Édith regarda Faune un instant. Il semblait perdu dans ses pensées, il avait le front plissé, ses mains enserraient nerveusement la couverture tandis que ses yeux regardaient dans le vide.
Elle s'approcha de lui et lui tendit l'objet qu'elle venait de trouver.
"Faune? Qui c'est?"
Le jeune homme sursauta de sa proximité et releva brusquement la tête. Ses yeux se posèrent sur l'objet qu'elle tenait. Il déglutit et lui prit l'objet des mains.

Une photographie.
Dessus, il y avait un couple en noir et blanc qui se regardait, les yeux dans les yeux, les lèvres proches, souriantes.
Le jeune homme était indéniablement Faune. Faune en chemise blanche et pantalon en lin. Faune avec un regard heureux et non torturé ou incertain. Édith sentit une once de tristesse à cet idée.

"Qui est cette femme?", Édith redemanda d'une voix un peu moins assurée. Elle n'y pouvait rien, elle avait un tiraillement au coeur. Sa main trembla lorsque ses pensées tourbillonnaient dans sa tête

Qui était Faune?
Cet image ne semblait pas récente du tout tandis que l'homme en face d'elle ne pouvait dépasser la vingtaine. Était-ce un effet spécial visant à rendre les images anciennes? Est-ce qu'il s'agissait peut-être de quelqu'un d'autre, d'un membre de sa famille? Édith ne comprenait pas et mordait nerveusement sa lèvre tandis que sa vieille amie la peur se fit remarquer dans le creux de son ventre.

Lentement, Faune leva ses yeux disparates sur elle. Déterminé.
"Ce n'est pas moi", dit-il d'une voix dure, "Et je n'ai jamais rencontré cette femme. Je n'ai aucune idée de son identité."
Puis, d'un geste certain et presque ennuyé, il déchira la photo en mille morceaux.

~***~

Faune avait rencontré Mary-Jane dans le train. Perdue dans ses pensées, elle regardait par la vitre tandis que leurs corps étaient ballottés par le mouvement du véhicule et le bruit sifflant du moteur à vapeur.
Elle lui avait demandé l'heure, il le lui avait donné, ils avaient commencé à discuter. Elle avait 18 ans et revenait de chez sa tante. Faune affirma s'appeler Charles et avoir 20 ans.
Il fallait qu'il ait l'air banal, un jeune homme ordinaire qui fait la conversation aux jolies demoiselles durant son voyage.
Mary-Jane semblait fixer ses yeux et ça l'énervait au plus haut point. Il savait bien que ses iris n'avaient pas la même couleur, mais ce n'était pas une raison de les regarder sans gêne! Il n'était pas une bête de foire tout de même! Il lui offrit un sourire candide et la jeune fille rougit jusqu'au bout des oreilles.
"Vos-Vos yeux n'ont pas... Pas la même couleur", bafouilla-t-elle et Faune grogna intérieurement. Ben tiens. Le nombre de fois qu'il avait entendu cette remarque durant sa vie!
"En effet...", dit-il en retenant sa colère et se rapprocha d'elle, "Souhaitez-vous les voir de plus près... Mademoiselle Mary-Jane?"

La jeune fille avait la respiration haletante. Son coeur battait la chamade. Jamais elle n'avait été aussi proche d'un homme de son âge. Et quel homme. Elle le trouvait si beau, sa peau lisse, ses yeux étranges, ses boucles noirs un peu en désordre, sa bouche aux lèvres pleines et sa voix étrange. Brusquement, elle sentit sa main sur son visage et sa voix à son oreille.
"Tu es ravissante. Je peux bien dire tu?"

Elle hocha la tête et ferma les yeux.
Il lui mordillait la lobe. Elle tenta de le repousser faiblement.
"Charles... Pas ici... Ça ne se fait pas... Nous ne sommes même pas mariés ! Ni même vraiment... Amis..."
Elle le sentit sourire.
"Il n'y a personne, petit coeur."
En effet, le wagon était quasiment vide. Il était toujours vide lorsqu'un homme entra sans un son et attrapa Faune brusquement et le tirage en arrière. La porte du wagon se ferma dans un claquement.

Mary-Jane cria.
L'homme lui lança un bref regard puis fit valser Faune au sol.
"Chht", dit-il pour la rassurer.
"Charles!", cria-t-elle et s'élança se son siège pour aller au côté de Faune, sonné. Elle le prit dans ses bras. Elle ne vit pas qu'il lança un regard triomphant à l'homme, que sa bouche se tordait dans un rictus mauvais. L'homme grogna, ses poings se refermèrent.
"Charles ? C'est donc ça ton nouveau petit nom?", puis il lança à Mary-Jane: "Lâche-le, lâche-le!"
Elle secoua la tête.
Alors l'homme ricana et pointa Faune du doigt.
"Tu crois vraiment le connaître? Tu crois qu'il te désire? Mais tu te trompes! Cette homme ne s'appelle même pas Charles, son nom est Faune. Et sais-tu ce que Faune est? C'est une bête, gamine, un animal qui se fait un plaisir de jouer avec les femmes avant de les détruire! C'est un être mesquin, sournois, dangereux."
Mary-Jane se mit à trembler. Faune ne disait rien. Son regard s'était durcit.L'homme se pencha encore un peu plus en avant, un air mauvais sur son visage de brute.
" Il est beau n'est-ce pas ? Avec son visage angélique, son corps parfait... Mais ma belle, ce n'est pas sa réelle apparence qu'il a là. Faune est à moitié bouc à moitié homme. Il vient d'un autre monde, parallèle au votre où vous humains vivaient dans l'insouciance totale. Je vais te raconter son histoire, gamine."

