour vaquer. Pas cette fois. Il redressa sa colonne sous son armure.
Plus la rue progressait vers l'extérieur et plus elle se rétrécissait. Les sabots des chevaux claquaient irrégulièrement sur les pavés inégaux. La porte était ouverte et le groupe la franchit sans un regard en arrière. Hoseok passa en premier sur le pont étroit, puis suivirent les soldats les uns derrière les autres. Yoongi, sur le dos de son poney chargé comme un âne, fermait la marche, nerveux. C'était la première fois qu'il sortait de la basse-cour mais aussi de la citadelle depuis le début de sa nouvelle vie à la capitale.
L'assurance d'Hoseok ne tarit point, pas même lorsque le groupe traversa le hameau qui s'agglutinait au bord de la route, ni même lorsqu'ils arrivèrent à la grande ferme où attendaient plusieurs chariots chargés de paquetages. La mission consistait à escorter les marchandises et les marchands jusqu'à Cardend, la principale ville côtière du pays. Les trajets comme celui-ci étaient fréquents; ils contribuaient à faire tourner l'économie de la capitale, le centre névralgique du pays. Pour cette raison, la valeur des denrées et objets transportés rendait ce butin alléchant pour les bandits, qui s'attaquaient alors aux voyageurs. Toutefois, bien que les attaques de chariots étaient rares, surtout en ces temps de paix, elles n'en demeuraient pas moins possible. Cette fois-ci, Hoseok était l'unique chef de l'expédition, et bien qu'il ait déjà fait ce chemin maintes fois lorsqu'il était écuyer, en tant qu'accompagnant du chevalier qu'il servait jadis, la sensation était toute autre. À présent, c'était lui qui menait les soldats.
Il fit approcher sa monture d'un petit groupe en pleine discussion. Ils étaient trois, deux hommes et une femme, mais l'un d'entre eux tenait un livre de registre ouvert dans ses mains et, au vu de son allure, devait être la personne en charge des chariots. Elle avait davantage l'air de faire un inventaire que de réellement discuter avec les deux autres, aussi arrêtèrent-ils tout à son approche. Hoseok ouvrit la sacoche à son baudrier, en extirpa un parchemin officiel et interpella la femme du haut de sa selle. La feuille de papier se déroula d'elle-même, extirpant le sceau de la garde.
« Êtes-vous l'intermédiaire de sire Gormaly ? interrogea le chevalier.
– Oui messire, répondit son interlocutrice en levant ses yeux gris sur lui. Je suis Nanever Wainsoty, sa chambellane. »
Hoseok hocha la tête fermement et tendit le document à la femme, qui s'avança alors pour le prendre entre ses doigts recourbés. Elle l'examina brièvement d'un oeil expert. Son autre main tenait toujours le registre.
« Parfait, finit-elle par dire. Tout est en ordre et les chariots sont prêts à partir. Je les laisse sous votre bonne garde, messire. »
Elle s'inclina en guise d'adieu, souhaita bon voyage au chevalier et prit congé. Les deux hommes la saluèrent également lorsqu'elle partit. Hoseok tourna les rênes et talonna. Il s'adressa à son groupe, qui attendait toujours sur le chemin, en position.
« Allons-y, ordonna-t-il. Il nous faut parcourir le plus de distance possible avant le coucher du soleil. »
Il passa à côté de Yoongi et tendit la main vers lui sans le regarder. L'écuyer lui rendit son heaume et il le prit sans que ses lèvres ne formulent le moindre remerciement. À la place, elles bougèrent pour s'adresser à tout le groupe.
« Je veux que nous y soyons demain. »
[...]
Yoongi attacha les rênes autour du tronc et fit un noeud qu'il espérait assez solide. Il leva la tête, mais il ne vit même pas la cime du cèdre, ni de tous les autres qui bordaient la lisière. Leurs branches cachaient la vue du ciel assombri et tapissaient l'herbe aplatie d'ombre, mais les aiguilles filtraient la lumière comme une toile trouée. Yoongi longea de la main l'encolure de la bête, puis porta ses paumes sur la sangle. Les membres raidis par la chevauchée, il dut s'y prendre à plusieurs fois pour défaire les boucles et détacher les sanglons, si bien qu'il termina de desseller le cheval de sire Jung au moment même où ce dernier s'approcha. Yoongi sentit sa présence bien avant d'entendre sa voix, et ce malgré l'agitation du campement qui le fatiguait autant que ça le maintenait aux aguets.
