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Linéa

Il faisait nuit noire lorsqu'Adèle ouvrit les yeux. Comme chaque nuit, elle se leva, le sentant venir. Elle sentait que cette fois, c'était la bonne. Elle était persuadée qu'Aaron était de retour.

Adèle arpentait les couloirs de sa vieille demeure, se déplaçant lentement, comme un fantôme. Depuis le départ de son mari, elle se réveillait chaque nuit dans l'idée de le retrouver.

La jeune mère gardait espoir de voir à nouveau sa famille réunie. Son souhait le plus cher était de préparer le dîner dans la cuisine en observant du coin de l'œil Aaron prendre Linéa dans ses bras après sa journée de cours. Sa fille était si souriante et si studieuse. Avant.

Aujourd'hui, la maison semblait bien vide, Linéa passait ses journées assise sur la chaise de la salle à manger, fixant la porte en attendant le retour de son père, bien décidée à ne pas bouger ni parler avant qu'il ne revienne la prendre dans ses bras.

Adèle attendait chaque nuit que cela arrive avec l'impression que sa présence se faisait de plus en plus forte. Elle avait presque fini de traverser le couloir tapissé d'un bleu élégant et d'un blanc immaculé sur le bas des murs.

Quelque chose retint son attention. Un cadre. Il contenait une photo d'elle enceinte de Linéa dans une robe à pois bleue parfaitement assortie aux murs. Aaron avait une main sur son ventre tandis que l'autre lui tenait l'épaule avec tendresse. Les yeux bleus perçants d'Adèle étaient plongés dans le regard ténébreux d'Aaron.

La comptable décrocha le cadre du mur afin de le contempler quelques instants. Elle sentait déjà les larmes lui monter aux yeux lorsqu'elle remarqua la présence d'un petit papier glissé à l'intérieur du cadre, derrière la photo. Elle sécha ses larmes à l'aide d'un mouchoir en lin qui était toujours dans la poche gauche de son peignoir de chambre d'un blanc éclatant disposé au-dessus de sa nuisette de satin. Adèle déplia le petit papier avec un curieux mélange d'excitation, d'espoir et de peur. C'est finalement la peur qui prit le dessus quand elle lit les lignes que dissimulait le papier. On pouvait y lire l'écriture fine et anguleuse d'Aaron :

«Garde bien cette photo, car tu ne pourras plus voir mon visage autrement. Je ne reviendrai pas.»

L'effroi s'empara d'Adèle et la femme éclata en sanglots tout en se laissant glisser au sol, les genoux ramenés à sa poitrine avec ses bras dont les mains tenaient toujours le cadre décoré de fioritures dorées.

Au fond d'elle, Adèle le savait. Mais la vérité était trop dure à accepter. Alors, elle préférait se bercer d'illusions, le seul moyen pour elle de trouver la force de vivre après tout ce qu'il s'était passé. C'est pourquoi elle se releva d'un bond et se précipita dans le salon où se situait la porte d'entrée. Rien. L'endroit était vide et calme. Aucune trace d'Aaron.

Le salon était décoré assez sobrement, et sur sa droite, se trouvait la salle à manger séparée de la pièce par un petit mur lui arrivant à l'abdomen. Derrière la table où se faisaient tous les repas, se trouvait la cuisine délimitée par un simple buffet sur lequel Adèle déposait les plats qu'Aaron mettait à table. Avant son départ.

Le silence emplissait la maison, ce qui était plutôt normal aux environs de trois heures du matin. Cela rendait l'atmosphère oppressante et en voyant Linéa toujours assise sur la chaise de la salle à manger, Adèle décida d'aller se rassurer auprès d'elle.

— Tout vas bien, ma chérie ? Tu n'arrives pas à te changer les idées, n'est-ce pas ? Il faut que tu dormes Linéa. Tu ne voudrais tout de même pas être trop fatiguée pour fêter le retour de papa quand il reviendra à la maison ? Je retourne au lit et tu ferais bien de suivre mon exemple, jeune fille.

Adèle savait que Linéa ne l'écouterait pas, mais il était de son devoir de mère de lui prodiguer ce genre de conseils. La jeune femme prit son temps pour regagner sa chambre. En traversant le couloir, elle vit le cadre resté au sol avec le petit papier à côté. Elle hésitait. Remettre le mot d'Aaron à l'intérieur du cadre où elle l'avait trouvé et préserver ce qu'il lui restait de l'homme de sa vie ? Ou le garder avec elle cette nuit jusqu'à ce que la rage ne le détruise ? Adèle choisit finalement de le replacer à l'arrière de la photo.

