Les jours s'étiraient en semaines puis en mois. Nous étions arrivés en mai en un rien de temps. L'été semblait s'être déjà installé à Poudlard. Tous les élèves n'avaient plus qu'une envie : se prélasser au bord du lac. Mais l'heure n'était pas à la détente, surtout pour les élèves de cinquième et septième année, qui passaient respectivement leurs BUSE et leurs ASPIC. Je ne voyais quasiment pas Lily. Ces ultimes examens la mettaient dans tous ses états et lorsqu'il m'arrivait de la croiser à la bibliothèque ou dans les couloirs, elle parlait à toute vitesse, en gesticulant dans tous les sens. Tout le monde savait pourtant qu'elle remporterait haut la main son diplôme, qu'elle révise jour et nuit ou qu'elle se présente à ses épreuves les mains dans les poches.

Je n'avais plus adressé un seul mot à Sirius. Ce n'était même plus la simple indifférence que nous avions adopté tout au long de ces années passées à Poudlard. Nous nous ignorions purement et simplement. Pas même un échange de regard. L'un était invisible pour l'autre. Même Lily, James, Remus et Peter s'en étaient aperçus. Et si cette situation me convenait à merveille, les paroles que nous avions échangés dans la serre avaient fini par me rattraper et entacher tout le reste, y compris le souvenir paisible de mon anniversaire. Ce qu'il m'avait dit tournoyait dans mon esprit, me hantait.

" Tu ne vois pas qu'il compte le rejoindre, lui !? "

Cette phrase avait des accents de condamnation. Elle me faisait frissonner. Je savais parfaitement qui était ce fameux "lui". Ce mage noir qui semait la terreur d'un bout du pays à l'autre. Celui que les sorciers n'osaient même pas nommer à voix haute. Certains élèves de Poudlard n'essayaient même pas de cacher leur sympathie pour Celui-Dont-On-Ne-Doit-Pas-Prononcer-Le-Nom, Rabastan Lestrange le premier. Severus Rogue aussi était supposé au rôle de mangemort.

" Regulus est comme cet enfoiré de Lestrange, et tu le sais ! "

Je refusais de le croire. Regulus avait toujours eu un côté sombre, je ne pouvais le nier. Lorsque le jeune fils Black m'avait trouvé lors de notre première année, ce n'était qu'un môme qui se prenait pour un petit roi. Il avait été élevé par une famille où l'on jugeait une personne au degré de pureté de son sang. Quand il croisait un élève venu d'une famille moldue, il le toisait avec dégoût. Mais ce Regulus-là n'existait plus. J'avais appris à l'apprivoiser, j'avais découvert le poids qui pesait sur ses épaules, j'avais compris les sentiments contradictoires qu'il ressentait. Walburga Black avait reporté tous ses espoirs sur lui lorsque Sirius s'était révélé être un Gryffondor à l'exact opposé de l'idéologie familiale. C'était une mère autoritaire, certainement intimidante, que je n'avais vu que de loin sur le quai de la gare King's Cross. Une sorcière à l'air revêche que Regulus ne voulait pas décevoir. De l'autre côté se trouvait ce grand frère tellement aimé, admiré même, mais qui l'avait bousculé hors de l'enfance en répudiant sa famille.

À présent, Regulus devait faire un choix. Qui, de sa famille ou de Sirius, choisira-t-il ? Un jeune homme à peine sorti de l'adolescence peut-il réellement trancher une telle question ?

- Pourquoi tu me regardes comme ça ? m'avait demandé Regulus un jour en me surprenant à le dévisager.

J'avais souri avec un temps de retard, avant de répliquer que c'était à cause de ses yeux trop rapprochés à l'instar d'un strangulot. Il avait souri à son tour, mais il était clair qu'il avait remarqué ce petit laps de temps avant que je ne le taquine comme d'ordinaire. Malgré moi, j'avais commencé à l'observer plus attentivement et il m'arrivait de le fixer pendant de longues secondes.

De façon imperceptible, insidieuse, un mur s'érigeait entre nous. Je détestais cela. Cette sensation que tout m'échappait, que nous nous éloignions l'un de l'autre. Surtout, je détestais le fait que ce soit Sirius qui en soit à l'origine. Il avait semé le doute dans mon esprit.

Mais au fond... Était-ce vraiment de sa faute ? N'avais-je déjà pas remarqué un changement depuis le début de notre sixième année ? J'avais toujours mis cela sur le compte du départ de Sirius de la maison Black pendant l'été précédant la rentrée et de l'effet que cela avait eu sur Regulus. Mais n'y avait-il vraiment que ça ? Cette impression n'était qu'aller en se renforçant après les vacances de Noël. Il était devenu évident que quelque chose se passait. Les non-dits n'avaient de cesse de s'accumuler.

Le point positif durant tout ce temps, c'était que Lestrange n'avait plus cherché à me tourmenter. Il me jetait un regard méfiant à chaque fois que nos chemins se croisaient et je continuais à ressentir une pointe de satisfaction quand je songeais à son expression lorsque mon sortilège l'avait frappé de plein fouet. Malheureusement, c'était une jubilation à double tranchant : mon attaque contre un autre élève paraissait avoir fini de convaincre mes camarades que j'étais dangereuse.

