Part II
Eogan
Je tentais tant bien que mal de tenir sur mes pieds pour ne pas passer pour un faible devant mes camarades. Leurs critiques m'avaient bien refroidi et je refusais de leur montrer encore le moindre signe de faiblesse. "Il devrait se soigner avant même d'être blessé pour ne pas être handicapé par la douleur" ou encore "Il devrait apprendre à juguler la douleur pour pouvoir combattre en se soignant". Ah, très facile à dire pour des personnes possédant des boucliers en tous genres pour se défendre, mais nous n'avions fait que peu de simulations de combat, et jamais rien de bien méchant. Ils ne savaient pas ce que c'était, de se battre en étant blessé.
J'aurais aimé pouvoir décrocher un moment et me plonger dans mes idées noires, mais ma conscience m'en empêcha. Je devais regarder les matchs des autres, retenir leurs pouvoirs et si possible leurs noms. Tous étaient des ennemis ou des alliés potentiels et comme je ne partais pas avec de l'avance au vu de mes pouvoirs, je devais essayer de compenser autrement. La plupart des capacités que possédaient les autres étaient impressionnantes. De la plus originale à la plus connue, ils étaient tous capables de faire des choses plus ou moins extraordinaires, au contraire de ma petite personne, et cette idée me tordait l'estomac.
Je fus presque heureux en voyant Arter s'avancer sur le terrain, face à cette chère Reina en plus. Je savais qu'il ne ferait pas le poids face à la dextérité de mon impitoyable amie d'enfance, comme la bonne majorité des personnes présentes sur le terrain d'entraînement. Savoir que je n'allais pas être le seul à me faire malmener me réconforta un peu.
Le combat débuta et j'entendis des remarques autour de moi lorsque ce crétin d'Arter se fit toucher pour la première fois sans avoir utilisé son pouvoir. A quoi jouait-il ? Peut-être possédait-il un pouvoir similaire au mien ? Je me tournai vers Tyssa Hayon, une fille tout juste digne de traîner avec notre groupe mais qui était bien pratique lorsqu'on avait besoin d'une encyclopédie.
- C'est quoi son pouvoir de défense à Arter ?
Elle sembla surprise que je lui adresse la parole, tellement qu'elle ne répondit pas immédiatement et que Damen le fit à sa place.
- Il peut se cacher dans les ombres. Il l'a utilisé contre moi aux sélections. Je ne sais pas ce qu'il cherche à prouver en ne l'utilisant pas, mais c'est un vrai bouffon de ne pas chercher à se défendre face à Reina. Elle va s'imaginer qu'il ne la trouve pas digne d'utiliser son pouvoir et ça va la rendre dingue. Tiens, regarde, qu'est-ce que je te disais.
Mon regard se tourna à nouveau vers le combat au cours duquel Reina semblait avoir bien pris l'avantage. Elle se tenait au dessus de l'autre, l'air prête à lui prolonger la vie par cryogénisation. Le pauvre Arter avait l'air à bout, les yeux complètement paniqués devant la puissance de la jeune fille qui n'allait certainement pas hésiter à le glacer tout entier pour ensuite briser la glace en mille morceau, et lui avec, comme elle l'avait fait pour son hamster le jour où il avait rongé sa plus belle robe de bal. Pauvre bête.
Mr. Lysos attendit l'ultime seconde pour les séparer, repoussant Reina avec une légère onde de choc pour l'empêcher de commettre l'irréparable, bien qu'elle ne serait probablement pas allée jusque là.
- J'ai gagné, lâcha-t-elle avec un air supérieur avant de revenir parmi nous et de se faire féliciter par tout le monde.
Je lui adressai un sourire approbateur alors qu'elle s'approchait mais la voix du professeur me fit sursauter vivement.
- Vayn, amène-toi.
Je fronçai les sourcils, pas très heureux du ton du professeur, ni du fait qu'il ne me fasse retourner sur le terrain alors que j'avais déjà fait ma part.
Peu désireux de me faire remarquer, je suivis tout de même son ordre et il me fit m'agenouiller près d'Arter qui n'avait pas bougé, toujours à terre. Il avait vraiment mauvaise mine et sa peau était d'un blanc presque cadavérique.
- Soigne-moi ça, mon gars. Que tu serves au moins à quelque chose.
La remarque me fit grincer des dents et je faillis me relever pour repartir. Ça lui ferait une belle jambe de devoir se démerder pour trouver de quoi soigner un élève parce qu'il n'avait pas arrêté un attaquant assez tôt.
Je croisai le regard malade d'Arter et soupirai d'agacement.
- Que ça ne devienne pas une habitude, grondai-je avant de poser mes mains sur la poitrine de ce pauvre Arter, directement sur son coeur. C'était l'endroit le plus important à maintenir chaud et aussi le plus stratégique, puisque le sang chaud partant du coeur allait être expulsé dans tout le reste du corps.