Les mots d'Aaron tournaient en boucle dans sa tête. Je ne reviendrai pas. Les larmes s'écoulaient le long de ses joues par torrents. La femme ne supportait plus de vivre sans lui.

Le pire, c'est que c'était de sa faute.

Aaron et elle s'étaient disputés la veille du départ de celui-ci. On sentait qu'il gardait ses sentiments pour lui depuis trop longtemps. Il ne l'aimait pas. Adèle le savait. Il l'avait épousée parce qu'elle attendait son enfant. C'était tout. Mais il ne l'aimait pas. Ce n'était pas la femme de sa vie. Le mariage rendait Aaron malheureux. Sa morale l'avait forcé à s'engager auprès d'une femme qui portait son enfant en elle.

À l'époque des fiançailles, il était encore jeune, naïf et il avait cru pouvoir aimer Adèle. Mais cette dernière était trop stricte, trop sérieuse, elle ne riait jamais. Il ne pouvait pas être heureux avec elle. Mais il ne pouvait pas la quitter.

Il avait pris sur lui pendant des années, élevé sa fille avec amour, respecté sa femme. Cependant, il avait fini par craquer. On ne peut pas supporter un poids trop longtemps, aussi infime soit il.

Aaron en avait parlé à Adèle. Il lui avait dit qu'elle ne pensait qu'au travail, qu'à bien faire et qu'elle devait aussi penser à elle et à s'amuser. Mais la jeune femme ne l'avait pas entendu de cette oreille.

L'éducation que son père lui avait prodiguée était encore profondément ancrée en elle et le bonheur lui faisait peur. Elle se sentait obligée de rester sérieuse en toute circonstance. C'était la punition que Dieu lui avait infligée.

Ils avaient élevé le ton. Aaron lui avait dit qu'elle était tarée et qu'elle commençait à déteindre sur lui et sur Linéa. La situation était apparemment devenue invivable et il devait partir loin d'elle. Adèle n'avait rien voulu entendre. Et il était parti en pleine nuit, comme pour fuir un cauchemar.

Au début, Adèle avait rejeté la faute sur Linéa. Sans elle, son père ne l'aurait pas réprimandée et chassée de chez elle, et Aaron n'aurait eu aucune raison de lui en vouloir. Ils auraient été heureux en menant tous les deux des vies séparées. La mère s'en voulait d'avoir accusé Linéa à tort. Adèle était l'unique responsable et sa fille n'en pouvait rien. Peut-être était-elle elle-même la cause du mutisme soudain de Linéa ? Peut-être l'avait-elle convaincu de sa culpabilité dans le départ de son père ? À ses pensées, le corps entier d'Adèle eut la chair de poule. Linéa était tout ce qu'il lui restait, tout ce qu'elle avait. Elle l'aimait plus que tout et jamais elle ne se pardonnerait de lui avoir fait du mal. Sur cette touche d'amertume et avec la désolation qu'Aaron ne soit toujours pas rentré, elle retourna se coucher.

Le lendemain, Adèle ouvrit les yeux avant que son réveil ne sonne. La jeune mère allait se lever lorsque quelque chose attira son regard sur sa table de nuit. La photo d'Aaron. Comme chaque matin. L'image avait été prise le jour de leur mariage. C'était il y a quinze ans de cela, mais Aaron n'avait pas changé, depuis la dernière fois qu'elle l'avait vu.

Le regard bleu glacial d'Adèle se perdit sur les traits de son mari, se promenant sur son beau costume noir de marque, errant sur son nœud papillon, s'échouant dans ses magnifiques cheveux châtains pour finir dans le sourire qui l'avait charmée dès le premier regard. Elle aimait cet homme. Elle s'en voulait de lui avoir donné une raison de partir, il était tout pour elle.

Mais Adèle ne pouvait s'écarter du droit chemin en lui donnant l'attention qu'il méritait. Elle avait peur que son âme ne soit damnée et ne s'autorisait pas les plaisirs simples de la vie comme aller boire un verre pour cette raison. Seulement, ça l'avait éloignée d'Aaron.

Une larme coula le long de sa joue. Adèle n'avait jamais été du genre sentimentale, ça ne correspondait pas à l'éducation qu'on lui avait donnée, mais le départ d'Aaron la bouleversait.

