Je tiens la lettre entre mes mains, fébrile. Depuis que ma grand-mère nous a quitté, j'ai tenté tant bien que mal de chasser le sentiment douloureux de sa perte. Il y a quelques jours, ma mère m'a donné une enveloppe, m'expliquant qu'elle m'était destinée sans me donner plus d'informations. Elle me disait que je devais découvrir par moi-même qui avait écrit cette lettre et pourquoi. Sa lecture a ouvert en moi une vieille cicatrice. Même si cela fait quelques années, mes larmes coulent toujours en repensant à elle. J'étais très proche de ma grand-mère, elle m'a toujours soutenu et compris. Lorsque l'hôpital nous a appris qu'elle était condamnée, je crois bien que je n'avais jamais autant pleuré. Malgré sa vieillesse elle était pleine de vie, un sourire toujours ancré sur le visage. Son corps n'arrivait plus à la porter, mais son esprit était vivace. De mentalité, on aurait pu croire qu'elle avait mon âge, c'est-à-dire vingt-deux ans.

     Malgré le chagrin que j'éprouve en ce moment même, je ne peux m'empêcher de sourire. Cette lettre n'est pas vraiment traditionnelle, il s'agit d'un règlement de jeu.

    " Ma chérie, que dirais-tu d'un petit jeu ? Je te propose ici une chasse au trésor, tu trouveras ci-dessous quelques indices qui te permettront de trouver ton butin. Pour certaines parties de ta chasse, je te donne ici l'autorisation de fouiller dans la maison ! C'est ici exceptionnel mais je me suis mise d'accord avec papy. Je te souhaite bonne chance, même si je suis certaine que tu vas réussir !

- Pour obtenir ton trésor, il te faudra un objet très important ! Il se situe à l'endroit où tu as perdu ta première dent de lait. Souviens-toi comment celle-ci est tombée pour trouver ce que tu cherches.

- Il te faudra ensuite trouver un indice qui te sera nécessaire. Tu le trouveras où je t'ai appris à faire du vélo sans tes petites roues. Il te faudra conserver cet objet jusqu'à la fin du jeu alors ne le perd pas !

- L'indice que je te donne ici est le dernier. Rends-toi là où tu m'as confié l'un de tes plus grands secrets.

Je te souhaite à nouveau bonne chance ! "

     Une chasse au trésor, je dois avouer que c'est tentant. Ma grand-mère a toujours aimé créer des jeux, plus particulièrement ce genre de divertissement. Elle trouvait toujours des petits cadeaux qu'elle glissait dans une petite boîte avant de l'enterrer quelque part. Même à vingt-deux ans, j'y prends toujours autant de plaisir. Je sèche mes larmes et remets la lettre dans son enveloppe. Je la glisse dans un sac ainsi qu'une petite pelle facilement transportable. Je sors de chez moi et me dirige vers la première étape et je sais exactement où me rendre. Elle m'a autorisé à fouiller la maison, cette lettre me servira probablement de laissez-passer auprès de grand-père.

     Une fois dans la maison, je me dirige immédiatement dans la cuisine. Papy semblait heureux de me voir, mais ses yeux larmoyants m'ont fait comprendre que la douleur du deuil est encore bien vive. En lui montrant la lettre, il n'a dit mot et m'a juste laissé entrer. Pendant ma recherche, il me propose de boire un café après avoir trouvé le trésor. J'ai vivement acquiescé, en répliquant que je gagnerai le jeu de grand-mère au plus vite pour le rejoindre. Un sourire mélancolique s'affiche sur son visage, dévoilant des rides. Le temps n'épargne personne. Je continue à chercher sous la table de la cuisine, dans les tiroirs, je ne trouve rien. Je repense alors à la dernière phrase du dernier indice : « souviens-toi comment celle-ci est tombée pour trouver ce que tu cherches. ». Je regarde au-dessus d'une des étagères de la pièce et en retire ce qui est posé. Je pose la boîte à biscuit sur la table. C'est en croquant dans un gâteau que j'ai perdu ma première dent. Je me souviens que nous avions beaucoup ris ce jour-là. En secouant la boîte, je peux déjà entendre que quelque chose se trouve à l'intérieur. Je l'ouvre alors doucement pour y découvrir une petite clé en bronze. Je crois bien que j'ai trouvé mon premier indice.

