Personne, dans le bureau d'Al, n'osait bouger. Ni Léopard qui maintenait fermement Alexandre derrière lui pour le protéger, ni Alexandre qui avait abandonné l'idée de se dégager tant il serrait son bras, ni Charlie qui venait de passer le pas de la porte, et encore moins Al qui se demandait bien qu'est-ce que Léopard fichait dans son bureau et comment il avait atterri là.

          Alexandre dégagea son bras de l'étreinte de Léopard et il vint se placer entre les deux hommes, au milieu de la distance qui les séparaient.

« Bon maintenant stop, tout le monde baisse les armes, et on discute comme des gens civilisés ! cria Alexandre.

          Un peu hésitants, Léopard et Al commencèrent à baisser leur armes lentement, sans pour autant se lâcher du regard. Charlie s'avança timidement dans la pièce. Al le regarda.

— M'sieur le Président.

— Est-ce que quelqu'un va se décider à m'expliquer ce qu'il se passe ? râla Alexandre.

— Toi d'abord Léopard. Je te laisse te présenter.

— Alexandre sait déjà qui je suis, contrairement à toi.

          Al soupira longuement, rangea son arme et il redressa quelques meubles, dont une chaise sur laquelle il s'assit. Il invita les autres à s'assoir d'un geste de la main.

— Alors tu sais déjà à qui tu as affaire, Alexandre ? demanda Al, tu sais qu'il est le chef des Activistes ?

          Ce fut au tour d'Alexandre de soupirer.

— Oui, je sais...

— Et toi Renard, demanda Léopard, tu sais qui c'est, ton doyen ? demanda Léopard sans quitter Al des yeux.

          Alexandre les regarda.

— C'est le chef des Révoltés... Alpha, dit Léopard.

— Al... pha... murmura Alexandre comme une évidence.

          Alexandre se tendit et il eu un mouvement de recul. Il commença à avoir le souffle court, et sa respiration s'accélérera. Léopard lui attrapa la main pour la serrer. Il regarda Alexandre. Son œil droit prenait une teinte verdâtre et sa pupille redevenait une fente.

— Je vais avoir besoin de plus d'explications que ça, Al, dit Alexandre sans oser se tourner vers lui, est-ce que c'est toi qui a tué les gardes de la Capitale ? Est-ce que c'est toi qui est rentré dans notre appartement ? Est-ce que c'est toi qui a laissé des traces de chaussures ?

          Alpha ne répondit pas. Alexandre se tourna vers lui, et il vit son œil, ainsi que les griffes qui se faisaient proéminentes. Il baissa les yeux un instant, avant de regarder Alexandre dans les yeux.

— Oui. Est-ce que tu es responsable de ce qui est arrivé à la mine ? demanda Alpha.

— En partie, répondit Alexandre.

          Il se dégagea de l'étreinte de Léopard pour enlever son perfecto. Il montra à Alpha les cicatrices grossières qu'il avait sur son bras gauche.

— C'est Omicron qui m'a fait ça, dit-il.

          Alpha se souvint rapidement de l'état dans lequel il avait trouvé le corps d'Omicron. Totalement détruit par l'effondrement de la mine, mais il avait clairement reçu des coups de couteau et son visage était défiguré. Il se souvint de son œil crevé, sorti de son orbite et pendouillant sur sa tempe, il se souvint du trou béant de sa joue gauche, comme si on lui avait étiré le sourire que d'un seul côté, il se souvint de sa gorge écorchée et de ses dents manquantes.

— Il voulait me faire parler. Il était très fier d'avoir mit la main sur Léopard. Comme il savait qu'il n'allait jamais parler, il m'a prit moi. Et il a commencé à m'ouvrir le bras. Je n'ai jamais eu aussi mal de toute ma vie. Mon instinct de survie a reprit le dessus.

          Alexandre déglutit. Personne n'osait ajouter quoi que ce soit.

— Alors je l'ai frappé. Encore et encore. Jusqu'à ce que Léopard me retienne, qu'il me dise que c'était terminé. Que je n'avais plus rien à craindre.

— C'est vous qui avez fait sauté la base ?

— Non, c'est la Milice quand elle est venue nous chercher, répondit Léopard

— Al, demanda Alexandre, est-ce que c'est toi qui a ordonné que Omicron me fasse parler ? Est-ce que c'est toi qui a crevé l'œil de Léopard ?

— Oui. Mais je ne savais pas que c'était toi, juste toi.

— Ajoute que c'est aussi toi qui a tué Lion, ajouta Léopard, et Chacal. Et Vautour. Et Guépard. Et Lynx. Et Panthère...

— Qui sont ces personnes ? demanda Alexandre.

          Alpha laissa échapper un petit rire nerveux.

