La dernière plume
Non, ça ne va pas. Ce mot ne va pas. Pourquoi les idées défilent-elles dans ma tête sans me laisser de répit ? Des pensées j'en ai des tas, elles m'emplissent la tête. J'aimerais avoir le pouvoir de les coucher sur le papier, de raconter tout cela comme il se doit. Les mots défilent sur le papier mais aucun ne va. Les émotions ne ressortent pas de mon texte, comme s'il était vide d'une quelconque lueur. Les sentiments, voilà l'élément le plus complexe lorsque nous écrivons un texte. Je suis toujours impressionné face à ces personnes, celles capables d'écrire quelque chose qui vous transporte dans un torrent d'émotion. L'encre noire de ma plume parcoure le papier à la recherche du mot parfait. J'écris, encore et encore espérant constituer un texte qui ne soit pas digne d'un déchet.
Assis à mon bureau, la tête entre mes mains je relis ce qui devrait constituer ma lettre. Une fois de plus, c'est-à-dire pour la quinzième ou seizième fois. Je les ressens ces sentiments, alors pourquoi ai-je tant de mal à les exprimer ? Je ne pensais pas qu'écrire était un exercice si difficile. Le feu crépite dans la cheminée au bout de la pièce, sans cela, elle serait plongée dans un profond silence. Je prends la feuille tachée de mots dans un désordre de lettres sans logique. Je froisse le papier avant de le jeter au feu. Je cri de rage, ce n'est pourtant pas si compliqué. Ma voix résonne dans cette grande pièce. Je m'y sens si seul. Je regarde la petite horloge à pied posée sur mon bureau. Les aiguilles ornées d'or indiquent qu'il est deux heures onze du matin. Le moment approche, et cette horloge me le rappelle à chaque tic-tac qu'elle émet.
Je prends une autre feuille à lettre, totalement blanche. C'est comme si elle appelait l'encre à la compléter. Je soupire, y arriverais-je seulement ? Je trempe ma plume dans le flacon d'encre noir. Celui-ci repose sur mon magnifique bureau de bois sculpté. J'ai en effet de somptueux meubles de première qualité, pour ne pas dire même luxueux et je ne m'en cache pas. Pourquoi dissimuler de telles splendeurs ? Je pense aux événements, à ce que je ressens, je vais chercher les émotions du plus profond de mon cœur. Je veux que cette lettre soit parfaite. Je veux qu'elle sache que je l'aime, je veux qu'elle comprenne quel sentiment puissant m'enveloppe lorsque je suis à ses côtés. Cette sensation de douceur, de fragilité mais également de puissance. Je pose ma plume sur le papier pour écrire la première lettre. Celle-ci ne s'arrête pas, les mouvements sont précis et gracieux. Des lettres, puis des mots, puis des phrases. L'écriture est aérée, presque calligraphiée. Je relis mon texte, il est parfait. Je n'aurai pas dû douter de moi, j'ai toujours réussi tout ce que j'entreprenais. Je suis sûre qu'elle ne pourra résister à cet aveu.
Je reste immobile quelque temps, il fait nuit dehors. Je me lève finalement de ma chaise avant de me diriger vers les grandes fenêtres. Ce sont plutôt de grandes portes vitrées qui me donnent accès à mon balcon. À peine celles-ci ouvertes, je sens un vent frais et agréable s'engouffrer dans la salle. La lueur du feu vacille, mais elle résiste. Je m'accoude aux rambardes et admire le ciel. Celui-ci est dégagé et permet à notre pleine lune de dévoiler toute sa splendeur. Elle est entourée de milliers, que dis-je, de millions d'étoiles. Elles scintillent et traversent la pénombre de la nuit jusqu'à mes yeux curieux. Cette ambiance est si romantique, je suis sûre que si elle avait été à mes côtés en cet instant elle se serait logé dans mes bras. C'est presque comme si je sentais déjà la chaleur de son corps contre le mien à cette seule pensée.
Au milieu de la nuit, j'entends alors le bruit des voitures rouler à vive allure. Les sabots des chevaux claquent sur le bitume. Mon regard se porte sur l'horizon et je souris. Ils seront bientôt là. Toujours sur le balcon, je prends un cigare avant de l'allumer. J'inspire le tabac et laisse le fumet s'échapper entre mes lèvres. Je pense bien que je ne pourrais pas le finir avant leur arrivée. Le son approche, ils semblent pressés de me voir. Ils savent exactement où ils doivent se rendre. Leur travail sera bientôt fini, mais je ne compte cependant pas leur facilité la tâche. Quelques minutes plus tard, les voitures passent le portail de ma propriété et se garent auprès de ma fontaine. J'écrase mon cigare contre la rambarde et le jette en contrebas. Je me dirige vers mon bureau et pli soigneusement le papier de ma lettre avant de l'insérer dans une enveloppe. Je trempe une dernière fois ma plume dans l'encrier :
« Pour Marie Abzac ».