Elle chassa le signe de sa tristesse d'un revers de la main et s'apprêta pour se rendre au travail. Elle prépara deux bols de porridge parsemés de fraises et en apporta un devant sa fille en gardant l'autre pour elle. Les deux femmes mangèrent en silence. Adèle mangea en silence, Linéa refusait de toucher à son bol. L'adolescente se contentait de fixer Adèle de ses yeux aussi pénétrants que ceux de sa mère, le bas du visage toujours enfoui dans le col roulé de son pull blanc.

Adèle ne dit rien cette fois, elle commençait à craquer. Le comportement de Linéa était loin d'être à son goût et elle sentait qu'elle s'énerverait bientôt. Cependant, la comptable ne souhaitait pas brusquer sa fille et se retrouvait face à une impasse. Adèle décida de ne pas s'en préoccuper et s'empressa de se rendre au boulot pour se plonger dans une concentration sans faille et oublier les tourments de sa vie.

Marie n'était pas encore au bureau, à son grand soulagement. La façon dont sa collègue s'immisçait dans sa vie privée lui déplaisait au plus haut point. En s'installant à son bureau, elle remarqua le seul objet personnel qui se trouvait sur son espace de travail : une photo de famille. Il était hors de question que cette petite idiote la regarde et découvre ses malheurs. Elle la prit et la rangea dans son grand sac marron parfaitement rangé. Marie ne tarda pas à arriver.

— Bonjour ! lança-t-elle à Adèle d'un ton enjoué.

Cette dernière la regarda avec dédain sans lui répondre, reprenant aussitôt son travail. Qu'est-ce qu'elle pouvait l'ennuyer celle-là. Marie était la goutte d'eau sur le point de faire déborder le vase de la raison d'Adèle. Marie semait le chaos dans la seule chose dont l'ordre avait réussi à survivre dans la vie de la jeune mère de famille.

Adèle méprisait sa nouvelle collègue, la trouvant trop envahissante, elle n'aimait pas sa façon de s'introduire dans sa vie. Marie, de son côté, était définitivement persuadée que quelque chose ne tournait pas rond chez sa collègue, elle dissimulait clairement un lourd secret qu'elle peinait à garder.

Marie attendit la fin de la journée pour réfléchir à une solution afin d'en avoir le cœur net et d'aider Adèle. En dînant, (toujours la même chose, elle devait attendre la fin du mois pour recevoir sa paye), elle décida simplement de se rendre chez Adèle pour discuter avec elle.

Mais un facteur inattendu vint contrecarrer ses plans : elle avait beau sonner, pas de réponse. La maison semblait déserte. Dans la longue attente qui suivit dans l'espoir qu'Adèle finisse par arriver, Marie eut tout le temps d'observer la façade. Une petite plaque indiquait le nom des occupants de la bâtisse :

« Aaron Dago
  Adèle Dago
     Linéa Dago »

Marie ignorait que sa collègue était mariée, Adèle devait probablement porter une alliance, mais elle ne prêtait pas attention à ce genre de détail. La curiosité avait toujours été le plus grand défaut de Marie et cette dernière ne put s'empêcher de rechercher le profil d'Aaron Dago sur le net.

Elle découvrit qu'il était le fils de parents fortunés et qu'il avait une seconde résidence. Marie se dit qu'elle avait probablement plus de chance de trouver sa collègue en essayant cette habitation, d'autant plus que le week-end commençait. Elle avait déjà cherché le profil d'Adèle auparavant, mais celle-ci ne semblait pas être sur les réseaux sociaux.

Marie se rendit donc jusqu'au village d'où Aaron avait publié une photo de la fameuse maison. Comme elle n'avait pas d'adresse précise, elle frappa à une maison au hasard en espérant que son habitant pourrait lui en apprendre davantage. La porte s'ouvrit et une vieille femme petite et trapue arborant un chandail de laine rouge apparut.

— Bonjour, commença Marie avec un grand sourire. Je cherche Aaron Dago, pouvez-vous me...

La femme se signa avant de lui refermer la porte au nez. Marie resta perplexe quelques instants, puis se dit qu'elle était juste tombée sur une vieille folle. Pas si étonnant dans un petit village de campagne. Elle décida de retenter sa chance quelques maisons plus loin.

