Première cellule.
C'était un matin d'une banalité exemplaire. Le vent jouait avec les branches des arbres, comme chaque matin. Le soleil éclairait le jardin d'une douce lueur et mettait en avant l'éclat de certaines fleurs, comme chaque matin. Le même décor, tous les jours. Les mêmes actions, les mêmes personnages. Le jeune homme en mourrait intérieurement. Il n'avait qu'à regarder la pendule, pour savoir ce qui se fera, qu'importe l'endroit, à chaque recoin de son petit royaume.
Les premiers jours, il avait trouvé cela amusant. Pouvoir visiter comme bon lui semble toute la ville, puis tout le pays, en un jour... C'était exaltant. Connaître par cœur la journée de chaque grain de poussière était devenu un supplice. Il était enfermé, et ne savait même plus ce qu'il avait fait pour subir un si triste sort.
Ce matin comme les autres, il avait encore moins envie de se lever, de devoir se mouvoir pour se sustenter, devoir subvenir à ses besoins primaires, sans pouvoir satisfaire son envie de nouveauté. Il avait bien essayé d'en créer, mais rien n'y faisait. Jamais. Le changement n'existait plus.
Il tourna le visage vers ce jardin, si beau, mais sans secret à se mettre sous la dent. Il songea à passer sa journée à s'occuper des plantes dans le vide, et à pique-niquer tranquillement au milieu des fleurs. Il se leva, et rejoignit son bureau.
Il se dirigea vers son armoire après avoir écrit un petit billet pour que la cuisinière lui prépare un panier repas. Il l'ouvrit, et soupira en caressant les tissus. Devrait-il s'habiller en bleu ? En vert ? Ou bien en rouge, pour trancher avec l'herbe verte ? Il hésitait. Il hésitait toujours. Il opta finalement pour un ensemble bleu pastel. Il enfila corset, jupe et jupon, avant d'enfiler par dessus sa robe. Il se planta ensuite devant la glace, avec un chapeau dans les mêmes tons que sa tenue du jour, une brosse et une foultitude de pinces et d'élastiques.
Une fois prêt, il fit porter le message à la cuisinière. Il sortit dans le jardin, restant près de la porte des cuisines pour pouvoir récupérer son panier. Il s'assit sur un banc, et se laissa aller à rêver d'un ailleurs. Les yeux perdus dans les nuages, il ne remarqua pas tout de suite le jeune homme s'approchant de lui avec un panier. Ce garçon dût claquer des doigts pour attirer son attention. Il s'excusa d'une courbette, puis tendit la main vers le panier, mais l'autre l'éloigna, et désigna le chemin à la demoiselle de la maison.
Il était surpris, personne n'avait jamais osé faire un seul geste pour rester en sa compagnie. Il se leva tout de même, et s'engagea dans l'allée, laissant l'autre le suivre. Quand il voulu s'arrêter, l'autre lui désigna un chemin qu'il n'avait encore jamais vu. Le chemin était parsemé de pétales rouge sang, et il hésitait fortement à s'engager sur cette route, sur les traces du jeune homme tenant son panier. Il se faisait de plus en plus évident qu'il ne le connaissait pas, ce qui sortait irrémédiablement de l'ordinaire.
Il finit par s'élancer à sa suite, pour éviter de le perdre de vue, lui et la nouveauté qu'il représentait. Cette journée commençait enfin à devenir intéressante. Cette petite route débouchait sur une petite clairière, entourée de buissons. Au centre, il y avait un puits, sur lequel se penchait l'autre jeune homme. Ce dernier se retourna vers lui, et lui expliqua en quelques mots que c'était un puits à vœux. Il ne voyait pas pourquoi ils se trouvaient ici.
« Vous souhaitez du changements, n'est-ce pas, mademoiselle ? répondit l'autre à la question silencieuse du jeune homme en robe, qui hocha de la tête. Voilà votre occasion, ajouta-t-il en désignant le puits. »
Il saisit délicatement la main de la demoiselle, et la fit regarder dans le puits. Elle y vit une traînée blanchâtre, qu'elle identifia ensuite comme étant la Voie-lactée. Elle plongea les yeux dans ceux du jeune homme, et se racla la gorge pour parler, mais l'autre lui mit un doigt devant la bouche, en secouant doucement la tête.
Le jeune homme au panier se recula, et se plaça derrière la demoiselle. Il lui chuchota quelque chose à l'oreille, puis la poussa brutalement dans le puits. Il sourit, en voyant la panique dans les yeux de l'autre. Il en avait marre de devoir recréer chaque jour la même chose, juste pour le bon plaisir de son abruti de roi, qui n'avait pas apprécié que son frère jumeau tente de faire échouer son couronnement. Il comprenait le prisonnier, il aurait sûrement fait la même chose pour empêcher l'accès à ne serait-ce qu'une miette de pouvoir au goujat, mais ce n'était pas ses oignons, tout ça. Lui, son seul rôle, c'est d'effacer les souvenirs de ses prisonniers, et leur créer des cages à leur mesure.
Il s'éloigna, dans un nuage de fumée, tout le paysage disparaissant autour de lui. Il allait enfin pouvoir dormir tout son saoule, ses autres prisonniers étant beaucoup plus facile à enfermer que celui-ci. Il ressentit néanmoins un léger pincement au cœur. Il s'était en quelque sorte habitué à la mémoire d'éléphant de son prisonnier, et à ce paysage immuable.
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