Chapitre 3 : Run
https://youtu.be/MDE6q6uFy3U
Taehyung
Je n'aurais su dire depuis combien de temps nous marchions à travers le dédale de rues abandonnées. Je commençais à fatiguer et je n'étais pas le seul. Mon codétenu traînait de plus en plus la patte.
— Nous devrions peut-être faire une pause, proposais-je. Vous n'avez pas l'air très bien.
L'inconnu m'ignora royalement et continua son chemin sans m'adresser le moindre regard. Génial. Bonjour l'ambiance.
Il n'hésitait pas un instant sur la route à suivre. J'en conclus qu'il connaissait l'endroit comme sa poche. Il était ma plus grande chance de survie. Ce lieu me donnait la chair de poule et j'étais prêt à supporter, sans réticence, son caractère bourru afin d'en sortir.
Les décombres d'un mur à moitié effondré nous barraient le passage et je déchirais la manche de mon pull sur une tige en métal qui dépassait d'un bloc de béton en tentant de le contourner. Je n'étais pas sûr de m'en tirer en un seul morceau. Un bruit au loin me tendit et me coupa dans mes réflexions.
— Putain, ils sont déjà là. Bouge-toi ! cracha la voix rauque sous la capuche.
— Attendez, je vais vous porter.
J'attrapai son bras, sans lui laisser le temps de répliquer, me tournai pour le hisser sur mon dos et le maintenir par les cuisses. Il grogna de douleur, persifla des paroles incompréhensibles, puis m'indiqua une ouverture située près d'un amas de décombres. Je m'y dirigeai à grandes foulées et suivis le reste des instructions à la lettre : éviter les trous, me cacher derrière la carcasse d'une voiture évidée, me baisser, ralentir, accélérer, enjamber un tas de seringues usagées, rebrousser chemin. L'adrénaline m'aidait à supporter son poids et à oublier ma fatigue.
Alors que je commençais à m'essouffler, il m'indiqua l'entrée d'un immeuble en ruine, qui d'après les panneaux écrasés par terre, était auparavant un centre commercial. Je m'y engouffrais, sans poser de question, tel un automate, et descendis les escaliers menant à un souterrain. Plus nous nous enfoncions, plus l'obscurité nous engloutissait. Mes pas résonnaient contre les parois. L'humidité me piquait les narines d'un relent acide, me collait à la peau. Même si je n'entendais plus nos assaillants, j'évitais de me retourner pour vérifier où ils en étaient, de peur de perdre du temps. La sensation désagréable le long de ma nuque me rappelait sans cesse de ne pas ralentir.
Nous continuâmes à travers les sous-sols pendant plusieurs minutes, jusqu'à percevoir de plus en plus distinctement le son d'un ruisseau. L'homme à capuche s'agita sur mon dos. J'en déduisis sa volonté de descendre.
— On arrive bientôt en ville. Fais gaffe, ils nous attendent peut-être à la sortie.
J'acquiesçai et le fis glisser précautionneusement pour ne pas le blesser davantage. À partir de là, le chemin se rétrécissait en un tunnel. Le sol n'était plus constitué de béton comme sous le centre commercial, mais de gravier et de terre. Il rejoignait le petit cours d'eau que nous avions entendu plus tôt.
L'évacuation déboucha quelques mètres plus loin sur un lac dont on ne pouvait distinguer la profondeur dans l'obscurité. Juste au-dessus de nos têtes, un pont marquait la fin du souterrain, accessible par des escaliers présents de chaque côté.
— Où allons-nous maintenant ?
L'inconnu, muet, semblait peser le pour et le contre de chaque décision qu'il envisageait.
— Tu peux te barrer, c'est après moi qu'ils en ont.
— Blessé ainsi, vous ne vous rendrez pas bien loin tout seul. Laissez-moi vous emmener, répliquais-je, vexé de me faire éconduire de la sorte.
— Qu'est-ce que ça peut te foutre ? grogna-t-il sur le départ.
— Vous êtes Sun, n'est-ce pas ?
