Nestor nous conduisit dans le salon où se trouvait mon grand-père. C'était une pièce chaleureuse et accueillante. Des fauteuils moelleux étaient disposés autour d'une cheminée, bien évidemment éteinte en cette saison. Sur les murs, des étagères étaient remplies de livres et des tapis recouvraient le sol de pierre froide. Quelques fenêtres laissaient filtrer la lumière extérieure.

Un vieil homme était assis sur l'un des fauteuils et semblait plongé dans ses pensées. En nous entendant arriver, il redressa la tête et un sourire éclaira son visage ridé :

« Oh Claire, ma chère fille ! Je suis si content de te revoir ! »

Il se leva et s'approcha de ma mère pour la prendre dans ses bras. Après une longue étreinte, ils s'éloignèrent l'un de l'autre et je vis que ma mère avait les larmes aux yeux. Elle s'exclama :

« Cela fait tellement longtemps que je ne t'aie pas vu papa. Je n'arrive pas à croire que tu aies pu me laisser autant de temps sans nouvelles. Je me suis tellement inquiétée pour toi. Tu aurais pu au moins faire l'effort de répondre à une de mes lettres ! J'en suis venue à me demander si tu étais encore vivant. Est-ce que, à un seul moment, tu t'es soucié de ce que je devenais ou de ce que je pouvais m'imaginer face à ton silence ?

- Assieds-toi Claire, je pense que je te dois des explications. Tout d'abord, je voudrais m'excuser de t'avoir fait souffrir. Avec le recul, je réalise à quel point je me suis comporté de manière égoïste. À la mort d'Anastasia, j'ai eu l'impression que le monde s'était écroulé autour de moi. Je ne souhaitais qu'une seule chose, l'avoir de nouveau à mes côtés, pouvoir lui parler. Sans elle, la vie me semblait insipide, dépourvue de tout intérêt. Alors, je me suis réfugié dans cette maison isolée du monde extérieur et je me suis laissé submerger par mes souvenirs pour tenter de la faire revenir. Heureusement, j'ai fini par me rendre compte que mes efforts étaient vain et que j'étais en train de faire du mal aux personnes que j'aime et qui sont encore de ce monde. J'ai donc décidé d'arrêter de pourchasser des fantômes et de consacrer le temps qu'il me reste à réparer mes erreurs. C'est pour cette raison que je t'aie invitée ici avec Eurydice. Je voulais m'excuser pour mon comportement et essayer de rattraper le temps perdu, le temps passé loin de ma famille. Bien sûr, je comprendrais parfaitement que tu m'en veuilles encore et que tu refuses de me pardonner. »

Au fur et à mesure qu'Albert parlait, ma mère semblait avoir de plus en plus de mal à contenir son chagrin. Lorsqu'il eut fini de s'expliquer, elle éclata en sanglots. En la voyant ainsi, un sentiment d'impuissance m'envahit. En temps normal, ma mère ne montrait que très peu ses émotions, surtout en public. Elle essayait toujours d'être forte même si ce n'était qu'une apparence. La voir pleurer ainsi me fit réaliser à quel point cette situation pouvait la troubler et je ne savais pas comment réagir.

Finalement, je m'assis à côté d'elle et la prit dans mes bras pour la consoler. Elle paraissait si fragile... Depuis que je suis toute petite, je m'étais toujours tournée vers ma mère lorsque je me sentais triste et que j'avais besoin de réconfort. Mais elle, à qui pouvait-elle s'adresser lors de ces moments de tristesse ou de doute ? Elle ne devait compter que sur elle-même et je n'avais encore jamais réalisé à quel point elle avait dû faire preuve de courage pour traverser toutes les épreuves que la vie avait mis en travers de son chemin. En cet instant, je sentis qu'il était à mon tour de prendre soin d'elle et de la réconforter, comme elle avait pu le faire avec moi par le passé.

Au bout d'un moment, ma mère s'éclaircit la gorge puis dit :

« Écoute papa, je comprend qu'il a été difficile pour toi de surmonter un pareil chagrin. La perte de maman a été également très dure pour moi. Cependant, je ne me sens pas encore prête à te pardonner. Tu as disparu de ma vie au moment où j'avais le plus besoin de ton soutien et je ne peux pas m'empêcher de t'en vouloir pour ça. Néanmoins, je pense que ces vacances sont une bonne occasion de se retrouver et de renouer des liens.

- Et bien, je suis ravi que cette idée te plaise. C'est un honneur de pouvoir vous accueillir dans cette maison. »

Ma mère sécha ses larmes et Nestor, qui jusque-là était resté en retrait, intervint :

« Peut-être souhaitez-vous que je vous apporte du thé et des petits gâteaux pour que vous puissiez vous restaurer après ce long voyage.

- Avec plaisir » répondit Claire.

Tandis que Nestor s'éclipsait en direction de la cuisine, Albert se tourna vers moi et s'exclama :

« Je suis tellement content de te revoir après tout ce temps Eurydice ! Il est vrai que je ne me suis pas comporté comme le meilleur des grand-pères mais je ferais de mon mieux pour me rattraper. »

« Pas le meilleur des grand-pères... On peut dire ça en effet ! » pensais-je. Je me contentai d'acquiescer car je n'avais aucune envie de discuter avec cet homme qui nous avait abandonnées ma mère et moi. S'il croyait pouvoir se rattraper avec quelques mots gentils, il se trompait.

Après avoir bu le thé et mangé les biscuits apportés par Nestor, ce dernier nous proposa de venir avec lui afin qu'il puisse nous montrer nos chambres.