Une nuit
Deux baisers échangés. L'une, inquiète, savait très bien que ce qu'elle faisait allait directement contre les règles de la société et la seconde s'en fichait, profitant de chaque moment qu'elle passait avec sa compagne.
Un bruit se fit au fond de la ruelle sombre et étroite où elles s'étaient retrouvées. La plus haute chuchota quelques mots à l'oreille de son amante, accompagnés d'un "je t'aime" et la regarda filer dans la nuit, la silhouette encore éclairée par la faible lumière des lampadaires.
Une ombre arriva. Elle était à l'origine du bruit entendu plus tôt. L'individu avait encore la partie supérieure du corps cachée dans la pénombre mais on pouvait déjà distinguer un costume noir enfilé sur une chemise blanche sous un long trench-coat de jais et une écharpe bordeaux touchant presque le sol.
La jeune femme savait qui était en face d'elle et concentrait tous ses efforts sur son visage, afin de le garder impassible. Malgré tout, elle ne put empêcher sa lèvre supérieure de trembler quand la figure s'avança d'un pas, se positionant dans un angle qui permettait à la lune d'éclairer sa face ornée d'un sourire calme.
"Bonsoir, Sawako. As-tu réfléchit à ma proposition ? demanda Mori Ōgai, parrain de la mafia portuaire.
- Je ne suis pas aussi désespérée, répliqua celle-ci, d'un ton plus sec et amer de ce qu'elle aurait voulu, je préfère encore être mal vue par l'entièreté de la population japonaise. elle fit une pause et reprit, cependant, j'imagine que je n'ai pas le choix, n'ai-je pas raison ? murmura-t-elle en sortant un éventail de la manche gauche de sa chemise.
- Quelle perspicacité", fit-il d'un ton moqueur en montrant sa main, tenant un bistouri entre chaque doigt.
Sawako déploya son éventail. À première vue, il semblait tout à fait ordinaire mais dès qu'on l'observait un peu plus longtemps, on remarquait que les brins, les baguettes tenant le tissu, étaient bien trop épais et brillaient trop fortement pour être en bois. En réalité, elles étaient en acier trempé et le tissu en soie pour des raisons inconnues.
Le criminel décida de ne pas utiliser son pouvoir, voulant voir celui de son adversaire à l'épreuve.
Le crépuscule de Shigezo, la faculté d'Ariyoshi Sawako, lui permet d'avoir une précision et une adresse décuplé. Elle n'est, cependant, pas très rapide et se contentait généralement de contrer les attaques adverses.
La femme ferma son arme et la positiona à l'horizontale. Les trois quarts des couteaux lancés sur sa personne se firent intercepter par l'objet mais le quatrième n'était pas totalement synchronisé avec les autres et visait sa main droite, celle qui ne tenait rien.
D'un mouvement plus ou moins souple du poignet, l'éventail glissa d'une extrémité à l'autre afin de protéger sa peau d'une lame d'origine inconnue, pouvant être potentiellement enduite de poison ou un coup bas du style.
"Je vois, fit le mafieux en observant les multiples couteaux au sol, serais-tu ambidextre, par hasard ?
- Rien qui ne vous concerne, répliqua-t-elle, de mauvaise foi, en jetant un coup d'oeil derrière, avec l'espoir de voir, ne serait-ce qu'un passant à cette heure tardive ou une possibilité de fuite. Mais ce qu'elle vit lui glaça le sang.
- Ah, Dazai ! Tu en as mis du temps."
Un adolescent brun, couvert de bandages et aborant à peu près le même style vestimentaire que son supérieur tenait en joue la personne avec qui Sawako avait échangé de doux moments qui semblaient déjà si lointains alors que son départ datait seulement de vingts minutes.
Ouvrant de grands yeux, elle comprit ce que la mafia comptait faire; du chantage. Son amante avait les mains sur la tête et paraissait résignée. Discrètement, Sawako approcha lentement l'éventail ouvert devant son oreille gauche puis autour de ses yeux, ce qui, dans le code de l'éventail des jeunes filles de la cour d'Espagne, signifiait respectivement "garde notre secret" et "je suis désolée".
"Bien, bien, bien... j'imagine que tu connais la suite, Sawako. Mais ne te méprends pas; Edna ne sera pas retenue, elle intègre également la mafia.