— Il ne t'a jamais parlé d'eux ? demanda Alpha, étonnant, quand on sait à quel point il aime étaler sa vie.

— Ce sont les Activistes qu'il a tué, répondit Léopard.

— Tu oublies un détail, Léopard, c'est que tout cela ne t'ont servit que de chair à canon pour détruire nos bases...

— Faux. Tu les as...

— ... Et qui m'assure que tu ne feras pas la même chose avec Alexandre ? l'interrompit Alpha.

          Alexandre se tourna vers Léopard, l'œil inquiet.

— Comment oses-tu dire une chose pareille ? siffla Léopard.

— Alexandre, dit Alpha, ne fait jamais confiance à cet homme. Il pourra te faire croire pendant des années qu'il est ton ami, mais dès qu'il ne te trouvera plus aucune utilité, il te poignardera dans le dos sans hésiter. Comme il l'a fait pour Lion, Chacal, Vautour, Guépard, Lynx et Panthère. Tu veux savoir quel point commun tu avais avec eux ?

— Tais-toi... murmura Léopard, le regard menaçant.

— Ils avaient tous eu le genre de relation que tu as maintenant avec lui...

— Tais-toi ! cria Léopard.

— ... Des amants de quelques nuits, quelques mois ou quelques années, et dès qu'il n'en voulait plus, il s'en débarrassait, tout simplement...

— TAIS-TOI ! hurla Léopard en se relevant brusquement.

          Léopard avait ses doigts crispés sur la crosse de son pistolet. Alpha et Léopard se regardèrent pendant quelques secondes.

— Dit-moi que c'est faux... murmura Alexandre

          Léopard regarda son Renard.

— Mais bien sûr que c'est faux ! Comment peux-tu penser une chose pareille ?!

— Alors comment sont morts Lion, et Chacal, et... Et tout les autres ? C'est toi qui les a utilisés pour tes besoins ?

          Léopard soutint son regard quelques secondes avant de baisser les yeux. Alexandre soupira longuement et il passa rapidement une main sur ses yeux pour essuyer une larme qui passait par là. Il s'apprêta à dire quelque chose, mais perdant ses mots, il se ravisa et il marmonna qu'il allait prendre l'air. Il attrapa son sac et sa carabine, puis il sortit de la pièce. Léopard le suivit dès qu'il passa le pas de la porte, laissant un Président absolument pas confiant en face d'un homme qui lui était inconnu.

— Vous n'êtes pas bavard, déclara Alpha.

— J'ai l'impression de ne pas être à ma place dans cette conversation, répondit-il.

          Il y eu un blanc gênant.

— C'est bien la Capitale ? demanda Alpha, je n'ai eu l'occasion de la visiter que de nuit.

— Ça l'était, jusqu'à ce que la Navette débarque, reprenne le pouvoir et tue ma femme.

— Oh. »

———————

« Renard, attend s'il te plait !

          Léopard suivait Alexandre presque en courant. Ils étaient maintenant tout les deux dehors, au milieu du bidonville désert. Léopard lui attrapa le bras, mais Alexandre s'en dégagea brusquement.

— Quoi ?! demanda-t-il

— Ne me dit pas que tu as cru à un traitre mot de ce qu'il a dit ! cria Léopard

— Est-ce que c'est vrai ? demanda Alexandre, est-ce que tout ce que vient de dire Al, ou Alpha, est-ce que tout ça c'est la vérité ? Est-ce que tu t'es... Débarrassé d'eux ?

          Léopard le regarda dans les yeux. Il s'apprêta à lui dire quelque chose, mais il se ravisa.

— Laisse tomber, soupira Alexandre.

          Et il lui tourna le dos, marchant vers la sortie.

— Renard, où vas-tu ?

— Au bunker. Et ne t'avises pas de me suivre. Prévient juste Charlie et Al.

— Renard, écoute, je...

— Ne m'appelles pas comme ça.

          Léopard resta sans voix. Alexandre lui tournait le dos.

— Alexandre, je...

— Ne m'appelles pas tout court, en fait. Tu sais où je suis, ne cherche pas plus loin.

— S'il te plait, écoute-moi, je n'ai jamais... Je...

— Est-ce que tu avais l'intention de m'utiliser pour détruire la mine ? Est-ce que tu as fait exprès de ne pas intervenir quand Omicron m'a ouvert les veines ? Est-ce que tu l'as volontairement laissé me blesser ? Est-ce que tu m'as volontairement laissé le tuer ?...

— Quoi ? Non, je... Je... »

          Alexandre le regarda rapidement avant de reprendre son chemin. Léopard n'arrivait plus à bouger. Il regarda Alexandre s'éloigner, passer la porte rouillée et disparaitre de son champs de vision. Il regarda la villa.

          « Fouteur de merde. »