Le passé n'efface rien
La porte se referme derrière Léna et nous observons tous une minute de silence. Je fini par me lever pour aller mettre les enfants au lit, mais tous mes mouvements respirent l'angoisse.
— Maman ?
Je me tourne lentement vers Axelle, dont je ne distingue pas la figure dans le noir. Je la devine assise sur son lit quand elle s'adresse à moi.
— Ne t'inquiète pas. Léna est forte, elle s'en sort
toujours. Ce n'est pas un menteur qui va la briser.
Je souris tristement. Je sais qu'elle a raison, mais je ne peux m'empêcher d'avoir peur pour mon amie.
— Bonne nuit, ma chérie.
De la main, je lui envoie un baiser et ferme la porte sur la respiration apaisée de Rosie.
Dans le salon, je découvre Hugo et Guillaume debout et prêts à partir.
— On va y aller nous, annonce ce dernier.
Hugo hoche la tête.
— Pas la peine de remplir cette pièce d'angoisse, on
va aller contaminer le reste du monde, sourit faiblement celui-ci.
Je ne les retiens pas et observe Monique, qui semble s'ennuyer fermement.
— Bonne soirée les garçons ! je lance.
Ils me répondent d'un signe de la main et je les entends marcher dans le couloir avant de claquer la porte. Je m'assois face à ma dernière invitée.
— Je n'imaginais pas cette journée si stressante en
me levant ce matin.
— Oh tu sais, moi je n'imagine jamais rien. Je ne
saurais dire ce qui est pire.
Les coudes posés sur la table et la tête entre les mains, elle me semble prête à tomber raide endormie à tout instant.
— Vous voulez rentrer peut-être ?
— Certainement pas !
— Vous préférez avoir de la compagnie ? je souris.
— Non, dit-elle sèchement. Si tu savais depuis
combien de temps je suis seule... Je m'en fiche royalement.
— C'est la seule manière dont une reine peut s'en
ficher.
Je réussi à lui arracher un sourire.
— Je commence à bien t'aimer toi.
J'éclate d'un rire mal assuré et bouge un peu pour prendre la même position qu'elle. Nos visages sont désormais séparés par une dizaine de centimètres seulement.
— Vous pensez vraiment que c'est la bonne
solution ? De s'éloigner de tout le monde juste avant de mourir je veux dire.
— Je n'ai pas peur de la mort Emma. Encore moins
depuis que j'ai l'espoir d'y retrouver Victor. Ce dont j'ai peur, c'est des sentiments de malheur de je peux laisser derrière moi. Je ne prétends pas être d'une importance capitale pour cette planète et que tout le monde devrait me pleurer, je dis simplement que la mort fait plus de mal aux vivants qu'aux défunts.
— Mais, vous ne voulez pas en profiter, vous ?
Jusqu'au bout ?
— Je n'en ai peut-être pas l'air, mais je ne suis pas
égoïste. M'offrir trois semaines de joie, et encore la joie se désiste souvent à la dernière minute, contre trois mois de deuil pour ceux que j'ai pu aimer ? Le jeu n'en vaut pas la chandelle.
Je me redresse et frotte mes yeux soudain envahis par la fatigue. Je crois que je commence enfin à comprendre les motivations de Monique. J'étouffe un bâillement et reprend :
— Pourquoi être venue vers nous dans ce cas ?
Elle soupire et se laisse tomber contre le dossier de la chaise.
— Le premier que j'ai rencontré c'est Hugo. Un
Hugo perdu, dépressif et avec un irrépressible besoin d'être aimé. Je n'ai pas pu me résoudre à l'abandonner. Et je crois que quelque part, moi aussi j'avais besoin d'aimer à nouveau. Tu comprends ?
Je souris impatiemment, pressée d'entendre la suite. Je me contente donc d'un hochement de tête.
— Au début, je l'ai pris pour un vendeur d'aspirateur.
Elle rit et des petites larmes viennent perle sur le bord de ses paupières.
— Finalement, il m'a vendu sa confiance et il en a
profité pour aspirer la poussière grise qui m'empêchait de bouger. Regarde où j'en suis maintenant ! Je vais à la plage dans deux jours, j'ai passé la journée à me goinfrer de glaces et on vient de m'appeler Grand-mère. J'ai beau faire semblant de le détester, tout le monde se rend bien compte que je l'adore ce garçon. Ne serait-ce que pour m'avoir offert l'occasion de retourner sur la tombe de mon mari.