Il se stoppa net, crispé, sans toutefois invalider mes propos.
— J'ai besoin de vos compétences. Vous ne me servirez à rien si vous retournez dans cet... endroit.
Je craignais qu'il m'abandonne ou qu'il me saute encore une fois à la gorge. Sûrement, allait-il faire les deux.
— Partons de là avant qu'ils n'arrivent. Nous nous expliquerons après. Grimpez ! ajoutais-je baissé, dos à lui pour pouvoir le porter à nouveau.
— Je peux marcher. Suis-moi.
Je me contentais de l'imiter sans rien dire, le plus discret possible. Sa démarche saccadée, ses soupirs réguliers, je voyais bien que cette espèce de boule de nerf se retenait d'exploser. Nous nous faufilâmes dans les rues jusqu'à arriver en bordure d'un des quartiers les plus populaires de la ville. Celui-ci grouillait de monde malgré l'heure tardive. Nous nous y engouffrâmes en dépit de nos tenues peu ragoûtantes, qui auraient pu en interpeller certains. Leur alcoolémie et l'ambiance festive nous permirent de passer inaperçus.
Les lumières des multiples enseignes éclairaient la zone de couleurs flashy et la musique s'élevait des haut-parleurs de chaque magasin. Je reconnaissais l'endroit puisque mon bar n'était pas très loin. L'université la plus fréquentée du pays était à deux blocs. Les soirs de week-end, les étudiants venaient décharger la pression jusqu'au petit matin. Je n'avais cependant aucune idée qu'un passage secret pour le « vrai » Underground se situait si près d'ici. Dans quelle réalité étions-nous ? Dans un remake de 1984 ou quoi ?
Sun nous guida parmi la marée humaine vers une ruelle que nous remontâmes. Elle nous éloigna du brouhaha pour déboucher sur un cul-de-sac. Nous pénétrâmes dans le bâtiment au fond de la voie, gravîmes les escaliers jusqu'au dernier étage où une seule porte occupait le palier. Le hacker tapa le code d'accès sur un boîtier et se faufila à l'intérieur d'un appartement. Je ne le lâchais pas d'une semelle.
— Putain, mais t'étais où ? On s'est tellement inquiété ! cria une femme depuis une autre pièce.
Notre duo quitta la minuscule entrée, donnant sur le séjour qui servait de cuisine, et rencontra la propriétaire de la voix. Je reconnus aussitôt la jeune ado aux cheveux blancs accompagnée de mon fidèle compagnon. Il se jeta dans mes bras dans un aboiement. Quel soulagement de revoir sa petite truffe humide !
— Oh ! fit-elle surprise.
Elle connaissait Sun de toute évidence. J'avais vraiment eu du flair de demander à Téra de la suivre. Lui, n'avait montré aucun étonnement à la vue de mon akita.
— Va faire ton sac, on décolle, marmonna sombrement Sun.
L'adolescente s'empressa de disparaître derrière une porte. Elle ne posa aucune question ni remit en cause les ordres du hacker toujours caché sous sa capuche. À sa réaction, je compris qu'elle devait être habituée à décamper du jour au lendemain. Je n'eus le temps de réfléchir davantage qu'on me projeta en arrière jusqu'à ce que mon dos heurte violemment le mur. Il me menaçait, encore une fois. Je n'apercevais que son menton et sa lèvre inférieure, croutée de sang séché, qui tremblait de rage. Téra, jusque-là resté assis, le regard fixé sur la porte derrière laquelle avait disparu la jeune femme, se leva d'un coup. Il grognait, les crocs apparents, paré à bondir au moindre de mes gestes.
— Décidément, c'est une manie chez vous ! rétorquais-je agacé.
Il commençait à me courir sur le haricot. Toutefois, j'avais besoin qu'il me fasse confiance et me battre contre lui n'aiderait en rien.
— D'où tu la connais ? Que fait ton clebs avec elle ? gronda-t-il, ignorant ma remarque et la mâchoire acérée prête à lui déchiqueter le bras.
