3. Prédateur
J'avais pris une douche ce qui me fit le plus grand bien. En me séchant les cheveux avec une serviette, je remarquai la coupure sur mon bras. En fait, c'était plutôt une brûlure, résultat de l'effleurement d'une balle. Un centimètre de plus et j'aurais été touchée.
J'enfilai un t-shirt blanc et un legging en cuirette noir.
Le soleil était couché lorsque je descendis au rez-de-chaussée. Jo s'apprêtait à partir.
- Tu vas où?
- En ville. Je vois Ethan au bar. Il est allé aux nouvelles aujourd'hui. Je veux juste savoir si je dois m'attendre à voir débarquer une délégation de motards chez nous dans les prochains jours.
- Ils seraient déjà là si c'était le cas.
- Je vais au moins aller tâter le pouls et on pourra se préparer en conséquences. Tu peux écouter la télé en attendant, j'en ai pour une heure ou deux max. Mais ne sors pas d'ici.
Il claqua la porte en sortant.
J'entendais le son du moteur de son pick up s'éloigner jusqu'à n'entendre plus que le chant des grillons. La maison de Jo était en plein milieu d'une route de campagne entourée par des champs de blés à l'infini. Plus tranquille que ça tu meurs.
Dehors, il faisait noir. Je scrutais l'horizon lorsque j'aperçus pas plus loin que de l'autre côté de la route, une silhouette en noir. Un phare s'alluma, ce qui m'aveugla un court instant.
Mon coeur s'emballa, mes muscles se tendirent.
C'était bien lui, le mec de toute à l'heure, le chasseur de tête.
Il était debout, adossé sur sa moto. Il fumait une cigarette et m'observait les yeux brillants dans le noir.
Mon premier réflexe fut de porter ma main à mon holster mais il n'était pas sur moi. Je me maudis intérieurement.
J'hésitai une fraction de secondes avant d'avancer vers lui. De toute manière qu'aurais-je pu faire d'autre?
J'avais bien conscience du danger imminent mais je savais aussi que s'il avait voulu me tuer, il l'aurait fait depuis longtemps.
Son regard perçant me scrutait dans le noir. Il me voyait certainement mieux que je ne le voyais à cause de la lumière de sa moto dans ma direction.
Il était là depuis combien de temps à nous épier Jo et moi?
J'étais pieds nus, mais je m'avançai dans la rue déserte à sa rencontre. Alors que je m'avançais à sa hauteur, il jeta sa cigarette sur le sol, enfourcha sa moto et s'éclipsa dans un vrombissement sonore.
C'est seulement à ce moment que je repris mon souffle en me rendant compte que je l'avais retenu tout le temps qu'avais duré ce duel de regards.
Et merde, il me voulait quoi ce connard?
Est-ce que je devais prendre ça pour un signal?
Un frisson me parcourut le corps.
À frisson donné, il faut confronter sa cause.
Il ne me fallu pas plus de cinq minutes pour enfiler mon jacket de cuir et mes Dr. Martens noires. Je démarrer ma moto et filai dans le chemin de campagne sombre.
Il ne faut pas vivre dans la peur, m'avait toujours répété mon père. Aujourd'hui, plus que jamais, je me devais de mettre un point d'honneur à suivre sa devise. Plus personne ne m'empêcherait de vivre selon mon gré. Jamais.
Lorsque je poussai pour la deuxième fois en moins de 24h les portes du DOT, tous les regards se tournèrent vers moi. Ethan ouvrit les yeux comme s'il avait vu un fantôme et me mima de foutre le camp. Bien sur que je n'écoutai pas ses conseils, et observai attentivement la disposition de la salle et ses clients, des habitués du coin. La place était plutôt bondée pour un bar de village. À croire qu'ils n'avaient rien d'autre à faire.
Je m'avançai directement au bar.
- Jo est parti il y a quelques minutes. Tu ne devrais pas être ici.
- Je prendrais bien un Sex on the beach.
Il me fixa longuement alors que je m'assoyais sur le tabouret lentement. Je replaçai ma chevelure derrière ma tête lorsque j'entendis une voix d'homme rêche et peu sophistiquée.
- Elle veut un Sex on the beach Ethan, ben moi j'lui servirait tout de suite sans demander de pourboire!
La voix avait insisté sur le mot «Sex». La grande classe. Je roulai des yeux et m'attardai à retirer mes gants de cuir doucement. À mon grand bonheur, mes minis coupures commençaient déjà à cicatriser.
