La voix du ciel
Je sors de l'appartement avec la boule au ventre. Chaque pas me fait douter de mon idée. Ai-je vraiment bien fait de vouloir parler à Olivier seule à seul ? Je dois tourner tout de suite à droite, mais quelque chose empêche mes jambes de bouger.
— Ressaisis toi Léna, bon sang ! m'ordonné-je à moi-même.
J'essaie de me donner du courage et pousse la porte. Le froid de la nuit me fait frissonner. Une partie de moi espère ne pas trouver Olivier dehors ce soir, mais l'autre me rappelle que j'ai promis à mes amis de lui parler. Je ne peux pas reculer maintenant.
Je ressers mon manteau contre moi et lève les yeux vers la voie lactée. Là-haut, les étoiles scintillent toujours. À mes yeux tout du moins, car qui sait si elles ne se sont pas arrêtées, en réalité ?
Je m'oblige à avancer, pas à pas. Le vent souffle et fait rougir mes oreilles. C'est comme si Jeanne me disait qu'elle est fière de moi. Je souris de ma propre illusion et murmure un faible remerciement, espérant qu'elle l'entende encore.
— De rien.
Je sursaute et me retiens de hurler. Dans mon dos, je reconnais tout de suite le bonnet bleu d'Olivier.
— Bonsoir.
— Bonsoir, Léna.
Il sourit. Je ne vois pas son visage et me je le sens dans sa voix. Il sourit ostensiblement alors qu'une colère sourde prend possession de moi peu à peu. Je lui intime de se calmer, pour l'instant du moins.
— Belle soirée, n'est-ce pas ?
— Surtout quand on la passe aux pieds sa propriété.
Je décide d'y aller franchement. Cette discussion n'a pas vocation à durer mais à m'apporter des réponses.
— Vous avez fini par comprendre, sourit-il à nouveau.
— Il ne faut pas être né de la dernière pluie pour faire le rapprochement.
— C'est vrai. Mais de la dernière pluie d'étoiles, peut-être.
J'ignore pourquoi, mais ses phrases alambiquées qui me font d'habitude rêver attisent ce soir ma colère. Je me concentre pour ne pas la laisser me submerger et me force à répondre.
— Pourquoi nous l'avoir caché ? Pourquoi faire croire à tout le monde que vous n'avez ni argent ni famille alors que c'est faux ?
— Peut-être parce que c'est vrai.
Je soupire ouvertement.
— Je sais que ma réponse ne vous plait pas Léna, mais ce ne sera le cas d'aucune. Je ne suis pas là pour vous dire ce que vous voulez entendre mais pour vous dire la vérité. Et vous dire que deux et deux font quatre ne vous aidera pas. Vous ne méritez pas d'évidences.
— Et qu'est-ce que je mérite alors ? m'emporté-je. Des mensonges ? Des nuits dans le froid pour vous tenir compagnie ? Du temps perdu à chercher votre soi-disant fille ?
— C'est vraiment ma fille.
— Mais vous vous foutez complétement de ce que je peux dire ! C'est fou ça d'être aussi égoïste ! Vous savez quoi ? J'en ai strictement rien à faire de votre fille. Et de vous non plus. Je peux mourir dans quelques semaines et tout ce que j'ai fait c'est offrir mon aide à quelqu'un qui n'en a pas besoin !
Je reprends mon souffle quelques secondes. Je n'avais pas laissé exploser ma colère de la sorte depuis longtemps et ça fait un bien fou. Olivier me fixe sans rien dire, son sourire énervant toujours au coin de la bouche.
— Effacez-moi ce petit rictus méprisable de vos lèvres.
Je me rapproche de lui et pose un doigt accusateur sur son torse.
— Je vous ai fait confiance, on vous a tous fait confiance. Et vous n'avez en réalité pas cessé un seul instant de vous intéresser à vous et à votre petite personne. Sachez, Olivier, ou quel que soit votre nom, qu'on ne profite pas impunément des autres. Je crois au hasard, au destin et au karma, et j'espère que ce dernier s'abattra sur vous prochainement. Parce que je ne laisse personne faire du mal à mes amis, retenez bien ça.
— Et comment croyez-vous que vous les ayez rencontrés ces soi-disant amis ? Est-ce qu'ils le sont vraiment d'ailleurs ? Vous ne savez rien d'eux. Rien. Vous vivez dans un monde de bisounours en croyant que tout arrive parce que c'est écrit, mais qu'est-ce qui le prouve ? La mort de votre sœur était écrite peut-être ?
