Je suis actuellement à la recherche des installations médicales. La gentille dame de l'accueil m'a indiqué sur un plan où elles se trouvent, mais j'ai encore beaucoup de mal à me repérer. Je tourne un long moment avant d'atteindre ma destination finale.

Soigner ma blessure a été bien plus rapide que de trouver les locaux abritant le personnel compétent pour le faire. J'ai un magnifique bandage blanc juste en dessous du coude. Je suis prête à lancer une mode.

Pour me remonter le moral après tant de péripéties en une seule matinée, je me rends au Kings Court afin de prendre mon petit-déjeuner. En y arrivant je suis surprise par le bruit assourdissant du lieu. Des familles, composées d'enfants bruyants, y prennent leur repas. Ce n'est pas l'ambiance du soir où tout le monde est paré de ses plus beaux habits et où chacun bavarde sur un ton plus calme. Ici on se croirait presque sur l'un de ces paquebots sans âme, construit dans l'unique but d'attirer une clientèle jeune, avide de faire la fête en mer.

Heureusement, le buffet me fait complètement oublier ce bémol. Sans chercher très longtemps, je repère les délicieux beignets amenés plus tôt par Charlee dans ma cabine. Je n'en prends que deux puisqu'ils sont d'une taille assez grosse, et je les accompagne d'un verre de jus d'orange. Je me trouve une petite place, la plus tranquille possible même si c'est une tache compliquée, et ne perds pas de temps pour les manger.

Rassasiée, j'opte pour une activité calme. Je pense avoir assez donné de ma personne ce matin, et en allant à la bibliothèque je ne vois pas ce qui pourrait bien m'arriver. Je ne risque pas de faire une gaffe là-bas.

Située sur le pont huit, elle possède elle aussi une vue imprenable sur la proue du navire. Etre au calme dans cette pièce est très plaisant, surtout après avoir passé un petit-déjeuner dans le brouhaha. Mes pauvres oreilles, pourtant habituées à la cohue parisienne, ont du mal à supporter le raffut. D'autant plus lorsque je suis censée être en vacances.

Je me munis d'un charmant roman policier, et pars m'assoir sur l'une des chaises libres donnant vue sur l'océan. Ce qui est captivant ici c'est que, peu importe où nous nous trouvons dans les parties communes, la beauté du paysage est toujours à notre portée. Avoir ce décor comme seul horizon n'est absolument pas angoissant. Au contraire, c'est excitant. Presque même autant que ce fabuleux livre de Mary Higgins Clark. Cette femme a un don hors du commun pour mettre du suspense dans ses écrits.

Plongée dans le monde trépidant de cette aventure, je ne vois pas le temps défiler. C'est lorsque j'entends retentir les cornes de brume du bateau que je reviens à la réalité. Sachant tout de ce navire grâce à mes innombrables recherches depuis toutes ces années, je sais que c'est un équivalent des « douze coups de midi » que l'on entend dans les églises. C'est une vieille tradition annonçant le passage à l'après-midi. Juste après cela, le commandant nous donne quelques informations comme le vent qu'il y a dehors, à combien de nœuds nous naviguons, ce genre de détails qui ne parlent à personne lorsque nous ne sommes pas dans le milieu de la marine. C'est pourquoi je n'écoute que partiellement ses paroles.

Je termine donc mon livre, que je prends soin de ranger à l'endroit où je l'ai emprunté un peu plus tôt. En sortant de la bibliothèque, je croise l'étrange garçon rencontré hier. Celui que j'ai accidentellement frappé au visage. Je fais donc demi-tour en vue de lui demander une nouvelle fois pardon pour cette baffe. La froideur avec laquelle il m'a quitté la dernière fois me laisse penser qu'il m'en veut toujours.

- Hey attends !

Je l'interpelle vivement, le faisant se retourner dans ma direction. Ayant dû entrer à nouveau dans la bibliothèque pour lui parler, je me rapproche de lui afin que je puisse lui chuchoter mes plus plates excuses.

- Je tenais à te redire que j'étais désolée pour ma claque à la joue. Je vois que tu as encore une petite marque rouge à cause de ma bague, je ne sais pas comment faire pour me racheter.

- En ne t'approchant pas de moi.

- Je te promets de garder mes mains dans mon dos.

Pour lui montrer ma bonne foi, j'attrape derrière mon dos mon poignet droit dans ma paume gauche. Je lui fais également un grand sourire qui se veut cordial et auquel il ne répond pas. Son visage ne laisse paraitre aucune expression. Ses yeux bleus me regardent de haut en bas et finissent par se détourner comme son corps tout entier. Il me laisse plantée là comme un cocotier seul sur une plage de sable blanc. En prenant ma douche ce soir, je vais encore avoir de quoi grommeler.

Cette fois non plus, je ne m'attarde pas sur le comportement froid et impassible de cet homme que je qualifierai plutôt d'adolescent en pleine crise de puberté. Malgré tout je ne suis pas sereine. Une partie de moi ne pense qu'à une seule chose : lui présenter encore et encore des excuses dans le but d'obtenir son pardon. Cette histoire me fait de la peine dans un sens, car il a un mauvais jugement sur celle que je suis réellement. Je compte bien lui prouver le contraire lorsque je le recroiserai.