Suite à cela, j'ouvre l'un des nombreux tiroirs de mon bureau et en sort un revolver bulldog 320. Capacité de douze tirs, très bonne arme. Je regarde la chambre pour m'assurer qu'il me reste bel et bien onze douilles. Je souris en constatant que je ne me suis pas trompé. J'entends ma la serrure de l'entrée être forcée au rez-de-chaussée. J'inspire profondément, mon regard en direction de la porte de mon bureau. Avant de sortir de la pièce je me dirige vers mon miroir. Je réajuste ma veste et ma cravate, et prête la plus grande attention à ma longue barbe et mes cheveux. Je suis plutôt bel homme. Je reprends ensuite le revoler que j'avais posé sur mon bureau et le tien contre mon cœur avant d'ouvrir la porte qui me sépare du chaos.
La pièce devint alors silencieuse. Le feu crépitait toujours dans la cheminée, éclairant le grand bureau d'une nuance orangée. Soudain, des cris se font entendre. Ils viennent de l'étage du dessous. Un ordre est donné et la voix claque dans la pièce, comme cinglante. Aucune hésitation n'est alors autorisée, les coups de feu fusent au rez-de-chaussée et viennent briser cette ambiance à l'apparence si paisible dans ce bureau. Si vous vous rendez désormais à l'entrée de cette somptueuse maison, vous y verrez plusieurs corps sans vie jonchant sur le sol. Quelques-uns sont ceux de policiers. Cependant l'un d'eux se différencie des autres, seul à l'extrémité de la salle. Propre sur lui, bien habillé et bien coiffé, laissant tout de même un filet de sang s'écouler le long de son crâne jusqu'à son cou. C'est comme s'il avait préparé sa propre mort.
Si vous vous dirigez à l'étage et que vous vous rendez dans son bureau, vous verrez alors une lettre sur le meuble principal de cette pièce, délicatement insérer dans une enveloppe. Peut-être aurez-vous la curiosité de la lire. Vous ouvreriez alors l'enveloppe avant de déplier le papier entre vos doigts. Une odeur de tabac s'en dégagerait et vous commenceriez votre lecture :
Ma très chère Marie,
Cela fait maintenant des années que mon cœur bat pour vous, qu'il ne recherche que vous. Vous étiez ma seconde moitié, celle que je cherchais pendant si longtemps. Je crois bien que je l'ai su au moment même où mon regard s'est posé sur vous. Vous, vos fines lèvres, vos joues roses ainsi que vos magnifiques boucles blondes qui se nichaient au creux de votre cou. Sans oublier vos magnifiques yeux d'un brun profond. Ils semblaient m'emmener au plus profond de votre être chaque fois que je m'y plongeais. Je voulais vous découvrir tout entière, vos passions, vos déceptions. Nous avons fondé de bonnes relations au fil du temps, nous sommes même devenus bons amis. Je voyais alors une lueur d'espoir et je savais qu'un jour vous seriez toute mienne. Vous ne me résisteriez pas bien longtemps. Je suis riche et bel homme, courtois et poli, charmant et philosophe. Je possédais tout pour que vous m'apparteniez enfin mais vous avez décidé de me trahir.
Ce n'est que trop tard que j'ai vu votre alliance au doigt. Lorsque je vous l'ai fait remarquer, vous vous êtes contentée de rire avant de m'expliquer à quel point il vous rendait heureuse. Ce rire si cristallin, celui que j'aurais aimé entendre à chaque instant. Ma douce, j'aurais dû être le seul à l'entendre pour le restant de nos jours. Malheureusement, vous ne l'aviez pas compris, vous ne l'aviez pas vu ainsi. J'ai dû alors faire preuve de plus de fermeté.
Ce n'est que lorsque je suis arrivé chez vous, revolver en main que vous avez compris. Vous me suppliez et m'imploriez de ne rien faire en échange d'un amour éternel envers ma personne.
Je veux que vous sachiez, vos paroles m'ont sincèrement touché, mais il était déjà trop tard. Je ne pouvais pas laisser cet homme en vie après qu'il vous ait embrassé et touché. Nous devions prendre un tout nouveau départ, sans aucun obstacle entre nous.
C'est pour cela que j'ai pointé le canon de mon revolver sur son front avant de tirer. Je suis bien malheureux maintenant car je sais que j'étais vouée à mourir. J'aurais voulu vous rencontrer bien avant cet homme indigne. Au moment même où il a glissé cette alliance à votre doigt, notre relation était condamnée.
Je l'ai bien vu dans votre regard. Votre terreur et votre haine envers moi. À ce moment-ci, j'ai décidé de m'en aller. J'ai été idiot de croire que vous pourriez m'aimer après cela, qui est plus, que vous ne me dénonceriez pas. Je suis alors rentré, et je me suis paré de mes plus beaux habits. J'ai pris soin de moi, me préparant à mon funeste destin. Bien que déboussolé par cette fin, je suis conscient qu'il serait impossible pour moi de vivre sans vous. Après m'être embelli, j'ai écrit cette lettre.
Je suppose maintenant que je n'ai plu qu'à les attendre. Vous les avez sûrement déjà alertés, si ce n'est pas le cas, quelqu'un l'a sûrement fait pour vous à l'entente de cet unique coup de feu. Je voulais dans cette lettre vous exprimer tout mon amour car oui, je vous aime Marie Abzac.
Mon heure approche, je me hâte du jour où vous me rejoindrez.
Ma chère et tendre, il ne me reste plus qu'à vous dire un dernier au revoir.
Prenez soin de vous, ou rejoignez-moi, je vous en serai gré.
Avec tout l'amour que je vous porte,
Marcus Rouget.
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