Peu à peu, je sentis mon patient redevenir tiède sous mes doigts et alors que je me concentrais au maximum pour finir ma tâche au plus vite, j'entendis Lysos marmonner dans sa barbe:
- Qu'est-ce qu'on va faire de vous deux ?
Je contractai ma mâchoire de rage. Je détestais ce prof.
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Glenn
La chaleur s'émanant des mains de Vayn avait quelque chose de réconfortant, et je ne pus m'empêcher d'être déçu lorsqu'il les retira avec une petite expression pincée. Sa magie avait doucement réchauffé mon corps et m'avait rempli d'énergie pour le reste de la journée. Je devais bien l'avouer, son pouvoir de défense pouvait avoir du bon, tout de même.
Je jetai un regard en coin à Vayn, l'air clairement agacé par les remarques du prof que j'avais personnellement ignoré. Ce dernier s'était éloigné, nous laissant seuls au milieu du terrain que les autres élèves avaient délaissé pour rejoindre le cours suivant.
« Pourquoi tu n'as pas utilisé ton pouvoir de défense face à Reina ? »
Je haussai un sourcil, surpris. Je ne m'attendais pas à ce que Vayn m'adresse un seul mot, à vrai dire. Ses yeux verts me fixaient, dans l'attente d'une réponse.
« Pas possible. J'ai besoin de rester plusieurs secondes immobile pour pouvoir l'activer, or avec une furie comme l'autre en face de moi, je ne pouvais pas. »
Vayn continua de me scruter, cherchant sans doute à juger de la véracité de ce que je venais de dire. Il lâcha finalement :
« Ça craint. »
Il se détourna et s'éloigna pour rattraper ses amis qui l'attendaient au loin. Je pensais qu'il allait au moins me tendre la main pour m'aider à me relever, mais ça aurait été trop demander à cet enfoiré, manifestement. Me soigner avait dû lui suffire. Quelque part, je pouvais comprendre les sentiments qui devaient se bousculer en lui à cet instant. Il avait fini à peine au-dessus de moi aux examens d'entrée, et notre professeur nous avait rangé dans la même case intitulée "BOULETS" quelques minutes auparavant. Tout ce qui pouvait énerver le futur héritier de la famille Vayn, principale dirigeante du pays.
Penser aux probables préoccupations de Vayn me fit sourire, tellement je ne les partageais pas. Nous ne venions pas du même monde.
***
Une semaine s'était écoulée depuis ce cours de défense un peu catastrophique. Nous étions tous réunis dans notre classe, face à notre professeur de théorie magique, et professeur principal, Mr. Wynlee. J'avais encore réussi à arriver en retard ce matin-là, mais il semblait avoir eu la gentillesse d'attendre que la classe soit au complet avant de nous faire l'annonce dont il nous avait parlé la veille. Toutefois le regard désapprobateur qu'il m'avait lancé à mon entrée m'avait bien fait comprendre que sa gentillesse avait des limites.
« Bien, puisque vous êtes tous là, je peux commencer. Pour tester vos capacités, nous avons décidé de vous faire effectuer des missions diplomatiques, d'une durée d'une journée totale. Elles auront lieu la semaine prochaine. »
Quelques chuchotements interrogateurs se propagèrent autour de moi, que le professeur arrêta bien vite en levant la main.
« Toutefois, vous ne les effectuerez pas seuls. Les autres enseignants et moi vous avons regroupés par binômes en fonction des capacités que vous avez montrées pendant ces trois premières semaines de cours. Le niveau des missions sera par conséquent adapté au niveau du binôme, afin de vous permettre de progresser. »
Un soupir anxieux s'échappa de mes lèvres. J'avais montré assez peu de capacités convaincantes depuis la rentrée, à part un manque de ponctualité incomparable. Avec qui allais-je me retrouver ?
Mr. Wynlee commença à énumérer les binômes, et j'observai distraitement les sourires qui s'échangeaient entre des partenaires heureux de se retrouver ensemble. Certains groupes me paraissaient absolument redoutables de puissance, et ils en avaient tout autant conscience que moi au vue des airs supérieurs qu'ils affichaient à toute la classe. Mon nom n'était toujours pas tombé, et je continuais de stresser alors que la liste des potentiels partenaires se réduisait.
Un soudain éclair de lucidité me fit comprendre avec qui j'allais très probablement me retrouver, et je me redressai sur ma chaise, un peu paniqué.
« Eogan Vayn et Glenn Arter. »
Putain.