- Hey mec, elle a roulé des yeux.
- Elle n'a pas compris à qui elle a à faire. Ça va changer.
J'observai d'où venait la voix crispée faussement chaleureuse.
À l'autre bout du bar, je les aperçus alors, ils m'observaient de leur regard avides et monstrueux. Ils ne rigolaient pas, me fixant d'un regard qui ne laissait pas de doute à leurs intentions.
Les deux types étaient assis côte-à-côte. Deux vrais truands avec le look qui vient avec: Jacket de jean sale et délavé, l'un avait une stature plutôt ronde et trapue alors que l'autre, à l'opposé, était plus mince et avait la peau du visage ridée. Ce dernier vida le reste de son verre de bière et se leva nerveusement. Il frottait de manière compulsive sa main contre son jean sale.
À la réaction des gens qui tâchaient soigneusement de les éviter, je reconnus aussitôt ce qu'ils étaient: des prospects. Nerveux et excités à la fois, les prospects étaient les plus redoutés de tous. Avant de pouvoir devenir membre d'un gang de motard, Ils devaient faire leurs preuves. Et pour ce faire, ils étaient prêt à tout. Ils ne se gênaient pas. Aucune limites, aucune notion d'empathie. Souvent la drogue qu'ils prenaient ne les aidait pas à avec des réflexions plus complexes. Ils n'avaient pas toujours toute leur tête et c'est ce qui était dangereux avec eux. L'impulsivité.
On pouvait leur demander n'importe quoi. Ce sont eux qui s'occupaient du sale boulot. Si j'avais eu à choisir, j'aurais préféré rencontrer un membre «patché». Au moins eux, avaient un semblant de tête sur les épaules, si on peut dire ça. Un code d'honneur.
Ethan déposa mon verre devant moi. J'enlevai le petit parasol de plastique qu'il avait pris la peine de mettre pour décorer, un léger sourire aux lèvres.
- Jo est passé y'a une vingtaine de minutes.
- C'est pas lui que je cherche ce soir.
J'entendis le tabouret du prospect grincer sur le sol à quelques pas de moi. Je l'observai du coin de l'oeil se lever pour mieux remonter la ceinture de son jean. Il tituba légèrement puis se reprit en prenant appui sur le comptoir.
Son pote lui donna une petite tape sur le dos qu'il repoussa avec dédain tout en ramenant son attention sur moi. Je sentais son regard qui me brulait le dos.
- Qu'est-ce qu'une jolie poupée comme toi fait dans l'coin?
Ethan fit mine de passer son linge sur le comptoir devant moi en chuchotant au passage.
- Il est encore temps de partir, je peux te faire sortir par les cuisines derrière.
Il me pointa la sortie cachée par les cuisines alors que je buvais une deuxième gorgée de mon drink préféré.
- Une fille ne peut plus boire son drink en paix?
Je m'exprimai assez fort pour qu'Ethan ET les truands m'entendent bien.
- T'as dit quoi?
Le prospect s'approcha lentement. Sa démarche était celle d'un homme qui se voulait imposant. Qui voulait prouver à tous qu'il était dominant et en contrôle. Bien que je ne sous-estimais pas le danger qu'il représentait, je connaissais trop bien les règles de son clan pour savoir qu'il me restait une porte de sortie en cas d'imprudence. Mais je ne comptais pas me rendre jusque là.
- J'ai dit: Une fille ne peut plus boire son drink en paix?
Assise sur le tabouret, je me tournai vers lui en sirotant mon verre. Il s'avança encore assez pour que je remarque ses dents jaunes voire noires par endroits et que je sente son haleine d'alcool.
- T'approche pas de moi. C'est ton patron qui m'intéresse.
Il rit nerveusement.
- Tu as entendu ça, elle veut parler au boss.
Les deux truands rirent jaune avant de reposer leur regard haineux sur moi. Je levai un sourcil.
- Si tu peux pas me le faire rencontrer alors barre-toi de ma vue.
Il s'avança encore quelques pas et sa main s'approcha lentement de mes cheveux.
Avant qu'il ne frôle d'un milimètre ma chevelure, j'attrappai sa main d'un mouvement sec tout en me redressant d'un bond. Je tordai ses doigts, puis sa main jusqu'à coincer fermement son bras dans son dos.
