Chapitre 36
— Dur retour à la réalité, n'est-ce pas ?
Ethan me lançait un sourire compatissant en réponse au soupir que je venais de laisser échapper. Nous venions de finir notre première heure de cours de cette rentrée et déjà ces jours entiers sans venir au lycée me manquaient. En guise de réponse je lançai :
— Ma réalité à moi j'aimerais qu'elle soit chez moi, en ce moment.
— Tu n'oserais pas me laisser tout seul ?
Il avait pris un visage choqué, mais c'était une expression factice, même si je lui répondis tout de même assez sérieusement :
— Tu n'es pas tout seul, il y a Téah.
— Oui, c'est sûr, mais elle n'est pas avec moi en cours, alors je suis content que toi tu sois là, ça les rend moins ennuyants.
La tête posée sur mes bras croisés sur la table, nous étions dans l'attente de l'arrivée du professeur, qui avait pris habitude de toujours être en retard à cette heure-ci.
La fin de semaine précédente avait été bien calme, j'avais passé pas mal de temps à dessiner ou à regarder la télévision en compagnie de mon père, même si en vérité il m'avait posé un tas de question sur mon séjour à la montagne et que je n'avais pas suivi du tout ce qui passait sur l'écran à chaque fois, mais comme ça lui faisait vraisemblablement plaisir que je lui parle de mes vacances. On avait fêté le commencement de la nouvelle année seulement tous les deux, le vendredi soir, comme tous les ans, en regardant les feux d'artifices à la télévision. J'avais d'ailleurs pris une décision ce soir-là, et j'en avais fait part à mon père :
— Tu sais, papa, je ne m'en sens pas encore capable pour le moment. Mais je te promets que je ferais tout mon possible pour qu'on aille voir les prochains en vrai l'année prochaine.
Il m'avait alors pris dans ses bras en répondant, la voix émue :
— Ce serait génial, ma grande. Mais surtout ne t'y oblige pas si tu n'en as pas envie et fait ça à ton rythme.
— J'en ai vraiment envie, tu sais.
Il m'avait ensuite lâchée et observée de son regard si doux et rassurant que je lui connaissais bien :
— Dans ce cas j'ai très hâte, je sais que tu ne me décevras pas.
J'avais laissé apparaître moi aussi un sourire, prête à tenir ma parole et à faire de mon mieux pour, d'ici un an, ne plus être déstabilisée par une foule aussi importante qu'elle devait l'être un jour si spécial de l'année. Je n'en avais pas encore parlé à mes amis, voulant leur en faire la surprise, et même si je n'étais pas très douée pour ce genre de chose, je savais que ça leur ferait plaisir.
Sortant de mes pensées, je me rendis compte qu'Ethan était en train de me parler.
— ... A bien une chose pour laquelle je suis bien content d'être rentré, c'est qu'il n'y a plus ce fichu loup qui traîne dans les parages.
— Je ne vais pas te contredire, mais je trouve qu'il n'a pas été si désagréable que cela.
— Il n'en avait pas l'air pour toi, mais je t'assure que j'ai très bien senti ce qu'il voulait me faire passer.
— Ah, ça ? Oui, on a bien compris que ça ne passait vraiment pas entre vous, même si je ne vois pas vraiment de quoi tu veux parler exactement. D'ailleurs, tu n'as pas l'air de détester Iléa, du moins pas autant que son frère.
Il croisa les bras et regarda au plafond, réfléchissant à sa réponse.
— Peut-être être parce que c'est une fille.
Peu satisfaite de sa réponse je le fixai avec insistance et il finit par lâcher :
— Disons que le désaccord que nous avons, ton chien et moi, c'est principalement quelque chose entre garçons, si tu veux.
— Elyss n'est pas mon chien.
Au même instant où je protestais, l'enseignant entra dans la salle, ce qui coupa notre conversation, à mon grand désarroi. Il m'avait donné envie d'en savoir plus, aussi faudrait-il que je songe à demander son avis à Téah, voire même à Iléa. Les deux heures suivantes passèrent avec une lenteur accablante, et mon ennui devait sauter aux yeux, Ethan ne cessait de me lancer des regards à la fois compatissants et amusés. A la fin de la matinée, alors que nous rangions nos affaires pour ensuite aller rejoindre Téah, mon ami me proposa :
— Et si nous allions un peu nous entraîner ce soir, ça te motivera peut-être ?
