36. Garde à vue
— Anzai ?
Ma grand mère maternelle, ma tante et mon oncle étaient morts. Yaò, Péng et Kang Liu étaient décédés. Sous mes yeux. Devant moi. Sous les fusillades de flics chinois qui en avaient après moi. Ils n'avaient eu aucune chance de se rendre, de s'expliquer, on les a abattus sans sommation. J'ai assisté à ce triste spectacle totalement impuissante et les jambes flageolantes.
— Anzai, est-ce que ça va ? répéta Shota Aizawa à travers l'écran tandis que Yumemi Kinjou posait une main sur mon épaule.
Je sursautai.
— Ah euh oui très bien ! répondis-je en sortant soudainement de ma transe.
— Tu peux rentrer, si ça ne va pas, dit-il l'air inquiet. Nous te ferons évacuer dès que possible.
La tablette était posée sur le bureau dont nous disposions dans la chambre d'hôtel.
— Je suis en mesure de continuer la mission, répondis-je d'un ton déterminé. Pouvez-vous répéter ce que vous disiez ?
— Très bien, mais au moindre problème tu rentres au Japon, accepta-t-il. Je suis actuellement occupé avec les évaluations de fin de trimestre de UA, alors il va être compliqué pour moi de coordonner cette mission à distance. Néanmoins, je vais vous envoyer du back up dès que possible pour infiltrer la base Sano Arai. Anzai, tu ne participeras pas à l'infiltration et tu resteras bien sagement à l'hôtel en attendant qu'on ait besoin de toi, c'est compris ?
Je hochai la tête. En réalité, je n'étais absolument pas d'accord. D'abord, parce que je tenais à y participer, même s'il était compréhensible qu'il ne voulait pas qu'une gamine prenne part à une mission aussi importante. Ensuite, parce que le temps pressait et que c'était maintenant qu'il fallait lancer l'opération.
Et s'il fallait que j'y aille seule, j'irai seule.
Alors que le professeur et super héros continuait de détailler le plan à l'intention de Kinjou, je reçus un message de Neru.
NERU
On arrive cette nuit vers 4h30 heure chinoise tiens-toi prête à nous accueillir
Quoi ?
***
Quelques heures plus tôt au Japon...
— Vous êtes malades, vous êtes complètement cinglés, répétait en boucle l'adolescente aux cheveux violets.
— C'est du génie, la contredisait Nahoshi un sourire jusqu'aux oreilles.
Devant eux, Hakamata Eizo. Non, Hakamata Eizo et un Sling TSI, avion de tourisme à quatre places. Et nous savons très bien, vous comme moi, ce que cet engin faisait ici, sur la piste d'atterrissage de la demeure Hakamata.
Neru s'arrachait les cheveux tandis que Katsunaga, tout excité, reluquait en détail l'avion. Nahoshi quant à lui discutait avec le Eminem en herbe de l'heure à laquelle ils devaient décoller. Ils devaient faire vite, avant que les agents du Naicho H ne les retrouvent. Car oui, les trois amis s'étaient échappés de l'appartement quand leurs gardiens avaient le dos tourné.
Tout avait commencé quand Aizawa a commis sa première erreur, c'est-à-dire de leur expliquer le déroulé des événements. La mission de Yoko avait été un succès mise à part le fait qu'elle avait vu sa famille se faire buter de ses propres yeux, et il fallait désormais se rendre dans la base pour trouver les preuves recherchées par Shan. Sauf que l'opération prendrait plusieurs jours avant d'être lancée. Et ils savaient pertinemment que leur amie aux cheveux blancs voudrait y aller elle-même le lendemain. Sa deuxième erreur avait été de relâcher leur surveillance sous prétexte que Yoko n'était plus ici.
Bref, ils avaient eu l'incroyablement stupide et incroyablement folle idée en discutant avec Hakamata d'emprunter son AVION PERSONNEL pour VOYAGER JUSQU'EN CHINE. Sauf que, premièrement, Neru n'avait pas envie de mourir si jeune, et certainement pas pendant un vol dans un avion conduit par un pilote en herbe excentrique. Et deuxièmement, ils n'avaient pas les données du Naicho concernant la base Sano Arai et n'avaient donc par conséquent aucune idée de comment l'infiltrer.