— Je ne la connais pas. Je l'ai croisée en t'attendant en ville tout à l'heure. Elle a sympathisé avec Téra et quand elle est partie précipitamment suite à un message, j'ai eu un mauvais pressentiment alors j'ai demandé à mon chien de la suivre pour s'assurer qu'elle aille bien. J'ignorais même que vous étiez liés.
Je pouvais sentir ses doigts glacés trembler autour de ma gorge.
— Comment tu as su qui j'étais ?
— Je l'ai deviné grâce aux deux débiles. Ils ont parlé d'un hacker, ils voulaient attraper votre complice, m'ont confondu avec lui, je me doutais que vous me surveilliez. J'ai fait les connexions. Maintenant, lâchez-moi ! Ce n'est pas de moi dont vous devez vous méfier. Comme vous l'avez dit, c'est après vous qu'ils en ont. Je peux vous cacher quelque part où ils ne penseront jamais à vous chercher.
À contrecœur, Sun libéra mon cou, ce qui calma les grognements de mon chien.
— Je peux me débrouiller, j'ai pas besoin de toi !
En plus des émotions, il avait aussi un problème d'ego. OK, c'était noté. Immobile, je l'observais ramasser un sac de sport assez volumineux et y engouffrer différentes affaires à la va-vite puis le suivis dans la pièce du fond qui s'avéra être une chambre. Enfin, chambre était un grand mot, l'endroit ne comportait qu'un matelas double posé sur le sol ainsi qu'un plateau recouvert de matériel informatique. Pendant que la jeune femme emballait quelques vêtements et un nécessaire de toilette, Sun trifouillait ses équipements. Il débrancha des espèces de boîtiers en métal gris qu'il enfourna dans un sac à dos avec un ordinateur portable, une tablette et tout un tas de bric-à-brac dont j'ignorais l'utilité.
Au moment où l'adolescente ferma son paquetage, un aboiement près de l'entrée m'alerta.
— Ils sont déjà là.
— Fait chier ! On ne peut plus passer par la porte, s'enflamma Sun tout en pianotant sur son clavier d'une main experte. La fenêtre !
Avant que je n'aie le temps d'assimiler ses propos, la jeune femme s'y engouffra aussitôt et sauta pour atteindre les marches d'un escalier de secours suspendu dans le vide. La structure instable dodelinait en grinçant sous son poids, comme pour prévenir d'un effondrement imminent. Elle voulait que la suive ? C'était une blague n'est-ce pas ?
— Que fais-tu ? l'interrompis-je.
— C'est la seule issue, il faut monter sur le toit !
J'étais déboussolé, ne savais plus quoi faire ou quoi penser. Je m'étais fourré dans une merde qui semblait sans fin. Téra me fixait, attendant un quelconque ordre de ma part, sa sécurité dépendait de moi et la mienne reposait sur les seules épaules de Sun et un escalier bancal. Je nageais en plein cauchemar, tétanisé.
Mon cerveau refusait peut-être d'assimiler les événements, mais mon corps tendu et les picotements dans ma nuque me rappelèrent l'urgence de la situation.
— Vous ne venez pas ? demandais-je au hacker pour repousser le moment où je devrai jouer les équilibristes.
— Suis-la, je vous rattrape.
Je n'avais pas du tout envie de m'écraser sur le bitume vingt mètres plus bas et pour le coup, même s'il était tout chétif, sa présence me rassurait. Ignorant son précédent ordre, je me rapprochais de Sun qui engouffra sa main dans l'unité centrale de son ordinateur, et arracha les câbles reliés aux différents composants. J'attrapais tout ce que je pus pour l'aider, sous son regard ahuri. Il finit par me faire signe de le suivre. Au pas de course, nous nous dirigeâmes vers la cuisine où il balança tout dans le micro-ondes avant d'enclencher le minuteur.
— On s'arrache !