Il précisa que nous n'aurions qu'à prendre sa voiture, qu'il avait aujourd'hui, pour nous rendre au stand et après une petite seconde de réflexion, j'acceptai en me disant que cela me ferait du bien de me dérouiller les bras. De plus, Anna n'avait pas encore appelé et j'avais déjà très envie avant même la proposition d'Ethan d'aller m'entraîner un peu au tir.
— Tu veux que Téah vienne ou pas ?
Etonnée qu'il me pose la question, je lui répondis :
— Comme tu en as envie, mais je pense que ça lui ferait plaisir de venir.
— C'est ce que je pensais aussi, mais je voulais avoir ton avis aussi.
— Ce genre de choses, tu n'as pas besoin de me demander, tu sais.
Nous traversâmes un dernier couloir pour nous rendre ensuite au niveau du self, où la queue était déjà bien raccourcie, et une fois nos plateaux en mains, nous rejoignîmes Téah qui nous attendait à la table que nous avions l'habitude d'utiliser quand elle était libre. Téah nous salua d'un signe de main et d'un sourire, apparemment prise dans ses pensées. Ethan s'asseyait à côté d'elle et agita sa main devant ses yeux :
— Êtes-vous réellement avec nous, mademoiselle ?
Téah secoua légèrement la tête et répondit, sortie de là où elle était partie :
— Oui, oui, je suis là, je réfléchissais juste à quelque chose.
— Et à quoi, sans vouloir être trop curieux.
Elle lui adressa un sourire en coin.
— Je me demandais quel genre de tenue je pourrais bien porter au bal de fin d'année. Tu sais, celui où tu es censé m'inviter.
Ethan fut vraisemblablement pris de court, restant silencieux quelques secondes avant de se justifier :
— J'avais complètement oublié cette histoire, en vérité, mais en même temps c'est dans six mois, tu as le temps d'y penser, encore, à ta tenue.
— Six mois, c'est très court, monsieur je-viens-habillé-pareil-que-l'année-dernière.
Un peu perdue, je me risquai à poser une question :
— Euh... c'est quoi cette histoire ?
Téah parut étonnée par mon ignorance que je savais parfois embêtante, et Ethan, lui, s'éclaffa carrément :
— Parce que tu n'as jamais entendu parler du bal de fin d'année ? Après tout ce temps ? Téah, tu as mal fait ton boulot, dis-moi.
Cette dernière lui lança une petite grimace et bougonna :
— Je n'y pense pas non plus tant que ça, figure-toi. C'est juste que maintenant qu'on arrive dans une nouvelle année, je commence à y songer.
Puis elle s'adressa à moi :
— Et bien, tu vois, ici, chaque fin d'année, mi-mai en général, l'école loue une grande salle, et elle organise un petit bal de fin d'année pour tous les élèves.
Je me souvins avoir vu ce genre de fête dans les séries à la télé, et je demandai à Téah s'il s'agissait de ce genre d'événement. Elle lâcha un petit rire en me répondant:
— Ils ont essayé de s'en inspirer, mais c'est vraiment pas comme dans les films américains. Ils prennent un mixeur du coin, qui fait quand même du bon boulot, on a une grande piste de danse avec un bar à l'arrière, mais ils ne vendent pas d'alcool, malheureusement.
— Espèce d'ivrogne.
Téah donna un coup de poing dans l'épaule d'Ethan qui fut surpris par la force que sa petite amie avait mise dedans.
— Je ne suis pas une ivrogne, n'importe quoi !
— Je rigolais, pas la peine de me déboîter l'épaule, non plus. Je dis juste que quand il y a de l'alcool, tu n'es pas la dernière à aller te servir, alors ça t'attriste de ne pas en avoir dans ce genre de soirées.
Il se frottait l'épaule où Téah avait frappé, mais je voyais bien qu'il exagérait ses propos. Mon amie n'était pas assez forte pour déboiter une épaule, ou, en tout cas, elle n'avait pas mis la force nécessaire dans son coup. Toujours dubitative, je me risquai à demander :
— Mais ça n'est pas interdit, l'alcool à notre âge ?
