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— Vous vous souvenez du chemin ? demandai-je, incertain, en quittant la lumière du laboratoire pour la pénombre bleutée des couloirs.
— Évidemment, me répondirent, en même temps, le détective et l'automate.
— Pardon de n'être qu'humain, répliquai-je, vexé
Mes paroles résonnèrent brièvement dans le couloir vide avant de disparaître.
Nous marchâmes de longues minutes dans le laboratoire désert, l'oreille tendue, attentifs au moindre bruit de pas, au moindre son de voix... Mais il n'y avait rien, rien que les portes qui se succédaient, comme à l'allée, et cet homme qui chantait encore, dans la pièce étiquetée « Poisons », une vieille chanson aux couplets fredonnés. La porte des chimères étaient fermés. Je pressai le pas en passant devant, tentant de ne pas me souvenir de la cage, des yeux jaunes, de l'impression d'être regardé... En vain, bien sûr.
Lorsque les portes de l'ascenseur apparurent au bout du couloir, renvoyant sereinement leur lumière dorée, je faillis lâcher un cri de soulagement.
Holmes appuya sur le bouton. Je restai à ses côtés, nerveux, les mains serrées sur mes armes. Tout me semblait trop simple.
La porte s'ouvrit sans bruit, révélant la même cabine qu'à l'allée, avec les mêmes murs dorés, la même petite table et les mêmes banquettes de velours rouge.
Nous entrâmes et je me laissai tomber sur les banquettes avec un profond soupir, soudain épuisé. Holmes fit de même, en face de moi. Philip resta debout.
La tension qui s'était accumulé dans ma poitrine descendit petit à petit, permettant enfin à mon cœur de ralentir sa course. Je remarquai distraitement qu'il ne restait que des miettes sur le plateau d'argent, au centre de la cabine. Quelqu'un avait utilisé l'ascenseur, depuis notre dernier passage. Je songeai un instant à en faire la remarque, puis réalisai que Holmes l'avait certainement noté bien avant moi et renonçai.
La cabine gagnait progressivement en vitesse, ébranlant les murs et nous clouant à notre siège, Holmes et moi. Philip, qui n'avait plus besoin de prétendre, n'avait pas l'air le moins du monde perturbé. Un automate, me rappelai-je.
Je fermai brièvement les yeux. La face grimaçante d'une chimère s'imprima sous mes paupières, remplacée par celle de Turing, tout aussi cauchemardesque. Je passai mes mains sur mon visage, tentant vainement d'empêcher les images de se graver dans ma mémoire, déjà bien trop remplie de ce genre de souvenirs.
— J'ai l'impression, soufflai-je en rouvrant les yeux, que où que nous allions, nous ne rencontrons que des monstres et des fous furieux.
Holmes sembla hésiter, puis, finalement, se leva et s'assit à côté de moi.
— Je sais, dit-il doucement. Je suis désolé.
— Oh, ce n'est pas votre faute, le corrigeai-je. Mais... j'ai vraiment envie de revoir nos amis, ne serai-je que pour me souvenir qu'il y a des gens bien sur cette terre. Vous imaginez ce que ferait Viktor de cette histoire ? ajoutai-je avec un sourire. Un laboratoire secret, un savant fou...
— Pour l'amour du ciel, Watson ! s'exclama Holmes, catastrophé. Je vous défends de lui raconter quoi que ce soit ! Il serait capable d'en tirer une tragédie en trois actes ! Ne riez pas, imprudent, vous seriez dedans !
— Et Lizzy serait capable d'en faire une pièce nationale, pouffai-je en le voyant blêmir encore plus. Sherlock Holmes contre les Créatures Au-Dessus des Nuages.
Un bruit me fit tourner la tête. Philip venait de s'asseoir – ou plutôt, de se laisser tomber – sur la banquette d'en face.
— Lizzy... gémit-il.
Mais avait-il vraiment besoin d'en dire plus ? Il savait que ni Holmes ni moi ne mentirions à la Reine, sur ce qui s'était passé ici.
— C'est une jeune femme assez bornée, lâcha le détective. Faites attention, je ne suis pas certain que votre nature d'automate suffisse pour qu'elle vous laisse partir.
Il sourit fugitivement et détourna le regard, les mains serrées l'une contre l'autre.
— Qu'allons-nous faire, maintenant ? demandai-je au détective.
— Tout dépend où cette cabine va s'arrêter. Au Club Diogène, où nous attend Lizzy et le reste de nos amis ? Où au Conseil des Hommes de Lettres, où le Diable seul sait ce qui nous attend...
— Vous n'avez pas l'air particulièrement angoissé, remarquai-je.
— Vous savez bien, mon cher Watson, répondit-il en haussant les épaules, que je ne vois pas l'intérêt de m'inquiéter pour un évènement sur lequel je n'ai aucune prise.
— C'est vrai, répondis-je avec un léger sourire.
Et, comme il n'y avait rien de plus à dire, nous laissâmes le silence s'installer, seulement perturbé par les vibrations de la cabine.
Mes pensées échouèrent sur le détective qui se trouvait à mes côtés, son épaule presque appuyée contre la mienne.
Comme mon regard sur lui avait changé, depuis le début de cette affaire ! Comment avais-je pus songer que Sherlock Holmes était une machine ? Son impassibilité n'était qu'une façade, un masque involontaire le protégeant des gens qu'il n'arrivait pas, malgré toutes ses capacités de déduction, à saisir. C'est vrai qu'il vénérait la logique et primait les raisonnements sur les sentiments. Pourtant, il s'agissait d'un être passionné qui, s'il se réjouissait des problèmes que la vie soumettait à son intelligence hors du commun, ne pouvait supporter l'injustice et la souffrance infligé à autrui. C'était quelqu'un de bien.
Son regard croisa le mien et il haussa un sourcil moqueur, comme pour me demander ce que j'avais déduit de ma longue observation. Je lui adressai un sourire en coin qui le fit secouer la tête, faussement dépité. Il allait dire quelque chose, lorsque la cabine se mit à ralentir.
Je fermai mes poings sur mes armes.
Salle du Conseil.
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