Sun me saisit le poignet pour regagner rapidement la chambre où Téra nous attendait toujours alors que des étincelles commençaient à poindre derrière la vitre du micro-ondes. Je soulevais mon akita, le hissai jusqu'à la première marche et son agilité se chargea du reste. Mon tour était venu, sans possibilité de reculer cette fois. Les yeux rivés sur l'escalier et le pied calé sur le rebord de la fenêtre, je sautai sans réfléchir et faillis trébucher en atterrissant, puis rejoignis le toit, l'estomac retourné.
Je m'assurai de vérifier que Sun m'emboîtait bien le pas. Ce n'était pas le cas. Qu'est-ce qu'il fichait ? Incertain du temps dont nous disposions, je pris l'initiative d'envoyer la jeune femme en lieu sûr.
— Suis Téra, il te guidera. Je reste avec lui.
Elle hésita, peu encline à abandonner le hacker, mais se résigna vite, consciente qu'il s'agissait de la meilleure solution.
— Foyer ! ordonnais-je à mon chien qui comprit immédiatement où il devait se rendre.
Je les regardais traverser tous deux les différentes terrasses, avant de me pencher pour vérifier où Sun en était. J'aperçus d'abord sa capuche sortir de la fenêtre, suivie par le reste de son corps chétif. On aurait dit un bangpaeyeon* déchiré par le vent. En atterrissant sur les lattes en métal, une détonation lui fit perdre l'équilibre. Je m'élançai pour le rattraper de justesse, liais ma main à la sienne in extremis au moment même où les portes du logement furent enfoncées, et le hissais pour la seconde fois de la soirée. Le micro-ondes, qui venait de rendre l'âme, mit le feu à la cuisine, ralentissant ainsi la progression de nos assaillants. Perfect timing !
— Je l'ai envoyée où elle peut se cacher, rassurai-je Sun qui scannait les alentours. Si jamais ils nous retrouvent, elle sera en sécurité, je vous le promets.
Conscient que ça coûtait énormément au hacker de se reposer sur moi, encore plus de laisser le sort de l'adolescente entre mes mains, j'entraînais Sun dans la direction opposée à celle de nos compagnons.
🌙
Nous étions descendus des toits et avions réussi à distancer les fous furieux dans la foule, mais nous faisions peine à voir. Sun était à bout de force. Il avait refusé que je l'aide à porter le reste de ses affaires. Moi, j'étais à bout de nerfs et avais besoin d'un shot de n'importe quel alcool fort.
— Je crois que nous les avons semés. Punaise, vous leur avez fait quoi pour qu'ils soient si coriaces ?
Le hacker eut un rictus dédaigneux. J'avais du mal à déchiffrer ses expressions avec cette capuche. Je doutais néanmoins de la grande estime qu'il me témoignait. Il profita de ce moment de pause pour extirper de son sac un vieux téléphone à clapet datant des dinosaures et pianota rapidement dessus avant de le remettre dans sa poche, toujours sans un mot.
— Je vois, soupirais-je. Bon, venez, nous ne sommes plus très loin.
Nous marchâmes quelques minutes pour arriver à une ancienne caserne de pompiers abandonnée. Sun parut étonné, sûrement car ce type de bâtiment se trouvait rare en ville. Un grand rideau de fer, encadré de briques rouges, obstruait une entrée assez large pour faire passer une camionnette. Sur la gauche, une porte en métal permettait un accès piéton, rendu inutilisable par la végétation qui la recouvrait. Au-dessus, trois arches vitrées incrustées dans une armature en acier octroyaient une source de lumière durant le jour sans offrir de visibilité depuis l'extérieur.
Le hacker cherchait discrètement la présence de caméras et en repéra une orientée en direction de la rue d'où nous venions. Il me suivit vers un pan de mur sur la droite du bâtiment. Un panneau en bois représentant les soldats du feu en service, pris dans le feuillage et ravagé par le temps. En réalité, il dissimulait une trappe métallique qui ouvrait sur un sas, qui lui débouchait sur une immense pièce plongée dans l'obscurité. À peine eut-il franchi l'entrée que je le sentis aux aguets. Il cherchait quelque chose. Ou quelqu'un. Sans doute les deux. Il n'eut pas à prospecter longtemps, dès que j'appuyais sur l'interrupteur, la femme aux cheveux blancs se jeta dans ses bras et lui arracha un faible grognement.