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Eogan
L'entente de mon nom me fit sursauter et mon visage crispé par l'appréhension se tendit un peu plus lorsque je découvris qui allait être mon partenaire pour cette "mission", si on pouvait encore l'appeler ainsi. Je n'étais pas certain qu'ils confient une mission de la plus haute importance aux derniers wagons de l'école.
Visiblement, Arter n'était pas plus heureux que moi et franchement, ça me foutait en rogne qu'il ne se sente pas un peu plus honoré que ça de pouvoir coopérer avec quelqu'un d'aussi important que moi. Par contre, s'il pensait qu'on allait faire copain-copain, il se fourrait les doigts dans les yeux. Je sentis son regard posé sur moi mais je l'ignorai royalement, préférant regarder mes amis qui fêtaient leur nouveau binôme avec joie. Je vis Damen me regarder au loin et son expression parlait pour lui, tellement que ç'aurait été moins explicite s'il m'avait fait un doigt. Quel connard.
- En prévision de vos missions respectives, nous avons prévu de vous entraîner en binôme pour que vous appreniez à combattre avec votre partenaire. La journée de demain y sera dédiée alors je compte sur vous pour être en forme. Et à l'heure.
Le professeur jeta un regard plus sévère à Arter et mon esprit s'embrasa encore plus si c'était possible. Déjà que je me tapais le pire partenaire de tous, en plus fallait-il qu'il soit toujours en retard aux entraînements...
La journée passa extrêmement lentement pour moi, entre les cours ennuyeux dont j'étais forcé de ne pas perdre une miette et mes amis qui se vantaient tous de former un duo de choc avec leur partenaire. Moi j'évitai de croiser Arter toute la journée, bien qu'il tente plusieurs approches dont mes amis se moquèrent ouvertement, ce qui m'arrangeait bien, parce que c'était plus facile de faire passer le malaise sur lui plutôt que sur moi.
Ce fut en entendant la sonnerie du dernier cours de la journée que je me décidai à faire quelque chose pour faire comprendre à Arter que je n'avais pas envie qu'il vienne me saoûler. Alors qu'il filait déjà hors de la salle, comme si sa vie en dépendait, je le coursai et attrapai l'arrière de son uniforme pour le retenir. Au départ, il voulut continuer son chemin comme si de rien n'était, mais je tirai plus fort et il fut forcé de se retourner. J'en profitai pour l'attraper par le col et le regarder bien droit dans les yeux, comblant sa taille plus grande que la mienne par un air sombre et déterminé qui lui fit bien comprendre que j'étais sérieux à mort.
- Demain, tu arrives à l'heure, capté ?
Je me délectai de la lueur surprise dans son regard et profitai de son mutisme pour le retenir encore quelques secondes, mes yeux faisant la navette entre ses deux pupilles dilatées par ce que j'espérais être de la peur mais qui ressemblaient bien trop à de la défiance à mon goût. Lorsque je me fus lassé de ce petit jeu, je le poussai en arrière avant de faire demi-tour comme si de rien n'était, bien que j'en tremblais encore.
J'arrivai à la hauteur de Reina qui avait été la seule à m'attendre parmi les autres. Elle siffla avec un air faussement impressionné.
- Woah, tu as vraiment besoin de ce genre de chose pour impressionner les faibles ? Il ne t'a pas pris au sérieux une seconde, tu sais ?
- Ferme-la, je suis pas d'humeur.
Elle se tut mais le petit sourire satisfait sur ses lèvres m'indiquait qu'elle était très fière d'elle. Reina n'était pas la pire du groupe, en réalité, même si elle se transformait en vraie furie lorsque ses capacités étaient remises en doute. C'était probablement pour cette raison qu'elle m'appréciait d'ailleurs : elle ne me considérait pas comme une menace. Je grognai tout bas et je la vis se tourner vers moi avant de laisser échapper un rire discret qui m'agaça encore un peu plus.
- Ne m'attendez pas pour manger ce soir, je risque pas d'avoir faim.
Je bifurquai dans un couloir adjacent sans lui laisser le temps de répondre et ignorai ses protestations râleuses.
L'avantage d'être à l'Académie, c'était que chacun possédait une chambre individuelle, chose plutôt pratique dans des situations comme celle dans laquelle je me trouvais. J'avais juste envie de m'isoler, sans toute cette fausse bande d'ami pour me rappeler sans arrêt que je n'avais de loin pas leur niveau et qu'à dix-sept ans, j'avais déjà atteint les limites de mes misérables pouvoirs.
Arrivé à destination, je m'effondrai sur mon lit et enfonçai ma tête dans mon coussin, bien décidé à rester là toute la soirée, et toute la nuit s'il le fallait. Je n'avais aucune envie de me réveiller le lendemain et d'affronter une journée de plus en étant la risée de ma bande d'ami tout en sachant qu'ils avaient raison de me traiter ainsi. Cette idée me mettait en rogne, malgré tous mes efforts pour me calmer. Je n'étais pas un faible, je ne pouvais pas l'être, pas avec deux parents comme les miens. C'était impossible.