Téah haussa un sourcil, les bras croisés, feignant d'avoir été vexée par les paroles d'Ethan.
— Aux yeux de la loi, évidement que ça nous est interdit, mais ça ne nous a jamais vraiment empêché d'y goûter. Et de toute façon, depuis qu'Ethan est majeur, c'est lui qui va le chercher, quand il veut bien coopérer.
— Et bien, ne compte pas sur moi la prochaine fois.
Les cinq minutes suivantes se passèrent en silence, car même si mes deux amis se faisaient la tête pour de faux, aucun ne voulait lâcher le morceau en premier. Finalement, ce fut Ethan qui craqua, il posa sa main sur la tête de Téah et la lui frotta en lâchant :
— Bon, aller, fais pas la tête pour ça, tu sais bien que je te taquine.
Son geste eu pour effet de défaire la coiffure en queue de cheval de sa copine, dont des mèches partaient à présent en tous sens.
— Oui, je sais, mais arrête de me décoiffer, par contre, c'est énervant à refaire, à chaque fois.
— Oh, tu sais, je t'aime bien quand tu es décoiffée, aussi.
Un sourire discret accompagnait ce commentaire et Téah détourna légèrement le regard en se reconcentrant sur son assiette et je cru même voir son visage changer un peu de couleur pour une raison que j'ignorais visiblement. Il me sembla qu'Ethan l'avait remarqué, lui aussi. Il rit, puis prit Téah par les épaules et l'amena vers lui pour l'embrasser sur le front.
— T'es mignonne quand tu fais cette tête-là. Comment j'ai pu y résister si longtemps ...
— Parce que tu es aveugle, comme une bonne partie des garçons de cette planète, et aussi parce qu'avant tu ne pouvais pas te permettre ce genre d'insinuations.
Elle leva la tête vers lui et ils échangèrent tous deux un sourire complice, avant de s'embrasser rapidement. Me sentant un peu à part alors qu'ils étaient dans leur monde, je m'occupai à observer la cantine de long en large, remarquant l'absence d'Elyss, ce qui m'étonna. J'avais pensé qu'il serait venu m'embêter dès la rentrée, mais ça n'avait pas été le cas. Je secouai la tête doucement, me demandant pourquoi je pensais à lui alors que justement j'étais bien contente de ne pas le voir. Je me concentrai à nouveau sur la conversation en face de moi, Ethan était en train de mettre au courant Téah pour la sortie de ce soir. Elle s'en montra ravie et n'en cacha pas sa hâte. Nous terminâmes notre repas avant de sortir de la salle et nous diriger vers nos salles de classes, juste après avoir convenus de nous retrouver près de la voiture d'Ethan une fois les cours terminés.
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Les détonations s'enchainaient avec régularité au rythme de la pression de mon doigt sur la gâchette, puis une fois le chargeur vide, je constatai les dégâts faits à la cible, à vingt-cinq mètres de là. J'entendis Téah applaudir et s'exclamer avec vigueur :
— Décidément tu es vraiment douée, avec ton pistolet, personne ne peut faire mieux.
Je la remerciai d'un hochement de tête, un peu gênée par le compliment qui était un peu trop exagéré. C'était différent des félicitations d'Anna, qui n'étaient pas rares, mais plus difficiles à obtenir, toutefois, cela faisait toujours plaisir. A côté de moi, Ethan prit une flèche et annonça :
— Attendons de voir si je fais mieux.
Il arma sa munition et se concentra sur la cible après avoir tendu la corde de son arc, il resta immobile l'espace de deux secondes et tira. La flèche atteignit le centre à cinq ou six centimètres près, ce qui fit rire Téah qui se moqua :
— Et bien alors ? On arrive à toucher un chamois en pleine poitrine du haut d'un balcon exposé à tous les vents mais une pauvre cible comme celle-ci te fait défaut ?
Sa réplique me fit rire, et je m'amusais même, après avoir rechargé mon pistolet, à viser le centre de sa cible à lui. Avec mon angle de tir, je parvins à mettre ma balle quasiment pile là où sa flèche était plantée, à quatre ou cinq millimètres près, mais le choc de la balle suffit à déloger un peu sa flèche qui s'affaissa légèrement, et ce à mon entière stupéfaction et satisfaction. Téah rit de plus belle devant un Ethan qui n'en croyait visiblement pas ses yeux.