Une larme dévale sa joue et elle s'empresse de l'essuyer d'un revers de manche. Toujours aussi attentive à son récit, je me penche un peu plus sur la table pour l'écouter.
— Dès le jour de sa mort, j'ai souhaité rejoindre
Victor. Pourtant, pas une seule fois, je n'ai envisagé de prendre ma propre vie. Parce que c'est ce que mon frère a fait. Et un suicide fait mille fois plus mal qu'une mort naturelle. Peut-être même qu'un meurtre, mais je ne peux pas l'affirmer.
— Je ne savais pas que vous aviez un frère, je souffle.
— Il s'appelait Grégoire. Mais je le surnommais
toujours Grégory, car je trouvais ça plus joli. Il était autiste et dans notre village tout le monde le croyait fou. J'ai mis du temps, trop, à comprendre qu'il n'était pas fou. À comprendre que son trouble portait un nom et qu'il aurait dû être aimé pour ça, comme je l'aimais moi, plutôt qu'être haï par tous. Il était intelligent, plus que tous les habitants du village réunis. Mais personne ne faisait attention à ça. On ne voyait que son incapacité à regarder les autres dans les yeux, à s'exprimer avec les mêmes mots que nous et ses crises irrépressibles quand tout autour de lui se refermait sur sa tête.
Je cligne des yeux et tout se trouble. Mes joues sont humides et j'ignore si c'est la fatigue qui me fait pleurer ainsi ou la sensibilité avec laquelle Monique me raconte son histoire.
— Pardon, m'excusé-je.
Monique ne répond pas. Je crois qu'elle n'a pas besoin que je m'excuse pour mes larmes, simplement que je l'écoute. Elle attrape ma main droite et la sert dans les siennes.
— Quand je suis partie étudier en ville, je n'ai pas vu
ma famille pendant cinq ans. Je passais mes journées seule, à bosser et j'envoyais de l'argent à mes parents quand je le pouvais, avec une carte pour les fêtes. De temps en temps, j'y ajoutais un cadeau pour Grégoire. Pour qu'il sache que je ne l'oublie pas.
Le jour où je suis revenue, j'ai trouvé mon frère dans la prairie à l'entrée du village. Sous l'arbre où j'avais l'habitude de passer mes journées, enfant ; il riait et tourbillonnait sur lui-même en écrasant l'herbe verte sous ses pieds. Il semblait heureux. Je me suis approchée en souriant et il a couru dans mes bras. Il avait grandi, beaucoup. Je devais avoir vingt-trois ans à l'époque, il en avait quatre de moins et pourtant il me dépassait largement.
Elle marque une pause et ferme les yeux une courte seconde, comme voulant imprimer ce souvenir sur ses paupières closes.
— Et soudain, comme sortit de nulle part, Victor est
apparu à côté du tronc de l'arbre. Il avait grandi lui aussi. Il paraissait plus âgé et s'était laissé pousser la moustache. J'ai souris une seconde fois et nous nous sommes salués, comme si nous ne nous étions jamais quittés. Cette fois-là, nous avons passé le reste de l'après-midi côte à côte, dos à l'arbre. Grégoire dansait et riait devant nous. Victor a serré ma main et j'ai posé ma tête sur son épaule. Ce jour-là, je me suis juré que je l'épouserai. J'étais enfin heureuse.
— Et après ? je demande, impatiente.
— Après ? Je l'ai épousé bien-sûr ! Mon frère était
notre témoin. Je ne l'avais jamais vu si calme. Comme si notre union était inévitable...
J'essuie mes larmes et adresse un immense sourire à Monique.
— C'est une histoire magnifique.
— Oui. Magique...
Elle cligne des yeux plusieurs fois, comme pour éloigner les images d'un rêve, et je me lève pour faire le tour de la table. Je pose ma main sur son épaule :
— Je vais vous raccompagner chez Léna.
— Oh... Ce n'est pas nécessaire.
— J'y tiens, souris-je.
— D'accord.
Et elle attrape mon bras alors que vingt-deux heures sonnent au clocher.
~~~
Bonjour les lucioles !
Dans quelques jours c'est Noël 🥰
Vous avez demandé quoi au Père Noël ?
Entre nous, je crois que Monique a commandé un faux canard pour l'offrir à Hugo... Mais chut c'est un secret 🤫
En attendant, elle s'est beaucoup livrée à Emma dans ce chapitre 🥺 Ça vous a plu ?
À très vite pour un nouveau chapitre ✨
Bonnes fêtes, bonnes vacances à ceux qui en ont et profitez bien ❤️
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