Soudain, près de moi, mon magicappel se mit à retentir, m'indiquant que quelqu'un tentait de me contacter. Je rassemblai le peu de motivation qu'il me restait pour regarder l'écran, avant de contracter ma mâchoire avec rage.
Les visages stricts de mes parents étaient apparus sur l'écran. Moi qui croyais que ma journée ne pourrait pas être pire...
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Glenn
J'avais passé le reste de la journée à me ronger les sangs à propos de demain, de la semaine prochaine, de tout ce qui allait arriver à partir de maintenant. Être au bas du classement ne me gênait absolument pas, j'avais au contraire tout fait pour y rester jusqu'ici. Le problème était Vayn. Il n'allait pas tolérer d'être en bas de l'échelle avec moi et allait vouloir tout faire pour remonter, que je le suive ou non. Et même si j'avais tout intérêt à le suivre si je voulais que notre relation de partenaires ne soit pas trop conflictuelle, j'avais bien envie de continuer à le tirer vers le bas, juste pour voir quelle tête il allait faire. De toute façon, Vayn avait passé la journée à m'éviter, donc cette relation ne partait pas sur de bonnes bases.
Un long soupir m'échappa, alors que retentissait la sonnerie annonçant la fin du dernier cours. Je m'empressai de me lever et de filer de la classe, plus que jamais pressé de m'isoler un peu et de réfléchir à ce que j'allais décider de faire. Je sentis une main tirer légèrement sur ma veste et l'ignorai, mais finis par m'arrêter lorsque celle-ci m'agrippa vraiment. Vayn attrapa mon col et me tira vers lui, et je ne pus retenir une expression surprise de s'installer sur mon visage, tout comme je ne pus empêcher un rire intérieur me prendre à la vue de notre différence de taille.
« Demain, tu arrives à l'heure, capté ? »
Ses yeux de chat, assombris par la colère, scrutaient les miens. Je ne répondis pas et me contentai de lui rendre son regard. Je ne pouvais rien lui promettre, mes problèmes de réveil le matin me suivaient depuis longtemps. Il me lâcha sèchement et s'éloigna vers Reina Heald, qui l'accueillit avec un petit sourire moqueur.
Décidément, quel charmant garçon.
Je sortis du bâtiment, toujours aussi pensif, et décidai d'aller faire un tour hors de l'Académie, plutôt que de rentrer à l'internat qui allait sûrement regorger de piaillements et messes basses à propos des binômes. D'un pas vif, je franchis l'imposant portail doré et progressai dans les rues de la ville, m'éloignant des quartiers les plus riches pour rejoindre les zones les plus pauvres.
Partout autour de moi, les hautes bâtisses et les luxurieux jardins s'étaient effacés, remplacés par des maisons miteuses et étriquées, entassées les unes contre les autres le long des ruelles devenues bien plus étroites. Je croisais des visages hagards, des enfants maigres et fatigués, des adultes marchant la tête basse, accablés par le poids d'une vie trop difficile. Mon uniforme immaculé attirait des regards curieux, parfois haineux, mais je n'en avais que faire.
J'avais devant mes yeux les conséquences directes de la hiérarchisation par puissance magique. Seules les familles les plus puissantes vivaient aisément. Une petite portion de la population se situait en-dessous, et les plus faibles croupissaient dans tous les bas fonds du pays, peinaient à survivre et n'avaient aucun espoir de pouvoir faire changer les choses avec si peu de potentiel magique. La loi du plus fort régnait, et ça me dégoûtait.
Je glissai une pièce dans la petite main d'une enfant désespérée. Les gens puissants me dégoûtaient. Cette bande de manipulateurs, d'arrogants, me dégoûtait. Vayn me dégoûtait. Tout me dégoûtait dans ce monde sans morale.
J'avais bien hâte de finir mes études à l'Académie. Aucune autre école ne m'aurait permis d'obtenir une éducation suffisamment poussée pour pouvoir être à même d'apporter une réelle aide aux plus faibles, c'est pourquoi j'avais décidé de côtoyer cette bande de gosses de riches. Mais tous me dégoûtaient tellement...
Je n'avais aucune idée de ce qu'il allait bien pouvoir se passer, demain. S'entraîner à se battre avec Vayn allait sûrement se révéler compliqué, à l'instar de la communication entre nous deux. Je ne savais pas encore quel niveau de puissance j'allais devoir déployer, mais je comptais limiter ma magie au minimum.
Ne pas étaler mes pouvoirs comme sur un étal, en quête du respect.
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