Cette fois-ci, Faune rugit.
"Silence! Tais-toi, tais-toi... Tu n'as aucun droit de révéler toutes ces choses!"

L'homme lui lança un regard étrange et tout d'un coup, Faune s'écroula dans un hurlement, les poings crispés. Mary-Jane, blanche comme un linge, inspira un grand coup, tremblante.
"Je t'écoute."

"Faune est né il y a maintenant plusieurs centaines d'années. Ses deux parents décédèrent avant même qu'il eut atteint ses 3 ans. Il était une petite chose minable. Volant, grapillant de la nourriture où il le pouvait, vêtu de loques, il pouvait à peine parler. Il savait à peine marcher lorsqu'une femme le prit finalement sous son aile.
Comme je te l'ai dit précédemment, Faune est un être hybride, mi-homme, mi-bouc.

Cette femme lui appris à prendre forme humaine, à manipuler, à exploiter les différentes faiblesses humaines: le désir, la quête de reconnaissance et d'amour. Elle lui appris à lire et écrire, à mentir, à séduire.Et le minable petit enfant pathétique devint un jeune homme perfide en quête de vengeance et de plaisirs.

Il charma différents femmes dans son pays au-delà des étoiles: on le bannit sur terre où années après années, il plongea des femmes et des hommes dans le désespoir. Certains se suicidèrent à cause de lui. Certains devinrent haineux. En bref, il détruisait chaque être avec lequel il entrait en contact.

Crois-moi gamine, cet homme est très dangereux. Et si aujourd'hui je suis là, c'est parce que nous avons décidé qu'il ne fera pas plus de victimes."

Mary-Jane leva les yeux. Elle ne lâchait pas Faune.

"Vous mentez", marmonnait-elle, "Vous mentez c'est certain. C'est un jeune homme charmant et tout à fait humain... Il n'y a ni être hybride, ni autre monde, vous êtes fou ! Et si vous continuez, nous allons devoir appeler un médecin, vous n'allez pas bien Monsieur !"

L'homme ricana. Son visage se déforma et devint bestial.
" Je ne mens pas, ma belle. Si je suis ici, d'ailleurs, c'est pour le jugement de cet homme! Justice doit être faite! Dans trois semaines exactement, Faune deviendra le monstre qu'il est réellement. Car Nous le maudissons!
Enfant des étoiles, tu seras condamné à aimer pour l'éternité une jeune femme qui elle finira peut-être par t'aimer en retour mais au moment même où elle t'avouera ses sentiments, tu prendras ta forme animale et son amour se tournera en haine devant tes jambes et ton visage déformé. Et lorsqu'elle te quittera, tu seras incapable de vivre sans elle, tout ton corps sera transis, tu souffriras comme jamais tu n'auras souffert, comme tu as fait souffrir tant de gens! Et lorsqu'elle finira par mourir, loin de toi, tu te retrouveras expulsé dans le monde des damnés, un monde de noirceur et de souffrance où la douleur te feras perdre la mémoire.

Et lorsque ton adorée renaîtra, tu seras condamné à retourner sur terre, à la revoir, sans savoir qui tu es, sans savoir ce que tu fais là: mais ce sera la même histoire, chaque fois.

Tu l'aimeras, et au moment où elle découvrira ta vraie nature elle te quittera!

Tu ne seras plus jamais heureux Faune, plus jamais!
De plus, Nous te condamnons à l'éternité: tu ne mourras jamais et vivra ce supplice jusqu'à la fin des temps."

L'homme poussa un rire fort et dur. Mary-Jane tenta de reculer un peu, elle tremblait de tout ses membres, la sueur froide lui coulait le long du dos... Qui était cet homme complètement malade? Et pourquoi personne ne réagissait dans le train? Il se pencha à son oreille, elle était tétanisée.
"Ma petite enfant", sussurra-t-il, "Comme tu as l'air d'aimer ce monstre, je te fais un cadeau: il t'aimeras jusqu'à ce que la malédiction le touche. Néanmoins, tu dois savoir que ce ne sera qu'un amour fictif... Pourtant tu vivras trois semaines de bonheur je te le promets. Tu oublieras tout ce que je viens de te raconter et tu seras dans l'insouciance la plus totale."

Et d'un seul coup, l'homme disparut. Sans un bruit, sans un geste de plus.

Ce qu'il n'avait pas dit, c'était que ces trois semaines de joie coûteraient la vie à Mary-Jane.
Une larme roula de l'oeil de Faune, une larme annonçant l'horreur du destin qui s'abattait sur lui.