Petite Luciole change de courant d'air
J'ai encore oublié de charger mon portable hier soir. J'espère que Léna va bien. Pourquoi a-t-elle tellement insisté pour aller à la plage demain, d'ailleurs ? Ça ne m'arrange pas tant que ça... Hugo avait plutôt l'air effrayé par cette idée lui aussi. Mais évidemment, Monique est d'accord, elle. Et on ne peut rien lui refuser.
Voici les pensées qui m'occupent toute la matinée. J'ai peur pour demain, j'ai déjà annulé mes ménages de l'après-midi mais je crois que je vais aussi annuler ceux d'aujourd'hui. Et pourquoi pas tout annuler tant que j'y suis ? Ça fait un moment que j'y songe : changer de métier. Après tout, celui-ci ne m'apporte pas grand-chose, si ce n'est une grande fatigue. Mais que faire à la place ?
Je passe la tête dans le salon de la maison que je nettoie actuellement et demande au propriétaire si je peux emprunter son téléphone. C'est un retraité célibataire absolument adorable, accro au vélo. Il passe ses journées devant des rediffusions du tour de France, me faisant inlassablement sourire.
Puisqu'il n'y voit pas d'inconvénient, je m'occupe d'appeler mes deux clients de l'après-midi et les informe de ma « petite fièvre qui m'oblige à rester clouée au lit ». Un léger mensonge n'a jamais tué personne, n'est-ce pas ?
Mon ménage terminé, je salue le cycliste et rejoint l'immeuble d'un pas lent. Arrivée devant l'édifice, je ne peux m'empêcher de lever les yeux. Les murs délavés et les carreaux salis par le temps m'oblige à tirer mon regard un peu plus haut, un peu loin. Bientôt, le ciel et les nuages gris paraissent dans mon champ de vision.
Plus je me tords le cou et plus les gouttes d'eau s'agitent sur mon front, sur mes joues, sur mes lèvres et bientôt sur mes paupières closes. Mon parapluie ne remplit plus son rôle, trop penché pour servir à quoi que ce soit. Je souris.
L'eau se met à glisser le long de mon cou et jusque sous mon pull. Je frissonne, mais prend plaisir à sentir ce contact sur ma peau. C'est quand j'entends des voix qui s'approchent de moi que je me décide à rouvrir les yeux et redonner son rôle à mon parapluie.
À cet instant, une vérité toute simple frappe mon esprit : je n'ai pas envie de rentrer tout de suite. Sur ce, je me retourne et baisse la tête pour scruter le sol trempé. Le bruit de mes pas sur le béton mouillé me rappelle de vieux souvenirs. Je les laisse m'imprégner durant les quelques minutes que durent ma marche, puis je relève les yeux et appuie sur la sonnette avant de pousser la porte.
— Salut, Guillaume.
— Oh ! Bonjour, Emma !
Je m'approche de lui et me penche sur le bureau de l'accueil.
— Le Docteur est là ? J'aurais aimé lui parler.
— Désolé, il est en pause déjeuner.
J'affiche une moue déçue. Guillaume s'empresse d'ouvrir un dossier sur l'ordinateur.
— Il va falloir que tu prennes rendez-vous, mais... Wow ! Son emploi du temps est affreusement plein. Pourquoi les gens s'amusent-ils tous à tomber malades ? À croire que les médicaments sont la meilleure drogue de l'univers.
Je souris faiblement.
— Tant pis, ne prend pas cette peine. Je trouverais bien une autre occasion.
Il esquisse une pirouette et se cogne le front sur le clavier.
— Ouille. Vos désirs sont des ordres madame. Bon appétit à vous !
J'éclate d'un petit rire avant de me retourner vers la sortie. Au moment où je pose ma main sur la poignée, mon prénom résonne dans mes oreilles.
— Emma !
La voix du Docteur retentit dans tout le couloir. Je tourne la tête dans le même mouvement que Guillaume.
— Venez donc ! Je mangerai pendant que vous me parlez si ça ne vous dérange pas, mais je suis prêt à vous écouter aussi longtemps que vous le voudrez.
Son grand sourire en fait naître un plus léger sur mes lèvres et je le suis dans son bureau.
Après une courte hésitation, je m'assois sur le fauteuil que j'ai lavé tant de fois et, incapable de lever les yeux vers le Docteur, je commence à jouer avec les vieux accoudoirs.
— Alors, Emma...
Il enfourne une fourchette de salade dans sa bouche et continue sa phrase en masquant ses lèvres de sa main pour retenir les postillons.
— Qu'ech-qui vous jamène ?
Je lui souris avec politesse, sans pour autant le regarder.
— Je ne sais pas trop, en fait. C'est juste que...
