- 20 -
La chaleur me tira de mon sommeil.
Un rayon de soleil traînait paresseusement sur mes paupières. J'en savourai la caresse, mêlée aux derniers échos de mon rêve. Trente secondes, peut-être une minute de bonheur.
Avant que le soleil ne s'efface et que ma mémoire ne reprenne le dessus.
Nous étions rentrés en courant hier soir, frigorifiés, quasiment torse nu sous la pluie battante. Heureusement, le mauvais temps avait rendu les rues désertes. Il n'aurait plus manqué que nous nous fassions arrêter pour attentat à la pudeur !
Mes souvenirs, après, étaient flous. J'étais gelé, mon dos me faisait un mal de chien, et je crois que j'avais un peu de fièvre. Il me semblait que Holmes m'avait conduit jusqu'à mon lit et m'avait aidé à m'allonger, mais ce n'était peut-être qu'un rêve.
Je me relevai brusquement, décidé à aller m'enquérir de sa santé. Un grognement de douleur m'échappa lorsque la peau de mon dos se tendait sur ma cicatrice encore fraîche, tempérant mes ardeurs. Il aurait fallu refaire mon bandage, mais ça pouvait attendre.
Je me changeai avec précaution et me rendis au salon.
Holmes, sa pipe à la main, était avachi dans son fauteuil, emmitouflé dans la robe de chambre gris souris qui commençait à m'être familière.
Je crus un instant qu'il dormait, mais mon entrée dans la pièce lui fit ouvrir les yeux. Il me jeta un bref regard et, jugeant sûrement que j'étais de peu d'intérêt, s'étira en baillant.
— Vous allez bien ? demandai-je en constatant sa mine fatiguée.
— Très bien, grommela-t-il en se redressant.
Je me rendis dans la cuisine. Hélas, aucun stock de nourriture consistante n'était apparu durant notre absence.
— Vous n'avez pas dormi, l'accusai-je en m'asseyant en face de lui, une tasse fumante à la main.
J'en lui en tendis une autre qu'il s'empressa de prendre, avec sa politesse habituelle.
— J'ai sommeillé deux heures, entre trois et cinq heures du matin. C'est largement suffisant.
— Holmes ! Vous devez vous reposez ! C'est un ordre de votre médecin personnel.
— Mon médecin personnel ?
— Parfaitement.
— Je serais curieux de rencontrer un tel individu, répondit-il en souriant. Il exerce une fonction bien peu gratifiante.
Je levai les yeux au ciel et trempai prudemment mes lèvres dans le liquide brûlant. Le thé. La vraie valeur des Anglais. La seule certitude dans ce monde de fou.
Une heure s'écoula, tranquille, paisible. J'en savourais le silence confortable avec délectation.
Holmes me tendit une cigarette, que j'acceptai avec un sourire et fumai lentement en sirotant ma boisson. J'avais oublié à quel point il était agréable d'habiter quelque part, avoir un foyer, un point d'ancrage, un endroit à l'abri du monde. Même si c'était un mensonge, même si cette maison n'était pas réellement la mienne. Mon âme avait désespérément besoin de se gorger d'illusions.
Holmes, sa tasse dument vidée, se leva pour trier le courrier qui s'accumulait sur la cheminée, où Madame Hudson le convoyait à l'aide d'un système de pneumatique élaboré.
— Chien perdu, grommela-t-il en jetant cinq lettres dans la cheminée éteinte. Maris trompés, ajouta-t-il en en jetant encore deux. Femmes trompées, termina-t-il en laissant tomber ce qui restait de la pile sur les cendres froides.
Il soupira et se laissa retomber sur son fauteuil.
— Ah, Watson, si vous saviez comme il est difficile de trouver un crime digne d'intérêt ! Un criminel ingénieux ! Un délit original ! C'est, hélas, une espèce qui se perd...
— Ne soyez pas si dramatique, répondis-je, amusé. Vous êtes en train d'enquêter sur des nobles démembrés par un possible automate pensant.
— Certes, convint-il. Mais après, Watson, après ?
— Eh bien, vous vous trouverez un autre tueur fou, soupirai-je en levant les yeux au ciel.
Le coin de ses lèvres esquissa un sourire. Il se leva pour quêter sa pipe, qu'il bourra consciencieusement avant de se rasseoir, le menton dans la main, le regard ailleurs. Fasciné, je contemplai son visage aux angles durs s'abîmer dans la réflexion, trahissant de temps en temps un mécontentement, une surprise, ou une expression de plaisir infime, seulement visible par l'observateur le plus attentif.