« Dès que tu auras nettoyé le harnachement, tu iras chercher du petits bois pour le feu. »
Sire Jung se tenait bien droit comme s'il ne connaissait ni fatigue ni repos. Il ne s'était pas encore défait de son armure, alors son épée pendouillait mollement à sa hanche, endormie dans son fourreau. Elle semblait ne jamais vouloir en sortir. Pourtant il se faisait tard. Yoongi se demanda pourquoi le noble n'était pas déjà allé se reposer en laissant le menu travail aux autres, puisqu'il était si doué pour déléguer. Le voyage du lendemain les mènerait à destination, mais il fallait encore chevaucher jusqu'au soir avant de pouvoir atteindre Cardend. Les chariots les ralentissaient et allongeaient le trajet d'une demie journée. S'ils n'avaient pas de chance et qu'il pleuvait, ils arriveraient dans la nuit, à moins qu'un imprévu ne les oblige à camper une seconde fois. Yoongi avait glané ces renseignements en écoutant les cavaliers discuter sur le chemin. Ça lui donnait une vague idée de la distance qu'ils parcouraient.
Sire Jung lui accorda le même regard que toutes les autres fois où il avait daigné poser ses yeux sur lui. Son ton ne comportait aucune chaleur. Comme si le paysage en avait aspiré jusqu'à la moindre et dernière bouffée.
« Et n'oublie pas de donner à boire aux chevaux. Il doit y avoir un ruisseau dans les environs. »
Le garçon hocha la tête. La selle était lourde dans ses bras, et ses jambes n'avaient pas terminés de travailler. Il était loin d'être habitué à monter comme l'étaient les soldats. Ces derniers s'affairaient à installer les tentes des marchands, mais aussi celle de sire Jung. Ce dernier observa le garçon un instant, suffisamment longtemps pour que ça soit étrange mais pas assez pour que Yoongi ne s'en préoccupe vraiment; il le regardait souvent sans rien dire. Sire Jung s'éloigna sans rien ajouter de plus.
Yoongi ne le regarda pas retourner auprès des soldats, auxquels il allait certainement donner des ordres sans rien exécuter lui-même. Il alla déposer la selle au-dessus des paquetages dans l'idée de l'astiquer plus tard, dans la soirée. Les chevaux attendaient toujours qu'il s'occupe d'eux, et comme il semblait être le seul auquel on avait confié cette charge, c'est seul qu'il s'aventura dans le sous-bois à la recherche de branchages et d'eau, avec un seau pour seul outil.
L'endroit choisi par sire Jung pour camper n'avait pas été laissé au hasard; il s'agissait du dernier point en hauteur avant d'entamer une longue et douce descente qui menait, au bout du périple, jusqu'à la mer. Yoongi aurait adoré pouvoir l'apercevoir depuis ici, mais il ne voyait que des prés d'herbes fades à perte de vue. Jusque-là, le paysage ressemblait à celui de son comté. Demain assurément, il pourra voir l'étendue bleue pour la toute première fois. Pour le moment, il s'enfonçait plus avant dans la forêt.
Les ombres des conifères s'étaient allongées de toute leur longueur et rendaient l'atmosphère inquiétante pour qui n'était pas familier à de tels lieux sauvages. La mousse recouvrait tout, grimpait aux écorces des arbres comme pour en atteindre les sommets et engloutissait les rochers. Le sol forestier pouvait s'avérer traître, aussi Yoongi fit bien attention où il marchai. Il se baissait de temps à autre afin de rassembler des branches sèches, qu'il tenait sous son bras pour en faire un fagot. Le tas peinait à grossir alors qu'il se frayait un chemin plus profondément dans l'obscurité accueillante. Les bruits du campement devinrent plus lointain, jusqu'à n'être qu'un bruit vague et indistinguable à ses oreilles. Quand il s'arrêta et jeta un regard autour de lui, il constata qu'il s'était bien éloigné, peut-être même un peu trop. Pourtant, il n'en ressentait aucune inquiétude.