- Pardon ?! s'exclama-t-elle mais elle se ravisa immédiatement quand, voyant que la brune commençait à s'agiter, Dazai enleva la sécurité de son arme.
- Oh, ne va pas croire que je ne me renseigne jamais sur mes cibles avant d'agir, fit Mori d'une voix tellement suave que les deux femmes eurent envie de lui coller un pain, c'est facile de savoir que vous avez été renvoyées de votre travail à cause de votre couple."
Cet épisode douleureux était encore trop vif dans la mémoire de l'ex-employée de bureau qui avait dû supporter les humiliations sans rien dire. Elle se contenta juste de serrer les dents, et de laisser couler les remarques désobligeantes et les insultes.
Finalement le "garde notre secret" était totalement inutile au grand désespoir de la brune qui comptait la faire libérer en faisant croire qu'elle ne la connaissait ni d'Ève, ni d'Adam. Ce qui allait tout de même rater car les deux mafieux avaient vu son expression terrorisée quand Dazai était arrivé.
Cependant, Mori ne continua jamais sa phrase et se limita à effectuer quelques gestes devant son subordonné afin de le faire réagir. Celui-ci paraissait ennuyé par le discours de son chef mais reprit son sérieux. Il ne put s'empêcher de remarquer qu'une ride était apparu sur le visage de l'ancienne salariée.
Ce que personne mise à part Sawako savait, c'était qu'Edna était beaucoup plus affectée par la société. Elle était non seulement étrangère et communiquait avec un accent anglais que son amante trouvait très beau, elle aimait sa façon d'accentuer les mauvaises syllabes et les "h" prononcés clairement, les autres nationalités vivant au pays du soleil levant étaient mal vues par les autochtones mais sa sexualité avait fini d'achever sa réputation.
"Quel plaisir que vous ayez accepté", fit-il sous le regard noir des amantes, une fois arrivés dans une des nombreuses cachettes de l'organisation, asseyez-vous donc, les invita-t-il en indiquant deux fauteuils.
En réalité, les deux se fichaient royalement de recourir à la criminalité pour faire justice elles-mêmes. Ce qui les inquiètaient, était justement le fait qu'en plus d'être considèrées comme des dégénérées, elle ne le devenaient réellement.
La brune savait bien que les personnes possédant un pouvoir avaient tous une ou deux cases en moins, elle même était très, ou même trop excentrique dans sa vie privée mais les deux individus en face d'elle en avaient clairement une bonne centaine qui manquaient à l'appel.
"Voyez-vous, votre condition sociale est au plus bas. Que vous intégriez la mafia portuaire ou non, commença le chef avant de se faire interrompre par Edna.
- Vous vous trompez, dit soudainement la rousse. Je hais la société japonaise autant qu'elle me hait. D'un côté, il y a la population qui veut que je change ou que je retourne en Irlande et de l'autre côté il y a vous, qui comptez profiter du pouvoir de ma compagne !
- En effet. Tu as faux cependant sur deux points. Le premier est que tu généralises beaucoup trop, il est vrai que mon organisation use fréquemment de moyens peu recommandables mais on survit et c'est grâce à la mafia que beaucoup vivent aujourd'hui. face au haussement de sourcils dubitatif de Sawako, il reprit, il est vrai que ta compagne possède une faculté, pourtant, toi qui n'en a pas, tu es aussi précieuse qu'elle."
En réalité, Mori Ōgai cherchait simplement à les convaincre de ne pas quitter la mafia. Il savait très bien qu'Edna O'Brien était détentrice d'un pouvoir dont elle ignorait l'existence mais qui était pourtant la cause de ses excellentes notes à l'université avant qu'elle ne se fasse renvoyer.
Sawako ne comprenait pas de quoi parlait son interlocuteur mais secouait frénétiquement son éventail, cherchant un peu de fraicheur. Elle suait à grosses gouttes et ne comprenait pas pourquoi.
Non. Elle le savait. Elle le savait même trop bien. Le changement. Elle qui avait passé sa vie à se faire dicter sa conduite, la seule chose dont elle avait pris l'initiative lui avait valu sa descente sociale. Elle s'était toujours laissée piétiner par d'autres mais plus maintenant. Plus maintenant.