Au bout de vingt ou trente minutes, il secoua la tête, comme pour s'extraire d'un rêve, et se racla la gorge. Son regard retomba sur moi et ses yeux arborèrent une expression curieuse.
— Dites-moi, Watson, lança-t-il sur le ton de la conversation, qui est Mary ?
J'avalai de travers, m'étouffai, et partis d'une quinte de toux qui m'arracha la gorge.
Il m'avait pris par surprise.
Avant que je n'ai eu le temps d'ériger la moindre barrière entre mon cœur et ma mémoire, un visage me frappa de plein fouet, m'arrachant un gémissement.
Je me levai brusquement, serrant si fort ma tasse entre mes mains que je crus qu'elle allait exploser. Il voulut prendre la parole, mais je lui envoyai un regard si dur qu'il eut un mouvement de recul et se tint coi.
Je tremblai. Je sentais s'entrechoquer dans tout mon être la tristesse, la douleur, la rage, la peur, le manque et la culpabilité, cette abominable culpabilité qui n'en finissait plus de me ronger de l'intérieur.
Maîtrisant tant bien que mal ma détresse, j'inspirai profondément. Il fallait que je me concentre sur le présent. J'étais là. Maintenant. Le passé ne pouvait pas m'atteindre. Les fantômes non plus.
Estimant enfin que j'avais remporté ma bataille contre les larmes, je me rassis, crispé, concentré au maximum pour garder contenance.
— Je conclus que vous ne voulez pas en parler ? lança-t-il comme un scientifique étudie un phénomène intéressant.
— D'où connaissez-vous ce nom ?
Ma voix était si agressive que je ne la reconnus pas.
— Vous avez fait un cauchemar, répondit-il en cachant son expression derrière sa tasse de thé, que je savais vide. Je vous ai entendu l'appeler.
— Mon passé ne regarde que moi, Holmes, rétorquai-je froidement.
— Qui sait, Watson, qui sait... Je suis certain qu'un jour, je lirai vos pensées comme un livre ouvert.
— Permettez-moi d'en douter, répliquai-je avec aigreur. Pour cela, il faudrait, en plus d'avoir de l'empathie, être mon ami. Je crois que vous nous avez assez clairement démontré que ça ne vous intéressait pas.
Je le fixai droit dans les yeux.
— Ne vous avisez plus jamais de prononcer son nom devant moi.
Il haussa les épaules et replongea son nez dans sa tasse.
Le silence se réinstalla, nous isolant dans la forteresse de nos pensées respectives.
Mary... J'avais si longtemps tenu son visage à l'écart, caché quelque part au fond de mon âme, dans cette zone brûlante que j'évitais d'approcher. Mary... Je crus voir passer l'éclair d'une chevelure blonde, au coin de mon œil. Une silhouette familière. Je fermai les yeux. Peut-être arriverais-je à me souvenir de sa voix...
Je les rouvris aussitôt. Comme d'habitude, je n'entendais que des cris.
Je m'aperçus que mes mains tremblaient encore, de plus en plus fort. Maintenant qu'ils étaient revenus, les souvenirs ne voulaient plus s'en aller. Ils collaient à ma mémoire, à ma peau, à mes yeux, au monde entier.
Je reposai ma tasse sur la table et fixai mes doigts ouverts, impuissants. Comment avais-je pu laver tous ce sang ? Mary... Mes compagnons d'armes... Mes amis... Pourquoi étais-je encore en vie, moi, seulement moi ? Comment osais-je être encore en vie ? Je ne le méritais pas. Je sentis mon dégoût envers moi-même, que j'avais si bien réussi à refouler depuis ma rencontre avec Holmes, me renverser, me submerger sans pitié. Qu'est-ce que je faisais là ? Ce n'était pas juste, non, ce n'était pas juste, je devrais être mort... Mort... Mort...
Je résistai à l'envie de prendre ma tête entre mes mains. Mon rythme cardiaque s'accéléra.
Chaque battement de cœur était un coup de canon.
Ma vue se teinta de rouge.
La terre, l'air, le monde, tout était gorgé de noirceur. L'univers entier dégoulinait de sang. Le visage de Holmes, en face de moi. Les meubles. Les murs. Le ciel.
D'un instant à l'autre, la silhouette décharnée d'une créature sans nom allait faire irruption, les griffes luisantes de sang, et elle viendrait pour moi, pour moi...
