38. Sauve moi
— Neru !
Ça, c'était moi criant par réflexe comme une idiote, dévoilant ainsi mon emplacement. Je posai mes mains sur ma bouche, mais il était trop tard.
Je me relevai avec assurance. Elle m'aurait trouvée que je me montre ou pas, alors autant que je le fasse. Et puis, Neru était en danger. Je croisai le regard affolé de Nahoshi qui était collé à Katsunaga. Je détournai aussitôt les yeux pour ne pas révéler leur emplacement.
— C'est pas trop tôt, Yoko Anzai, m'adressa Sekai après un petit rire. Ça m'étonne que tu n'aies pas pris avec toi des agents du Naicho. De toute évidence les deux autres personnes cachées ici sont des amateurs.
Je me rendis compte que je tremblais. De peur, de stress, je ne savais pas. Elle savait qu'ils étaient là. J'avais mis tous mes amis en danger.
Alors, Neru accomplit quelque chose qui fit sortir mes yeux de leur orbite. Elle infligea à Seeha, ou plutôt Takano, la clé de bras que je lui avais apprise il y a quelque jour et l'effectua à merveille. Elle se retrouva sur la jeune fille, et se rapprocha pour observer son visage de plus près.
— T'es plutôt mignonne, déclara-t-elle sous l'étonnement général. Ça te dit de prendre un verre quand ça sera fini ?
— Dans tes rêves, débutante, cracha Seeha —que je ne pouvais me résoudre à appeler Takano.
Puis, je ne compris pas trop ce qu'il se passa, mais en deux mouvements les rôles s'inversèrent et c'était elle sur Neru.
Alors que j'étais occupée par la scène causée par les deux filles, le premier homme avait atteint la cachette de Katsu' et Naho'. Katsunaga s'était interposé entre le blond et l'homme de main, mais celui-ci réussit à attraper les deux en même temps pour les tirer hors de leur refuge.
— Qu'est-ce que tu nous ramènes là, Jeff ?
J'évaluai la situation. Katsunaga et Nahoshi pouvaient prendre à deux l'étranger, surtout que le premier savait très bien se battre. Moi, je n'avais aucune idée des capacités de Sekai, mais je savais que je connaissais deux trois techniques qui me permettraient de gagner du temps pour nous échapper. Le docteur restait en retrait. Quant à Neru... et bien, il fallait prier pour qu'elle réussisse à ressortir quelque chose d'inattendu.
Mais, je compris que tous mes calculs étaient faussés quand mon opposante sortit un pistolet de sa poche et le pointa contre mon front. J'avais une drôle d'impression de déjà vu. C'était de famille de me menacer avec un flingue ?
Aussitôt, les deux autres l'imitèrent. Et moi et mes trois amis nous retrouvâmes assis contre le mur sous la menace des armes à feu.
Vous savez cette expression qui dit "si un regard pouvait tuer, il serait déjà mort". Et bien elle s'appliquait parfaitement à Sekai. Elle, au contraire, semblait s'amuser de la situation. Elle avait l'air vraiment dérangée. Seeha et Jeff attendaient patiemment les ordres, leurs pistolets toujours visés dans notre direction. Je déglutis. Me retrouver en face d'une vraie arme à feu ne m'avait pas manqué. Alors, le docteur Kaneda qui n'avait pas dit un mot jusque là s'approcha et s'accroupit en face de moi.
— C'est donc toi la fille de Shan et Masahiro, susurra-t-il intéressé.
Il remonta ses lunettes rectangulaires. Je pouvais voir son visage ridé d'un peu trop près. Un début de calvitie rongeait ses cheveux bruns. Pour le reste, il était plutôt oubliable, des traits de son faciès à son col roulé bleu marine.
Je vis du coin de l'œil Sekai envoyer des messages.
— Dis, tu veux savoir pourquoi tu as été choisi comme premier sujet test, et pas un autre ? demanda-t-il une pointe d'amusement dans sa voix.
Je fronçai les sourcils. J'étais partagée entre ma soif de révélations et mon dégoût profond pour cet homme qui me criait de ne pas le bénir de ma parole. Il prit mon silence pour une approbation, puisqu'il lança :
— Jin Zhōu, ça te dit quelque chose ?
Où est-ce que j'avais déjà entendu son nom ? Mon cerveau se mit à chauffer. Je ne l'avais pas entendu, je l'avais lu. Lu dans...
