07. le méchant de l'histoire
Son téléphone vibra de nouveau, et toujours penchée sur le cadre de la fenêtre, elle décrocha. Elle remarqua que son porte clé lapin était tombé, il ne restait que l'attache. Après tout, il commençait à se faire vieux.
— Yoko... résonna la voix de Nahoshi à travers l'appareil. Je dois te parler de ton ami Shinso. J'aurais dû le faire avant.
私が盲目になるまで
« 𝐔𝐍𝐓𝐈𝐋 𝐈 𝐆𝐎 𝐁𝐋𝐈𝐍𝐃 𝐜𝐡𝐚𝐩𝐢𝐭𝐫𝐞 𝐬𝐞𝐩𝐭 ༄
moodna, once with grace gus dapperton
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Un frisson parcourut la jeune fille. Le ton de son ami paraissait bien trop grave. Qu'est-ce qu'il allait annoncer ? Que toutes ces rumeurs étaient bien fondées ? S'il était bien cet atroce personnage que l'on décrivait, alors elle n'allait certainement pas se priver pour fouiller dans ses affaires comme il dit. Les poings de Yoko se serrèrent. Ça suffisait de jouer le gentil quand on est le méchant de l'histoire.
— Je t'écoute, répondit-elle en se forçant un ton calme.
Le décor extérieur s'assombrissait, projetant de grandes ombres dans la ruelle en pente. Il devait être plus de dix-huit heures. Un à un, les lampadaires s'allumèrent, comme un spectacle qui commençait à peine. La brise fraîche se chamaillait contre l'air chaud émanant de la maisonnée. Elle passa l'appel en haut parleur, retira son short de sport et commença à enfiler son pyjama.
— Je ne vous ai pas dit toute la vérité, à propos de mes recherches, avoua-t-il, elle devinait en se mordant les lèvres. Effectivement, il n'y a rien de visible sur le net à son propos. Mais je suis allé plus loin, et j'ai trouvé toutes les pages supprimées qui le concernent. Et il y en a... Un petit paquet. Ce sont principalement des posts sur les réseaux sociaux qui datent d'il y a seulement quelques années. Je t'envoie ça tout de suite.
Elle se rapprocha de l'appareil et glissa vers la messagerie instantanée. Des dizaines et des dizaines de captures d'écran chargeaient les unes après les autres. Yoko sentit son rythme cardiaque monter graduellement, elle s'assit sur son lit pour ne pas perdre l'équilibre. Hitoshi Shinso n'intervenait dans aucune de ces conversations, et pourtant il en était le sujet partout.
@seiji
C'est vraiment un enfoiré, vous devriez pas lui parler
@rin
Attends passe en messages privés il pourrait le voir
@seiji
Bah qu'il le voit et qu'il assume d'être un connard
@rikka
Donc voilà je pense qu'on devrait être sympas avec ceux qui n'ont pas d'amis au collège. Par exemple, dire bonjour à nos camarades qui sont toujours seuls.
@usui
Oui, enfin, dites pas bonjour à Shinso, ça pourrait se retourner contre vous
@osamu
Pourquoi ??
@usui
C'est son alter : si tu lui parles, il peut te contrôler. Je sais pas s'il s'en sert vraiment mais moi je préfère prendre des précautions
@tetsutaro
Je voudrais témoigner que j'ai vu ce mec de la classe 3 qui manipule les gens partir de l'école avec Seeha juste avant son accident... Coïncidence ?
@tomoya
Vous saviez qu'il y a quelqu'un qui manipule les gens dans la classe 3 ?? Je l'ai vu dans un post, je veux pas faire de rumeur mais méfiez vous, je dis ça pour votre bien
@rin
Oui je suis dans sa classe il s'appelle Shinso et il parle jamais à personne. Il a vraiment un regard de tueur, je suis sûre qu'il pourrait utiliser son alter pour faire des atrocités sans aucun remord
@kyoko
Un jour je l'ai croisé dans le couloir et je suis certaine d'avoir eu un blackout d'au moins 30s je mens pas
@narumi
J'en ai marre d'entendre parler de lui partout, pourquoi il existe ??
