4_ Douce liberté
Elle marchait le plus vite qu'elle le pouvait, comme si le contact du moindre rayon de soleil pouvait la faire disparaitre. Il était vrai que les derniers clients du bar croisaient souvent la route des travailleurs le matin lorsqu'ils se décidaient enfin à quitter l'ambiance étouffante de l'établissement qui souvent remplaçait le silence d'une maison où d'un appartement vide. L'appartement de Lucie était également vide, mais elle le préférait comme ça. Vide et petit. Il était silencieux aussi. Mais à cette heure ci c'est la rue que parcourait la jeune femme qui devrait être silencieuse pourtant un autre bruit se rajoutais à celui de ses habituels talons. Quelqu'un marchait derrière elle. Lucie détestait croiser des gens lors des rares trajets qu'elle effectuait en dehors de chez elle, elle avait sans cesse le sentiment de ressentir leurs regards juger son corps salit qui devait la suivre dans chacun de ses déplacements. Même son ombre était salie, pourtant son ombre n'était pas la seule à marcher derrière elle ce soir là. Elle entendait les pas qui la suivaient, mais la peur l'empêchait de se retourner. Elle ne cessait d'accélérer et fixa son attention sur son trajet pour ne pas trébucher. Ne pas flancher. Rester droite. Rester digne malgré le déshonneur.
Son immeuble se dessina enfin devant elle et elle ne tarda pas à entrer dans le hall. Lucie attendit quelques secondes en retenant son souffle, personne ne venait. Ce devait être un hasard, cette personne devait empreinter la même route qu'elle. Oui, un simple hasard. Elle était sûrement sortie du travail un peu plus tard que d'habitude, c'était sûrement pour cela qu'elle ne l'avait jamais croisé auparavant. Elle s'autorisa de nouveau à respirer puis appela l'ascenseur. La fatigue de la soirée s'ajoutant à la marche du retour dans l'ambiance glaciale de la rue, elle était épuisée. Elle ne se sentait plus capable de monter les six étages qui menaient à son appartement. Dans la cabine elle se colla à la paroi et resserra encore plus son manteau autour de son corps frigorifié comme pour cacher sa tenue bien légère pour la saison. Elle craignait de croiser un voisin partant pour son travail alors qu'elle montait se coucher.
La porte de son appartement claqua derrière elle, elle souffla. Enfin. Elle ôta une dernière fois cette robe qui la serrait beaucoup trop et enleva ses talons bruyants. De nouveau nue elle entra une nouvelle fois dans la douche, sous un jet d'eau froide cette fois-ci. Elle anesthésiait sa peau pour ne plus sentir ces mains intrusives qui ne cessaient jamais d'explorer son corps, même quand elle était seule. Elle en sortit rapidement et enfila la tenue qui lui semblait être la plus confortable qu'on puisse trouver. La tenue de la délivrance. Enfin le poids qui enchaînait sa poitrine se délia et la laissa respirer normalement. Lucie ouvrit son frigo et en sortit son repas qui fut rapidement avalé. Enfin était venu le temps de la meilleure compensation à cette triste soirée. Elle aurait pu savourer cela sur le chemin du retour voir en mangeant son repas mais elle aimait attendre le plus longtemps possible pour ressentir la joie que lui procurait la première bouffée et continuer à se persuader qu'elle n'y était pas encore totalement accro. Elle ouvrit sa fenêtre et s'y accouda, elle refusait d'embaumer son appartement avec ça. Sa cigarette entre les doigts Lucie contemplait la rue qui s'éveillait enfin de son long sommeil. Sa première bouffée fut la plus longue. Elle garde quelques secondes la fumée dans sa bouche avant de l'envoyer dans ses poumons, puis comme pour expulser les démons de la nuit, elle chassa toute la fumée retenue en elle. Puis, exténuée, elle ferma la fenêtre et se glissa dans ses draps. Elle pu enfin s'endormir dans le seul lit dans lequel elle se sentait en sécurité.
Lorsqu'elle quitta la douceur de son sommeil il faisait encore jour mais le soleil n'allait pas tarder à se coucher, ce soir encore il lui faudrait recommencer. Elle chassa cette pensée et alla de nouveau s'accouder à sa fenêtre, d'abord avec un café et un cookie, puis avec une cigarette. Elle contemplait l'agitation de la rue, d'où elle était personne ne la voyait puisqu'ils gardaient tous les yeux rivés sur leurs chaussures. Elle aimait regarder ces minuscules bonhommes s'agiter dans tous les sens et marcher vite pour éviter le froid qui les glaçait. Plus tard dans la soirée ce sera encore plus poignant. Elle riait presque du spectacle de cette fourmilière qui se déroulait sous ses yeux, mais peut-être qu'un de ces hommes qui s'agitait ici bas serai dans ses bras quelques heures plus tard. Pour chasser cette pensée et détourna les yeux et observa plus bas dans la rue. Là elle croisa un regard. Assis sur un banc dans la rue un homme la regardait fixement. Elle se figea et ferma violement la fenêtre avant de s'accroupir sur le sol. C'était la première fois qu'elle surprenait ce genre de regards sur elle en dehors de ses horaires de travail. Il fallait dire qu'elle sortait peu en journée. Pendant que le monde s'affolait elle dormait mais pendant que le monde dormait elle travaillait.
La musique avait repris son battement incessant et les clients avaient de nouveau investi les lieux. Derrière la porte des vestiaires Lucie se concentrait. Ce soir la tâche serait encore plus rude que la veille. Elle ne pourra pas se contenter d'attirer les clients en pleine consommation, mais elle devrait danser sur la scène instable au fond de la salle. Elle détestait exposer son corps de la sorte aux regards affamés des clients présents. Elle ouvrit la porte et entra dans la salle. Il était encore tôt, tous les clients n'étaient pas encore arrivés, la majorité venaient ici sur les coups d'une heure du matin, lorsque la solitude devenait trop pesante. Ceux déjà présents à cette heure-ci étaient des habitués des lieux. Pourtant assis sur un siège un client l'attendait. Sans la lâcher une seule fois des yeux il suivait ses moindres déplacements et il fut surpris de la voir cette fois-ci se diriger vers le fond de la salle. Son regard s'était accroché à elle dès qu'elle était sortie des vestiaires, il ne pouvait pas la perdre de vue maintenant alors que la salle n'était même pas encore pleine. Alors lentement il se leva.
L'oiseau de nuit allait rencontrer ces yeux qui la regardent.
L'oiseau de nuit allait rencontrer ces pas qui la suivent.
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