Poétique Autoroute
— Tout le monde est attaché ?
— OUI !!!
Les jumeaux d'Emma répondent en cœur tandis que je lance le moteur. Sur le siège à côté de moi, Monique a chaussé ses lunettes de soleil « pour ne pas voir la tête d'Hugo dans le rétro » et Sur la banquette arrière, Guillaume, Hugo et Emma sont côte à côte. Puis, sur les sièges du fond, les enfants se tiennent plus ou moins correctement : Rosie dort déjà, tandis qu'Axelle est plongée dans le paysage, écouteurs dans les oreilles. Lilou et Mathis sont plutôt bruyants pour le moment, mais Emma m'a promis qu'ils allaient se calmer. Pas que ça me dérange vraiment, mais Monique risque de râler, la connaissant.
Nous quittons Sperona dans un silence étrange. Monique ne fait aucune réflexion, Guillaume aucune blague et même les jumeaux semblent s'être calmés. Si l'heure de route se passe comme ça, le trajet risque d'être un peu long. Je décide de détendre un peu l'atmosphère :
— La première fois que je suis allé à la mer, je devais avoir l'âge d'Axelle.
Celle-ci relève la tête en entendant son nom et ôte un de ses écouteurs.
— C'était une sortie scolaire, il me semble. Ma classe avait été choisie pour participer à un concours de poèmes sur le thème de l'océan...
La route se sépare sous mes yeux, devenant à la fois eau et sable, bruit des graviers sous les roues pour fracas aqueux.
— Mes feuilles s'étaient envolées dès le premier coup de vent et je n'avais plus rien pour écrire, mais je m'en fichais. Je voyais la mer, ses vagues et son écume tremblotante pour la première fois. C'était beau. Plus que ça même, c'était sublime, magique, époustouflant.
Je marque une pause et reprend mon souffle. Axelle a ôté son deuxième écouteur, elle est désormais penchée vers l'avant, tout comme les jumeaux. Je sens tous les regards sur moi. Je reprends :
— Je suis resté toute l'après-midi assise sur le sable, sans bouger d'un pouce. Le bruit des vagues et le cri des mouettes me suffisait. J'étais totalement absorbée par le mouvement régulier de l'eau. Je le suis d'ailleurs toujours. Je crois même, que j'aurais pu rester là encore longtemps ; mais il a fallu partir.
Lilou se penche encore un peu plus, obligeant Emma à la faire se rasseoir correctement.
— Et alors, demande-t-elle, tu l'as écrit ton poème ?
Je souris.
— En rentrant dans le bus, notre prof nous a demandé de lui rendre nos écrits. Je lui ai dit que j'avais perdu mes feuilles. Toutes ? Oui. Alors, pour me punir, elle m'a obligée à réciter un poème devant toute la classe, avant que le bus ne reparte.
— Mais tu n'en avais pas ! Elle n'était pas très cool cette prof... bougonne Lilou. Qu'est-ce que tu lui as répondu ?
— Je me suis levée et suis allé tout devant, à côté d'elle. J'ai ouvert la bouche et j'ai récité :
Dans le firmament,
Je passe mon temps.
Parmi les étoiles,
Je hisse ma voile.
Sur un grand bateau,
Je vogue vers là-haut.
Où les astres règnent,
Leurs lueurs m'imprègnent.
Et dans la lumière,
Je ne manque pas d'air.
Pourtant je me noie,
Si je te perds toi...
Un doux silence accueille ma réponse. Et, contre toute attente, c'est la voix d'Axelle qui me répond :
— C'est toi qui l'avais écrit ?
— Oui, dis-je. Je l'avais intitulé « Océan des astres ».
Un peu comme « Océan Désastre ». La prof ne le savait pas, mais j'avais travaillé dessus toute la durée de notre sortie. Gravant dans le sable mes idées, gommant un à un les mots superflus et récitant sans cesse ces mêmes phrases.
— C'est magnifique... souffle-t-elle.
— Merci, souris-je.
— Et qu'est-ce qu'elle a dit ?
— Rien. Elle m'a regardé, les lèvres pincées, mais les yeux rieurs. Je lui ai adressé mon plus beau sourire et suis retourné m'asseoir. Quand je suis arrivée à mon siège, la fille à côté de moi m'a tendu un papier. Je ne lui avais jamais vraiment parlé, elle était plutôt timide. Elle m'a dit : « Tiens. J'ai pensé que tu voudrais l'avoir. Je sais que tu as une bonne mémoire, mais... Enfin, voilà. ». Elle avait recopié mon poème pendant que je le récitais. Son écriture était un peu bancale, parce qu'elle avait dû écrire sur ses genoux, mais ses lettres étaient rondes et scintillantes. Je n'ai jamais réussi à me séparer de ce morceau de papier.