Une petite fermette en pierres retint son attention. Cette fois, c'est un homme qui lui ouvrit, il devait avoir la soixantaine, était chauve, portait des bottes en caoutchouc et une paire de lunettes pendait à son cou. Marie réitéra sa demande.

— Qu'est-ce que vous lui voulez à c'pauvre Aaron ?

— Je suis une collègue de sa femme et elle n'est visiblement pas chez elle, alors j'ai tenté ma chance de ce côté. Elle doit être avec son mari, vous ne croyez pas ?

— Cherchez pas, c'est pas la peine. Aaron sera pas là, pour sûr.

— Je vous demande pardon ?

— Il est mort. Suicide. Pendu, compléta l'homme en mimant le geste d'une corde l'étranglant.


Marie ne répondit pas tout de suite, interloquée par cette réponse inattendue. Elle était choquée. Ensuite, tout s'emboîta dans son esprit et la jeune femme comprit pourquoi Adèle était aussi froide et distante. Elle se demanda même comment sa collègue faisait pour tenir le coup et une flopée d'autres questions surgirent dans sa tête. Marie se rendit compte que sa bouche était ouverte et s'empressa de reprendre un air sérieux.

Un long silence s'ensuivit avant qu'elle ne réinterroge l'homme timidement.

— Mais depuis... depuis combien de temps ?

Sa voix s'était évanouie. Marie possédait une grande empathie et avait eu la chance de ne jamais se retrouver face à une telle situation. Sa gorge était serrée et elle tremblait de tout son corps. Elle avait toujours vu le suicide comme un acte abominable en ayant reçu une éducation catholique. Et même en ayant perdu la Foi avec le temps, elle conserva cette opinion pour une toute autre raison. Marie avait l'intime conviction que ce n'était pas une fin, que l'on ne pouvait pas partir volontairement sans avoir compris et connu les merveilles de la vie, toutes ces petites choses du quotidien qui constituent le fruit de la quête de chaque homme : le bonheur. Mourir en étant dégoûté de l'humanité et de l'existence, mourir triste et seul, s'ôter la vie par détresse, voilà ce que Marie trouvait d'abominable dans le suicide.

— Ho, je ne saurais plus vous dire ma p'tite dame, répondit le paysan. Ça fait quelques mois, tout l'monde a tourné la page.

Une tension se forma dans le ventre de Marie. Elle avait envie de vomir. La situation la mettait mal à l'aise et ses yeux devenaient peu à peu rouges d'humidité. Sa tête faisait tourner le paysage rural qui l'entourait. Tout devenait sourd autour d'elle comme pour lui donner un court instant de répit. Puis, tout se fit plus intense, plus bruyant et ses jambes manquèrent de se dérober sous elle quand une pensée la ramena brusquement dans l'instant présent : Adèle.

— Par contre, personne n'a jamais vu sa femme, poursuivit l'homme. C'est ce qui entretient encore les commérages des femmes. Les mauvaises langues racontent que c'est une sorcière heureuse de l'héritage. Vous voyez, Aaron était pas pauvre m'dame. Il a hérité de la fortune de ses parents. Vous en faites pas pour vot'e collègue. Si personne ne la vue, c'est qu'elle s'est acheté un château avec le testament. Ça doit être pour ça qu'elle est pas chez elle.

Mais Marie n'écouta pas. Ce n'était pas le genre d'Adèle. Même si elle ne la connaissait pas vraiment, elle sentait que la comptable était en détresse. Il fallait que la jeune femme la retrouve au plus vite de peur qu'elle ne suive les traces de son défunt époux.

— Pouvez-vous quand même m'indiquer la direction de la résidence d'Aaron ?

L'adrénaline l'avait revigoré, elle agissait maintenant avec l'urgence et l'énergie du désespoir.

— Continuez de descendre la rue et c'est la plus grande maison que vous verrez.

Elle s'empressa de descendre la rue sans même remercier l'homme qui resta consterné par l'attitude des citadins. Marie dévalait les pavés à toute vitesse, entendant les battements de son cœur à une allure qu'elle n'aurait jamais cru possible d'entendre, le bruit momentanément couvert par le beuglement des vaches.
Soudain, elle fonça dans quelque chose. Marie tenta de se rattraper, mais son corps vacillait déjà dangereusement vers l'arrière. La jeune femme tentait de garder l'équilibre quand une douleur lui foudroya la cheville. Elle s'effondra en poussant un gémissement de douleur.