Le sous-bois était d'une tranquillité sans nom. Yoongi resta à l'écoute. Quelques longues secondes s'écoulèrent avant qu'il ne remarque le ronflement léger d'un ruisseau caché. Malgré la pénombre, Yoongi le trouva, posa son fagot de bois sur de la terre sèche et remplit son seau. Puis il resta accroupit au bord de l'eau courante et, poussé par son instinct, vérifia qu'il était bel et bien seul. Il extirpa alors la broche d'une poche cousue à l'intérieur de sa chemise et la tint dans le creux de sa paume. Il arriva très nettement à distinguer les rugosités de la pierre. Elle était froide malgré l'humidité de la forêt.
Yoongi sursauta. Il avait entendu son prénom. Quelqu'un le cherchait et pourtant ça lui apparut comme irréel. Avait-il halluciné ? On l'appela à nouveau. Le son était clair, bien que lointain. C'était la voix de sire Jung. Yoongi grimaça, fourra la broche dans sa poche, prit le seau et son fagot de bois puis repartit sans trainer. L'eau de son seau déborda sur ses talons. Il déboucha à la lisière, où les chevaux l'attendaient.
« Te voilà, lança sire Jung. J'ai bien cru que les loups t'avaient attrapés.
– Pardon messire, marmonna Yoongi en avançant maladroitement. J'ai trouvé du bois pour le feu et de l'eau pour les chevaux, comme vous le vouliez. »
Hoseok le considéra un instant, puis lui montra le centre du campement de la main. L'autre reposait mollement sur la garde de son épée.
« Porte ça là-bas, les soldats se chargeront d'allumer un feu. Tu t'occuperas des bêtes plus tard, j'ai quelque chose à te donner. »
Yoongi posa le seau d'eau pour tenir le fagot à plein bras. Ce qu'avait dit le chevalier l'avait rendu curieux, mais au vu de l'expression de ce dernier, sire Jung n'était pas disposé à lui en dire davantage. Du moins pas ici.
« Rejoins-moi dans ma tente, ordonna le noble sans fléchir. Et ne me fais pas attendre. »
Il s'en alla ensuite vers le lieu du rendez-vous et Yoongi suivit ses ordres à la lettre. Il trottina jusqu'au centre du campement, où les soldats s'étaient déjà rassemblés en cercle et avaient entamés les provisions. Le feu attendait toujours d'être allumé dans le foyer de pierres, aussi l'arrivée de Yoongi et de son fagot fut la bienvenue. Un soldat le libéra de son fardeau alors que plusieurs autres se proposaient déjà de faire du feu. L'écuyer fut ravi de ne pas avoir à le faire lui-même; il ne voulait pas faire attendre sire Jung. Le chevalier n'était pas tendre avec lui, et il avait envie d'en terminer rapidement pour retourner vers les chevaux, alors il se hâta vers la tente. Le garde assigné à l'entrée de celle-ci l'observa s'approcher sans méfiance et ne l'empêcha pas de passer. Il avait été prévenu de son arrivée, sans aucun doute. Yoongi écarta un pan du tissu de la tente avant d'y passer la tête. Puis il entra.
La tente était à peine plus aménagée que l'extérieur, mais le confort s'en trouvait déjà bien plus grand. On pouvait tenir debout sous la toile sans avoir à se baisser et l'herbe courte avait été aplatie par des peaux et des fourrures destinées à servir de lit de fortune. Les affaires du chevalier avaient été disposées au centre, tout autour du pic soutenant la structure. Une lanterne projetait une lumière chaude sur la toile. Sire Jung s'était servi de deux caisses de marchandises empilées l'une sur l'autre comme d'une table, sur laquelle il avait étalé divers documents. Il les rassembla en hâte lorsque l'écuyer entra, comme s'il craignait qu'il les lise. Mais Yoongi, en plus de se trouver trop loin, était bien incapable de comprendre les sigles que formaient l'encre sèche.
