Le nez caché derrière une épaisse écharpe en laine, les mains enfoncées dans les poches profondes de son manteau long, Jeongin remontait l'allée de graviers. Le vent frais de décembre rougissait le haut de ses oreilles, asséchait le moindre centimètre de peau visible et fendillait ses lèvres rosées. Le jeune homme passa un coup de langue rapide dessus avant de grimacer. Sa salive gela aussitôt, empirant les micros coupures plus qu'autre chose. La neige de fin de soirée subsistait sur le sol et les arbres dénudés grâce aux températures négatives et quelques flocons s'envolaient dans les airs sous les violentes bourrasques.

Jeongin serra et desserra les doigts, regrettant de ne pas avoir de gants. Pourtant, il ne pouvait pas réellement se plaindre. Il était celui ayant demandé ce rendez-vous et c'était également lui qui avait imposé le lieu ainsi que l'heure de la rencontre.

Une corneille s'envola non loin de lui en poussant un cri aigu et répétitif. Le jeune homme se figea, et porta rapidement sa main à l'arme soigneusement rangée dans son étui. Le calibre 9mm glissé à sa ceinture ne lui quittait jamais et lui avait déjà sauvé la vie à plus d'une reprise, il espérait ne pas en avoir besoin ce soir-là. Jeongin se remit en marche, plus tendu que jamais.

Les minuscules graviers crissaient sous le passage de ses lourdes bottes, trahissant sa présence à des mètres à la ronde. Une chance pour lui, il n'y avait personne dans ce petit parc abandonné depuis des années. Les rares attractions pour enfants ne tenaient plus qu'à des amas de planches pourries, de peinture écaillée et de vis rouillées. Même les caméras de surveillance avaient cessé de fonctionner depuis des années et c'était bien pour cette raison que Jeongin avait choisi cet endroit en particulier.

Son regard balaya rapidement les balançoires effondrées, mais il ne s'arrêta pas dessus et continua sa route jusqu'à un banc tenant encore debout. Le bois de l'assise était abîmé et troué, mais supportait son poids sans grincer ce qui était tout ce qu'il pouvait attendre de ce meuble.

Il soupira et sortit une photo de son portefeuille. Un pauvre morceau de papier glacé froissé, sur lequel il faisait l'idiot en compagnie de trois autres membres de sa promotion. Changbin, Minho, Seungmin et lui étaient diplômés de la même année de l'école de police et ce soir-là, ils l'avaient fêté. Tout sauf dignement.

Une vague de froid le fit tressaillir et il redressa le dos, les sens en alerte. Ce frisson glacé remontant le long de son dos n'était pas dû aux températures hivernales. C'était une sensation différente. Unique. Repoussante.

Jeongin fourra la photo dans sa poche et se redressa, son regard noir balayant le paysage désolé lui faisant face. Aucun mouvement hormis celui des oiseaux perchés sur les branches rabougries des arbres.

— C'est moi que vous cherchez avec ce regard de tueur, inspecteur Yang ?

Le jeune homme siffla et bondit sur ses pieds, les dents serrées. Il détestait que quelqu'un puisse se glisser dans son dos sans qu'il ne le remarque. C'était encore plus vrai lorsque c'était lui. Cet homme répugnant. Ce maudit nécromancien.

— Bang Chan, cracha le policier.

Le susnommé haussa un sourcil aussi sombre que ses cheveux, une main sur la taille et l'autre tenant un casque de moto.

— Ne soyez pas aussi énervé de me voir, soupira le nécromancien. C'est quand même vous qui me faites venir à plus de trois heures du matin au beau milieu de nulle part. Comme si j'avais envie d'être là. Avec vous en plus, encore si ça avait été un autre membre de l'équipe...

Jeongin serra les dents et ravala l'envie de le renvoyer chez lui. C'était physique, depuis le premier jour il ne pouvait pas supporter la présence de l'arrogant surnaturel et la réciproque semblait être d'actualité. Pourtant, le jeune inspecteur n'avait aucun problème d'intégration nulle part. Il était très apprécié par ses collègues, il était invité régulièrement à des repas dans leurs familles et il se liait très rapidement avec le premier venu. Des liens superficiels mais agréables, qui lui convenaient parfaitement. Mais avec Bang Chan, ce n'était pas possible. Même les suspects ne lui sortaient pas autant par les yeux, et pourtant il voyait tous les jours les déchets de la société. 