— Vous voilà ! lâcha-t-elle le nez enfoui dans le cou du hacker.
— Putain jamais tu me refais ça ! Et si c'était un piège ?
Il lui rendit tout de même son étreinte, d'une caresse affectueuse sur la tête.
— Bienvenue chez moi, les entrecoupai-je, pas mécontent de me sentir en sécurité.
Le visage de Sun m'était toujours dissimulé et j'avais compris désormais que je ne le découvrirai pas de sitôt. Son mouvement de surprise me fut toutefois perceptible.
— Ne vous inquiétez pas, personne ne sait que je vis ici à part mon meilleur ami. Même ma mère l'ignore. Elle pense que j'habite au-dessus du bar. Officiellement, cette ancienne caserne sert d'entrepôt. Officieusement, c'est mon appartement ainsi que mon atelier.
Je préférais être honnête afin de gagner sa confiance. J'avais besoin de lui et, d'après les récents événements, plus que ce à quoi je m'attendais.
J'éteignis la lumière principale pour la remplacer par quelques spots apportant une ambiance plus feutrée. Les nouveaux venus en profitèrent pour faire un état des lieux.
À mon emménagement, j'avais retapé moi-même cette ancienne caserne de pompiers, désertée depuis l'arrivée des médiateurs. Ils s'étaient installés en périphérie de la ville, un peu comme une enceinte protectrice. La bâtisse avait alors été classée monument historique, vestige de notre passé et symbole des sacrifices consentis par nos ancêtres pour instaurer le système en place. Elle faisait partie du décor maintenant, tout le monde la connaissait, sans vraiment y prêter attention. Les murs extérieurs, recouverts de lierre et de mousse, conféraient à l'endroit un certain charme, sans laisser de doute quant à son état d'abandon. Certains carreaux apparaissaient fissurés, voire brisés, grâce à un trompe-l'œil. J'avais pris le soin de tapisser chaque vitre d'un adhésif imitant l'effet d'une glace sans tain. Ainsi, je pouvais jouir de la lumière du jour sans que personne ne voie que l'endroit était habité.
Le hangar était aménagé en une pièce unique, chaleureusement habillée de plantes vertes. Une cuisine contre des briques rouges avec les mêmes verrières en hauteur que pour l'entrée, et un salon séparé par une grande table en métal noir. Ce dernier était composé d'un canapé appuyé sur le mur de droite, d'une table basse en fer forgé et d'un vieux fauteuil défoncé que j'adorais, tellement il était confortable et appelait à se prélasser dedans. Sur le versant opposé, une mezzanine surélevait ma chambre. Dessous, un espace de stockage abritait mes toiles, du matériel d'art ainsi qu'un établi. J'étais fier de mon aménagement. Je m'y sentais vraiment bien.
— Asseyez-vous. Je ne suis pas très doué en cuisine, mais je dois être en mesure de vous faire des ramens sans rien brûler.
J'avais surtout besoin de me remettre de mes émotions, et occuper mes mains me permettait de cacher leur tremblement.
Nous mangeâmes en silence, Sun rongeait son frein, la jeune femme ne détachait pas son regard de Téra et moi, j'essayais de faire fit de cette ambiance pesante.
— Prends tes affaires, on s'en va, lâcha le hacker une fois son bol terminé.
— Vraiment ? Ne croyez-vous pas que nous avons des choses à nous dire ? Vous ne craignez rien ici.
Je me tournais vers sa compagne, comme si Sun n'existait pas, pour tenter de la rallier à ma cause.
— Je te montre où est la salle de bain ? Tu pourras te reposer dans ma chambre pendant que je mettrai la situation au clair avec le ronchon de service.
— Merci, Taehyung, répondit-elle timidement.
