Lorsque le lendemain elle rentre dans ma pâtisserie avec une tasse de café dans chaque main, je sais qu'elle va m'épuiser.

- Bonjour ! Comment ça va aujourd'hui ? Tiens, je t'ai pris un café BIO.

- Depuis quand on se tutoie ?

- Depuis maintenant ! Aller fait pas ton rabat-joie ! On a le même âge.

- Bon. Comme tu veux. On va dire que cet entretien, c'est juste pour la forme.

- Évidemment ! T'as besoin de moi !

Toute souriante, elle s'installe en face de moi.

- Alors chef ! Tu vas me demander où je travaillais avant ? De quand date ma photo de CV ? Ou bien, si je sais monter des blancs en neige ?

- Si tu pouvais commencer par réduire ton débit de parole, ça m'arrangerait.

- Pffff. On va pas avancer si on continue comme ça.

- Tais-toi le temps que je lise ton CV.

Je sors le précieux formulaire de sa pochette rose bonbon et commence à lire.

- Dit-moi. C'est ton CV ou un texte à trou ?

- Ah ah ah. Je meurs de rire. Serieusement, pas besoin d'un Bac + 7 pour être artiste. Par contre, je n'étais pas au courant que tu avais un humour assez... bancale ?

- Tu as osé écrire : polie, responsable et agréable. Tu manques pas de culot.

- Je te ferai dire, que jamais personne ne m'as refusé l'accès à ses toilettes. Tu es un extraterrestre ?

- C'est pas bientôt fini. Tu dis tellement de bêtises à la seconde que mon cerveau n'arrive pas à toutes enregistrer.

- C'est pas vrai ! Je dis beaucoup de choses qui sont intelligentes !

- Comme quoi ? Non, enfaite je ne veux pas savoir. Tiens ton CV. Maintenant, montre moi tes croquis.

Elle me tend une liasse de feuille que j'analyse une par une. Ses traits de couleurs et de formes différents sont harmonieux et sûrs. Sur la plupart des croquis, ma tartelette est dessinée au centre de la feuille, elle est posé sur une fenêtre. En arrière plan, les paysages varient. Je passe d'une forêt, à un champs suivi d'une cuisine et d'une vitrine.

- Je dois l'avouer, tes croquis sont magnifiques. Tu as réussi à capter les émotions que je voulais transmettre...

- Je suis heureuse que ça te plaise ! Tu as fait ton choix ?

- Pas encore, mais en tous cas, tu es maintenant une employée. Pour ce qui est du salaire je pensais...

- Je ne veux pas être payée.

- Pardon ?

Alors celle-là, je ne l'avais pas vu venir. Une personne qui ne veut pas être rémunéré pour son travail.
Ce serait elle l'extraterrestre, non ?

- Je dessine pour le plaisir. C'est ma passion. Je ne veux pas être payé. Respecte mon choix.

- Je... D'accord.

- En échange, tu dois m'offrir une tartelette et un café bio, sans sucre, dans un emballage recyclable.

- Tu t'es cru chez toi ? Et ça se dit "polie". C'est l'hôpital qui se fout de la charité.

- Alors ? Tu es partant ?

- Ça marche.

- Aller Ruben, serres-moi la pince pour fêter cette nouvelle équipe de choc !

Elle me tends sa main, le sourire aux lèvres. Je la prends et la serre avec force. Son sourire disparaît et laisse place à une grimace.

- Si tu me casses la main, tu vas devoir retrouver une nouvelle artiste. Viens pas pleurer après parce que tu dois repasser des entretiens.

- On t'a déjà dit que tu étais épuisante ?

- Pas vraiment ! Il est 11h45, on se fait un resto patron ?

- Allons-y. Qu'est-ce que j'ai à perdre franchement !

Nous sortons de la pâtisserie et nous éloignons dans les rues bondées de notre chère ville.

A ce moment là, je ne savais pas encore que cette petite boule d'énergie, deviendrait plus tard, ma meilleure amie et confidente.