     En arrivant au second lieu, je m'arrête à l'entrée du parc. Il est plutôt petit, mais j'adorais m'y rendre étant enfant. Aujourd'hui, il n'est pas très occupé. Peu de familles viennent ici, il faut dire que le parc est assez éloigné de tout. C'est d'ailleurs ce qui nous a plu avec ma grand-mère, la tranquillité de cet endroit. Je m'avance et commence la fouille. A première vue, il n'y a aucun indice. Je cherche près du toboggan, sous les balançoires, rien ne s'y trouve. J'en faisais énormément avec ma grand-mère étant petite. Elle passait beaucoup de temps à me pousser, me donnant l'impression de m'envoler. Maintenant que j'y pense, elle devait être bien fatiguée, mais elle riait malgré tout. Je m'assois quelques instants sur le banc du parc. Me retrouver ici fait resurgir de nombreux souvenirs, tous plus heureux les uns que les autres. Je regarde autour de moi avant de décider de continuer mes recherches, après tout, j'ai promis à grand-père de passer du temps avec lui aujourd'hui. J'aurai tout le temps du monde pour profiter de ce lieu, il ne s'en ira pas. Le deuil de ma grand-mère m'aura appris que personne n'est éternel et qu'il faut profiter d'eux tant qu'ils sont présents dans nos vies. Je réfléchis, mon instinct me dicte de me diriger à nouveau vers le banc. Je m'accroupis et regarde sous celui-ci. Une petite enveloppe, protéger d'une pochette plastique, est scotchée au bois. Je le retire alors et regarde ce que contient le paquet. Il y a à l'intérieur un petit papier, indiquant « 12 E » ainsi qu'une boussole.

     Je me trouve alors à ma dernière étape, celle qui me permettra de trouver le trésor. « L'un de tes plus grands secrets. », elle parle ici du jour où je lui ai annoncé que je n'aimais pas que les garçons. C'est étrange de se dire que la personne en qui j'avais le plus confiance pour avouer cela était ma grand-mère. Pourtant, elle a toujours été fermé d'esprit, bien qu'à l'époque où elle ait vécu n'était pas très favorable envers ce genre de relation. Me voici alors près du lac, à quelques kilomètres de chez moi. Ma famille et moi avons toujours adoré la nature, ce n'est donc pas étonnant que la plupart des indices se trouvent en extérieur. Comme pour le parc, c'est un lieu où peu de personnes se rendent. Le lieu est assez grand, mais je doute qu'elle ait mis l'indice dans l'eau ! Je commence à faire le tour de l'étendue d'eau cherchant sur l'écorce des arbres et les rochers bordant le lac. Je risque de passer un peu plus de temps ici, bien que la cachette ne doive pas être bien compliqué, l'indice peut se trouver sur n'importe quel arbre de ce paysage. Je soulève une énième pierre qui se trouve sur mon chemin, bingo ! Comme pour dans le parc, l'indice est glissé dans une enveloppe lié à sa cachette. Cette fois-ci, il n'y a qu'un papier sur lequel je peux voir un simple dessin. Sur la feuille est esquissé un majestueux arbre.

     Voici alors le lieu où se cache mon trésor. Ma grand-mère et moi nous étions rendus ici pour y planter un arbre. Il est loin d'être aussi prestigieux que celui du dessin, mais je sais que c'est ici. Elle me disait toujours qu'un jour il sera le plus grand des arbres, le plus feuillu et le plus coloré. Enfant, j'y croyais. En grandissant, j'ai vite compris que le plus important n'était pas son apparence mais ce qu'il représentait pour ma grand-mère et moi. Il est comme le lien qui nous unissait et qui nous unit encore aujourd'hui. Je viens m'installer auprès de l'arbre en question et regarde attentivement la boussole. 12 E... Je pense que ça signifie douze pas vers l'est. Je me dirige alors vers la direction indiquée. Une fois au bon endroit, je prends ma petite pelle et commence à creuser. Elle n'a jamais mis les trésors très profondément, il me sera donc simple de le trouver. Après environ une ou deux minutes, je sens quelque chose de dur sous ma pelle. J'enlève le plus gros de la terre avec l'outil avant de prendre le petit coffre avec mes mains. La boîte est rustique, mais n'en reste pas moins jolie. Je sors la clé de mon sac et l'insère dans la serrure, celle-ci fait un petit cliquetis avant de s'ouvrir.