— Eh bien, tu ne rigoles plus, avec ces trucs on dirait.
Jetant un coup d'œil au pistolet que je tenais dans la main, puis à celui attaché à mon pantalon, je répondis :
— Je me sens bien, avec eux, quand je les ai avec moi, j'ai l'impression d'être capable de bien plus de choses que lorsque je ne les avais pas.
— Fais tout de même attention, il ne faudrait pas que ça en devienne dangereux autant pour toi que les autres.
Il était sincèrement inquiet, et cette expression sur son visage me rappela celle de mon mentor.
— Anna m'a déjà dit la même chose, ne t'en fais pas, je ferais attention, promis.
— Dites, vous me verriez avec quel genre d'arme si j'avais été une chasseuse, moi aussi ?
Ethan et moi nous tournâmes vers Téah en même temps. Assise sur son banc, le menton posé dans ses mains, elle semblait réfléchir Ethan me lança un sourire avant de répondre :
— Un couteau, sans aucun doute. Mais du type couteau à steak, tu vois.
— Pourquoi ?
— Parce que tu es une bien trop innocente jeune fille et que la seule chose à laquelle tu te sois jamais attaquée, c'est justement des steaks.
— Oh, arrête de te moquer de moi, tu veux !
— Je suis plutôt d'accord, un couteau ça t'irait bien, même si celui à steak ne doit pas être des meilleurs.
Téah cligna des yeux après avoir entendu mon avis :
— Tu es sérieuse, là ?
— Oui, vraiment. En vérité, quelque chose de gros, ça ne t'irait pas, je pense, et le tir au pistolet j'ai remarqué que ça n'est pas trop ton point fort, mais des couteaux ça me paraît correct.
De son côté, Ethan prit une nouvelle flèche et visa à nouveau sa cible, qu'il toucha là encore près du centre, puis il dit avec un sérieux exemplaire, tout en prenant une nouvelle flèche dans son dos :
— De toute façon tu ne sortiras pas d'ici avec une arme et tu te baladeras encore moins avec, puisque tu n'es pas une chasseuse.
— La confiance règne, merci bien.
Téah se senti visiblement offensée par les paroles d'Ethan, qui se justifia en laissant partir sa munition :
— Ça n'est pas une question de confiance, c'est juste que moi vivant tu ne tiendras jamais une arme réelle en dehors de ce bâtiment, et je t'aurais sûrement dit ça même si nous ne sortions pas ensemble, je tiens à te le dire.
— Tu m'as toujours surprotégée de toute façon, pire que ma mère. Et si un jour il m'arrive quelque chose, je me défends comment ?
— La faute à qui, à ton avis ? Ça m'a toujours fait plaisir de te défendre, quand on était petits, parce que mademoiselle attirait les ennuis. Et il ne t'arrivera rien, je m'en assurerais, moi mais aussi les autres, pas vrai ?
Il me questionna du regard et j'acquiesçai en hochant la tête. Il était évident que si Téah avait un problème, je n'hésiterai pas à aller lui porter secours, de même pour Ethan ou d'autres personnes à qui je tiens. Reprenant en vue ma cible, je la visai de mon pistolet et relançai une salve de balles.
Nous continuâmes à tirer pendant une petite demi-heure avant de nous décider à rentrer. Cette séance seuls nous avait permis de reprendre la main après la petite pause des vacances, sans avoir nos mentors derrière nous ce qui avait rendu ce petit entraînement assez détendu. Téah avait réessayé l'arc avec Ethan et commençait à se montrer assez douée, même si elle ne touchait pas en plein centre, elle arrivait à atteindre la cible dans la quasi-totalité de ses essais. Elle n'avait pas tenté avec mes armes à moi, mais avait dit qu'une prochaine fois, elle pourrait bien retenter aussi.
Je saluai mes amis une fois qu'ils m'eurent déposée par chez moi avant de rentrer passer la soirée avec mon père et me reposer.
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Petit chapitre de la semaine, bonne lecture :3
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