En gesticulant, il m'offrit une vue sur le couteau qui était attaché à sa ceinture.
- T'a pas pigé quand j't'ai dit de me foutre la paix?
Je tirai encore un peu plus fort pour lui soutirer un petit couinement puis le relâchai.
C'est à ce moment que je me rendis compte que plus personne ne parlait dans le bar. Tous avaient les yeux rivés vers notre scène.
- Bon tu vois t'as cassé le party.
Je me retournais lentement pour me rassoir lorsque je sentis un mouvement furtif près de moi. J'évitai de justesse la lame du couteau devant moi.
Putain de malade!
Je me retournai vers mon adversaire, son regard était celui d'un fou furieux.
- T'es qu'une salope, je vais te montrer comment on s'occupe des salopes comme toi.
- Wow on se calme les amis, si j'étais toi, j'irais pas là.
Avant que je puisse faire quoi que ce soit, mon dos fut plaqué contre un énorme torse mou. Une langue se glissa dans mon cou. Je réprimai une envie de vomir. En me débattant, j'arrivai à donner un coup de pied dans les bijoux de famille de l'homme qui poussa un juron.
- C'est qu'elle sent bon la petite salope. Faudrait pas trop l'abimer.
Le deuxième prospect me maintenait fermement, les bras pris dans mon dos.
- Putain vous êtes dégueulasse!
Je me donnai appui contre la masse derrière moi pour envoyer un coup de pied dans le ventre du premier connard au couteau. Il recula l'instant d'un moment pour mieux revenir. Ils se mirent à deux pour me plaquer contre le bar. Le vicieux fit glisser son couteau contre ma gorge puis dans mon décolleté.
- J'veux voir ton patron connard.
- J'en ai rien à foutre de ce que tu veux.
- C'est la règle. Si tu la respecte pas, tu risque gros.
Les deux prospect se regardèrent quelques instants.
- Jimmy, j'pense qu'elle a raison. Sur ça on peut pas s'objecter.
Le Jimmy en question avait les yeux exorbités par la colère et son envie bestiale et répugnante.
- Elle ne l'a pas formulé comme il faut, Rick.
Son acolyte, apparement dénommé Rick, l'observa alors, incertain.
Comment ça je ne l'ai pas formulé comme il faut?
Mon cerveau se mit à rouler à mille à l'heure.
Merde! Il était malin et avait raison cet enfoiré! Il fallait dire un mot particulier quand on réquisitionnait une rencontre. Mais putain je n'arrivais plus à me souvenir c'était quoi ce fichu mot.
- Je demande une rencontre...Un rencontre officielle. Une agrégation. Un rendez-vous. Un face-à-face.
Les deux firent non de la tête en même temps, un rictus de contentement se formant peu à peu sur leur visage de salopards.
Un peu plus et ils me bavaient dessus.
- Un putain de meeting!
J'hurlai, frustrée en me débattant dans tous les sens alors qu'ils me tenaient si fort que j'en avais mal au dos à force de me faire écraser sur le comptoir dur du bar.
Jimmy continuait de mimer des dessins à l'aide de la pointe de son couteau contre ma poitrine alors que j'aurais voulu lui prendre des mains pour l'égorger.
- Tu rigoles moins la petite hin? Tu vas voir après ce qu'on va te faire si tu vas continuer avec ton air.
- Jimmy, c'est ton ptit nom hein? Je te jure que si tu ne me lâche pas tu va le regretter.
Je pesai chacun de mes mots parce que j'en avais terminé avec ce petit jeu. Mais apparement, Jimmy et Rick me trouvaient drôle.
- J'ai tué pour moins que ça mon chaton.
Jimmy s'emplit les poumons de mon aura alors que je déglutis de dégoût en tournant la tête le plus loin de lui possible.
On entendit alors du mouvement vers l'entrée du bar.
Je sentis mes deux agresseurs perdre de leur assurance une fraction de secondes.
Profitant de ce moment d'hésitation, d'un mouvement vif, je roulai sur moi-même. Je réussi à me glisser en dehors de leur prise avec un sentiment de soulagement.
Je reculai rapidement au fond de la pièce en me rendant compte que tous les clients avaient disparu du bar, Ethan y compris, jusqu'à rencontrer une masse dure contre mon dos.
- Assez joué les gars.
