Chapitre 13
Je n'avais pas parlé à Regulus de mon accord avec Remus. Je préférais ne pas imaginer sa réaction s'il apprenait que j'avais mêlé un des Maraudeurs à nos investigations. D'autant qu'il ne manifestait aucun entrain dans nos recherches.
Pendant presque tous les samedis qui suivaient, je rejoignais donc Remus à Pré-au-Lard. Tout ce que nous avions trouvé durant la semaine, nous le soumettions à l'autre. Malheureusement, nos suggestions se démontaient facilement. Rien ne tenait la route et bientôt, nous n'avions même plus de quoi débattre. Nous ne faisions qu'agiter du vent.
La joie de m'être trouvé un nouvel allié s'était dissipée. J'étais irritée. C'était à cause de cela que je m'en prenais à Regulus, ce soir-là. Comme presque tous les soirs depuis septembre, nous nous trouvions à la bibliothèque. Je m'acharnais à lire et relire les lignes d'un épais grimoire, à l'odeur plus que douteuse et aux sujets plus que discutables. Près de moi, mon meilleur ami se tenait la tête dans une main, tapotant la pointe de sa plume contre un parchemin. Le cliquetis m'agaçait prodigieusement. Les nerfs à vif, je n'y tenais plus et finissais par lui murmurer :
– Si tu ne sais pas quoi faire, il y a encore plus de la moitié de la Réserve qui n'attend que toi.
– Ça ne sert à rien, Ayden...
J'ouvrais la bouche pour répondre quand j'entendais un "chut !" tonitruant. Les sourcils froncés, je tournais la tête pour fusiller du regard un élève de Poufsouffle, qui me regardait, un doigt sur les lèvres. Il paraissait hésiter une seconde, mais retournait finalement à son travail. Je me penchais malgré tout un peu plus sur la table pour faire moins de bruit.
– Arrête de dire que ça ne sert à rien, et continue à chercher, chuchotais-je. Je t'interdis de baisser les bras. Je t'interdis d'abandonner !
Il soutenait mon regard, mais je ne percevais aucune trace de détermination dans ses yeux. S'intéressait-il seulement à ce combat ? Ce constat finissait de me mettre hors de moi. Les paroles qu'avaient prononcés Sirius lors de notre retenue s'insinuaient une fois encore dans mon esprit.
" Regulus aime bien s'intégrer. Se fondre dans la masse, tu vois ? Il aime bien faire plaisir aux autres, aussi, tu sais. Il a toujours tout fait pour satisfaire notre mère, c'était trop mignon. "
" Il adore correspondre à ce qu'on attend de lui. "
– Alors quoi, Regulus ! Tu les laisses gagner, c'est ça ? Tu corresponds à ce qu'ils attendent de toi sans te battre ?
Avec le recul, je culpabiliserais. Je penserais que je n'aurais pas dû cracher ces mots. Mais j'espérais simplement le secouer, le pousser à lutter. Un nouveau "chut !" plus fort que le précédent retentissait. Portée par la rage, je lançais un nouveau regard vénéneux à celui qui en était l'auteur et récupérais mes affaires.
– Fais ce que tu veux, mais moi, je ne capitule pas.
Je me levais et tournais les talons pour m'en aller.
Ma colère s'était dissipée dès le lendemain. J'éprouvais du remords. Jeter pareils mots à la figure de mon meilleur ami n'était indéniablement pas l'une de mes meilleures idées. La frustration n'aurait pas dû me pousser à l'incriminer de la sorte. Après tout, c'était sur le bras de Regulus qu'était gravé la Marque des Ténèbres, pas sur le mien. Dans ce cas-là, comment pouvais-je savoir ce qu'il ressentait ? Comment me sentirais-je si c'était moi qui étais condamnée à servir Celui-Dont-On-Ne-Doit-Pas-Prononcer-Le-Nom ? Je lui avais juré de ne pas baisser les bras, jurer de toujours le soutenir. Et voilà que je l'enfonçais.