Son arme se ferma brusquement. La chaleur que sa chemise lui procurait au beau milieu de cette douce nuit d'été la rendait folle mais elle essaya de faire semblant. Personne ne l'embarquerait contre son gré, ni elle, ni Edna !
Née homosexuelle, elle détestait ce mot qui la rangeait dans une case. Elle aimait, voilà tout. Elle conservait encore son humanité. Sawako se leva brusquement, braquant tous les regards sur elle.
La brune avait osé et ne pouvait plus faire marche arrière. Elle déploya deux fois son éventail et montra le fauteuil. Il ne fallait pas être un génie afin de comprendre qu'elle lui ordonnait de se cacher.
Une chose que tout le monde ignorait dans cette pièce était qu'Edna était une fabuleuse pickpocket. Elle avait ainsi subtilisé un revolver à un garde en chemin jusqu'au repère et le braqua sur Mori Ōgai.
Celui-ci sourit, mais ce n'était pas le sourire calme du début de la nuit. C'était un sourire carnassier, prouvant encore une fois qu'il avait tout calculé.
"Dommage... Vita Sexualis !"
Elise se manifesta, attaquant Edna avec différents ustensiles médicaux. Celle-ci tira à maintes reprises sur la blonde sans grands résultats. Sawako se précipita sur lui, voulant s'en débarrasser définitivement. Mais avait oublié Dazai qui conservait encore son arme.
Il appuya sur la gachette mais il suffit d'un mouvement à Sawako pour contrer la balle. Aucune chance qu'elle n'atteigne le corps de la brune au visage ovale avec le tissus épais en soie qui arrêtait plus efficacement ce type de projectiles que l'acier.
Malheureusement, elle s'était ainsi retrouvée à découvert devant le parrain de la mafia portuaire qui lança adroitement trois couteaux à différents points vitaux.
Dazai tira une nouvelle fois sur ce qui devait être une de ses futures collègues. Les trois bistouris furent déviés avec succès et elle se retourna afin de voir si son amante avait besoin d'aide. Elle n'aurait jamais dû.
Elle étouffa un cri en voyant un corps d'un blanc laiteux et des cheveux carotte éparpillés sur le sol. Le visage rond d'Edna, parsemé de taches de rousseur paraissait si terne. Ses grands yeux verts étaient dénués de tout éclat, distinguant ce que personne ne voyait.
Pourquoi Sawako Ariyoshi n'a-t-elle pas hurlé de toute son âme ? La réponse est simple, elle n'en a pas eu l'occasion. La balle que Dazai avait tiré était allée transpercer sa jugulaire.
Elle tomba à genoux, tandis que Mori Ōgai commentait à son meurtrier que la mort de ces deux filles était à la fois un bon point et un désavantage. Elles auraient pu intégrer la mafia portuaire sans faire d'histoires ou l'agence de détectives armée. Il ajouta que la capacité d'Edna à pouvoir mémoriser instantanément un document nommée Tu ne tueras point était très importante pour les deux camps, alors autant qu'elle soit morte.
Un drôle de sifflement bourdonnait aux oreilles de la brune. Son chignon s'était défait dans la bataille et ne parvenait plus à penser clairement. Elle avait changé, s'était rebellée et avait perdu. Cela en valait-il la peine ? Elle n'en savait rien. Sawako voulait la liberté, elle a obtenu la mort. Dans un certain sens, ce sont des synonymes.
Dans un ultime effort, elle mobilisa ses muscles pour se retourner, non pas pour voir une dernière fois Edna mais plutôt pour croiser les yeux de Dazai. Les yeux de la mort.
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C'est le premier concours auquel je participe, j'espère que j'ai bien respecté les règles...
Si vous connaissez Bungo Stray Dogs, vous savez sûrement que les personnages ont des noms de personnalités connues de la littérature (principalement japonaise) pour mes deux OCs, c'est la même chose; Sawako Ariyoshi était une écrivaine japonaise ayant écrit différentes oeuvres féministes dont Les Dames de Kimoto et Edna O'Brien était une auteure irlandaise ayant écrit de nombreux livres mettant en avance, les sentiments des femmes et leurs relations avec les hommes dans la société.
La musique qui m'a inspirée s'appelle La Gloire à mes genoux du groupe, Le rouge et le noir.
Pour le concours de Deidachat_senpai
1914 mots
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