Je secoue la tête, comme pour chasser ces idées absurdes de ma tête. Enfin, peut-être pas si stupides que ça. Le Docteur m'invite à poursuivre d'un signe de la main.
— Je crois que j'aimerais changer de métier.
Ça y est, j'ai lâché la bombe. Mon interlocuteur relève la tête et nos regards se croisent, inévitablement. Ses yeux sont arrondis par la surprise, pourtant ses lèvres persistent en un invincible sourire.
— Ça fait un moment que je me demande quand est-ce que vous prendrez conscience que le monde a besoin de vous, Emma. Je suis ravie de voir que la réponse est : aujourd'hui.
Pardon ? Je le regarde à mon tour avec des écarquillés. Il se redresse dans son fauteuil, déballe un muffin au chocolat.
— Je vous observe depuis que vous êtes arrivée ici, vous savez. J'ai toujours songé qu'un jour vous prendriez conscience de tout ce dont vous êtes capable. Je ne voudrais pas faire croire que je suis un devin, bien sûr, s'esclaffe-t-il. Mais, vous voyez, je crois que vous pouvez faire de grandes choses, Emma. Vous êtes une femme intelligente et belle, pour peu que vous ne cachiez pas votre corps sous des habits dix fois trop grands.
Il semble réfléchir un instant, les yeux vers le plafond, avant de reprendre :
— Bien sûr, votre tristesse est trop évidente pour qu'on puisse passer outre. Simplement... On passe notre temps à essayer de se fondre dans la norme, de tasser notre personnalité pour la faire entrer dans l'une des cages de la société. Un peu comme les jeux en bois des enfants, avec les formes. Vous voyez ?
Je hoche mollement la tête. Où veut-il en venir ?
— Eh bien, vous, vous ne rentrez pas. Vous êtes une étoile que tout le monde pousse à rentrer dans une planète. Mais ce n'est pas votre place, ce n'est pas le chemin que vous voulez prendre. Vous voulez briller, pas trouver le terme qui pourrait servir à vous coller une étiquette sur le front.
Cette fois, je le regarde avec un air amusé. Je crois que je commence à voir ce qu'il veut dire.
— Ce que je veux dire, dit-il comme en réponse à mes pensées, c'est que vous êtes une personne formidable, Emma. Une mère dévouée, une amie en or, d'un courage hors norme et malgré ce que vous semblez avoir vécu, d'une générosité et d'une volonté de croire en la vie absolument incroyable. Alors, je ne serai pas surpris d'apprendre que tout ça est grâce à Léna, mais c'est surtout grâce à vous. D'accord ?
Il se lève, repousse son siège. Son visage m'échappe, mais je me lève à mon tour pour faire face à son profil. Même de cette façon, il semble sûr de lui.
— Bon, annonce-t-il. Loin de moi l'idée de vous mettre à la porte, mais mon prochain patient devrait arriver d'une minute à l'autre.
Il tourne vers moi un sourire chaleureux, remplit de compassion, et tend sa main dans ma direction.
— J'espère vous revoir bientôt, Emma. Mais pas avec un balai dans vos mains, ajoute-il avec un sourire.
Une bouffée de remerciement monte dans ma poitrine et, passant outre sa main toujours tendue, je m'avance pour le serrer dans mes bras.
— Merci, Docteur, je souffle.
Il grommèle un instant mais fini par poser ses mains dans mon dos. Je retiens un frisson. Le dernier homme à m'avoir touchée de cette façon était Loïc... Je repousse cette pensée et m'écarte du Docteur.
— Vous êtes encore plus gentil que je ne le croyais,
je souris.
— Et vous, encore plus imprévisible, marmonne-t-il avec le rouge aux joues.
Il fait mine de me pousser dehors, mais je suis déjà dans le couloir à saluer Guillaume quand il me dit :
— Au fait, vous pouvez m'appeler Marc.
Je souris ostensiblement et franchi la porte. Juste avant que celle-ci ne ferme pour de bon, je lance :
— Bonne journée, Marc.
Et j'entends celui-ci dire en direction de Guillaume :
— Elle est adorable, mine de rien.
— Et affreusement charismatique quand elle s'y met. À vous faire tomber amoureux, hein Docteur ?
Je n'entends pas la réponse de ce dernier, déjà trop loin dans le couloir. Amoureux ? Si quelqu'un avait déjà éprouvé de tels sentiments à mon égard, j'aurais préféré qu'il vienne jouer le prince charmant plus tôt. Parce que le dragon lui, n'a pas attendu pour brûler les ailes de la petite luciole...
~~~
Bonjour !
J'espère que tout va bien chez vous 😊
Vous avez eu de la neige ? Avez pu en profiter ?
Que pensez-vous du projet d'Emma ? ✨
À la semaine prochaine ❤️
Bạn đang đọc truyện trên: Truyen247.Pro