Je me rendis compte que je tremblais de tout mon être.
Non, non, pas maintenant... J'essayai de reprendre le dessus. Je ne pouvais pas avoir une crise maintenant ! Que penserait Holmes ? Il me demanderait de partir. Je ne voulais pas partir. Je voulais rester avec lui. Et échapper au bruit des canons...
Un son incongru m'arracha brutalement à mon cauchemar éveillé.
Je levai la tête à temps pour apercevoir un objet cylindrique jaillir d'un des tubes qui pendait du plafond, rebondir sur ma tête et finir sa course sur la table, devant mon colocataire. Le détective s'en saisit et, le plus naturellement du monde, l'ouvrit, en sortit le Times, le déplia et commença sa lecture.
Encore un peu tremblant, j'inspirai profondément.
Les visages figés. Le bruit des armes. Les cris de douleur. Les appels. La fureur. La violence. Les monstres. La terre jonchée de cadavres. Les charognards. Je n'étais que médecin, mais j'en avais vu autant qu'un soldat. John. Mary.
Lentement, avec méthode, je repoussai les images dangereuses dans un coin reculé de ma mémoire, que je condamnai soigneusement. C'était lâche, certes, mais c'était aussi la seule solution que j'avais trouvée pour ne pas devenir fou.
La crise n'avait duré que quelque seconde. Grâce au ciel, Holmes ne semblait s'être aperçu de rien.
L'objet de mes pensées eut un soupir triste, froissa le Times et le lança sur la table, renversant au passage le fond de sa tasse de thé.
— Voilà l'inspecteur, déclara-t-il, coupant ma demande d'explication. Fatigué, si j'en juge par le rythme de son ascension.
À cet instant, Lestrade fit irruption dans la pièce, sans même prendre la peine de frapper. Je remarquai les cernes sombres qui soulignaient son regard. Personne ne dormait donc correctement, dans cette ville ?
Il prit place dans le troisième fauteuil et lança vers le thé un regard plein d'espoir. Je souris et lui servis une tasse, qu'il accepta avec gratitude.
— Un autre cadavre ? demanda abruptement Holmes.
— Et pourquoi ne serait-ce pas une visite de courtoisie ? répondit Lestrade d'une voix peu amène. Vous avez disparu deux jours entier !
Le détective et moi échangeâmes un regard surpris mais ne fîmes aucun commentaire, peu désireux d'évoquer devant l'inspecteur la misère de Withchapel, l'étrange automate, et l'atelier perdu au milieu de nulle part. Sous la lumière du jour, tout cela semblait si lointain, si improbable, comme un rêve qui se délite au réveil.
— Je suppose, reprit le détective d'une voix triste en désignant le journal, que votre état de fatigue est dû aux chimères ?
L'inspecteur lâcha un immense soupir et reposa sa tasse sur la table pour frotter ses yeux fatigués. Son âge le rattrapa soudain. Qu'il était jeune ! Le plus jeune d'entre nous. Et celui qui portait sur ses épaules le plus de responsabilités. Mon cœur se serra.
— Vous m'expliquez ? demandai-je doucement.
— Les Prussiens ont décidé d'accélérer un peu les choses, souffla Lestrade, la voix légèrement tremblante. Vous savez ce qu'est une chimère ?
Je hochai la tête.
— C'est une manipulation darwiniste, n'est-ce pas ? Une sorte de monstre incontrôlable. Ils ont cessé de s'en servir sur les champs de batailles lorsqu'ils se sont aperçu qu'il y avait autant de victimes des deux côtés.
— Apparemment, ils ont réglé le problème, ricana le policier. Depuis deux jours, quatre chimères importées en douce dans la capitale, certainement droguées, se sont réveillé dans des lieux publics. Ses yeux se plissèrent sous l'effet d'un souvenir douloureux.
— De véritables carnages. On compte une quarantaine de morts et au moins le double de blessés. La ville est en état d'alerte. Toutes les entrées sont surveillées, les réfugiés fouillés et les voyages hors de la cité interdits sans autorisation. On frôle la panique générale. Pour ne rien arranger, des rumeurs courent selon lesquelles les darwinistes se seraient décidés à nous bombarder, les chimères n'étant qu'un « hors-d'œuvre ». Maintenant, la moitié de la population veut quitter Londres et l'autre moitié fuir dans Whitechapel, où vient juste d'exploser ce qui ressemble fort à une guerre civile.
