Chapitre 11
Tout s'imbriquait dans mon esprit, pour reconstruire un puzzle que j'aurais préféré ne pas comprendre. Durant les jours qui me séparaient encore de la rentrée scolaire, je ruminais sans cesse. J'avais l'impression que mon cœur battait plus vite depuis ce fameux jour au Chemin de Traverse. Plus vite, plus fort, blessé dans ma poitrine. Sirius m'avait averti. Remus aussi. Moi-même je savais au fond de moi que quelque chose clochait. Mais j'avais préféré fermer les yeux sur la vérité, refusant de voir l'évidence, refusant d'admettre que l'amitié qui nous reliait Regulus et moi vivait ces derniers instants.
Le 1er septembre, je faisais le voyage seule dans le train nous emportant vers l'école de sorcellerie. Reg n'avait pas cherché à me trouver. C'était insoutenable. Je me sentais démunie. Détruite. J'étais meurtrie, mutilée par son absence. Je me forçais à ravaler ma douleur, la transformais en colère. Il n'avait pas le droit de me laisser tomber comme ça.
J'avais l'esprit ailleurs durant toute la Répartition, le cherchant des yeux à la table des Serpentard. Le festin de début d'année s'étirait en longueur, jouait avec la patience de mes nerfs. Je ne parvenais pas à toucher à mon assiette. Il fallait que je lui parle. Que nous ayons la discussion que nous aurions dû avoir des mois plus tôt. Nous ne l'avions que trop repoussé. Quand Dumbledore déclarait enfin qu'il était temps de regagner nos lits respectifs, je bondissais de mon banc, m'attirant quelques regards offusqués. Je n'en avais cure et allais me poster à la sortie de la Grande Salle. Regulus finissait par apparaître parmi le flot d'étudiants. Je lui attrapais le bras et le traînais sans ménagement dans une salle de classe vide du hall d'entrée.
La porte fermée, je me retournais enfin vers lui en posant mes mains sur mes hanches. Je devais rester inébranlable. Mais mes bonnes résolutions, comme mon impassibilité, manquaient se briser en voyant son visage de plus près. Ses cernes étaient plus noirs encore que deux semaines plus tôt.
– Qu'est-ce que tu faisais au Chemin de Traverse, ce jour-là ? attaquais-je sans autre forme de procès.
Les mots s'étaient échappés de ma bouche avant que je ne puisse les retenir. Il restait silencieux, se contentait de me regarder.
– Réponds-moi, Reg.
Je répétais ma question. Ses yeux semblaient me supplier d'abandonner, de ne pas l'obliger à répondre. Je sentais une nouvelle vague de colère monter en moi, car la lueur dans ses pupilles était comme un aveu. Je me surprenais à vouloir nier encore la réalité, tant qu'il ne l'avait pas clairement énoncé. Parce que ça ne pouvait pas être vrai, n'est-ce pas ? Parce que mon meilleur ami ne pouvait pas être comme Rabastan Lestrange, parce que Sirius ne pouvait pas avoir raison, c'était évident, non ? Parce que je ne pouvais pas avoir échoué à le sauver.
– Montre-moi ton avant-bras.
Je contrôlais le timbre de ma voix alors que mon rythme cardiaque se lançait dans une cadence angoissée. Regulus ne pipait toujours pas mot, mais il continuait à m'implorer implicitement. Dépassée par les évènements, par ce que je comprenais, ma colère explosait malgré moi.
– Montre-moi ton avant-bras, Regulus !
– Pourquoi ! Pour voir ça !? s'énervait-il à son tour.
Arrachant presque le tissu de sa chemise, il dégageait son avant-bras gauche, celui qu'il n'avait cessé de gratter inconsciemment depuis Noël.
Mon cœur cessait soudainement de battre.
Je faisais un pas maladroit en arrière, ébranlée.
Ma rage s'étouffait brutalement.
La sienne aussi.
La Marque des Ténèbres ondulait avec obscénité sur sa peau.
La dernière pièce du puzzle. La preuve irréfutable qui m'interdisait de me voiler la face plus longtemps. Tout s'expliquait depuis longtemps, mais comme me l'avait justement reproché son aîné, j'avais refusé d'ouvrir les yeux pour voir la vérité. J'avais perçu la distance qui se creusait doucement, lentement entre nous, de manière sournoise. Mais j'avais lâchement nié. Encore et encore.
L'été précédent notre sixième année, Sirius avait dû apprendre que Regulus comptait rejoindre les rangs des mangemorts. Furieux de voir son petit frère céder à sa mère et à sa cousine, il avait décidé de quitter définitivement le 12 square Grimmaurd et d'aller chez les Potter. Ce coup d'éclat avait dû retarder l'entrée de Regulus parmi les partisans de Voldemort aux vacances de Noël. La relation entre les deux frères était scellée. Cependant, dans le Poudlard Express, sous sa forme d'animagus, Sirius était venu dans notre compartiment, sûrement parce qu'il avait des regrets. Il s'était adouci en comprenant que son petit frère avait encore des choses à lui dire, il avait peut-être même entrevu un espoir. Mais il avait également assisté à l'aversion qu'avait témoigné Regulus face à un né moldu. Tout espoir s'était étouffé et il lui avait une seconde fois tourné le dos, mais cette fois-ci, de manière irrévocable.