@chiyako
De qui tu parles ?
@narumi
Du gars qui manipule les autres... Si j'étais né avec son alter je me serais suicidé hein
@kyoko
Bon alors c'est pas mon genre d'espionner les autres mais j'ai une histoire croustillante hihi. Quand on a fait passer les fiches d'orientation j'ai ramassé celle de Shinso et devinez ce qu'il a écrit... SUPER HÉROS MDR
@seiji
Mais jpp il se prend pour qui lui quand on a un alter de vilain on ferme sa gueule et on reste à sa place
@nanami
Je huuurle on a de ces cas dans notre classe
@nobukatsu
Désolée mais je suis sûre que c'est Shinso qui a provoqué l'accident de Seeha avec son alter. Elle peut pas être tombée comme ça j'y crois pas, en plus il est tout le temps tout seul qu'est-ce qu'il faisait là ? Vous allez pas me dire qu'il s'est fait un ami quand même ?
@erika
Je vois beaucoup de gens insulter quelqu'un en classe 3 à cause de son alter... Je veux pas prendre sa défense mais je pense qu'on devrait pas faire ça, on choisit pas son alter à sa naissance
@usui
Perso je l'insulte pas je trouve ça débile, mais je préfère quand même l'éviter, c'est du bon sens quoi de pas s'approcher de quelqu'un de dangereux
@nanami
Ton raisonnement est débile les maladies mentales par exemple souvent c'est génétique et on va pas faire copain copain avec un psychopathe juste parce qu'il est né comme ça
@chiyako
+1 au pire si ça le dérange il a qu'à mourir et on en parle plus
@tanaka
J'ai entendu dire qu'un mec de la classe 3 aurait poussé quelqu'un d'un pont avec son alter c'est horrible j'espère que c'est faux
@kutozawa
C'est vrai ?? Oh mon dieu y'a vraiment des enflures sur cette planète pour oser faire ça, ils comprennent pas que la vie humaine est importante
@matsumoto
Dites c'est vrai que Shinso a forcé Seeha à sauter du pont à côté du collège ? La police a dit que c'était un accident
@saya
Je suis allée la voir à l'hôpital et elle refuse de parler, c'est sûr qu'elle est traumatisée
@takeda
Je sais pas mais il en serait capable, un pote m'a raconté qu'il avait manipulé quelqu'un pour voler son devoir, et à cause de lui l'élève a été puni
Vraiment y en a qui sont nés pour être des vilains
@seiji
De toute façon il faut bien un coupable
@kira
Vous trouvez pas que le numéro 10 dans notre classe abuse ? OK on doit pas rejeter nos camarades mais il se met à part tout seul et après les professeurs nous engueulent mais c'est pas notre faute
@rin
Tu parles de Shinso ? Je suis trop d'accord il est de plus en plus désagréable avec tout le monde alors qu'au début il était sympa, un jour ça va lui porter préjudice il a intérêt à se calmer
@kotegawa
C'est mérité pour tout ce qu'il a fait subir aux autres avec son putain d'alter... Enfin c'est ce qu'on m'a dit
@madame fukuhara
Bonjour. À propos des rumeurs comme quoi un élève du collège d'à côté aurait poussé une camarade au suicide avec son alter. Ce qu'il s'est passé est très grave, c'est pourquoi je vous partage ce document à propos du harcèlement scolaire que je vous invite tous à lire.
Yoko referma la discussion. Ils avaient tous de l'eau chaude dans le cerveau ou quoi ? Elle en avait assez lu et de toute façon ne voyait plus rien à cause des larmes qui lui montaient aux yeux. La voix de Nahoshi l'appelait en boucle depuis un petit moment mais elle mit fin à l'appel et laissa tomber son téléphone sur le matelas. Mon dieu, qu'est-ce que j'ai fait ?
Chacun avait un vécu, des traumatismes, et des choses que l'on veut cacher pour se protéger.
Elle se laissa tomber sur son lit, les yeux écarquillés vers le plafond. Une horrible, affreuse sensation de culpabilité écrasait sa poitrine et lui donnait des frissons dans le cou. Des flashbacks de ses précédentes discussions déroulaient leurs bandes vieillies dans sa mémoire et elle ne pouvait les chasser.