— Le scientifique... Ma mère... réussissai-je à bredouiller.
Son regard s'illumina.
— C'est bien moi. Celui qui aurait dû finir aux côtés de ta petite maman.
Oui, le connard de scientifique qu'elle avait charmé pour accéder aux secrets de la base mais qui n'avait jamais lâché le morceau. Docteur Kaneda était Jin Zhōu. Et alors, qu'est-ce que ça avait à voir avec moi ?
— Je n'ai pas d'autres explications à te fournir. Simple vengeance personnelle sur ce cher Masahiro, c'est tout.
Quoi, c'est tout ? Qu'est-ce que les adultes pouvaient être puérils. Mettre la vie d'une fille en danger par simple représailles envers son père.
Toujours assise en tailleur, je me retenais de lui envoyer un coup de boule. Il n'avait pas l'air d'un type qui savait se défendre, je pouvais le maîtriser aisément. Le problème, c'était les autres ennemis présents dans la pièce.
— Docteur Zhōu ? appela Sekai.
— Au fond de la pièce, une petite salle avec un bureau, répondit l'intéressé qui avait directement compris. Code de l'armoire : 5045. Le tiroir du milieu.
Les talons de la mère de Hitoshi claquèrent tout le long de son petit périple jusqu'à l'endroit indiqué. J'entendis la porte s'ouvrir, puis elle disparut de mon champ de vision. Je repensais à Hitoshi.
Est-ce qu'il allait bien ? Qu'est-ce qu'il faisait, au Japon ? Est-ce qu'il s'inquiétait pour moi ? Qui était avec lui ?
Il me manquait terriblement. J'aurais tout donné pour qu'il me rassure dans ses bras en me disant que tout irait bien et que j'avais fait les bons choix. Je voulais passer ma main dans sa chevelure folle, puis caresser sa joue pâle, et le serrer fort contre moi. Je voulais que tout soit fini et qu'on vive une vie normale d'adolescents, qu'on se voit de temps en temps comme un couple lambda. Est-ce qu'on était ensemble, lui et moi ? On s'était juste... embrassés deux fois. Je lui demanderai à mon retour.
Parce qu'il y aura un retour, pas vrai ? Sekai n'allait pas me tuer. N'allait pas nous tuer.
Cette dernière réapparut avant que je ne puisse m'en rendre compte, une clé USB et une malette dans les mains. Elle me les agita sous le nez :
— C'est ce que tu cherchais, non ? La formule précise de la drogue qui tue les alters, et l'échantillon. Ce serait une bonne preuve pour l'ONU. Dommage que je l'ai en ma possession. Enfin, ça, ce n'est que la version 1, celle qui m'intéresse.
La version 1 ?
— Je ne comprends pas, lançai-je. Pourquoi est-ce que vous avez eu besoin de la chercher alors que vous faites partie du Shin Sekai ?
Elle rit.
— Je suppose que je peux tout t'expliquer, puisque tu ne pourras rien faire pour m'en empêcher. Je me sens comme dans un film d'espionnage, c'est amusant !
C'est ce que tu crois.
— Il se trouve que le projet Hollow est sous la juridiction de ce cher Jiang Lei, qui dirige les affaires chinoises de la société. Et disons que ce dernier a la fâcheuse tendance d'être un peu trop fidèle à son gouvernement... C'est pour cette raison qu'il tenait absolument à te ramener avant que le gouvernement ne se rende compte de l'erreur de la préfecture qui t'a laissée partir. Enfin bref, à cause de ça, il ne sait pas déceler les opportunités.
Allez, crache le morceau. Dis moi pourquoi le projet originel du Shin Sekai est de détruire les alters et le tien et de les renforcer.
— C'est une belle erreur qu'on fait nos amis les scientifiques, en créant accidentellement une drogue qui a permis d'améliorer ton alter. Je me suis dit, pourquoi ne pas en faire profiter le monde entier, et puis par la même occasion mon porte monnaie ? Je voulais de base récupérer la drogue directement dans ton sang, mais puisque tu ne tiens pas en place, j'ai dû me rendre jusqu'ici.
Elle rapprocha son visage du mien, examina mon expression renfrognée, et éclata de rire.
— Ça te déçoit, que ma finalité soit l'argent ? Tu penses que je suis un monstre cruel qui ne pense qu'à elle ?