Et durant l'été, sur le Chemin de Traverse, conscient de l'attaque imminente, prêt à y jouer un rôle, Regulus m'avait demandé de partir.
Tout était là. Tout était là depuis des mois et des mois. Mais persuadée que je connaissais mon meilleur ami par cœur, je n'avais pas daigné agir, je n'avais fait que me mentir. Que serait-il advenu si j'avais réagi à temps ?
Aurais-je réussi à le tirer des griffes de Walburga Black et de Bellatrix Lestrange ? Ou la part d'ombre qui avait toujours existé en lui aurait gagné, qu'importait mes tentatives ?
Lorsque je relevais la tête et qu'il lisait l'horreur dans mes yeux, ses traits se tordaient dans une grimace douloureuse.
– Ayden...
– Je ne voulais pas y croire...
– Ayden... S'il te plaît...
– J'ai refusé de le croire... je...
– Tu parles de Sirius, c'est ça ? me coupait-il, l'amertume corrompant son visage. Tu es de son côté, hein ?
Ses accusations agissaient comme un énième coup de poignard. Pensait-il vraiment que je l'avais trahi ?
Mes yeux s'humidifiaient lentement, brouillant ma vision. Je secouais doucement la tête. Comme si cela suffisait encore à repousser les faits. Parce que je ne pouvais pas m'en empêcher : je rejetais l'idée que mon meilleur ami, que ce frère que m'avait donné la vie, soit un mangemort. Je la rejetais de bloc, car si je venais à l'accepter, nos chemins se sépareraient.
Quand une larme roulait sur ma joue, l'expression de Regulus se déformait à nouveau, laissant place à une infinie peine. Il allait de la colère à la souffrance, perdu dans un océan d'émotions. Condamné à être perpétuellement écartelé entre elles.
– Ayden... ne m'abandonne pas aussi... pas toi...
À ses supplications, n'y tenant plus, je franchissais la distance qui nous séparait et passais mes bras autour de ses épaules pour l'attirer contre moi. Je le serrais fort, continuant de pleurer silencieusement, et lui que les contacts rendaient vite mal à l'aise, il me rendait mon étreinte, enfouissant son visage dans mes boucles blondes. J'aurais tout donné pour que notre amitié reste inchangée.
– Je ne pourrais jamais t'abandonner, Regulus... Mais tu t'engages dans un chemin sur lequel je ne peux pas te suivre... soufflais-je, la voix brisée.
Je m'étais trompée. Le chaos s'était déjà invité entre les murs du château. Je m'étais trompée en pensant être encore à l'abri à l'école de sorcellerie, en me persuadant qu'un sursis nous était accordé jusqu'à la fin de nos études, avant de devoir rejoindre un camp. La neutralité n'avait été qu'une illusion. Nos camps étaient déjà choisis.
Et mon meilleur ami n'était pas dans le même. Comment parviendrais-je à l'affronter, le moment venu ?
De longues minutes s'écoulaient, mais je ne parvenais pas à le lâcher pour rallier la tour des Serdaigle. Je ne pouvais pas me résoudre à capituler. Oui, j'avais toujours su que mon meilleur ami possédait des ténèbres en lui, capable de nous séparer. Mais avais-je réellement l'intention de baisser les bras avant même d'essayer de me battre contre elles ? La douleur et la colère que je ressentais depuis l'attaque du Chemin de Traverse se muaient en une profonde détermination.
– Je n'ai pas l'intention de t'abandonner, affirmais-je plus fort.
– Ayden... commençait-il.
Je ne le laissais pas terminer. Je m'écartais de lui pour le regarder dans les yeux, habitée par une nouvelle énergie.
– On va se battre tous les deux, et on va te sortir de là.
Regulus Black n'était pas seulement mon meilleur ami, c'était mon frère. Nous nous ressemblions plus que ce que nous avions pu penser lorsque nous nous étions rencontrés. L'un comme l'autre, nous devions affronter la noirceur ancrée en nous, ancrée dans notre généalogie. Si j'avais eu Bathilda pour m'éduquer, Regulus avait écopé d'une mère froide et hautaine, et d'un père distant, voire absent. Walburga était une femme inflexible, qu'il ne voulait pas décevoir après la rébellion de son frère aîné. Mais si j'étais parvenue à tourner le dos à l'héritage que me laissait Gellert Grindelwald, je savais que Regulus pouvait parvenir à faire de même avec l'héritage Black.
Je ne remarquais pas qu'il s'abstenait d'approuver.
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