— Ce Shinso est vraiment louche.
— Je suis loin de la belle vie de la classe 1A avec leurs fabuleux alters.
— Oh et c'est un MYTHO !
— Ton alter... Tu manipules les gens ?
— Tu vois, Anzai, c'est exactement pour ça que je ne t'ai pas donné mon nom complet. Je n'aime pas qu'on fouille dans mes affaires.
— Ton alter... Tu manipules les gens ?
— Ton alter... Tu manipules les gens ?
— Ton alter...
— Ton alter...
— Ton...
Elle enfouit sa tête dans son oreiller pour crier de frustration. Si seulement elle pouvait disparaître dessous et tout annuler. Pourquoi était-elle aussi parano et curieuse hein ? Elle n'aurait pas pu le laisser tranquille ? Non, elle lui avait montré qu'elle était exactement comme tous les autres, maintenant il la détestait et il ne lui parlera plus jamais.
La voix de son père qui l'appelait du rez-de-chaussée se fondait dans les méandres de ses ruminations mélodramatiques. Qu'est-ce qu'elle se détestait pour avoir demandé ça. Le portrait de So disparaissait peu à peu de son esprit avec une expression méprisante, et elle ne pouvait rien faire pour le rattraper. Son cœur lui serrait tellement qu'il allait imploser. Et dire qu'elle commençait peu à peu, doucement, dans son idylle, à tomber amoureuse.
Il était peut-être la seule chose positive qui lui était arrivée depuis son arrivée au Japon. Avec ses stupides cheveux en bataille, et ses stupides cernes immenses, et sa stupide machoire bien dessinée... Ce n'était peut-être pas sa faute à elle s'il se donnait des airs aussi louches de mecs mystérieux et secret. La confusion était vite faite.
En jetant un coup d'œil dans le petit miroir posé sur son bureau, elle croisa son propre regard rougi. Elle sursauta en croyant voir une femme sans visage aux cheveux blancs. Mais, elle n'eut pas le temps de s'en soucier car une douleur lancinante explosa ses globes oculaires et lui arracha un cri. Elle se recroquevilla et porta ses mains à sa tête, respirant difficilement plus à cause de la panique que de son mal. Ce n'était pas la première fois que ça lui arrivait.
La lycéenne se leva les yeux clos et atteint le pas de la porte en se guidant de ses bras, non sans manquer plusieurs fois de se prendre les pieds dans son bazar. Est-ce qu'elle appelait son père ? Non, ça allait partir tout seul, comme d'habitude.
La poignée se baissa et elle sortit de la pièce en serrant ses paupières du plus fort qu'elle pouvait, puis longea le mur à la recherche de la salle de bain. Yoko tatonna dans le noir, jusqu'à enclencher le robinet. L'eau froide anesthésia légèrement la douleur qui de toute façon s'estompait peu à peu.
Enfin, elle put ouvrir les yeux. Sa main glissa sur l'interrupteur et les loupiotes au-dessus du miroir s'allumèrent en clignotant.
— Yoko ? Ça va ? Je peux monter ? Appelait encore Masahiro.
Quelque chose n'allait pas. Comme éprise d'une illumination, les pupilles si dilatées qu'on l'aurait crue sous drogues, elle fixait son reflet. Les deux versions d'elle, endroit et envers, s'épiaient, figées telles des statues de cire. Plus son regard s'enfonçait et plus elle avait l'impression que c'était sa réflection qui l'observait. Jamais elle n'avait pu voir si loin dans ses propres pupilles noires. Car habituellement, son alter s'activait et lui faisait s'inverser le dessus du dessous. Rien ne se passait. C'était à n'y rien comprendre. Yoko ne savait pas si elle tombait petit à petit vers le miroir ou s'il se rapprochait.
Soudain, le grincement des escaliers lui fit reprendre ses esprits. Elle s'échappa à grands pas de l'endroit et tomba nez à nez avec son père interloqué, qui la regardait comme une folle.
— C'est rien, j'avais juste mal, se justifia-t-elle.