— Vous allez juste me regarder avec votre air de merlan frit ? Je ne sais pas si vous êtes au courant ni si ça se voit, mais je suis un homme occupé et la nuit j'apprécie dormir, ironisa Chan.

L'inspecteur haussa un sourcil, ses lèvres se courbant d'elles-même en un rictus moqueur. Avec son pantalon de jogging et son gros sweat à capuche dont le logo était tellement délavé qu'il en devenait illisible, non, le nécromancien n'avait pas l'air d'être si occupé. Plutôt d'un joueur de LOL interrompu au milieu de sa partie. Il ressemblait constamment à un adolescent en crise, malheureusement Jeongin savait de source sûre qu'ils étaient tous les deux dans leur vingt-sixième année.

Soupirant dramatiquement, il ravala son venin.

— J'ai besoin de vous parler d'une affaire.

— Vous m'en direz tant ! s'étonna Chan en écarquillant dramatiquement les yeux. Moi qui pensais que vous souhaitiez me confesser votre amour, je tombe des nues.

— Je vais vous cogner avant la fin de l'heure, menaça Jeongin en serrant le poing. 

Les prunelles du nécromancien changèrent de couleur, passant au gris métallique en un instant. Tels deux miroirs, elles figèrent l'inspecteur sur place alors qu'un souffle glacé s'enroulait autour de son corps. Comme un serpent, le pouvoir de Chan remonta le long de ses mollets.

— Ne me menacez plus jamais, murmura le surnaturel. Il pourrait y avoir des conséquences pour lesquelles vous n'êtes pas prêt. Inspecteur.

L'étreinte gelée se dénoua, rendant à Jeongin sa liberté de mouvement. Il se força à ne pas déglutir tout en maintenant le contact visuel avec Chan.

— Je pourrais vous dire la même chose. N'oubliez pas que je suis un inspecteur de police.

— Comment l'oublier, s'amusa Chan en shootant dans une pierre qui roula un peu plus loin. Vous le portez sur votre visage.

— Qu'est-ce que c'est censé vouloir dire ? se hérissa Jeongin.

— Que vous avez un balais enfoncé si fort dans le derrière que je suis étonné de ne pas le voir ressortir par votre nez.

Le jeune homme ouvrit la bouche, les yeux écarquillés.

— Bon, on peut passer à la raison de ma présence, maintenant ? J'ai froid et très envie de retrouver mon lit, donc si c'était juste pour me faire perdre mon temps, bien joué, vous avez réussi. Si c'est pour autre chose, dites le et vite.

Jeongin expira lourdement, ferma les yeux et se pinça l'arrête du nez. Si seulement il avait pu trouver une autre option, jamais il ne serait infligé cette nuisance. Malheureusement, il avait besoin de lui et il ne pouvait pas se permettre de lui répondre de la manière dont il avait voulu. Après tout, il n'avait aucun moyen de forcer Chan à l'aider, il ne pouvait compter que sur sa coopération volontaire.

— J'aurais besoin de vous pour une enquête.

— Et ça ne pouvait pas attendre demain ? Ou alors un mail ?

— Ce n'est pas une affaire... officielle. Ou plutôt elle ne l'est plus.

Les yeux du nécromancien retrouvèrent leur couleur classique, un brun chocolat profond, alors qu'un large sourire prenait place sur son visage. Jeongin se tendit, prêt à faire un pas en arrière.

— Vous me demandez un service, inspecteur ? 

— Oui. Et arrêtez d'être aussi joyeux, c'est indécent.

Le surnaturel s'esclaffa, son rire résonnant plus que de raison dans l'endroit désert. Jeongin lui frappa le bras pour le faire taire, inquiet que quelqu'un puisse les surprendre ensemble.

