Le chemin de retour à Cithri était jonché de souvenirs et d'espoir retrouvé. Gradguer et Léna, récemment réunis après tant d'épreuves, marchaient côte à côte, leurs pas rythmés par une détermination silencieuse.

- Léna, murmura Gradguer, brisant le silence. Nous sommes presque arrivés. Bientôt, tu seras chez toi

Léna hocha la tête, son cœur battant à tout rompre. Elle ressentait une étrange mixture de soulagement et d'appréhension. Les souvenirs de sa fuite, les visages des êtres chers qu'elle avait laissés derrière elle, tout cela tourbillonnait dans son esprit.

Soudain, une présence menaçante se fit sentir. Les arbres autour d'eux se mirent à frémir, et une brise glaciale se leva, emportant avec elle des murmures incompréhensibles. Gradguer s'arrêta, son regard scrutant les ténèbres.

Il ordonna d'une voix ferme.

- Reste près de moi.

Avant que Léna puisse répondre, des ombres se détachèrent de la forêt, se matérialisant en formes grotesques et cauchemardesques. Des démons, leurs yeux brûlant de malveillance, s'avançaient lentement, encerclant Gradguer et Léna.

Le combat s'engagea sans préavis. Gradguer dégaina son épée, ses mouvements précis et mortels. Léna, armée d'une dague, se tenait à ses côtés, combattant avec la même détermination. Les démons étaient nombreux et puissants, leurs griffes et crocs étincelant à la lueur de la lune.

- Nous pouvons les vaincre. Lança Gradguer, une lueur farouche dans les yeux. Reste forte, Léna !

Les minutes s'égrenèrent comme des heures, chaque coup porté étant une lutte pour la survie. Léna se battait avec toute la force qu'elle pouvait rassembler, ses pensées tournées vers Annaria et le futur qu'elle pourrait partager avec elle et Gradguer. Lui était justement un rempart, repoussant les assauts avec une férocité inébranlable.

Mais alors qu'ils semblaient gagner du terrain, un démon plus grand et plus sombre que les autres apparut. Ses yeux rouges fixèrent le veilleur, et un sourire sinistre étira ses lèvres. Avant que Gradguer ne puisse réagir, le démon l'attaqua, ses griffes s'enfonçant dans sa chair.

Léna poussa un cri d'horreur en voyant son mentor tomber à genoux, ses yeux se teintant de noir. Gradguer se battait contre l'emprise du chaos, mais la corruption se répandait rapidement, déformant son corps et son esprit. Des veines noires apparaissaient déjà autour de ses yeux.

- Non ! Gradguer !

Léna hurla en se précipitant vers lui.

Il leva une main pour l'arrêter, ses yeux reflétant une douleur immense.

- Léna... reste en arrière.

Le démon recula, satisfait de son œuvre, et disparut dans les ombres, retournant dans son plan, au dela du monde réel pour ne plus y revenir, laissant Gradguer à demi-transformé. Léna, les larmes coulant librement sur ses joues, s'agenouilla auprès de lui.

- Gradguer, dis-moi ce que je peux faire.

Léna suppliait de sa voix tremblante.

Gradguer prit une profonde inspiration, luttant pour rester lucide.

- Léna, écoute-moi. Il n'y a qu'une seule chose que tu peux faire.

Elle secoua la tête, refusant de comprendre.

- Non, je ne peux pas. Il doit y avoir un autre moyen.

- Il n'y en a pas, pas pour toi. Le chaos me consume. Si tu ne fais rien, je deviendrai un monstre... et je te tuerai.

Il parlait avec une douceur empreinte de tristesse tandis que la petite Etincelle lui donnait des petits coups de tête et lui léchait la main.

Léna serra les poings, sentant son cœur se briser. Gradguer était plus qu'un mentor pour elle, il était devenu comme un père. Les souvenirs de leur temps passé ensemble défilaient devant ses yeux, chaque instant précieux et douloureux. A peine l'avait-il retrouvé qu'il devait la quitter.

- Je t'aime comme une fille aime son père, murmura-t-elle, les larmes embrouillant sa vision.

