Réminiscence
C'est alors qu'une brise de l'automne naissant me caresse le poil, que je repense à tout cela.
L'épine dans mon cœur s'enfonce et s'enfonce encore. Qui aurait cru qu'un simple renard et une jeune humaine puissent tisser un tel lien ? Un lien bien plus solide que celui qui l'unissait, elle, aux autres bipèdes ?
Ma pauvre Annie...
Je l'avais bien vu, dans ses yeux couleurs miel, qu'elle ne pensait pas me quitter d'aussitôt, et pourtant, elle s'y était résignée...
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L'horreur.
L'horreur absolue.
J'avais caressé son visage du bout de la truffe, incapable de comprendre.
Incapable de comprendre comment c'était arrivé. Comment Annie, recroquevillée sur le sol, avait-elle reçu toutes ces blessures ? Qui ? Qui avait fait couler tout ce sang ? Telles étaient mes questions, et ce fut une voix grondante qui m'apporta la réponse.
Une voix que je n'avais jamais entendue. Mais son timbre glacé avait suffit à me faire comprendre que nous étions en danger. Qu'Annie, surtout, était en danger.
Alors, usant de mes maigres forces, j'avais attrapé sa marinière par le col, pour la tirer derrière un cercle de buissons.
Notre endroit préféré.
Un cercle de buissons, hauts et majestueux, qui apportait ombre et soleil en fonction des caprices du temps. Une muraille dans laquelle nous avions creusé un petit tunnel afin d 'accéder au cercle fleuri de l'intérieur.
Ce jour-là, le Soleil brillait. Faiblement, comme si lui aussi pleurait.
Sa douce lumière avait étincelé sur le visage empli de larmes d'Annie, le temps qu'elle me murmure :
— Merci Lixy... pour tout... Je t'aime... fort, fort, fort. Mon ami...
Ses lèvres rosées s'étaient immobilisées sur ce dernier mot.
*************
Cinq ans, maintenant.
Cinq ans qu'elle est partie.
Cinq ans qu'il l'a fait partir.
Oh, comment l'oublier ?
Jamais il n'avait trouvé son corps, que j'avais recouvert de ses fleurs préférées, des coquelicots et des iris.
Que je le haïssait, cet homme au regard brutal et à la carrure imposante, cet homme violent, cruel et sans pitié, cet homme qui l'avait tuée !
Un meurtre, je ne l'avais compris que trop tard. Et Annie avait tenté de me demander de l'aide, pourtant : ses longs regards implorants parlaient pour elle. Je ne l'avais pas perçu, à l'époque.
Et, alors qu'entre mes pattes, son corps endormi reposait, il n'y avait plus qu'une chose qui comptait : la vengeance.
Le ressentiment sourd et brûlant qui m'étouffait m'avait fait prendre tous les risques.
Le premier, de laisser Annie seule dans notre lieu secret.
Le deuxième, de courir jusqu'à la ville, au nez et à la barbe de cet homme.
Le troisième de me planter devant ce qu'Annie appelait "Gendarmerie", où elle me disait qu'il y travaillait, et d'y hurler à la mort.
Le quatrième, de laisser ces hommes en uniforme m'approcher.
Le dernier, de les avoir conduit là où elle reposait.
La soif de vengeance avait conduit au désir de justice.
Avait-elle été rendue ?
Je l'ignorais.
Je m'étais juste tapi contre Annie, avait laissé les gendarmes et les médecins faire ce qu'ils avaient à faire. Je m'étais juste glissé contre elle, respiré une dernière fois son parfum de fleur sauvage, blotti une dernière fois dans ses bras.
Je ne m'étais levé que lorsqu'ils l'avaient emportée. Elle ne pouvait rester là, m'avaient-ils expliqué lorsque j'avais montré les crocs. Mais je m'en moquais. La vie d'Annie était ce jardin, que pouvaient-ils bien préférer à l'enterrer dans une de ces immenses tombes communes ?
Voyant que jamais je ne les laisserai passer, ils avaient abandonné.
Une croix blanche, aujourd'hui, se tient droite et fière sous le vieux chêne, près de la balançoire.
Au début, je ne voulais pas la quitter. Je voulais m'y laisser mourir, je voulais rester près d'Annie jusqu'à la mort, comme elle l'avait fait pour moi.
Et puis, un jour, je me suis dit, que, peut-être, Annie aurait préféré, dans son amour et sa générosité, que je ne le fasse pas. Que je choisisse de vivre ma vie.
Alors, j'étais parti, et je n'étais jamais revenu.
Jusqu'à aujourd'hui.
La mélancolie et la nostalgie m'atteignent de plein fouet. C'en est trop pour mon pauvre corps ; sept ans, c'est long, pour une vie de renard.
C'est lorsque je m'apprête à me coucher sur sa tombe, que je le vois.
Le ruban, qu'elle arborait toujours dans les cheveux. Sauf ce jour-là.
Il vole, le Soleil illuminant son éclat orange vif, il scintille, accroché à la branche d'un arbuste.
Par quel miracle a-t-il été épargné ? D'autant qu'il semble avoir été noué là exprès... Taché de boue par endroit, et quelque peu effilé par le Temps, il est là, ondulant dans la lumière éclatante.
Sans hésiter, je m'approche, et défait le nœud avec mes crocs. Je les use à dénouer délicatement le ruban, et voilà, je l'ai. Le ruban d'Annie.
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Allongé sur la tombe d'Annie, je scrute l'herbe verdoyante, comme pour y voir à travers, le cercueil d'acajou dans lequel elle avait été placée.
Mes forces déclinent au fur et à mesure de mes pensées. Si la Mort ne m'attend pas, elle fait en tout cas très bien semblant.
Annie, je vais bientôt te retrouver, et cela m'enchante ; j'ai vécu pleinement ma vie, eu une compagne, une famille, de la compagnie et de l'affection. L'au-delà peut bien me prendre, à présent, je n'en n'ai plus rien à faire.
Le sang goutte, goutte, goutte, se répand dans l'herbe, s'immisce dans la Terre nourricière, rejoint celui qu'Annie a tant versé.
Une dernière larme.
Et je ferme les yeux.
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— Lixy, quel bonheur de te revoir...
— Tu n'imagines même pas à quel point, Annie. Je ne te quitterai plus. Plus maintenant. Plus jamais.
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