Dans les jours qui suivaient, adoucie, j'essayais de me montrer positive. Je l'encourageais. Mais Regulus se montrait silencieux, plus taciturne que jamais. Mon enthousiasme s'étouffait, asphyxié par le comportement de celui que je pensais être mon âme sœur.
Le désespoir s'étendait lentement sur moi, m'harponnait, plantait ses serres au fond de mon être. Il me susurrait d'une voix dangereusement suave que mon combat était perdu d'avance.
Nous arrivions en décembre. Regulus ne tentait même plus de faire illusion. Petit à petit, il commençait à faire l'impasse sur nos soirées à la bibliothèque. Et quand il venait, il ne faisait preuve d'aucune ardeur. Que cela concerne les ASPIC ou les recherches sur les faiblesses du mage noir. Nous avions cessé depuis longtemps de nous charrier, de rire ensemble et quand nos regards se croisaient, ne subsistait plus qu'un vague reflet de notre complicité dans ses yeux. Je me sentais progressivement l'effet d'une étrangère. Indolent, il se tenait droit et fier. Mon malaise grandissait. Je comprenais enfin qui il me rappelait depuis quelque temps : lui-même, lorsqu'il était cette andouille de onze ans qui débitait sans réfléchir les ignominies de sa famille. Je lui trouvais de plus en plus de ressemblance à l'austère sorcière qu'était sa mère.
Les mots de Sirius résonnaient chaque fois plus fortement dans mon esprit. La petite voix qui me murmurait qu'il était trop tard, que nous ne pouvions pas faire machine arrière, se faisait elle aussi toujours plus tenace. Et même s'il était encore possible de rebrousser chemin, Regulus le voulait-il seulement ? Avait-il seulement l'envie de se défaire de l'emprise de Celui-Dont-On-Ne-Doit-Pas-Prononcer-Le-Nom ? Le temps passait et j'en étais de moins en moins convaincue. Et malgré tout, plus ma conviction suffoquait, plus je me démenais, à l'instar du condamné à mort qui veut échapper à l'échafaud. Malgré la naïveté de cette résolution, je luttais sans répit pour ne pas le perdre.
Mrs Pince ne se gênait pas pour lever ostensiblement les yeux au ciel en me voyant arriver, le dernier soir avant les vacances de Noël. Elle renonçait toutefois à me faire une remarque, y compris lorsque je me dirigeais vers la Réserve.
Pendant de longues minutes, j'avançais lentement entre les rayonnages, lisant distraitement les titres des livres. De temps à autre, j'en prenais un, dont je feuilletais quelques pages du bout des doigts, avant de le reposer. J'entendais la bibliothécaire s'agiter.
– Il est bientôt l'heure du festin, miss Grindelwald, me rappelait-elle négligemment.
– Je n'en ai pas pour longtemps, Mrs Pince.
Inutile de voir son visage pour deviner sa mine renfrognée. Elle ne disait rien pendant quelques instants, avant de lâcher sur un ton exaspéré.
– Très bien, miss Grindelwald. Restez ici. Mais ne vous avisez pas de détériorer de quelque manière que ce soit ces livres en mon absence, vous risqueriez de le regretter.
– Oui, Mrs Pince.
Voyant que cela me laissait complètement indifférente, elle finissait par quitter la bibliothèque en reniflant dédaigneusement. Le silence s'installait. Il n'y avait plus que moi et des milliers de pages. Je continuais à errer dans la Réserve pendant plus d'une heure, m'enfonçant toujours plus loin. La magie noire irradiait des livres qui m'entouraient, une magie de plus en plus puissante et terrifiante au fur et à mesure que j'avançais. Les allées elles-mêmes paraissaient plongés dans une impénétrable obscurité, presque étouffante. À se demander pourquoi cette partie de la Réserve n'avait pas simplement et purement été rasé.
...Des Grandes Noirceurs de la Magie...
...Le Livre des Sorts...
...Démons du XVe siècle...
...Les Potions de Grands Pouvoirs...
...Secrets les Plus Sombres des Forces du Mal...