— Tu as encore mal ? Je peux t'emmener à l'hôpital tout de suite.
— Non ça ira, assura la jeune fille perdue dans ses pensées. Juste, est-ce que je peux essayer quelque chose ?
Il émit un petit bruit d'incompréhension en soulevant imperceptiblement la tête. Il fallait qu'elle vérifie si son alter fonctionnait encore. Dans le cas contraire, cette mystérieuse maladie en était définitivement la cause. Et cette hallucination de femme...
Yoko compta jusqu'à trois, yeux dans les yeux tel un duel de cowboys. Grâce à sa proximité avec le visage de son cobaye, elle pu observer une légère lueur bleue se refléter sur les pommettes de celui-ci, libérée par ses pupilles lorsqu'elle active son individualité. Le quarantenaire fut pris aussitôt d'un soubresaut et perdit l'équilibre. Il trouva rapidement appui en repositionnant ses pieds. Surprenant, se disait-elle la mine sérieuse. Ou plutôt rassurant.
— Haha Yoko je t'avais dit de ne pas l'utiliser sur moi, plaisanta-t-il, tu m'as bien eu. Allez, va sortir les poubelles avant qu'il ne soit trop tard.
— Quoi, moi ?! S'indigna-t-elle en reprenant son apparence d'adolescente normale. Mais je viens de me mettre en pyjama !
— Et alors, tu ne vas pas faire un défilé de mode pour les voisins que je sache.
Elle maugréa en enfilant les premières chaussettes qui lui tombaient sous la main dans le bordel habitant son tiroir. Puis arrivée en bas après avoir fait un maximum de bruit dans les escaliers, elle vola une paire de claquettes à son paternel et sortit.
La nuit glaciale lui frappa au visage. Elle frissonna en regrettant de ne pas avoir emporté de veste. Yoko empoigna d'une main le sac de déchets, de l'autre son téléphone, et sautilla de froid en claquant des dents jusqu'à la grande poubelle. L'écran du portable illuminait son visage alors qu'elle vérifiait les quelques messages laissés par Nahoshi. Ce dernier s'excusait d'avoir envoyé les photos et tentait tant bien que mal de la rassurer. Les yeux rivés sur le texte, elle ouvrit le clapet à l'aide de son poing refermé sur le sac, et le balança dans la poubelle.
Sauf que, évidemment, tout ne se passa pas comme prévu et le lourd container en plastique tomba à la renverse dans un grand fracas. Le cri de Yoko l'accompagna, ainsi que son cellulaire portatif qui rebondit plusieurs fois face contre terre sur le goudron.
— Oh non non non non !!
La jeune fille se précipita sur l'appareil barré d'une large fissure, la mine déconfite. Elle lâcha un soupir de soulagement en vérifiant qu'il s'allumait encore. Sa tête se tourna lentement vers l'immense poubelle renversée et les deux sacs jonchés à côté, qui heureusement avaient résisté.
☽︎☾︎
Vingt minutes. Vingt bonnes minutes pour ranger tout ça. Bon, d'accord, elle avait passé une bonne partie de ce temps à répondre sur son téléphone ou à regarder les étoiles allongée sur le trottoir. C'était étonnamment agréable. En fait, c'était carrément cool et relaxant. Bref, épuisée, dans son pyjama trop petit qui datait de la quatrième, avec ses chaussettes à motifs dépareillés et ses claquettes trop grandes, elle poussa la grande porte qui menait au sas d'entrée puis la deuxième, et déboula dans le salon. Son père l'attendait. Étrange, il devait être occupé à regarder la télé ou à astiquer ses couteaux de l'armée.
— Et bien ça t'a pris une éternité, s'étonna-t-il, j'ai cru que tu t'étais enfuie. Il y a quelqu'un qui est venu pour toi.
— Quelqu'un ? Répéta-t-elle intriguée.
Son regard se dirigea vers le canapé. Là, tranquillement, So sirotait une tasse de thé fumante. Quand il la remarqua, il leva la tête avec un petit sourire en coin. Elle s'écria sans le vouloir :
— Toi ?!
— Moi, confirma-t-il.
— Lui, ajouta Masahiro.
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