La voix ferme vibra dans mon dos. Elle incitait à la soumission. Elle laissa une trainée de frissons sur mon cou et le long de mon dos. Jimmy et Rick perdirent leur sourire malicieux et je découvris pour la première fois leur facette sérieuse. Ils ne m'observaient plus moi, mais la personne qui se tenait derrière moi et qui venait tout juste d'entrer dans le bar et de faire fuir ses clients.
Pour la première fois, je sentis ma respiration légèrement saccadée en expirant.
Alors que je tentai de me subtiliser en douce, un bras ferme se referma autour de ma taille.
D'instinct, mes mains se posèrent sur cette masse chaude et ferme. Mes yeux se posèrent sur l'avant-bras musclé qui me maintenait sur place. Je vis des tattoos noirs tout le long du bras.
- Elle nous fait chier, elle doit payer.
- C'est terminé pour ce soir.
Je sentis son haleine mentholée et son parfum boisé. Cet homme n'avait rien à voir avec ces deux prospects. Ça se voyait par son calme mais aussi par la réaction craintive de mes deux adversaires.
Ils semblaient vraiment contrariés de se faire prendre leur proie par un autre pour qui, visiblement, ils se soumettaient.
Nécessairement, un plus haut placé dans leur hiérarchie. On avançait.
Je plaçai subtilement ma main sur mon holster.
Je sentis le visage de l'inconnu dans mes cheveux, son murmure me glaça le sang.
- Je te déconseille de tenter quoi que ce soit.
Il m'entraîna d'un pas rapide vers l'extérieur de la bâtisse sa prise toujours aussi ferme, me maintenant contre lui.
Dehors, l'air était frais, mais une chaleur incandescente s'était emparée de mon corps tout entier.
D'un mouvement brusque, il s'empara de mon arme et la rangea dans la ceinture de son pantalon noir moulant. Il me relâcha et mes pieds atterrirent sur le sol. Je me retournai contre cette masse noire et mon regard alla alors à la rencontre de ses yeux sombres et mystérieux. Il faisait bien une tête de plus que mois, sa musculature était impressionnante et je le reconnu aussitôt.
J'avalai lentement. Le ninja en noir des Dark Riders.
Il avançait vers moi alors que je reculais. L'instinct de survie, quoi.
Son regard de braise ne me quittait pas des yeux. Je n'avais jamais vu des yeux aussi sombres. Je crois qu'ils étaient noirs, mais vraiment noirs.
Ce qui était le plus troublant c'était sa beauté mélangée à son aura qui n'inspirait que le danger. Un danger maladif.
Sans mon arme, face à lui, j'étais à peu près nue. Il me restait mes mains pour me battre mais je doutais être un à sa taille.
Je reculais tellement que je me rendis jusque de l'autre côté de la rue. Je m'arrêtai net.
- Qu'est-ce que tu fais ici?
- Je veux un meeting avec le patron.
Il me jaugea de bas en haut. Je croisai les bras contre ma poitrine tout en soupirant, impatiente.
- Je suis la fille de Jo -
Il me coupa de sa voix virile et ferme.
- Je sais qui tu es.
Je l'observai longuement.
- Je n'ai pas l'habitude de me répéter. Alors répond.
En soupirant, je jetai mes cheveux derrière ma tête. Son regard suivi mon mouvement mais revint aussitôt se souder à mes yeux, comme impossible à déstabiliser.
- Le domaine. Je le récupère. J'en ai rien à foutre de vos histoires de gang. J'aménage dans la maison de mon père - ma maison.
Il me jaugea quelques instants d'un air sérieux.
Je n'en pouvais plus de l'intensité de son regard. À croire que plus rien n'existait autour de nous.
- C'est d'accord.
Je le regardai surprise.
- De quoi «d'accord»?
- Le domaine, il est à toi. Je dirai à mes gars de ne pas venir t'ennuyer.
Un courant électrique me traversa alors le corps en entier.
- Qu'est-ce que tu veux dire par «tes gars».
Il me fixa longuement, j'aperçu alors la froideur de son regard.
Instinctivement, mes pieds se remirent à reculer lentement.
- Ne me dis pas que tu... Tu es le... Le...
- Le chef des Dark Riders.
Je clignai des yeux, interdite.
Ma main gauche se referma sur ma droite pour cacher mon tremblement.
Je tentai de toutes mes forces de me maitriser. J'avalai ma salive difficilement ma gorge soudainement sèche.
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