La radio grésillait péniblement.

Assis en cercle autour de Holmes, nous le regardions tourner les boutons en manipulant avec précaution l'antenne de fortune. Enfin, le bruit de fond s'estompa et une voix familière se fit entendre.

— Ici Madame Hudson.

— Madame Hudson ! s'exclama joyeusement le détective. Quelles sont les nouvelles ?

— Les Darwinistes ont découvert une poche de résistance en France et l'ont exterminée. Un programme de rafle annuelle a été voté par le nouveau gouvernement français. Mussolini s'est déclaré favorable aux idées Darwiniste. Une alliance a été évoqué.

— À Londres, Madame Hudson, intervint sombrement Holmes.

— Le musée de Londres a été partiellement touché par les bombardements. Pertes encore inconnues. Deux manoirs détruits. Les débris, en tombant à la surface, on fait vingt-sept victimes. Pertes dans les manoirs inconnues. Des trains prioritaires sont mis en place pour envoyer les enfants en bas-âge à la campagne. Deux Chimères se sont réveillées au nord de la ville. Vingt-quatre victimes. La reine a fait protéger Buckingham Palace et les manoirs par l'aviation. Les pompiers de la surface ont été en grande partie réquisitionnés par le Londres-d'en-haut.

La véritable souveraine frappa violemment le sol de son poing serré.

— La sale garce ! Holmes, il faut que j'y retourne ! Ils m'ont remplacé par une espèce de...

Elle ne finit pas sa phrase, s'étranglant presque de rage.

— En effet, répondit calmement l'intéressé, ça me semble urgent.

— Vous voulez aller au palais ? s'exclama Gregson. Mais on vient de vous dire que c'était l'endroit le mieux protégé du pays !

Holmes lui jeta un regard de travers mais ne lui envoya pas de remarque acerbe à la figure, ce qui était plutôt bon signe.

— Lizzy, reprit-il en se tournant vers l'intéressée, avez-vous déjà vu votre sosie de près ?

— Oui, répondit la jeune fille en retenant un frisson. C'est... Elle est... Exactement comme moi. Elle a mon visage, ma voix, mes gestes... Elle n'aurait pas été plus ressemblante s'il s'était agi de ma jumelle.

— Ou si elle avait été créée pour vous ressembler, corrigea le détective.

— Holmes, intervins-je, incrédule, vous pensez que la fausse Reine est un automate ?

— Ne serait-ce pas l'explication la plus logique ?

— Non ! protesta Gregson. Une jumelle cachée, je veux bien, une manipulation darwiniste passe encore... Mais une machine ?! Vous ne vous ficheriez pas un peu de nous, par hasard ?

— Nous avons déjà la quasi-certitude qu'Irène Adler en est une, reprit Holmes. Pour ce qui est de la Reine, souvenez-vous que le dirigeable dans lequel Lizzy était enfermé, celui qui possédait un atelier semblable à celui de Norton, ne pouvait être trouvé que depuis ses appartements. Si on ajoute à cela qu'elle ressemble de façon presque irréelle à la véritable Reine et qu'elle semble en excellent terme avec Irène Adler, l'hypothèse devient assez solide pour mériter d'être sérieusement envisagée. Fautes de pouvoir ou de vouloir construire d'autres automates, comme leur créateur, il semble qu'elles sachent au moins les réparer et les modifier.

— Mais pourquoi remplacer la Reine ? demandai-je. Le pouvoir ?

Holmes hocha la tête en signe de dénégation.

— Je ne pense pas que cette nouvelle Reine soit réellement intéressée par la couronne, vu son implication dans la vie politique... Il est bien plus probable qu'elle poursuive le même but qu'Adler : retrouver Norton et se venger de ceux qui l'ont enlevé, certainement ces mystérieuses plumes bleues. Et quelle position plus efficace, pour retrouver quelqu'un, que celle de Reine ? Elle a assez d'influence pour envoyer des agents enquêter où elle veut, maîtrise la police, et a accès à tous les cercles et toutes les sociétés.

Gregson arborait la mine de celui qui n'est pas tout à fait convaincu, mais fait grâce à son vis-à-vis du bénéfice du doute. Viktor, lui, semblait complètement dépassé par les évènements. Philip, en retrait, observait l'échange avec attention, les sourcils froncés et la mine sombre.

— Je me suis entretenu plusieurs fois avec la fausse Reine, lâcha-t-il soudain. Elle n'avait pas l'air d'un monstre.

— À partir du moment où elle aide quelqu'un à dépecer les gens, répliqua Holmes d'un ton sardonique, je pense qu'elle mérite d'être arrêtée, quelle que soit sa nature.

Philip se mordit les lèvres avant de répondre, comme à regret :

— Vous avez raison.

— Bien sûr qu'il a raison, appuya Lizzy. On ne va pas la laisser où elle est. Mais comment faire ? Est-ce qu'on peut seulement tuer un automate ?

— Hey ! protesta le prince. Personne n'a parlé d'assassinat !

— Elle a kidnappé la Reine pour prendre sa place, Prince Mountbatten, répliqua froidement Lizzy, puis l'a drogué et l'a séquestré. Certains ont été pendus pour moins que ça.

— Vous ne trouvez pas qu'il y a déjà assez de morts, dans cette histoire ? répliqua amèrement l'intéressé. Ne pourriez-vous pas envisager de modérer vos pulsions barbares et de simplement la capturer ?

— Que je... s'étrangla la jeune fille.

Elle lui adressa un regard qui aurait fait frémir Winston Churchill. Il effectua prudemment un pas en arrière.

— Il n'a pas tort, intervint Holmes. Elle aura certainement plus de choses intéressantes à nous dire ainsi.

Lizzy sembla faire un effort pour se maitriser, puis croisa les bras et hocha résolument la tête.

— Soit, lâcha-t-elle. Comment comptez-vous procéder ?

— Les combattre avec les simples armes que nous possédons risque de s'avérer difficile, répondit le détective en massant le poignet qu'Irène Adler avait serré durant le bal. Elles possèdent une force et une résistance surhumaine. Je doute que la lame d'un sabre ne fasse plus qu'égratigner leur carapace, et je ne sais pas si des balles réussiraient à les transpercer.

Il sembla hésiter, puis m'adressa un regard d'excuse avant de reprendre :

— Il va nous falloir l'aide d'un spécialiste.