Trop préoccupée, j'avais complètement occulté le message de mon père. En revanche, je puisais de la force dans la photographie de ma mère au fil des jours.

- Ayden !

Je me retournais, surprise d'être interpellée. Ceux qui m'approchaient encore se comptaient sur les doigts de la main.

- Tu es passé devant moi sans même te retourner... Tu m'en veux aussi ?

- Oh, Remus... Excuse-moi, je...

- T'en fais pas, me coupait-il en souriant.

Son ton n'avait rien d'accusateur et ses yeux cernés exprimaient une douceur qui me faisait le plus grand bien. Je lui souriais à mon tour et il m'emboîtait le pas.

- Tu n'es pas en train de réviser ? Lily t'a laissé t'échapper ?

Il souriait de plus belle.

- J'allais justement à la bibliothèque. La salle commune des Gryffondor est un peu trop... survoltée.

Le visage de Sirius s'imposait dans mon esprit. Je l'imaginais sans peine semé la zizanie dans la tour des rouge et or, probablement debout sur une table, sa cravate en travers du front.

La bibliothèque était cependant à peine plus calme. Toutes les tables étaient envahies par des étudiants et des montagnes de livres.

- T'inquiètes pas, il y en a bien une qui va se libérer, disais-je quand Remus poussait un soupir.

À peine avais-je prononcé ces mots qu'un groupe de deuxièmes années de Serdaigle rassemblait précipitamment leurs affaires en nous voyant approcher.

- Je suis si effrayante que ça ? demandais-je, lasse.

- Mais non, ils ont juste...

Il ne terminait pas sa phrase en avisant des coups d'œil appuyés et presque apeurés qu'ils me lançaient en s'en allant. Je regardais mon compagnon, les sourcils haussés. Remus paraissait quelque peu gêné.

- Fais pas attention à eux.

Je ne répondais rien tandis que nous nous installions. Mais Remus reprenait la parole au bout de quelques minutes.

- Dis-moi ce qui te tracasse.

- Outre le fait que les gens me prennent pour le Sinistros ? ...désolée.

Je soupirais en passant ma main dans mes cheveux, dépitée. Ce n'était pas à Remus que je devais m'en prendre. Il continuait de me regarder avec douceur. Bien qu'il ne soit pas offensé, je m'en voulais d'être aussi sèche et tendue.

- Ça a un rapport avec Sirius ?

Quatre mois s'étaient écoulés depuis mon affrontement avec ce dernier et le jeune Lupin n'avait jamais cherché à m'interroger. Mais cette fois-ci, il m'encourageait à m'ouvrir. J'étais toutefois surprise qu'il ait spontanément évoqué le Maraudeur, mais c'était à son tour de me regarder avec un air entendu.

- Disons que... Nous avons un peu... discuté, pendant notre retenue, commençais-je.

Je choisissais soigneusement les termes à employer, mais il n'était pas dupe sur la teneur explosive de ladite conversation. Sirius avait dû regagner le dortoir des Gryffondor aussi furibond que moi.

- Et Regulus a été mentionné.

- Je vois.

Il n'était pas sans savoir que le dernier des fils Black était un sujet épineux.

- À cause de ce qu'il m'a dit, je me pose des tas de questions. ...j'ai peur de perdre mon meilleur ami.

Il m'écoutait sans broncher, attentif. Je marquais une pause. Plus je parlais, plus l'attitude de Sirius m'apparaissait comme incompréhensible. Tout au long de ma scolarité, je l'avais à peine côtoyé. Il s'était soudain hérissé, sans crier gare.

- Qu'est-ce que ça lui apporte ? On dirait qu'il cherche à me monter contre Regulus. Mais ça n'a aucun sens. Il n'a jamais cherché à cacher qu'il me méprise, il se fichait éperdument de moi et de mon amitié avec son frère jusqu'à maintenant. Pourquoi, tout à coup, il se réveille et me balance tout ça ?

Lunard prenait une profonde inspiration, réfléchissant à ce que je venais de dire.

- Je ne pense pas qu'il veuille te monter contre Regulus. Ni qu'il te méprise. Mais...

Dubitative, je ne relevais cependant pas. Je le voyais chercher ses mots, les évaluant, les pesant, avant de reprendre prudemment.

- Il s'est peut-être passé quelque chose qui fait que... Il te dise tout ça. Quelque chose qui l'a fait réagir. En réalité, je pense qu'il... s'inquiète pour toi. À sa façon.

S'il voulait me déconcerter, c'était réussi. Je voyais mal Sirius s'inquiéter pour moi, mais ce n'était pas ce qui m'importait le plus. C'était le fait que Remus venait de me confirmer qu'il y avait bien eu un évènement qui avait bouleversé la vie des deux frères Black. Et j'étais prête à parier que cela s'était passé l'été dernier.