— Aucun nouveau noble assassiné ? demanda Holmes en ignorant superbement le passage sur Whitchapel, l'état de panique, les monstres incontrôlables et la fin du monde imminente.
Lestrade fit non de la tête.
— Bien, avec un peu de chance, peut-être pourrons-nous éviter le prochain... dit-il en me lançant un sourire satisfait.
— Vous dites « nous », maintenant ? remarqua le policier, surprit.
— Que savons-nous jusqu'ici ? demanda rhétoriquement Holmes en se levant pour quérir sa pipe, ignorant la remarque. D'abord, les victimes. Tous des aînés de familles fortunées, détestés par leur entourage, attirés dans un endroit public et torturés, ce qui suggère soit un désir de vengeance, soit un interrogatoire, soit l'acte d'un fou. Les meurtres sont trop méthodiques pour être l'œuvre d'un esprit dérangé, je m'en tiendrais donc à la vengeance ou à l'interrogatoire. Le premier défunt avait une plume bleue tatouée sur la main gauche. La main du second était trop abîmé,et je n'ai pas pu m'enquérir du troisième. Des nouvelles de Viktor ?
— Je ne sais pas, répondit Lestrade. J'ai été trop occupé, ces derniers jours, pour trier les rapports échoués sur mon bureau.
De mon côté, je me gardai bien de me manifester. L'espace d'un instant, j'avais oublié cette maudite plume bleue. J'avais oublié qu'en ce moment même, j'étais en train de mentir à Holmes par omission, que j'étais en train de faire le jeu de son frère, le jeu de ceux que je haïssais tant. La culpabilité avait un goût amer. Je me sentais misérable.
— Je suppose que les corps sont gardés à la morgue d'en haut, commenta Holmes. Je m'y rendrai dès que possible.
Il resta un bref instant silencieux, les yeux dans le vague, avant de reprendre.
— Watson, voudriez-vous bien faire le récit de nos aventures souterraines à l'inspecteur ?
Obéissant, je contai à l'inspecteur une version édulcorée de notre séjour à Withchapel.
— Des automates ?! s'exclama Lestrade, incrédule, alors que je décrivais l'atelier. Vous vous moquez de moi ?
Holmes lui adressa un regard éloquent.
— Cette femme en rouge était peut-être son assistante ! protesta l'inspecteur. Ce n'est pas parce qu'elle sait se tenir sans bouger qu'il faut aussitôt conclure qu'il s'agit d'une machine pensante !
Le détective soupira comme un adulte devant un enfant turbulent.
— Ne faites pas de raccourci, je vous prie, Lestrade. Comment réussissez-vous à finir la moindre de vos enquêtes, je me demande... Non, ne répondez pas. Bien. Pourquoi la femme en rouge torture-t-elle des gens ? Veut-elle se venger, ou cherche-t-elle quelque chose ? Voilà la question à laquelle nous devons répondre.
— Connaît-on au moins son nom ? demanda l'inspecteur.
— Irène Adler, répondis-je en me souvenant du portrait.
— Irène Adler... comme la cantatrice ? s'étonna Lestrade.
Nos deux regards convergèrent vers lui.
— Vous ne connaissez pas Irène Adler ? s'offusqua l'inspecteur. Mais c'est la coqueluche de la bonne société ! Une chanteuse absolument incroyable, et une amie intime de la Reine ! J'ai assisté à ces trois dernières représentations avec Viktor et je peux vous assurer que sa réputation ne lui fait pas justice ! Lorsqu'elle chante...
— Merci, Lestrade, le coupa Holmes. Et si vous nous donniez son adresse, plutôt que son répertoire ?
— Son adresse ? répondit le policier. J'ai bien mieux : je sais exactement là où elle sera ce soir. La Reine donne un bal en son honneur, dans la Forteresse Volante !
— Formidable ! s'extasia Holmes en se frottant les mains, soudain excité. Lestrade, obtenez-nous des invitations ! Ce soir, nous allons danser !
Je ne pus m'empêcher de sourire, contaminé par son enthousiasme.
Sourire qui s'éteignit bien vite lorsque commencèrent les vrombissements.
Je sus immédiatement de quoi il s'agissait. Mon cœur se glaça, renversé par une vague de terreur soudaine. J'étais de retour là-bas. Non, pire : l'horreur m'avait suivi. Elle m'avait suivi jusqu'ici. J'avais été fou de penser que je pouvais lui échapper.