— Qu'est-ce que j'y gagne ? Comme je le disais, je suis déjà très occupé avec les affaires de la police. Pourquoi est-ce que je m'infligerai une autre charge et encore plus pour vous ? Vous me faites penser à un cafard, toujours présent, à s'agiter dans tous les sens et plus on vous écrase et plus vous revenez à la charge. Moins je vous vois et mieux je me porte, et je sais que c'est pareil pour vous.

Le jeune homme souffla avant de faire claquer la langue contre son palais. Une raison de plus pour qu'il déteste Chan. Il avait l'occasion de faire ce qui était juste, d'aider son prochain, mais avant même de se renseigner sur la teneur de l'affaire il voulait connaître la récompense. C'était un égoïste avare.

— Qu'est-ce que vous voulez ? Je ferai en sorte de vous l'obtenir, je vous en donne ma parole.

Un air ennuyé passa sur le visage du nécromancien. Il fit taper ses doigts sur son casque de moto, les yeux plissés.

— Je ne sais pas encore, mais... je veux que votre promesse soit scellée par un serment de sang.

Jeongin frissonna et ne put s'empêcher de faire un pas en arrière. Il avait déjà eu l'occasion, une fois dans sa vie, d'assister à un serment de sang. L'image l'avait tellement marqué qu'il en avait cauchemardé pendant des semaines et s'était promis de ne jamais s'abaisser à ça. 

— C'est obligé, marmonna le jeune homme en essuyant ses mains moites sur son manteau.

— Bonne soirée, Inspecteur Yang.

— Attendez ! C'est d'accord, faisons votre... truc.

— Pas ici, allons chez moi. C'est plus sûr et j'aurai tout le matériel nécessaire pour effectuer le rituel.

Retenant un gémissement, Jeongin leva les yeux au ciel. Il n'avait aucune envie de se rendre chez le nécromancien, que ce soit au milieu de la nuit ou de la journée, cependant il n'avait aucun droit de se plaindre. Comme l'avait fait remarquer Chan, il n'était pas en position de force. Jeongin accepta son triste sort en soupirant et désigna le chemin le plus proche d'un mouvement de la main.

— Allons-y alors et finissons-en. 

Le surnaturel soupira.

— Suivez-moi et par pitié, ne prenez pas ça pour une invitation à revenir comme vous le souhaitez. Si j'avais une option plus pratique et rapide, vous ne mettriez jamais les pieds chez moi.

— Comme si j'en avais envie, maugréa Jeongin derrière son épaisse écharpe.

Traînant des pieds, le jeune homme emboîta le pas à Chan. Ils sortirent du parc abandonné, puis remontèrent plusieurs rues faiblement éclairées avant que le nécromancien ne s'arrête devant une maison. L'inspecteur haussa un sourcil. Il comprenait mieux pourquoi l'autre n'avait pas récupéré sa moto, il vivait à peine à dix minutes de marche de leur lieux de rendez-vous.

Chan déverrouilla l'entrée et pénétra le premier dans la bâtisse sans prendre la peine de lui retenir la porte. Jeongin grimaça. Cette collaboration s'annonçait comme étant la plus désagréable de sa courte carrière.

Il trébucha, ses pieds se prenant dans l'amas de baskets stockées dans l'entrée et se retint de justesse au mur. Le nécromancien darda sur lui un regard moqueur qui hérissa Jeongin. Il se redressa avant d'épousseter le bas de son manteau et de balayer les lieux des yeux.

L'intérieur de la maison était aussi désagréable que son propriétaire. Les murs mettaient en avant des tableaux ridicules, bardés de couleurs extravagantes et de formes sans aucun sens ou de photos embarrassantes. Le mobilier n'avait aucune cohérence, créant une cacophonie irritante pour Jeongin qui ne savait où poser le regard pour protéger sa rétine.

— Je vais chercher le matériel. Posez-vous dans le salon et ne touchez à rien, le mit en garde Chan.

Jeongin roula des yeux sans pouvoir se retenir. La seule envie qu'il avait actuellement était de fuir et de retrouver le confort de son propre appartement. 