— J'ai hacké les Naicho et récupéré les données concernant la base Sano Arai, déclara alors Nahoshi.
D'accord, le deuxième point était résolu. Mais le premier restait capital.
Voyant que Neru n'était pas dans son état normal, Hakamata posa une main qui se voulait rassurante sur son épaule.
— T'inquiète pas, je suis vraiment fort en pilotage, j'ai eu des cours des meilleurs professeurs.
Ce qui, contrairement à ses attentes, ne semblait pas la rassurer du tout. Parce que devoir monter à bord d'un avion piloté par un mec de quinze piges plus chiant qu'un petit cousin, ça ne rassurerait personne. Mais la petite journaliste finit par accepter son destin, pensant à Yoko qui se préparait très certainement à faire une bêtise. Sauf que, si le plan des quatre idiots marchait, elle ferait toujours une bêtise, mais à plusieurs. C'est plus fun, non ?
***
Yumemi Kinjou, contrairement à l'image de jeune femme énergique et impatiente qu'elle renvoyait, jouissait en fait d'une extrême patience. De la patience, il lui en fallut, et pas qu'un peu, quand la lycéenne qu'elle se trimballait en mission lui annonça que ses amis étaient venus la rejoindre en Chine grâce à l'avion d'un copain et qu'ils avaient fini en garde à vue pour avoir atterri illégalement dans un champ qui bordait Haichuan. Ce qui était fort étonnant, car la ville était en quarantaine, mais la propagation de leur mystérieuse maladie ne semblait inquiéter personne. L'agent avait pu en discuter avec la famille Liu, et avait appris que ce mal qui selon les rumeurs touchait aux alters n'était en fait pas si contagieux que ça. La preuve : même en étant allés au contact des malades, aucun d'eux ne l'a attrapé.
Ce qu'elle en avait déduit, c'est que le gouvernement avait commencé une série de tests du projet Hollow (nom obtenu d'après les informations recueillies par Anzai) sur la population de Haichuan, et qu'ils ont prétexté une mystérieuse maladie et une quarantaine pour éviter les fuites d'information. Ce que les Liu ne savaient pas, c'est qu'il leur suffisait simplement de ne pas se faire vacciner pour rester en sécurité.
Kinjou fronça les sourcils, au volant de sa Twingo. S'ils avaient commencé les tests à grande échelle, c'est que le produit était sur le point d'être finalisé et utilisé sur le pays entier. Le temps pressait donc, il leur fallait trouver des preuves tangibles pour dénoncer leurs agissements à l'ONU. Le cas échéant, l'ensemble de la population chinoise perdrait son alter dans de terribles souffrances, renforçant l'emprise du gouvernement totalitaire sur leurs vies, et on ferait passer ça pour une mystérieuse épidémie. L'espionne se demandait si le choix d'Eraser Head d'attendre les renforts était judicieux, mais il fallait regarder la réalité en face : à elle toute seule et sans la coordination du super héros occupé par son métier de professeur, elle ne parviendrait pas à s'infiltrer dans la base. Shota Aizawa était un homme remarquable qui se battait sur tous les fronts.
Kinjou se gara à quelques pâtés de maison du commissariat de police et son moteur se tut. Elle respira un grand coup, attrapa une énième fausse carte d'identité, et se concentra sur la petite photo encadrée sur le bout de plastique. Ce fut à son alter de jouer. Son visage se métamorphosa peu à peu, reproduisant les traits de la jeune femme sur l'image. Son alter ne permettait pas de voler l'apparence de quelqu'un, disons plutôt qu'elle pouvait changer ses caractéristiques physiques et s'efforcer de copier une plastique donnée.