Quand elle releva la tête, elle vit un jeune homme plutôt beau qui arborait une salopette en jean lui allant plutôt bien. Il se tenait juste derrière une brouette de foin renversée.

— Eh ! Vous pourriez faire attention !

— Je... Désolée !

Elle tenta de se relever précipitamment, mais sa cheville refusa de soutenir son poids et la renvoya directement au sol dans un cri de douleur. Le jeune fermier semblait éprouver de la compassion pour elle et s'apprêtait à l'aider à se relever. Après tout, il la trouvait jolie. Mais Marie rampa jusqu'à la brouette et s'appuya dessus avant de ne reprendre sa course folle en boitant. Malgré la douleur lancinante, elle tenait bon pour sa collègue.

Elle déboucha sur un carrefour à la fin de la rue. Marie ne savait pas quelle direction choisir. Le stress montait en intensité. Elle observa ce qui l'entourait et aperçu une grande maison — un manoir — sur une petite colline au bout du chemin de gauche. Elle s'empressa de s'y rendre et tambourina à la porte de toutes ses forces. Aucune réponse. Le sang battait à ses tempes. La jeune femme se retrouvait face à un mur. Heureusement, son père lui avait appris que parfois, il fallait savoir escalader les murs que l'on rencontrait sur notre chemin.

Elle fit le tour de la demeure et remarqua une fenêtre vandalisée au premier étage. Elle grimpa jusqu'à sa hauteur malgré sa cheville blessée et s'introduit dans la maison. Il faisait froid, mais quelque chose de joyeux régnait dans l'endroit. Une bibliothèque était remplie d'ouvrages aux tranches colorées, les murs n'étaient pas vides, couverts de dessins d'enfant et un bureau avec une plume et un encrier garnissaient la pièce. Marie se dit que cet Aaron devait être vieux jeu et sentimental.

Elle se surprit à oublier la raison de son entrée par effraction en contemplant les affaires du défunt. Malgré son inquiétude pour sa collègue, elle sentait que cette dernière renfermait quelque chose de malsain et la curiosité avait toujours été le plus grand défaut de Marie. Aussi, retrouver Adèle ne lui semblait plus si urgent, après tout, elle avait une fille sur qui elle devait veiller. Marie décida de s'accorder une demi-heure pour en apprendre plus sur les raisons du suicide d'Aaron et percer les secrets d'Adèle.

Marie commença par regarder plus attentivement les dessins accrochés au mur. Ils représentaient pour la plupart des bonshommes vulgairement dessinés avec un rond pour la tête et des bâtonnets pour les autres membres. Mais ils étaient nommés. En dessous du grand bonhomme bleu qui revenait souvent, on pouvait lire "papa" et en dessous du petit bonhomme rose avec des cheveux raides "moi".

Marie déduit qu'il s'agissait des dessins de la fille d'Aaron, Linéa. Cependant, elle ne put s'empêcher d'avoir la réflexion qu'Adèle n'était nul part sur ces dessins. Elle émit deux hypothèses : soit Aaron avait une dent contre sa femme, soit Linéa n'aimait pas assez sa maman pour la dessiner. Les deux étaient intéressantes et pouvaient apporter beaucoup de réponses sur le comportement étrange de cette famille dont on ne savait pas grand-chose.

Marie s'approcha du bureau et remarqua un objet qui avait échappé à sa vigilance. Un petit carnet à la reliure de cuire était posé sur le bureau de la même couleur. Elle hésita quelques secondes avant de l'ouvrir. C'était mal de fouiller les affaires d'un mort. Mais elle se dit qu'il s'agissait d'un mal pour un bien et l'ouvrit. Presque toutes les pages étaient datées. C'était une sorte de journal intime où Aaron écrivait ses tourments.

Les premières pages parlaient de sorties et de bêtises, l'auteur devait être très jeune à l'écriture de ces lignes et devait respirer la joie de vivre vu les anecdotes et le ton détaché.

Marie se demanda comment les choses avaient pu se dégrader autant au fil des années. Elle décida alors de se rendre directement au milieu du livre. Elle tomba sur la semaine qui suivit sa rencontre avec Adèle. Elle apprit que ce n'était pas un mariage d'amour mais qu'Aaron pensait pouvoir tomber amoureux de la femme qui portait son enfant. Marie comprit petit à petit qu'elle se trouvait dans ce qui avait été le refuge d'Aaron depuis toujours.

