Chapitre I: Danser avec le vent
Hava s'agita, nerveuse. Le vide qui s'étendait sous elle l'effrayait,sans qu'elle ne se l'avoue réellement. La falaise, vertigineuse de verticalité, s'achevait une dizaine de mètres plus bas dans un éboulis de pierres à moitié recouvertes par de la mousse. La forêt recouvrait aussitôt ses droits et au fur et à mesure des années,les arbres poussaient de plus en plus proches de la roche.
La jeune crécerelle hésita encore un court instant. Ses serres se crispèrent puis se détendirent successivement sur le rebord acéré de la corniche où elle se trouvait. Elle se pencha le plus qu'elle put en avant pour essayer de"sentir le vent" comme lui avaient dit ses parents, s'éleva un peu...
... et redescendit aussitôt, un mouvement dans l'angle de son champ de vision lui ayant fait perdre sa concentration. Agacée contre elle même, l'oisillonne s'ébroua dans un bruissement de plumes brunes et fixa son regard sur la ligne d'horizon d'un bleu pâle et brumeux au loin. Elle étendit les ailes, déterminée, et s'envola.
Ses premiers battements d'ailes furent hésitants et maladroits. Une bourrasque de vent faillit la désarçonner, et une seconde la projeta vers la gauche. Elle se redressa in extremis et tenta de coordonner ses mouvements. Une fois à peu près stabilisée à l'horizontale, Hava sentit un courant ébouriffer le plumage de sa colonne vertébrale et leva le bec pour prendre de la hauteur. Elle fut surprise de sa réussite et se retrouva à demi portée par le vent. L'oiselle se sentit alors submergée par une vague de sensations: de l'adrénaline qui fourmillait dans ses veines, une fierté manifeste qui gonflait son coeur, et un tas d'autres sentiments indescriptibles. Elle comprit enfin ce que ses soeurs avaient tenté de lui expliquer maintes et maintes fois: le vol était instinctif.
Habitée par le souvenir de ses ascendants faucons qui, génération après génération, s'étaient élevés dans le ciel d'azur, elle savait.Elle savait dans chaque fibre de son être, reconnaitre un courant descendant, en utiliser un autre pour planer ou faire du sur-place, ou encore un autre pour piquer avant de se rétablir au dernier moment. Le sang de ses ancêtres qui coulait dans ses veines la guidait dans son vol, et la pensée qu'un jour, elle aussi apprendrait à ses futurs enfants,aux enfants de ses enfants, et à toute sa descendance à planer comme elle le faisait là l'emplit de joie. Elle avait enfin le sentiment de servir à quelque chose. Qu'elle laissait une trace,infime soit elle, dans l'Histoire. Grisée, elle ne put retenir un cri de joie ("ki-ki-ki!") qui résonna sur la falaise.
Hava joua un long moment dans le vent. Elle tourbillonnait, piquait pour ensuite remonter en chandelle, enchaînait les tonneaux, rasait la falaise, son corps penché à la verticale, ou effleurait la cime des arbres de ses serres, tel un véritable feu follet. Le vent sifflait et claquait sous ses plumes, et des muscles dont elle n'avait jamais eu conscience la brûlaient. Elle voltigeait pourtant, ignorant la douleur, toute à sa joie. Elle ne décida de rentrer qu'au moment où elle sentit que tout son corps allait lâcher. Elle fut surprise de la facilité presque déconcertante avec laquelle elle s'orienta vers le petit point qu'était devenu la caverne qui servait de nid à sa famille. Lorsque qu'elle se posa - s'écrasa serait plus juste,puisqu'elle ne maitrisait manifestement pas encore les délicatesses de l'atterrissage - sur la pierre fraîche, elle ne put s'empêcher de se retourner vers le ciel limpide, avec dans le coeur la fabuleuse impression d'avoir gagné un pari contre son soi pessimiste qui lui susurrait dans d'affreux cauchemars que jamais, elle ne volerait.
Elle avait réussi. Elle avait dansé avec le vent.
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