Jonas observait le paysage depuis les remparts en s'accommodant de son défaitisme. Le salon de la bande dessinée n'avait plus aucun intérêt ! Il regarda la montre pour découvrir que le départ du train était encore loin. Il devrait occuper le temps restant. L'eau de pluie avait saccagé la laque de ses cheveux, il se frotta énergiquement la chevelure pour tenter d'ôter le restant de gel. L'orage résonna dans un bruit sourd, il choisit de rentrer dans le hangar de jeunes auteurs le plus proche. Son sweat-shirt étant mouillé, il le retira pour rester en tee-shirt. Moins pressé qu'à son arrivée, il prit le temps d'observer chaque maison d'édition. Il s'attarda bientôt sur une rouquine esquissant un samouraï affrontant au corps à corps un soldat américain.

— Qui va gagner, lui demanda-t-il ?

Elle leva les yeux pour longuement le dévisager. Personne ne l'avait jamais regardé avec autant de gentillesse. La situation était trop extrême, il détourna le regard pour commencer à partir.

— L'américain, répondit-elle.

Jonas fit demi-tour pour l'observer muet. Il avait perdu la parole, il n'était pas habitué à parler à une fille. Le regard insistant de son interlocutrice provoqua des tremblements dans ses jambes. Il était au bord de la panique. Il observait discrètement le tatouage sur l'avant-bras représentant un corbeau affrontant un serpentard.

— Ma réponse vous déplaît elle ?

— Je...

Il ne pouvait faire le moindre geste, restait figé les bras ballants. Elle fit glisser sa chaise en arrière pour se lever. Que faisait-elle, s'inquiéta Jonas ? Il la suivit des yeux sans bouger la tête. Elle repoussa l'embout de la table pour s'approcher de lui. Il fixa son attention sur l'autre bras pour regarder une femme nue enlaçant un cyborg.

— Ça va ?

— Heu, j'ai du mal à rester debout, avoua-t-il en le regrettant amérement.

— Venez !

Elle l'empoigna délicatement pour le mener à la seconde chaise derrière la table. Jonas s'affala lourdement contre le dossier pour baisser le visage de honte en découvrant une toile d'araignée tatouée entre ses seins.

— Vous voulez boire quelque chose de chaud ou froid ?

Il joignit les paumes pour enfoncer ses mains entre ses jambes. Il frémit lorsqu'elle posa ses doigts sur ses cuisses.

— Souriez, vous allez faire fuir mes fans !

Il leva les yeux pour découvrir un merveilleux sourire, uniquement pour lui. Il osa écarter légèrement les lèvres pour la regarder.

— Hé ben, voilà, c'était pas compliqué.

Elle lui tendit la main.

— Lucrezia.

Légèrement hésitant, il accepta sa poigne.

— Jonas.

Elle détourna subitement le regard pour observer un couple approchant avec hésitation.

— Désolé bel inconnu, je dois travailler !

Il se leva pour retourner de l'autre côté de la table. Elle écrivit quelque chose en contrebas de son dessin et signa.

— Tenez.

— Euh, merci.

Il découvrit au bas du dessin la dédicace lui étant adressée, « Pour Jonas, pour toute commande, 04 place saint Pierre, Lucrezia. Que se passait-il ? devait-il la remercier ? Il était peu habitué à ce genre de mots. Le draguait-elle ou était-ce simplement pour lui vendre ses bandes dessinées ? Un homme tendit une bande dessinée ouverte à Lucrezia.

— Pourrais je avoir une dédicace ?

— Bien évidemment, confirma-t-elle. Qui voulez-vous ?

— Euh, Lætitia sous une cascade, proposa-t-il en rougissant.

Jonas rangea soigneusement la feuille de dessin dans son sac, puis jeta un rapide coup d'œil à la jeune femme.

— À bientôt, Jonas !

— Euh, oui, à bientôt, répondit-il en contournant l'autre homme.

— Jonas, l'interpella Lucrezia !

— Oui.

— Tu as gagné, Jonas, tiens.

Il prit le ticket ou il découvrit le numéro de téléphone de la rouquine. Esquissant un sourire enfantin, il comprit qu'il n'y avait plus aucun doute à avoir, elle était vraiment intéressée par lui. Il partit sans avoir le courage de lui adresser un regard.

Une demi-heure plus tard, il longeait la mairie en observant le ticket.

— Comme on se retrouve.

Levant les yeux, il aperçut le blondinet en compagnie de deux de ses amis. Jonas rangea le ticket dans sa poche, puis ferma les paupières pour faire le vide. Il calcula les probabilités de réactions en fonction de leurs positions respectives. Il ouvrit subitement les yeux pour percuter d'un coup de pied l'entrejambe de celui sur sa gauche pour le faire pencher en avant. Il cogna la paume d'Adam de celui de droite pour lui couper le souffle. Il déséquilibra ensuite le blondinet qui embarqua dans sa chute celui de droite. Il frappa violemment le front du premier pour le déséquilibrer. Il empoigna le col du dernier pour le projeter sur ses acolytes. Il écarquilla les paupières de stupéfaction, il les avait tous mis au tapis !

Le trio se releva pour prendre la fuite. Jonas n'en revenait pas. Il avait déjà assisté à ce genre de scènes dans des films, mais là, c'était la réalité. Il baissa les yeux pour regarder ses mains. Comment était ce possible ? Jonas était à la fois timide, peu téméraire et d'une lâcheté honteuse.

Il aperçut Louise le dévorant du regard. Il détourna le visage honteux, mais sans pour autant réprimer un sourire de satisfaction. Que se passait-il ? Il ressentait l'extase de la victoire similaire à un pilote de formule un. Jonas profitait avec satisfaction de l'allégresse de sa dame.

Plusieurs flashs l'aveuglèrent. Il perdit l'équilibre, sa jambe droite parvenait avec peine à le maintenir debout. Sa vision commença à se brouiller, alors qu'un sifflement aigu lui perforait les tympans. Il perdit l'équilibre en hurlant de douleur.