La file avançait lentement, et les gens perdaient patience. C'était comme un mouvement pavlovien, que cette foule de travailleurs toujours sous pression, n'envisageant plus de perdre d'heures. La plupart des galériens de l'hôpital public, ne sentant même plus l'oppression qu'ils subissaient, en était réduit ainsi à suivre mécaniquement les directives. C'est ainsi qu'arriva le tour d'Alice de se faire vacciner, elle ne pensait qu'au patient de la chambre 42.

Alors qu'elle se retrouvait en sous-vêtement, elle ne regarda même pas la cicatrice qu'elle avait sous le sein droit et qui la faisait d'habitude complexé. En fait, son corps n'était qu'un outil, qu'elle traitait mieux que durant sa période en étude d'infirmière, mais guère plus. Elle n'avait pas vraiment le temps pour faire du sport sport, et une nature horriblement sadique l'avait récompensé d'un mal de dos chroniques. Seul effort qu'elle avait fait, arrêter de fumer ce qui avait permis à ses dents de retrouver leurs couleurs initiales. Pour compenser, elle mâchait durant les quelques heures où elle n'était pas en service une grande quantité de chewing-gum sans sucre.

 Au fond d'elle-même, elle savait qu'elle ne pourrait pas tenir comme ça durant des années, mais peu lui importait. Sa seule expression durant toutes la séance fut un froncement de sourcil quand elle entendit la personne devant elle essayer de tenir un discours antivax à la personne qui allait lui injecter la seringue. Au fond d'elle même, Alice se demanda comment on pouvait réussir à travailler dans le milieu médical et avoir un tel dédain des apports scientifiques, et ce que cette personne faisait à un tel rendez-vous qui n'était pas obligatoire.

Son arrivée, qui mis fin à la péroraison de l'outrecuidante qui parlait des bienfaits de la chloroquine, fut accueilli par une vague de soulagement par l'ensemble de l'équipe, ravi de trouver un prétexte pour renvoyer l'emmerdeuse. Au moment où l'aiguille s'approchait de son bras, un interne du nom de Yann fit irruption dans la chambre et s'exclama : « Madame Alice, il y a le vieux que la chambre 42 qui... » Il s'arrêta en voyant son interlocutrice en soutien gorge, et rougit si rapidement qu'il provoqua quelques rires narquois. Elle leva les yeux au ciel. Les internes n'étaient déjà pas forcément respecté, mais si en plus ils se comportaient comme des cons.

Le médecin profita du moment de flottement pour planter l'aiguille, ce qu'elle fit dans le calme. Alors qu'elle remettait son tee-shirt blanc informe, puis sa blouse d'infirmière, elle demanda à Yann quelle message il devait lui apporter de manière si urgente. Après s'être encore une fois excusé, il lui murmura : « Je crois que le patient fait une crise de démence. »