Il se laissa tomber dans un gros fauteuil en forme de main, rose fushia, et dont l'assise était la seule à ne pas être recouverte de plaids ou de coussins bigarrés. Désespéré, il observa le décor. Il n'était pas décorateur d'intérieur ni le roi du bon goût, mais même un ignare pouvait remarquer que c'était juste moche. La table basse en bois brut reposait sur un tapis semblant pensé par Picasso, elle était cerné par le fauteuil sur lequel il se trouvait, son jumeau maléfique vert pomme et par un canapé blanc rapiécé par endroits.

L'arrivée de Chan le coupa dans son observation et il se redressa, le dos droit comme la justice. La petite boîte dans les mains du nécromancien ne lui inspirait aucunement confiance.

— N'ayez pas l'air aussi inquiet, inspecteur.

— Je ne le suis pas.

Chan émit un petit reniflement supérieur, mais n'ajouta rien. Il s'assit sur le rebord du canapé le plus proche de Jeongin, la boite posée en équilibre sur l'une de ses cuisses.

— Donnez-moi votre bras.

A contrecœur, le jeune homme s'exécuta. Il se débarrassa de son manteau afin de pouvoir remonter la manche de son pull au niveau de son coude. Les doigts de Chan étaient glacés contre sa peau. Jeongin se concentra pour le pas tressaillir, mais son visage avait perdu quelques couleurs.

— Je vais couper sur quelques centimètres, très légèrement, prévint le nécromancien. Vous allez certainement sentir une sensation de brûlure, puis de froid.

Jeongin hocha la tête, les dents serrées. A présent, il voyait la lame effilée dans le fond de la boîte. Chan s'empara d'un coton et désinfecta un carré de peau sur l'avant-bras de l'inspecteur avant de faire la même chose sur le sien.

— Vous êtes prêt ? Vous pouvez encore vous retirer si vous n'êtes pas sûr de vous, inspecteur Yang. Après ça sera trop tard, le seul moyen de se débarrasser du serment est de l'exécuter.

— Je le sais très bien, grinça Jeongin. Dépêchez-vous avant que je ne change d'avis. 

Chan resserra sa prise sur le poignet du jeune homme pour l'empêcher de bouger, s'empara de la lame et traça une fine ligne écarlate sur la chair blanche. Il fit rapidement de même de son côté puis ses yeux virèrent au gris irréel.

— Je fais le serment d'aider l'inspecteur Yang Jeongin tout au long de l'enquête pour laquelle il est venu me trouver ce soir, sans restriction de temps et de moyens, prononça le nécromancien d'une voix d'outre-tombe.

— Je fais le serment d'accepter la compensation que demandera Bang Chan, peu importe sa nature et peu importe le moment où il le souhaitera, promit le jeune homme.

Sa peau se hérissa d'une chair de poule incontrôlée alors qu'une sensation glaciale se dégageait de l'entaille sur son bras. La plaie irradia d'une discrète lueur argentée, puis un filament de sang s'éleva dans les airs. Le cœur au bord des lèvres, Jeongin observa le même phénomène chez son vis-à-vis. Leurs sangs entrèrent en contact et l'inspecteur tressaillit. Pendant une seconde, il avait eu l'impression d'être dans le corps du nécromancien.

Puis la sensation s'évapora.

Jeongin inspira profondément, comme s'il retrouvait l'air après avoir été en apnée. A présent, sur son avant-bras il n'y avait plus la moindre trace de blessure, mais une rune argentée si claire qu'elle en devenait invisible.

— Bien, maintenant que les bases sont posées, dites-moi ce que je peux faire pour vous, Inspecteur ? bailla Chan en se laissant tomber dans les coussins.

Le regard du jeune homme se durcit.

— Je veux que vous m'aidiez à trouver qui a tué mon équipier, l'inspecteur Lee Minho. 

Nda :

Je tente désespérément de poster ce chapitre depuis hier sans succès, j'espère qu'un jour vous pourrez le lire en espérant que ce soit avant 2036 x( J'espère que cette mise en bouche vous plait :3

Dalion~ Kiss :3