Mon cours de danse commence bientôt et je n'ai toujours pas mangé. N'ayant pas très faim après tous les beignets engloutis ce matin, je décide de me prendre un snack au Golden Lion pub. Ce bar reprenant tous les codes des bouis-bouis anglais est idéal pour un petit fish and chips pas trop lourd.

Les lieux, malgré qu'ils n'aient pas la même décoration, me font penser au pub où j'ai rencontré Charlee à Southampton. Penser à ce garçon me donne aussitôt le sourire. Il a beau ne pas être à mes côtés, il arrive quand même à me faire rire. J'ai hâte de le retrouver ce soir après manger.

Mais pour l'heure il est temps d'aller à mon tout premier cours de danse. J'ai toujours souhaité essayer d'en apprendre une, peu importe laquelle, c'est donc l'occasion rêvée de me lancer. J'ai envie de pouvoir participer aux soirées dansantes et que tout le monde se disent : « woah, celle-là, elle maitrise ! ». C'est fondamentalement absurde d'avoir un tel désir, je le sais. A qui cela changerait-il la vie que je sois une grande danseuse ? Parfois il n'y a pas de justification pour nos convoitises. C'est comme ça.

Je me rends donc à la salle de bal Queens Room pour ma leçon. J'y retrouve d'autres passagers que je salue en attendant nos professeurs. Il y a des couples mais aussi des personnes seules comme moi. La moyenne d'âge doit être aux alentours de soixante-cinq ans, je me sens un peu seule pour le coup. Ça n'intéresse donc plus les jeunes d'apprendre la valse anglaise ?

Un groupe de trois hommes en smoking blanc et nœud papillon rose entre dans la grande salle de bal et nous rejoint sur la piste de danse.

- Je vous remercie d'être venus pour la leçon, nous dit le plus vieux d'entre eux.

Au beau milieu de ce groupe de trois mousquetaires se tient un visage froid familier. Ce n'est pas possible, je vais le croiser partout ?! Que fait-il là apprêté dans ce costume blanc ? Peu importe, cela tombe à point nommé, nous allons pouvoir avoir une véritable discussion sur ce qu'il s'est passé. Après ça il ne me verra plus comme un danger public.

- Avant de commencer nous nous présentons. Je m'appelle Charles, je suis ce que l'on appelle un gentlemen dance hosts tout comme James et Apollon ici présents. Notre rôle est de vous donner des cours de danse ainsi que d'accompagner les femmes seules lors des soirées dansantes. Laisser une lady sans cavalier pour danser est impensable sur ce navire.

Alors comme ça il s'appelle Apollon ? Laissez-moi rire. Je me retiens et garde mon sérieux tant bien que mal pour ne pas me faire remarquer une nouvelle fois. Cependant, c'est une tâche très difficile. Apollon. Franchement, pourquoi ?

- Nous avons besoin de trois volontaires pour montrer les différents pas à effectuer.

Sans hésitation je lève la main. Quoi de mieux pour apprendre que d'être la partenaire d'un des professeurs.

- Merci à vous jeune demoiselle pour votre volontarisme. Apollon sera votre gentlemen aujourd'hui.

En plus d'avoir un maitre en la matière, je me retrouve avec celui que je désirais. Là, face à face, il sera obligé d'accepter mes excuses. Tant que je n'aurais pas eu un : « ce n'est rien, pas besoin de me demander pardon », je continuerai à lui dire que je suis désolée. Savoir que quelqu'un m'en veut m'a toujours dérangée. C'est un peu comme avoir une dette envers une personne, ce n'est jamais plaisant.

C'est donc avec une idée derrière la tête que je le rejoins tandis que Charles et James se trouvent eux aussi une partenaire. En me voyant arriver vers lui, ses yeux deviennent aussi ronds que des billes. Ce semblant d'émotion part aussi vite qu'il venu, son visage retrouve ses traits austères habituels.

De nature joyeuse, j'arrive toujours à remonter le moral des troupes. Mais là face à un individu de la sorte, même mon sourire s'efface peu à peu. Il ne va tout de même pas me gâcher mon cours ! Et certainement pas ma croisière !

- Pourquoi tu n'acceptes pas mes excuses ? Et pourquoi tu es si désagréable avec moi ? Je suis vraiment désolée pour la baffe tu sais.

- Tu ne dois pas regarder tes pieds. Ecoute seulement ce que je te dis et fais-le.

Surprise qu'il ne fasse même pas attention à mes paroles, je m'emporte soudain.

- C'est toi qui va m'écouter oui !

- Ton pied droit doit aller en arrière.

Il se moque de moi ? Faire comme s'il ne m'écoutait pas m'agace au plus haut point. Je m'énerve difficilement en règle générale mais là je sens que je vais bientôt lui sortir autre chose que des excuses. Il ne les mérite même pas en plus ! Je m'acharne à lui forcer mon pardon alors qu'il aurait juste besoin d'un bon « gros con ». Malheureusement ma fichue conscience, me poussant à ne jamais laisser tomber, me l'interdit.

Faisons lui plaisir et dansons. Je suis là pour ça après tout. Peut-être qu'en allant dans son sens il finira par se montrer sympathique et enfin m'avouer qu'il ne me tient pas rigueur pour le petit accident d'hier. 

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Voici enfin le retour d'un des personnages principaux de cette histoire haha !