Vers les dernières pages, c'était sa femme qu'il tentait de fuir. Aaron racontait que le sérieux de cette dernière commençait à affecter sa santé mentale, qu'il s'efforçait depuis des années d'aimer Adèle sans y parvenir, s'étant uni à elle par obligation morale de ne pas l'abandonner alors qu'elle portait son enfant.

Il parlait de la haine qu'il avait ressentie envers Linéa avant qu'elle ne laisse place à l'amour inconditionnel d'un père. Il avait aimé sa fille de tout son cœur et craignait pour elle que sa mère ne lui soit néfaste à elle aussi. Il avait parlé de l'envie de l'emmener vivre dans cette maison avec lui et de l'impossibilité de le faire. Il ne voulait pas qu'elle arrête l'école et qu'elle perde ses amis.

Tout ça pour en venir aux dernières pages du carnet, la fin de sa vie et probablement ses derniers mots.

« Je suis encore de retour ici. Je viens de plus en plus souvent, ça me fait du bien de m'éloigner d'Adèle, j'en ai besoin. Mais au fond de moi-même, je me sens coupable. J'ai cette impression d'abandonner Linéa qui ne me quitte pas. Elle a l'air heureuse et bien dans sa peau, seulement, la laisser seule avec sa mère doit être difficile pour elle. Je ne peux pas l'emmener avec moi. Pourtant, elle ne se plaint jamais, c'est vraiment une fille en or. Je suis si fier d'elle, Linéa méritait un autre père. Ma lâcheté m'a toujours dégoûtée. Certes, j'ai voulu prendre la responsabilité de la grossesse d'Adèle, mais je suis incapable d'en assumer les conséquences. J'ai profité de ma richesse pour acheter ce manoir où je viens me réfugier seul. Je quitte ma famille et mon travail par égoïsme quand ça me prend. Je suis incapable d'aimer cette femme avec qui je dois vivre, que je commence à mépriser, en rejetant la faute sur elle, cette pauvre enfant dont j'ai volé la vie et qui a volé la mienne. Linéa n'a rien à voir là-dedans. Je me suis lâchement enfui dans la nuit. C'est une trahison envers ma fille. J'aimerais revenir reprendre mes responsabilités, mais l'idée de reprendre cette vie morne et ennuyeuse m'en empêche. Même Linéa, mon petit rayon de soleil qui a illuminé chaque jour depuis quatorze ans, ne suffit plus. Je n'en ai plus la force. Mais je ne peux pas me terrer ici indéfiniment. Ce n'est pas une vie. "Il vaut mieux brûler vivement que de s'éteindre à petit feu", comme l'a dit une des idoles de ma jeunesse. J'ai mené une vie de lâcheté et je mourrai lâche. Je crois que c'est mieux pour moi comme pour Adèle et Linéa. Aucun de nous ne veut me voir perdre peu à peu goût à la vie. Je me suis disputé avec Adèle avant de m'enfuir. Elle ne se laisse pas vivre. Elle devrait penser à elle plus souvent. C'est quelqu'un de bien et elle méritait mieux que moi. Cela fait trop longtemps que je fuis la réalité, des années. J'en ai parlé à Adèle. Je lui ai dit que cette vie était trop carrée pour moi et que j'avais besoin de plus. Elle l'a mal pris. Si je ne sais pas affronter la vie en face, autant cesser de vivre. Que Linéa me pardonne de ne pas pouvoir l'aimer plus encore pour trouver la force et le courage de rester à ses côtés. Mais papa est lâche»

Le papier était gondolé de larmes ; Marie était incapable de dire si elles appartenaient à Aaron ou si c'étaient les siennes. Elle trouvait ça si triste... Mais la réalité revint bien vite à elle. Marie n'allait pas faire comme Aaron, elle, allait affronter la vérité et tout faire pour aider sa collègue qui redevint soudainement une priorité. La jeune femme sortit de la pièce et s'engouffra dans la première salle venue avec l'espoir de trouver la sortie.

Mais ce n'était pas la bonne porte. Une odeur nauséabonde se dégageait de l'endroit, il y avait des traces brunâtres sur le sol, une corde pendait du plafond et une chaise avait été violemment renversée sur le plancher. Marie ne mit pas longtemps à comprendre qu'il s'agissait du lieu dans lequel Aaron avait mis fin à ses jours. Une bouillie infâme lui remonta à la gorge et elle s'efforça de la ravaler, ne s'autorisant pas à vomir dans un tel endroit, d'autant plus qu'il n'avait pas été nettoyé.