Je blêmis. Ma colère retombe un instant et mon cœur ralentit. Puis tout repart, bien plus fort. Une haine pure s'empare de moi et se déverse sur Olivier. Je reprends la parole d'un ton plus calme et posé, mais le poison de mes mots est mille fois plus fort désormais.
— Ecoutez. On va vous ramener votre fille parce qu'on vous l'a promis. Mais, une fois cet accord rompu, ne comptez plus sur nous pour vous aider à régler vos problèmes. Vous êtes un grand garçon maintenant, ajouté-je cynique.
Je m'éloigne de lui et, contre toute attente, son regard s'adoucit.
— Je comprends votre colère Léna et elle est légitime. J'attendrai ma fille ici, demain. À midi. Après ça, vous ne me reverrez plus.
— J'espère bien.
Je siffle ces derniers mots entre mes dents et m'éloigne rapidement, lui offrant mon dos pour tout aurevoir. Pourtant, cela ne lui suffit pas. Je l'entends encore lancer au loin :
— Surtout n'oubliez pas Léna : les coordonnées du temps sont infiniment liées à celles de la vie et la mort.
Je continue d'avancer sans me retourner, mais ses paroles restent encrées dans mon esprit malgré moi. Qu'a-t-il voulu dire par là ? Inconsciemment, je tourne vers le parc et marche jusqu'au bord de l'eau.
Le léger clapotement de l'onde apaise ma colère et dévoile une tristesse et une peur envahissantes. J'attrape un caillou et le laisse s'écraser à la surface de la nuit, reflet mouvant. Mes pensées dérivent machinalement vers la montre d'Hugo. Les coordonnées du temps. Trois aiguilles. Secondes, minutes et heures.
Trois membres d'une même famille. Père, mère et fils.
— Mais qui es-tu Hugo ?
J'interroge les étoiles la tête renversée et me laisse tomber dans l'herbe. Elle est fraîche, un peu trop pour mon maigre manteau. Je frissonne mais reste là. Le ciel scintillant au-dessus de moi me donne envie de demeurer allongée ici pour toujours. Je l'interroge silencieusement :
— Et toi ? Quel est ton temps ?
Et je l'imagine me répondant, tissant ainsi un lien muet entre nous. Je songe à Jeanne et à tous ces hommes et femmes là-haut. Nous entendent-ils encore ?
— Mon temps n'existe pas, il est tout et rien à la fois. Il est la lumière, de l'instant où elle m'éclaire jusqu'à l'instant où elle parvient à tes yeux. Il est les explosions de chaleurs au cœur des planètes, quelle que soit leur taille, qui jouent une douce mélodie à mes oreilles. Il est le déplacement des ombres qui s'aventurent en mon cœur. Il est les silences affamés des trous noirs, les paroles angoissés des météorites plongeantes.
— Ça a l'air beau.
— C'est plus que ça. C'est la vie et la mort sans qu'elles existent, c'est l'évolution du monde à l'infini, c'est la création de vos rêves et l'explosion de vos cauchemars. Je suis le ciel, mais l'univers est mon père et il me conte des histoires si longues qu'elles ne finissent jamais. Sa voix est d'or et de lumière, elle créée les étoiles et les mondes sans que vous ne vous en aperceviez. L'univers est peintre, auteure, photographe... Il est artiste de l'infini.
— Tu sembles beaucoup l'aimer.
— C'est plus que ça, c'est moi. C'est moi au plus profond de mon être. L'univers est nous, il est tout. Il est partout. Et toi aussi, tu es une part de l'univers.
Je laisse ses réponses m'imprégner petit à petit. Peu à peu, je perds conscience du monde qui m'entoure pour me plonger dans ces paroles qui ne sont pas vraiment celles du ciel, mais qui m'abritent mieux que n'importe quelle carapace spirituelle.
Et lorsque le clocher sonne vingt-deux heures au loin, son tintement ne parvient pas à m'extirper de ma plénitude astrale.
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Bonjour les lucioles 🌟
J'espère que vous êtes en pleine forme 🥰
Est-ce que vous avez aussi envie de taper Olivier ? 🤣
J'ai beaucoup aimé écrire (et relire 🥺) la fin de ce chapitre... J'espère que vous l'avez aussi appréciée 💕
Bon weekend ❤️🎄
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