Elle sortit de l'automobile, faisant claquer ses petits talons au sol. L'agent ne portait même pas d'uniforme de police, juste une tenue habillée, mais ça ferait l'affaire. Une fois qu'elle fut rentrée, elle se racla la gorge, captant l'attention du policier chargé de l'accueil.
— Commissaire Qinling, déclara-t-elle en lui fourrant sa carte d'identité factice sous le nez.
— Hm ?
Dans l'incompréhension, il parût tenter de faire fonctionner ses cellules grises. Puis, son visage s'illumina.
— Ah, oui, le nouveau commissaire ! Vous êtes affectée aujourd'hui ! Excusez mon impolitesse, je suis l'officier Hong.
Il serra sa main très professionnellement, Kinjou lui adressant un sourire strict.
En vérité, il n'y avait ni Qinling dans les registres de la police ni nouveau commissaire, mais il avait suffi d'un mail bien rédigé pour lui faire croire le contraire.
— C'est moi-même mon premier jour, je suis débordé par la nouveauté. Quelle est donc votre première tâche ?
Quand on est agent secret, il ne faut pas négliger les informations qu'on vous donne, aussi futiles semblent-elles. Ça peut sauver des vies. Là, par exemple, il venait de lui filer un point de pression fort utile.
— Sortir les gamins de garde à vue, annonça-t-elle l'air confiante. Ordre d'en haut. Il se trouve que leurs parents sont assez influents.
— Vous êtes sûrs ? demanda-t-il dans un élan de méfiance. Je n'ai reçu aucun coup de fil.
C'était là que les informations obtenues rentraient en jeu. Il ne suffisait pas de les récupérer, il fallait aussi les utiliser au bon moment.
— Vous n'allez quand même pas désobéir alors que c'est votre premier jour, officier Hong ?
Ton sec, regard assuré, efficace. Ça ne coïncidait pas avec la personnalité habituellement joviale de la jeune femme, mais ça marchait à tous les coups. Savoir donner des ordres était une capacité non négligeable. Il baissa les yeux pour chercher les clés et sortit de derrière son comptoir par la porte arrière.
Le policier guida bien gentiment notre agent jusqu'aux cellules, où les quatre gosses patientaient sagement depuis une demi heure. Il devait être dans les alentours de cinq heures du matin, et elle s'était levée juste pour les sortir du pétrin. Ils avaient intérêt à lui être reconnaissants. Elle aimait bien ces gamins, mais il faudrait peut-être qu'ils se tiennent en place parfois.
Quand ils remarquèrent la nouvelle venue, leurs visages s'éclaircissèrent, puis se mixèrent d'expressions d'incompréhension et de soulagement. Elle leur adressa un clin d'œil que Hong ne pouvait voir, les poings sur les hanches, avant de sortir son meilleur jeu d'actrice.
— J'espère que vous êtes fiers de vous ? lança-r-elle en haussant la voix. Voler l'avion de l'illustre monsieur Wei pour faire une balade nocturne, non mais j'hallucine ! Estimez vous heureux de sortir aussi vite de garde à vue, j'espère que vous serez réprimandés à la maison.
— Ah oui, monsieur Wei, ça me revient, bredouilla l'officier.
Bien sûr, l'illustre monsieur Wei n'existait pas, du moins pas à sa connaissance. En adoptant le bon ton, il était facile de convaincre les gens.
Elle posa un regard insistant sur Hong qui se souvint qu'il était censé les libérer. Il inséra la clé dans la serrure, tourna le mécanisme et ouvrit enfin la grande porte grinçante. Les adolescents purent sortir en s'étirant, à deux doigts de sauter de joie. Kinjou salua le policier, puis lui expliqua qu'elle était chargée de les ramener chez eux personnellement. Il n'osa pas dire un mot de plus et les laissa s'éloigner du commissariat pour rejoindre la Twingo noire. Quand ils s'engouffrèrent dans le véhicule, un soupir passa la barrière de ses lèvres. Ces gosses lui rappelaient elle plus jeune, ne respectant jamais les ordres.
Ce que Yumemi Kinjou ne savait pas, c'est qu'elle n'était pas au bout de ses peines.
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