— Oh ! Tu te souviens de mon prénom ? Mais je ne connais toujours pas le tien.
— Luna.
— Lu ! s'emporta Sun.
— Quoi ?
— Je ne lui fais pas confiance !
Bon, au moins, c'était dit ! Cette animosité me surprit un peu. Je commençais à en avoir marre de ses sautes d'humeur. Moi non plus je n'avais pas totalement confiance en lui. Ce n'était pas une raison pour agresser la planète entière. Vexé, j'attendis, les bras croisés sur le torse, les fesses appuyées contre la table à manger, que les deux terminent leur bataille de regard.
— Excuse mon frère, ce n'est pas contre toi, il est comme ça avec tout le monde. Je te suis.
Elle était donc sa sœur. Je n'avais même pas songé à me poser la question sur le lien qui les unissait, dépassé par les événements. Je comprenais un peu mieux son inquiétude.
Je hochais la tête, me décollais du meuble et pris la direction des escaliers en métal de la mezzanine, sous le regard de Sun qui, je subodorais, fulminait.
🌙
Tandis que je redescendais, j'aperçus Sun installé dans le fauteuil, un ordinateur portable sur les genoux. Les images des caméras de surveillance situées autour du bâtiment s'affichaient sur son écran. Commençant à comprendre le mode de fonctionnement du personnage, il était certain qu'il avait d'ores et déjà effacé toute trace de notre course-poursuite dans les rues de la ville.
Je craquais mes doigts et sondais à travers mes mèches ondulées l'homme mystérieux qui pénétrait pour la première fois mon univers. Il dégageait une aura lugubre, de celle à même d'effrayer quiconque s'aventurait à moins de cinq cents mètres de lui.
Je m'assis dans le canapé, buste en avant et coudes posés sur les genoux. Sun me laissa à peine le temps de souffler, il me balança un téléphone identique à celui utilisé plus tôt.
— Tiens, si tu as besoin de me joindre. Il est sécurisé et tu n'as accès qu'à mon réseau privé.
— Merci. Et pour mon smartphone que vous avez explosé tout à l'heure ? demandais-je, plus par provocation que par réelle préoccupation.
— Ne me fais pas croire que tu n'as pas de quoi t'en acheter une centaine si tu le veux.
Je ne répondis pas et me levais pour me servir dans la cuisine, un verre de whisky que j'avalais d'une traite, suivi d'un second. Je le posais d'un geste sec sur le plan de travail puis m'appuyais contre la table, les bras tendus. Dans une tentative de mettre de l'ordre dans mes idées, je me repassais le fil de la soirée, soupirais un grand coup, avant de récupérer un paquet de petit-pois dans le congélateur. Sun, toujours à l'affût, surveillait les points d'accès de l'appartement sur son écran.
— Vous n'avez pas à vous inquiéter, Téra monte la garde. Si quelqu'un approche, on le saura bien assez tôt.
La boule de poils, allongée dans son panier à côté du sofa, dressa une oreille, mais ne sembla pas préoccupée outre mesure. Il n'avait pas bougé depuis la fin du repas.
— Pour votre pied, énonçais-je en déposant le paquet congelé sur la table basse.
— Si tu me disais enfin ce que tu attends de moi ? Et arrête de me vouvoyer, c'est insupportable.
Le hacker n'avait même pas adressé un regard au chien et avait complètement ignoré le sachet de légumineuses.
Dans un soupir, je m'enfonçais dans les coussins du canapé, les bras croisés et les jambes légèrement écartées. Raconter à un parfait inconnu l'épisode le plus douloureux de ma vie n'était pas chose aisée.
— Mon frère a été hospitalisé du jour au lendemain il y a trois ans, déclarais-je sans préambule.
— Tu n'as pas de frère.
— Je le considère comme tel, même si nous n'avons pas de lien de sang. Ma mère nous a élevés ensemble et Jimin est tout pour moi. Comme Luna semble l'être pour toi.
— Pourquoi il a été interné ?