     A l'intérieur, je peux y trouver quelques objets, certains liés par une ficelle avec un petit mot. Je retire en premier un magnifique pendentif et lis le papier qui y est rattaché : « en te portant, tu pourras te souvenir de moi. ». Je souris doucement, il me semble évident que je ne l'oublierai pas. Je le porte autour de mon cou, l'avoir tout contre moi me donne l'impression d'avoir ma grand-mère au plus près de moi. Je prends le second objet, une bague. « Je ne sais pas si elle te plaira, mais je tenais à te l'offrir ! Peut-être que ce bijou sera l'alliance de la personne à qui tu offriras ton cœur. ». C'est un détail, mais l'utilisation du mot « personne » n'est ici pas anodine. Elle accepte le fait que cette « personne » puisse être tant un homme, qu'une femme. Vient alors le tour d'une carte postal. « Tu me l'avais envoyé lors d'un de tes fabuleux voyages, je t'avais promis que nous irions ensemble un jour. Je suis désolée de ne pas tenir cette promesse. Emporte cette carte avec toi, je serais ainsi à tes côtés lors de ton prochain voyage. ». Des larmes menacent de couler. Elle était alors consciente de son état au moment de créer cette chasse au trésor. Malgré sa fatigue et sa maladie, elle a tout de même pris le temps et la peine de faire cela pour moi. Dans la boîte se trouvait encore d'autres objets, sans mot cette fois-ci. Des petits souvenirs, des choses qui pourraient sembler insignifiantes à n'importe qui, mais qui sont symboliques pour nous. Des photos, des bonbons dont je raffolais étant enfant et que nous mangions toute deux en cachette avant de nous faire sermonner par grand-père. Mamie était une grande enfant, et papy riait de cela. Lorsque la boîte fut vide de ses objets, je peux voir une énième enveloppe au fond de celle-ci. Déjà empli d'émotions, je ne sais pas si j'aurai le courage de lire ce qu'elle cache. Tremblante, je prends le papier et le déplie.

    " Ma très chère petite fille,

     Tout d'abord, félicitation ! Tu as gagné cette chasse au trésor. Je ne sais pas si ta mère t'aura donné ma lettre juste après ma mort, en tout cas au moment où je t'organise ce petit jeu, tu as vingt-deux ans. Quoi qu'il en soit, je suis certaine que tu es et resteras toujours une personne incroyable. Je sais que je suis condamnée, je vais bientôt mourir. Je sais que ce que je vais dire là est assez classique, mais j'ai vécu une belle vie, je ne regrette rien. A part peut-être que j'aurais aimé passer plus de temps avec ma famille, passer plus de temps avec toi. J'aurais voulu voir quelle femme intelligente et belle tu allais devenir, j'aurais aimé rencontrer la personne avec qui tu allais faire ta vie. Je ne serais pas là pour y assister en tout cas, pas directement. De là-haut, je pourrais te regarder et j'espère bien te voir heureuse. Tu as été la plus merveilleuse des petites filles, et je ne t'en remercierai jamais assez. J'espère que cette chasse au trésor t'aura rappelé de bons souvenirs, car même si je ne suis plus là, tu pourras toujours me retrouver dans ton cœur et ton esprit.

     Ne pleure pas ma mort ma petite fille, tes parents sont toujours à tes côtés. Papy est également toujours là, il a besoin de toi. Je sais que vous pourrez vous soutenir mutuellement, que vous pourrez à nouveau retrouver le sourire tous ensemble et, je vous le souhaite, vivre une vie aussi belle et emplit que la mienne. Je ne te demanderai que de vivre selon tes envies, vit chaque jour intensément, crée-toi autant de souvenirs qu'il te sera possible. Pleure, ris, souris, déteste, aime, découvre, essaye ! Ta vie n'appartient qu'à toi, fais-en la plus belle des histoires.

     Ma petite fille, n'oublie pas que je t'aime du plus profond de mon cœur. Je te remercie pour ces merveilleuses années.

Prend soin de toi,

Signé, la meilleure des grands-mères ! "

     Je ris à cette dernière ligne. Les larmes ruissellent le long de mes joues et semblent ne plus vouloir s'arrêter. Je prends le pendentif et y dépose un baiser, comme s'il lui était destiné. Même si cette journée a été chargé d'émotions, il me reste une chose à faire.

     Je toque et mon grand-père ouvre grandement la porte. Pas un son ne s'échappe d'entre nos lèvres. Nous nous regardons tout simplement et sans vraiment savoir pourquoi, nous pleurons l'un l'autre. Je m'avance vers lui et le prends tendrement dans mes bras. Ses mains fortes viennent me resserrer contre lui. Les mots sont ici inutiles, ce simple geste traduit tout l'amour que nous éprouvons l'un pour l'autre.