La jeune femme quitta immédiatement la pièce en manquant de trébucher sur sa cheville blessée dans la précipitation. Elle boita quelques secondes et vit enfin l'escalier permettant de rejoindre le rez-de-chaussée. Marie dévala les marches quatre à quatre (en se tenant à la rampe pour se rattraper quand elle devait s'appuyer sur son pied endommagé) et elle courut jusqu'à la porte d'entrée qui s'ouvrit quand elle en tira la clenche.

La comptable se sentit stupide d'avoir escaladé la façade avec sa cheville blessée sans avoir directement essayé d'ouvrir la porte. Mais c'était trop tard et elle n'avait pas le temps de penser à de pareilles imbécillités.

Elle rejoignit sa voiture garée à l'entrée du village le plus vite possible et fonça jusqu'à la maison d'Adèle. Si la porte était restée fermée quelques heures plus tôt, elle avait toutes les raisons de le rester après la nouvelle tentative que Marie s'apprêtait à effectuer, mais son instinct lui disait d'y aller. Un mauvais pressentiment l'envahit, elle l'ignora. Marie n'alluma pas la radio, se contentant de rouler en chassant en vain les scénarios qui se formaient dans son esprit vif et apeuré.

Sa cheville la faisait souffrir, mais elle préféra ne pas y penser. Le chemin semblait durer une éternité pour la jeune femme dont tous les sens se mirent en éveil à l'approche de la maison. Elle ne prit pas la peine de trouver une place de parking et se gara directement devant la maison malgré l'interdiction de le faire et sortit d'un bond en réprimant un cri de douleur quand sa jambe douloureuse atteint le sol.

Marie avait retenu la leçon de son intrusion chez Aaron et tenta d'ouvrir la porte. Elle ne prit pas la peine de sonner, sachant d'avance qu'elle ne recevrait pas de réponse et entra tout de suite. La porte n'était heureusement pas fermée à clef, ce que Marie trouva imprudent.

En pénétrant à l'intérieur, une forte odeur de renfermé et d'une autre chose indéterminée prit les narines de Marie, lui donnant la nausée. Ensuite, elle remarqua que la demeure était décorée avec goût et luxe malgré l'apparence extérieure piteuse.

Un salon aux tons sobres se tenait devant elle avec pour unique fantaisie une plante fanée. Il y avait également une salle à manger à gauche. La jeune femme remarqua que quelqu'un y était assis. La personne ressemblait fortement à Adèle, mais n'avait pas la même coupe de cheveux, pas le même style vestimentaire ni la même posture. Marie pensa immédiatement à Linéa et décida de ne pas la déranger pour aller chercher sa mère.

Marie avançait dans la maison au petit bonheur la chance, se promenant dans le couloir de droite. Le bas du mur était blanc et le haut bleu foncé. Il n'y avait rien d'autre qu'un cadre doré auquel la jeune femme au teint halé n'accorda pas même un regard, emprise au stress et dans la plus grande appréhension de découvrir Adèle. Sans qu'elle ne le remarque, son doigt entortillait une mèche de cheveux depuis son entrée dans la maison.

Marie ouvrait toutes les portes qu'elle croisait, tombant sur salles de bain, toilettes, bureaux et chambres, mais jamais sur sa collègue jusqu'à la dernière pièce de la maison. Marie vit Adèle assise sur son lit, la tête baissée. Elle ne voulait pas lui faire peur et encore moins la déranger. La métisse ne se fit pas remarquer tout de suite et s'approcha d'elle lentement.

Adèle observait une photo de ses yeux bleus perçants. Marie était soulagée de voir qu'elle allait bien, mais déchanta rapidement en remarquant les larmes qui glissaient le long de ses joues en s'échouant sur la photo qu'elle tenait. Marie remarqua sa présence sur la photo ainsi que celle d'un homme qui devait être Aaron. Elle comprit que c'était une photo de leur mariage et qu'Adèle n'était pas aussi insensible à l'amour qu'elle le croyait.

Marie eut le réflexe de poser une main sur l'épaule de sa collègue afin de la rassurer. Cette dernière frissonna et releva la tête, le regard rempli d'espoir. Puis de déception. Marie se rendit alors compte qu'elle était incapable de lui expliquer ce qu'elle faisait là, comment elle était entrée et pourquoi elle connaissait tout ça ni de quelle manière elle avait obtenu ces informations.

