10_ L'écriture ne va pas à tout le monde
Lorsque Lydia sortit du bureau du patron, Lucie se cru presque dans un film. Elle serait ses mains autour de son cou comme pour le protéger de nouvelles approches d'une douceur agressive. Lucie devinait son regard comme étant plus dur que jamais bien qu'il ne demeure fuyant et rivé au sol, presque honteux de ces accomplissements qui faisaient pourtant parti de son quotidien. Les larmes semblaient se presser au bord de ses yeux lorsqu'elle adressa la parole à Lucie après les quelques minutes de calmes qu'il lui fallut pour récupérer un minimum de cette expérience quelques peu traumatisante.
— Je ne l'ai pas Lucie, il a refusé de me la donner, il n'a pas voulu, il a profité de moi, ce fut sur ces derniers mots qu'elle fondit en larmes.
Voir la grande métisse qui lui servait de repère dans le monde obscure qui l'enveloppait désormais entièrement fut très bouleversant pour Lucie. Ce fut la première fois qu'elle la prit dans ses bras.
— Un salaud Lydia, cet homme est un salaud. Tu m'entends ? Cet homme est un sacré salopard, tu n'aurais jamais dû avoir à sacrifier ta vie et ton corps à de simples inconnus pour satisfaire ses désirs.
L'étreinte se poursuivi dans le silence, juste devant la porte de nouveau close du bureau du principal concerné. Vous y verrez peut-être une prostituée encourageant une autre à poursuivre sa vie, moi j'y vois deux femmes, ensembles et fortes. Durant cette étreinte et dans le maigre espoir de réconforter un minimum celle qui avait beaucoup donné dans cette quête, Lucie glissa la clé dans la main de Lydia. Ses larmes redoublèrent mais un peu de soulagement illuminait désormais son regard. Elle avait fait cela pour rien mais elles parviendraient tout de même à avancer dans cette enquête.
La matinée commençait à avancer et les deux jeunes femmes étaient presque certaines d'êtres seuls dans les locaux. Le patron avait fini par partir et Lucie, sous prétexte d'une réparation sur la scène branlante qu'elle souhaitait accomplir elle-même, avait obtenu le double des clés accompagnées d'un sourire malsain. Lydia avait séché ses larmes bien qu'elle ne demeure un peu plus brisée qu'avant par cet outrage gratuit. Elles se glissèrent silencieusement derrière le bar comme terrifiée par l'idée de se faire surprendre bien qu'elles fussent seules depuis bientôt une demi-heure. Elles se glissèrent entre les cartons de bouteilles vides et les autres déchets qui s'entassaient bien à l'abri du regard des clients et atteignirent le petit bureau collé à celui-ci qui contenait normalement le précieux sésame. Le bureau était plutôt bancal et maintenant qu'elle y pensait, Lucie aurait pu tout simplement arracher le tiroir mais ça aurait été moins discret. Cette partie de l'établissement était, comme tout le reste, construite de petits objets récoltés à moindre coût reliés entre eux pour former l'ensemble de cette structure branlante qui semblait si fragile face aux aléas de la vie et au coup de vent de l'économie mais qui parvenait à ronger lentement plus d'une fille. Lydia glissa la clé dans la serrure, la tourna et ouvrit péniblement le tiroir avant d'en tirer, presque aussi émue que Lucie, le fameux registre. Lucie l'ouvrit avec hâte à la page du dimanche. Le dimanche était un jour de forte fréquentation, elle eu bien du mal à retrouver son nom écrite de la petite écriture serrée et tremblotante de l'hôtesse d'accueil. À en juger la détérioration de l'écriture et l'alignement assez rudimentaire des noms, il devait être assez tard et elle ne devait plus être très sobre lorsque l'homme, Marc Lancel de son nom, s'était présenté. Il semblait vouloir être sûr de l'y trouver.
Elles rangèrent le registre, refermèrent le tiroir, éteignirent les lumières bientôt inutiles puisque le jour semblait sur le point de montrer le bout de son nez puis allèrent chercher leurs manteaux, fermèrent le bar grâce à la clé qu'elles glissèrent par la suite dans la boîte aux lettres, le tout dans un silence presque religieux.
— Avant de partir Lucie, juste une chose, déclara Lydia, brisant ainsi le lourd silence qui les entourait, promet moi de porter plainte.
Lucie baissa les yeux vers la poche contenant le précieux bout de papier sur lequel était écris le nom tant recherché en acquiesça en guise de silencieuse promesse. Mais lorsque notre âme et notre corps sombrent noyés par un flot ininterrompu d'agression divers, a-t-on encore à gagner en tenant nos promesses ?
Bien enroulée dans sa couette et en laissant pénétrer cette douce chaleur dans son corps, Lucie céda à la curiosité et posa son ordinateur sur ses genoux. La page Google s'ouvrit devant elle, d'un blanc aveuglant affublé de ces lettres multicolores presque enfantines. Elle rentra le nom qu'elle ne quittait des yeux, elle voulait savoir à qui elle avait affaire. Marc Lancel. Google la fit patienter quelques secondes avant de lui afficher un tonneau plein de résultats. Elle passa d'abord voir les profils Facebook du même nom, mais aucune photo ne correspondait au visage dessiné qui traînait encore sur la table. Seuls deux pouvaient être lui, ils indiquaient tous les deux vivre à Paris mais ne possédaient pas de photos de profil. Lucie ne possédait pas de compte Facebook, elle avait toujours craint qu'un client ne la retrouve. Elle abandonna donc les recherches de ce côté-ci et continua à explorer les résultats qui lui avaient été apportés par Google. Plus bas elle tomba sur un psychothérapeute basé sur Bordeaux qui, selon sa photo, semblait avoir au bas mot la soixantaine, il semblait évident qu'il ne s'agissait pas de lui.
Ce fut l'onglet du dessous qui lui apporta la réponse qu'elle cherchait. La photo était presque identique à son dessin et il s'agissait d'une biographie d'auteur qui indiquait un « auteur de livres pour enfants de un à cinq ans ». Plus bas, après avoir vu les couvertures de « Joël le Troll » et « Sylvestre chez les gnomes », Lucie découvrit les avis et commentaires qui présentaient Marc comme un « auteur raté » voir « pourri » qui devait « sérieusement envisager une reconversion » puisque « l'âge du lectorat visé ne faisait pas du jeune enfant une personne moins sensible à l'art de formuler une phrase ». Certains faisaient même allusion à « des fautes de grammaire inacceptables » et jugeaient que la maison d'édition ne devait « pas avoir peur de se ruiner en publiant un tel torchon » et se demandaient « comment avait-il fait pour passer à travers le redoutable filet du monde de l'édition ». Plus loin cela se gâtait pour le jeune homme qui était accusé d'avoir volé certains des dessins illustrant ses textes, sachant que ses dessins personnels s'apparenteraient plus à des œuvres abstraites.
Lucie en avait assez vu pour se soir, elle éteignit son ordinateur et se coucha, ravie de savoir à qui elle avait affaire.
L'oiseau de nuit cernait désormais celui qui la suivait. L'envelopperait-elle de ses ailes ou le briserait-elle entre des serres ?
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