J'étais persuadé qu'il était au courant de cette admission. Il avait dû faire des recherches sur moi et était forcément tombé sur l'information.
— C'est là que vous... que tu interviens. Il n'y avait, a priori, aucune raison.
— Comment ça ?
À l'étage, une porte s'ouvrit et le plancher grinça. La présence de sa sœur avait détourné l'attention du hacker quelques secondes, mais celui-ci se re concentra bien vite quand elle fut couchée.
— J'étais absent quand c'est arrivé. Visiblement, il aurait « pété un câble ». Personne n'en sait plus, pas même sa femme. Son père refuse d'en parler, continuais-je.
— Il en a peut-être eu marre de cette société d'hypocrites, ironisa Sun qui s'était tendu sans que j'en connaisse la raison.
— Quelques jours avant, il m'a offert Téra. Il semblait inquiet et m'a assuré qu'il prendrait soin de moi. Sur le coup, je n'ai pas fait attention, mais avec le recul, on aurait dit des adieux. Je suis sûr qu'il me dissimulait quelque chose.
— Tu lui en as reparlé ?
— Au début, les visites étaient interdites. Quand nous avons enfin pu le voir, il n'était plus que l'ombre de lui-même. Il ne s'exprime plus, ce n'est qu'une enveloppe vide, il ne réagit à rien. Je ne sais même pas s'il nous reconnaît. Parfois, il pleure, mais je n'arrive pas à comprendre si c'est à cause de la réalité ou si c'est dans sa tête, expliquais-je l'air de rien, alors que mon cœur se serrait.
— Tu as son dossier médical ?
— Il est classé confidentiel. Son père est quelqu'un d'influent en ville, tout est protégé. Il ne peut pas se permettre que cela se sache. Un fils aliéné du jour au lendemain entacherait sa réputation. Officiellement, il est traité pour une leucodystrophie. Sa mère y a succombé peu de temps après l'avoir mis au monde.
Le hacker confirma d'un hochement de tête qu'il était au courant. Je me demandais bien ce qu'il ignorait au final. En cet instant, il me donnait plus l'impression de me passer au détecteur de mensonges que de lui expliquer la situation.
— Quand Jimin est né, il a réalisé des tests pour savoir si sa mère lui avait transmis sa maladie. Selon mes souvenirs, ce n'était pas le cas, poursuivis-je. Je pense que son dossier a été falsifié. Et puis cette maladie ne te transforme pas en légume.
— Je vois. Tu veux donc que je récupère son dossier médical et que je trouve qui est responsable de sa condition ?
— Exactement. Et dans la mesure du possible que nous découvrions ce qu'il possédait pour qu...
Je n'eus pas le temps de finir ma phrase que Sun se leva d'un bond.
— Quelqu'un approche ! annonça le hacker le doigt pointé sur son écran qui affichait les images de la caméra.
Je me dressais les sourcils froncés. Mon chien dormait paisiblement. Dans une manipulation rapide, Sun remplaça la vidéo par celle du système que j'avais installé en face de mon entrée. Il en avait déjà pris les commandes. L'intrus s'avança, le visage masqué par une casquette.
Le pirate informatique se rua sur ses affaires et grimpa les marches de la mezzanine à toute allure, sous mon regard ahuri et de celui de Téra qui avait enfin levé la tête. Dans la seconde qui suivit, des coups retentirent contre la trappe.
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* Bangpaeyeon : 방패연
방패 : bouclier ; 연 : cerf-volant. Cerf-volant notamment utilisé pendant le nouvel an lunaire.
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Bon matin !
J'espère que ce chapitre vous a plu. L'identité du coprisonnier est révélée même si on s'en doutait fortement, mais surtout on sait pourquoi Sun a été embauché.
N'hésitez pas à me faire part de vos théories au fur et à mesure, ça pourrait être intéressant ^^Le changement de narrateur vous a-t-il perturbé.e ?
On se retrouve la semaine prochaine pour savoir qui se tient devant la trappe !
D'ici là, portez-vous bien.
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