Accoudé à la fenêtre de notre petite ferme, dans le Sussex, j'observais, distrait, le ballet des abeilles.

Mes yeux se posèrent sur l'homme au profil familier qui les faisait danser sur ses mains gantées. Sentant peut-être le poids de mon regard, il se tourna et m'envoya un sourire amical. J'y répondis vaguement et reportai mon attention sur la machine à écrire qu'il me brûlait de saisir, posée juste devant moi comme l'ultime tentation.

Je savais que je n'y résisterais pas. La fièvre de l'écriture avait depuis longtemps consumé mon âme, emportant en romans et en nouvelles les morceaux de ma mémoire.

Tous, sauf un.

Mais aujourd'hui, alors que mon ami était au crépuscule de sa vie, je ne pouvais plus me retenir.

Il fallait que j'écrive cette histoire.

La seule que je n'avais jamais racontée. Et pourtant, la plus palpitante, la plus intrigante, la plus dangereuse... La plus importante, aussi.

Qu'en ferai-je, après ? Je ne sais trop. Peut-être la brûlerai-je. Peut-être l'emporterai-je dans ma tombe. Peut-être la dissimulerai-je quelque part, dans l'espoir que quelqu'un l'exhume, un jour, et apprenne toute la vérité.

Ainsi, si, par hasard, ces mots trouvaient un lecteur, qu'il sache que je n'ai fait que retranscrire le fil de mes souvenirs. J'ai parfois emprunté la voix d'un autre, mais toujours, je vous assure, dans le plus grand souci de fidélité.

Lorsque l'on côtoie Sherlock Holmes, il n'est n'est nul besoin de mentir pour que le quotidien devienne extraordinaire.

John H. Watson, juillet 1995