Je souris à nouveau, laissant les images souvenirs défiler devant la route.
— Tu ne me l'avais jamais raconté.
C'est Guillaume qui vient de parler. Je me retiens de me tourner dans sa direction et reste fixée sur ma conduite.
— Je ne sais pas. C'est possible, je ne te raconte pas tout, rie-je.
Je crois l'entendre soupirer, un peu déçu, alors je continue :
— Tu sais, Guillaume. On n'est plus des enfants, maintenant. Je sais que tous les trois, avec Jeanne, on se racontait tout, mais plus aujourd'hui.
J'oublie un instant que nous ne sommes pas seuls et ose lui dire ce que j'ai sur le cœur.
— Je t'ai longtemps aimé, Guillaume. Pendant longtemps, tu as été le frère que je n'ai jamais eu. Mon meilleur ami et mon pire ennemi à la fois. Je crois même pouvoir dire que j'ai été amoureuse de toi quelques temps, souris-je. Mais cette fois, je n'ai pas besoin de toi. Et tu n'as plus besoin de moi. Jeanne nous a trop longtemps retenu attachés, il faut qu'on se libère pour de bon. D'accord ?
Je risque un coup d'œil vers l'arrière, juste le temps de m'apercevoir que Guillaume a pris la main d'Hugo dans la sienne. Il sourit. Monique me fixe, un étrange rictus sur les lèvres.
— Je me doutais bien qu'il y avait quelque chose de louche là-dedans... dit-elle.
Hugo se redresse et déclare d'une voix rapide, comme cherchant à échapper à une coulée de lave :
— Et encore plus louche, Guillaume et moi sommes en couple.
Emma se met à tousser violemment. Je me retiens d'éclater de rire en mordant sévèrement ma lèvre inférieure. Monique ne dit rien, elle me regarde toujours. Hugo, lui, fixe Guillaume qui arbore un immense sourire. Voyant qu'on attend une réponse de sa part, Monique répond enfin :
— Eh bien, quoi ? Vous voulez que je vous donne ma bénédiction ? Franchement, ça se voyait comme le nez au milieu de la figure vous deux. Arrêtez de me prendre pour une bonne sœur, je sais reconnaître l'amour quand même, bande de cornichons. Maintenant, essayez de maintenir Emma en vie, ce sera plus utile que nous dire quelque chose que tout le monde sait déjà.
Cette fois, j'éclate franchement de rire.
— Vous êtes vraiment extraordinaire, Monique. Sincèrement, vous m'épatez.
Elle rajuste ses lunettes de soleil et se détourne avec un air suffisant.
— Evidemment que je vous épate, je suis née pour épater le monde, voyons !
Emma, qui avait réussi à reprendre un peu son souffle, s'étouffe à nouveau. Mais, de rire cette fois.
— Finalement, dit-elle entre deux quintes de toux, je ne regrette pas d'être venue.
C'est au tour de Guillaume d'éclater de rire. Il retrouve enfin son sourire habituel.
— Moi non plus. Entendre Monique parler de cette façon, ça vaut tout l'or du monde.
Nous rions de concert et je les laisse discuter sans me mêler plus longtemps de la conversation. Ma concentration commence à me faire défaut et j'ai besoin de me reconcentrer sur ma conduite.
La route défile et les arbres deviennent flous à mesure que nous prenons de la vitesse. Je me laisse absorber par le bruit du béton sous les roues et relâche ma pression sur l'accélérateur.
Peu à peu, les villages laissent place à de plus grandes villes. Et bientôt, nous arrivons en vue des vagues. La route longe la côte jusqu'à une petite localité aux maisons couleur sable. Les portes sont colorées et décorées de mille coquillages différents. Les jumeaux s'extasient tandis que je guide prudemment notre véhicule dans les rues étroites de la cité.
Nous passons à travers le centre-ville qui fourmille d'activité. La place centrale est couverte d'arbres et une fontaine jette son eau aux pieds des passants en continu. Tout autour, des commerces exposent leurs devantures alléchantes : boulangerie-pâtisserie, poissonnier, boucher ; mais aussi restaurants, boutiques d'habillement et vendeurs souvenirs.
Je continue de suivre la route, puis les panneaux indiquant « Parking de la Plage ». Finalement, au bout d'une longue heure de route, nous découvrons enfin la mer.
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Bonjour mes lucioles ❤️
Ce chapitre vous a plu ? Je le trouve absolument adorable 🥺
Mais j'ai une mauvaise nouvelle...
C'est bientôt la fin 😭😭
Dans quelques semaines vous allez me détester, ou m'adorer (au choix)
J'espère que vous ne m'en voudrez pas trop 🌟
Et merci à ceux qui iront jusqu'au bout ❤️
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