Je me stoppais brusquement. "Secrets les Plus Sombres des Forces du Mal ". Je fixais la reliure rapiécée et couvert de poussière de longues secondes avant de tendre une main légèrement tremblante. Le grimoire était lourd et ses pages étaient noircis, sans qu'on puisse savoir si c'était à cause de son ancienneté ou des mots qu'il contenait. Comme avec les autres, je lisais quelques pages, et passais au chapitre suivant. Mais je ne le reposais pas. Je sentais mon palpitant s'emballer entre mes côtes. Mes gestes se faisaient de plus en plus empressés. Jusqu'à ce que je déniche un mot. Avides, mes yeux bondissaient d'un bord de la page à l'autre pour lire le paragraphe qui lui était consacré.
Je fermais brusquement le grimoire dans un claquement sec qui aurait fait s'évanouir Mrs Pince. Je le calais sur ma hanche, attrapais mon sac au vol et quittais en coup de vent la Réserve puis la bibliothèque. Les couloirs étaient déserts. Tous les élèves et tous les professeurs étaient dans la Grande Salle, pour le festin. Mais j'avais bon espoir de retrouver Regulus.
J'étais assise seule dans les gradins du terrain de Quidditch, un volumineux manuel de métamorphoses sur les genoux. L'haleine froide de la fin de l'hiver s'immisçait sous ma cape. J'enfouissais mon nez dans mon écharpe en tâchant de comprendre les rudiments du sortilège de Transfert. Des exclamations retentissaient d'un bout à l'autre du stade. Je fronçais les sourcils en relisant pour la quatrième fois la même phrase. Au bout de la cinquième, je me résignais et relevais les yeux vers les joueurs de Serpentard qui évoluaient dans les airs. Aussitôt, un frisson qui n'avait plus rien à voir avec la fraîcheur de l'air dévalait ma colonne vertébrale. Ils voltigeaient à une hauteur impossible. Rien que songer à mon premier cours de vol me donnait des sueurs froides, alors voir leurs acrobaties aériennes...
Je repérais Regulus, parfaitement à l'aise, à califourchon sur son balai. Il exécutait des figures impressionnantes, plongeant, remontant, zigzaguant à travers ses camarades à la poursuite du Vif d'or. Je grimaçais en le voyant grimper toujours plus haut, le vent fouettant son visage. J'avais le cœur au bord des lèvres en le voyant faire. Détournant le regard avant d'être franchement prise de nausées, je reportais mon attention sur l'illustration de mon livre.
Ce n'est que lorsqu'un coup de sifflet éclatait, annonçant la fin de l'entraînement, et que les joueurs posaient le pied sur la terre bien ferme, que je redressais la tête. Le capitaine s'entretenait avec son équipe quelques minutes, puis Reg se détachait du groupe avec un dernier signe de la main.
– Toujours pas intéressée ? me lançait-il alors qu'il avançait le long de la rangée où j'étais.
Il soulevait son balai dans ma direction avec un air de défi.
– Sans façon. J'ai déjà failli rendre tripes et boyaux en te voyant monter en flèche là-haut.
Il gloussait allègrement. Les traits de son visage étaient parfaitement détendus lorsqu'il prenait place à côté de moi.
– Tu ne sais pas ce que tu rates.
– C'est ça, ricanais-je. On n'a pas d'idée de se percher à des dizaines de mètres du sol.
– Dixit celle qui court se réfugier à la tour d'astronomie à la moindre occasion.
J'étais bien obligée de lui concéder cela. Moi-même je ne comprenais pas comment je parvenais à concilier mon vertige avec mon endroit favori du château. Je savais seulement que le calme qui y régnait m'apaisait. Les étoiles étaient si proches et si belles, là-bas.
– Touché.
Il s'accoudait au banc derrière le nôtre et contemplait le terrain. Un franc sourire continuait à retrousser ses lèvres.
– C'est ce que je préfère au monde. C'est le seul moment où je me sens réellement libre.
Bạn đang đọc truyện trên: Truyen247.Pro