De la rue nous parvinrent des cris de panique.
Le son se faisait de plus en plus proche.
Aucun de nous trois ne bougea. Holmes avait compris tout aussi vite que moi et il avait suffi à Lestrade de voir nos visages pour se figurer le pire.
Une ombre occulta la fenêtre. L'ombre gigantesque d'une bête effroyable.
Il y eut une vague de chaleur.
Et, une seconde plus tard, le monde explosa.
L'onde de choc m'écrasa les tympans tandis qu'une secousse d'une violence inouïe me projetait au sol, emportant les meubles, éclatant les vitres.
Je rebondis douloureusement sur le coin d'une table, qui vint à son tour heurter une bibliothèque.
Du plus profond de ma confusion, je vis l'antique meuble vaciller, hésiter, puis s'effondrer sur lui-même, envoyant voler à travers la pièce un nuage de feuilles blanches. Si la table n'avait pas freiné sa chute, j'aurais été proprement écrasé.
Je n'osais plus bouger.
Je n'entendais plus rien, rien d'autre que l'insupportable vrombissement qui vrillait mes tympans. Je portai mes mains à mes oreilles. Mes doigts revinrent poisseux. Rouges.
Je tentai désespérément de rassembler mes idées.
Impossible de dégager de ma poitrine ce poids qui commençait lentement à m'étouffer.
Je me tordis le cou pour chercher les autres du regard. Je vis Lestrade se relever en titubant et se précipiter sur une forme avachie par terre.
Holmes !
Mes idées se remirent soudainement en place.
Je poussai de toutes mes forces pour me libérer de mes entraves, ne serais-ce que pour venir au secours de Holmes. Peine perdue. Je laissai échapper un cri de frustration.
À mon grand soulagement, le détective se redressa.
Un filet de sang coulait de sa tempe et ses oreilles, comme les miennes, saignaient, mais il semblait aller relativement bien. Je les vis essayer de se parler, mais devinait à leurs gestes qu'ils étaient aussi sourds que moi.
Leurs regards balayèrent la pièce.
— Watson ! entendis-je appeler une voix lointaine, étouffée.
Je voulus répondre, mais de ma poitrine écrasée ne sortit qu'un grognement.
Enfin, des bras m'enveloppèrent, et je sentis qu'on me tirait en arrière. Le poids qui m'étouffait disparu soudain, me laissant plus léger que jamais.
— Watson... aller ? me demanda Lestrade, visiblement inquiet.
Je n'entendais toujours qu'un mot sur deux, mais hochai la tête. Nous restâmes immobiles, le temps que les vrombissements s'évanouissent dans l'air, désormais saturé de cris de panique et d'appels à l'aide.
— L'explosion était tout près, commenta enfin Holmes, un peu inutilement. Le souffle de la bête à dû faire exploser les conduites de gaz. C'est un miracle que le 221b ait tenu debout...
— Pauvre Londres... murmura Lestrade.
D'autres explosions retentirent, chacune plus lointaine que la précédente.
Titubant quelque peu – des messages de douleur irradiaient de tout mon corps – je me levai, allai dans ma chambre, et revins avec ma trousse médicale. Elle n'avait pas servi depuis des années, mais je ne m'étais jamais résolu à m'en séparer.
— Holmes...
— Oui ?
— Il faut s'occuper de votre blessure à la tempe.
Il porta sa main à l'endroit que je désignais et parut stupéfait de la retrouver pleine de sang. Je les examinai rapidement, lui et l'inspecteur, puis pansai et nettoyai leurs blessures, heureusement superficielles. Ceci fait, je me précipitai vers la sortie. Une douleur vive, dans mon dos, me hurlait que ma plaie s'était rouverte, mais je n'avais vraiment pas le temps de m'en soucier.
— Watson, s'inquiéta Holmes, où allez-vous ?
— Des gens ont besoin d'aide, Holmes ! répondis-je en dégringolant les escaliers.
À côté de chez nous, il n'y avait plus rien.
Rien qu'un trou béant, un vide dérangeant que ne parvenait pas à combler la fumée acre qui empoisonnait l'atmosphère.
Deux maisons avaient disparu. La façade du 221b était à moitié recouverte de leurs cendres.
Je distinguai quelques formes humaines parmi les ruines. Déformées par le feu, réduites en charpies, méconnaissables.
J'étouffai un sanglot.
La trêve, pour l'Angleterre, était terminée.
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