Je ne répondis pas, fatiguée de son monologue.
— L'empathie, la compassion... Ce ne sont que des valeurs superficielles qui nous détournent du véritable but de la vie, le profit !
Tu cherches le bonheur dans le monde entier ? Mais ma pauvre fille, celui-ci se fait toujours au détriment d'un autre. C'est se gâcher la vie que de ne penser qu'aux autres. Le jour où tu ne vies que pour toi-même est le jour où tu renais.
Sa dernière phrase résonnait en boucle dans ma tête. Sekai était complètement tarée, digne d'une méchante de film. Je passai en revue le reste de la salle : Zhōu observait calmement la scène d'un air satisfait, l'étranger et Seeha —au passage, je ne savais toujours pas ce qu'elle faisait là— n'avaient pas bougé d'un pouce, et mes amis me regardaient avec inquiétude.
— Oh, avant que j'oublie, il faut qu'on tourne notre petite vidéo.
Je levai un sourcil. Sous mon regard interrogateur, elle sortit son téléphone, et le positionna devant ma tête, comme si elle allait me filmer. Je reculai, tournant la tête. Qu'est-ce qu'elle me voulait encore ?
— Ça tourne, ma chérie. Vas-y, parle, dis à Hitoshi comment tu voudrais qu'il vienne te chercher. Allez, supplie le. Peut-être que s'il vient, je te laisserai partir indemne.
Je me mordis les lèvres, ne voulant laisser s'échapper un seul mot. Mes yeux me piquaient et la fatigue montait. Je ne savais plus quelle heure de la nuit il était.
— Tu l'aimes, pas vrai ? Tu voudrais passer ta vie avec mon fils ?
Le mot fils sonnait faux dans sa bouche. Mon cerveau ne réalisa que maintenant. Hitoshi Shinso était le fils de Sekai Sano. L'homme que j'aimais était la progéniture de cette folle à lier à la tête d'une société secrète.
Alors, à cause peut-être de la fatigue, du désespoir, de l'émotion, de mon mal de tête, tout en même temps, je me mis à pleurer. Des torrents de larme dévalaient mes joues et je reniflais bruyamment comme un gros bébé. Je peinais à respirer, m'abandonnant à mon chagrin. Elle éclata de rire comme si mes sanglots étaient une musique pour ses oreilles.
— Sauve-moi... réussis-je à articuler. Hitoshi, viens me chercher...
— Tu l'entends ? Rentre à la maison, Toshi ! Tu sais où me trouver.
Puis, elle coupa l'enregistrement et baissa son téléphone, fière d'elle. J'essuyai mes larmes dans ma manche, toujours au bout de ma vie. Je ne pouvais pas croire que je m'étais laissée craquer devant elle et que j'avais dit à Hitoshi de me sauver. Mais j'espérais secrètement que ce serait le cas, qu'il viendrait héroïquement.
Attendez, j'avais dit que je ne serai plus une demoiselle en détresse.
Soudainement, je vis rouge. À cause de Sekai qui me tapait sur les nerfs, et à cause de ma propre incapacité.
« Je t'ai manquée, Yoko ? »
La voix de mon alter résonnait dans ma tête. Mes yeux s'illuminèrent d'une lueur bleue grise. Je savais ce que je devais faire, je savais ce que je pouvais faire. Je découvrais le pouvoir qui m'attendait depuis toujours, l'évolution ultime de ma capacité.
Le pouvoir des illusions.
— Toshi ? murmura Sekai, décontenancée.
J'avais fait apparaître l'image de son fils à ma place. Prise dans un moment de faiblesse, je balançai mon poing dans sa figure. Sa tête partit en arrière et son corps suivit. Elle se redressa en se tenant le nez, un liquide rouge coulait de ses narines. Je me rendis compte que ma vision s'était encore noircie, je ne voyais plus grand chose. Rends-moi ma vue, putain ! m'écriai-je intérieurement à l'intention de mon alter.
Seeha et Jeff reprirent leurs esprits et pointèrent leurs pistolets vers moi, un peu trop tard à mon avis. Elle devrait penser à trouver des hommes de main plus efficaces.
Alors que je me pensais cernée, quelqu'un... fracassa la porte ?
— Ah, notre nouvel invité est arrivé, remarqua Sekai, le nez ensanglanté. Le spectacle est bientôt fini.
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