Gradguer sourit faiblement, tendant une main tremblante pour toucher son visage.

- Et je t'aime comme une fille, Léna. C'est pour cela que tu dois faire ce qui est nécessaire. Je t'en prie, dis à Annaria que je l'aime, que...

Sa voix s'étrangla et il se crispa quand la corruption gagna en emprise sur son être.

- Dis-lui que je voulais la demander en mariage à mon retour. Elle m'a appris à aimer à nouveau.

Il sourit et toussa une gerbe de sang.

- Vivez, soyez heureuse, je veille sur vous...

Léna prit sa dague, ses mains tremblant violemment. Chaque fibre de son être refusait ce qu'elle devait faire, mais elle savait que Gradguer avait raison. S'il se transformait complètement, il n'y aurait plus de retour en arrière.

- Je suis désolé.

- Ne le sois pas, tu ne peux pas me faire de mal.

Sa voix était brisée par les sanglots. Gradguer ferma les yeux, acceptant son sort avec une dignité tranquille. Un dernier sourire étira son visage, il regrettait, il aurait dû plus sourire dans sa vie...

 Avec une dernière inspiration tremblante, Léna enfonça la dague dans le cœur de Gradguer. Il émit un dernier soupir, ses yeux se voilant alors que la vie le quittait. Léna resta agenouillée, son corps secoué de sanglots incontrôlables, tenant la main de celui qui avait été son protecteur et son père d'adoption.

Le silence retomba sur la forêt, une atmosphère lourde et oppressante. Léna, le cœur brisé, se releva lentement. Elle se tourna vers Gradguer une dernière fois, murmurant une prière silencieuse pour son âme.

Etincelle hurla dans la nuit. Au loin des loups lui répondirent.

- Repose en paix, mon père.

Elle chuchota ceci avant de tourner les talons et de s'éloigner, ses pas lourds de douleur et de chagrin.

Le chemin vers Cithri sembla interminable, chaque pas un rappel cruel de ce qu'elle avait perdu. Mais Léna savait qu'elle devait continuer, pour honorer la mémoire de Gradguer et pour retrouver Annaria. Les larmes continuaient de couler, mais elle marcha.

La petite maison en bordure de Cithri apparut enfin à l'horizon, une lueur de réconfort dans un monde de ténèbres. Annaria jouait sur le seuil. En voyant Léna, elle se couvrit la bouche de ses mains et se précipita vers elle, l'enveloppant dans une étreinte protectrice.

Son visage était marqué par l'inquiétude.

- Léna, que s'est-il passé ?

Léna s'effondra dans les bras d'Annaria, laissant enfin libre cours à son chagrin.

- Gradguer... il... il est parti pour toujours...

La femme et la fille discutèrent et pleurèrent longtemps. Elles restèrent ainsi, deux âmes brisées cherchant du réconfort l'une dans l'autre. La douleur de la perte était immense, mais elles savaient qu'elles devaient continuer à avancer, ensemble elles étaient mère et fille. Annaria se chargerait d'élever Léna. Et elle se promit de devenir dragonnière et de parcourir le monde afin d'aider tous ceux qui en avait besoin. Elle se promit également de toujours emmener Annaria avec elle pour ne jamais la perdre. Mais elle et Etincelle devaient d'abord grandir durant de longues années.

Léna regarda le lever du soleil, une nouvelle lueur d'espoir dans les yeux. Et tandis que le soleil se levait sur un nouveau jour, Léna et Annaria, main dans la main, se préparaient à affronter les défis qui les attendaient, déterminées à honorer la mémoire de Gradguer et à se battre pour un avenir meilleur...

Loin de là... Dans un champ en bordure de forêt.

Là où, quelques jours plus tôt, était tombé un grand guerrier face à plusieurs démons.

Un grand manteau recouvrait un corps. Une lumière illumina la nuit. Le visage noirci par le chaos de cet homme fut éclairé et, peu à peu, la corruption disparut de son visage.

Dans l'air, une silhouette sembla se dessiner et une main sembla effleurer le corps inerte. Lumière et corps disparurent doucement, comme effacés par la nuit...