— J'ai perdu mon père alors que j'avais encore besoin de lui. Je sais que perdre un proche est difficile. Il faut se rappeler qu'on est entouré.

Marie n'avait rien trouvé de mieux, mais elle s'en sortait bien. Du moins, était-ce ce qu'elle pensait avant qu'Adèle ne lui lance un regard plein d'interrogations. Dans ses yeux perçants, on pouvait lire l'incompréhension la plus totale et une certaine aversion. Jamais elle n'avait émané une aura aussi négative.

— Ça doit être dur d'élever un enfant en étant veuve. Je suis venue vous dire que vous avez tout mon soutien et que je suis là pour vous et Linéa.

Malgré l'étrange réaction d'Adèle, Marie avait décidé de continuer et vit soudain le regard de son interlocutrice changer de l'incompréhension à la rage la plus folle.

— Je ne suis pas veuve ! Arrêtez de fouiller dans ce qui ne vous regarde pas ! Arrêtez ! Je vivais ma vie parfaitement bien avant que vous ne débarquiez tout déranger ! Alors partez ! Quittez votre travail ! Quittez mon travail ! Quittez ma maison ! Quittez ma vie !

Marie s'attendait à tout sauf à ça. Elle se demandait si Adèle pouvait être dans le déni à ce point. Ses yeux étaient fous, déments, malsains. Elle n'était plus saine d'esprit, elle avait perdu la raison. Et le contrôle.

Voyant qu'elle ne réagissait pas, Adèle se leva précipitamment vers Marie d'un pas menaçant, la faisant reculer. La veuve fit ensuite demi-tour pour se diriger vers un tiroir. Était-elle seulement au courant de la mort d'Aaron ? Marie n'eut pas le temps de réfléchir, car déjà Adèle sortit un canif de nulle part en le pointant dans sa direction.

La jeune femme ne comprenait pas ce qu'il se passait, ça allait trop vite. Les yeux écarquillés, la comptable reculait, cherchant une issue inexistante à cette situation. Elle s'était fait mille et un scénarios dans sa tête avant de venir, mais la réalité dépassait son imagination. Jamais elle n'aurait cru une telle abomination possible.

— Partez ! Sortez de ma maison ! Laissez moi et ma fille tranquilles ! Je vais très bien ! Linéa va très bien! On n'a pas besoin de vous !

La folie d'Adèle semblait avoir monté d'un cran, si cela était possible. Marie comprit qu'on ne pourrait pas la raisonner. Elle se retourna et se mit à courir. Elle prit ses jambes à son cou et s'engouffra dans le hall en luttant contre la douleur que lui provoquait chaque pas. Elle était à quelques mètres de la sortie quand sa cheville se déroba sous son poids, étalant son corps de tout son long juste à côté de la salle à manger.

Marie était incapable de bouger. Le feu de l'action s'était éteint, ne laissant plus que des étincelles de peur et de paralysie. Elle put juste relever la tête et voir Linéa. Elle était assise sur sa chaise, portant un pull blanc au col roulé qui remontait jusqu'à son nez. Linéa avait le regard fixe.

Marie épuisa ses dernières forces pour tenter de se relever. Des pas se faisaient entendre dans le couloir. Elle agrippa la chaise de Linéa et celle-ci tomba à la renverse.

Mais Adèle était déjà là. Elle avait perdu son sang-froid et poussa un hurlement en voyant Marie faire tomber Linéa. Marie plongea ses yeux apeurés débordants de larmes dans ceux d'Adèle glacés et empreints à la folie. De la pitié, elle n'en aurait pas.

Aaron avait dû être un sujet sensible pour elle ces derniers temps, peut-être ne savait elle même pas qu'il était mort. Elle avait complètement craqué et Marie sentit la lame du petit couteau suisse s'enfoncer dans son abdomen.

C'était douloureux, mais l'émotion réveillait son instinct de survie et lui faisait supporter la souffrance. Marie se retourna et se retrouva face à Linéa. Son col roulé était tombé durant sa chute, dévoilant des traces dans son cou, des marques de strangulation.

La lame s'enfonça dans la nuque de Marie. Pendant que la vie la quittait, ses yeux rencontrèrent ceux de Linéa, ils étaient vides et éteints. Elle était morte depuis longtemps.

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