« J'ai bien failli attendre, lança sire Jung, même si au ton de sa voix, il était davantage surpris que contrarié. As-tu apporté le bois pour le feu ?
– Oui messire, répondit Yoongi. J'ai fait ce que vous m'avez dit et je suis venu juste après. »
Le chevalier se frotta le menton. Il n'avait pas eu le temps d'enlever son armure, à moins qu'il n'en ait pas eu l'intention. Néanmoins, son épée avait quitté son flanc. Yoongi la remarqua appuyée contre les caisses de marchandises. Sire Jung lui fit signe de venir plus près.
« Aide-moi à retirer mon armure. »
Yoongi acquiesça par automatisme mais se retrouva bien vite dans une impasse. Il n'avait encore jamais touché à l'armure du chevalier autrement que pour en astiquer les moindre coutures. Jusque-là, le chevalier n'avait pas requis son aide, ni pour la mettre ni pour l'ôter.
« Qu'est-ce que tu attends ? lança le noble. Commence par le ceinturon. »
Yoongi baissa la tête tout en fronçant les sourcils; il détestait ce ton, mais il ne pouvait rien dire. Il toucha la boucle de sa ceinture, tira sur le bout de cuir pour en défaire le noeud mais trouva le silence presque embarrassant. Déshabiller un autre homme, même dans de telles circonstances, lui paraissait étrange. Sire Jung se saisit du baudrier avant qu'il ne tombe, mais ce ne fut que pour le lancer mollement sur les fourrures au sol. Yoongi hésita avant de continuer. Un regard de la part du chevalier le convainquit. Le garçon aida à enlever son gambison et sire Jung se chargea de se débarrasser lui-même du reste, jusqu'à se retrouver en tenue légère. Si la saison n'était pas aussi fraiche, Yoongi aurait parié que le chevalier devait mourir de chaud sous toutes ces couches. Toujours sans rien dire, il plia rapidement les vêtements et la cotte de maille, puis les posa sur une fourrure.
« Tu n'es pas si mauvais, comme écuyer. Même si tu as l'âge de terminer ton apprentissage. »
Le commentaire rendit Yoongi dubitatif, mais aussi suspicieux. Sire Jung se tourna vers ses affaires, fouilla dans une caisse et en sortit un objet drapé de toile ainsi qu'un carquois de carreaux, qu'il tendit au garçon. Ce dernier retint son souffle, car il n'avait pas besoin de retirer le tissu pour deviner de quoi il s'agissait. Néanmoins, il tendit les mains par automatisme. L'arbalète de son père pesait un poids douloureux dans ses paumes raides. Ce fut le chevalier qui en retira la toile et fit passer la anse du carquois à son épaule.
« Le commandant croit bon de te donner ceci, dit-il. Il parait qu'elle t'appartient, et il m'a demandé de te la remettre. »
Yoongi suivit les veines du moins de son pouce, puis leva la tête pour croiser le regard de sire Jung.
« Avoir une arme sous la main lorsqu'on emprunte la Grande Route n'est pas une mauvaise idée, loin de là, dit-il. Mais je me demande si tu sais t'en servir. »
Yoongi crut entendre une pointe de défi dans sa voix et peut-être aussi un peu de mépris. Mais ça ne l'étonnait plus et il pouvait presque s'en amuser. D'ailleurs, il trouvait la défiance du chevalier bien osée. Il zieuta l'épée, qui se trouvait hors de portée et son détenteur désarmé.
Yoongi tint l'arbalète contre lui. Il n'allait pas faire une démonstration à ce chevalier pour lui prouver qu'il avait tort. C'était idiot, et bien inutile, même s'il avait envie de lui montrer de quoi il était capable. À la place, il garda farouchement le silence.
« J'imagine que si le commandant a décidé de te la donner, c'est pour une bonne raison, marmonna sire Jung dans une dernière tentative. »
Yoongi haussa les épaules. Sire Jung émit alors un soupir et croisa les bras sur son torse. La discussion était close.
« Va t'occuper des montures. Je veux que mon cheval soit prêt à l'aube. »
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