Zorro 1/2
Perchée sur une colline, j'observe les alentours. Les paysages diversifiés de Californie s'étendent autour de moi. Les montagnes, le désert et l'océan se succèdent. J'aperçois au loin mon village, Los Angeles. Je distingue aussi les bâtiments imposants de la garnison espagnole et, plus loin, la ferme de mes parents. Je ne m'attarde pas davantage devant ce panorama et poursuis ma route. D'un claquement de langue, mon cheval repart.
Cette balade matinale me fait le plus grand bien. En ce moment, l'ambiance est tendue dans notre petite ville. Le commandant tyrannique s'inquiète des rumeurs d'indépendance du Mexique tandis que les paysans sont tourmentés par un bandit qui sème la terreur en pillant les fermes de la région.
Personne n'a encore réussi à l'attraper ou à l'identifier. Les hommes du commandant ne font pas preuve d'une grande efficacité tandis que les victimes sont souvent prises de court et ont rarement les moyens de se défendre.
On dit que Zorro est sur le coup. Nombreux sont ceux qui placent leurs espoirs en lui. Je ne doute pas de ses compétences, bien que pour l'instant le truand court toujours. Je ne comprends simplement pas l'admiration que lui portent la plupart des habitants. Depuis son apparition, cet espagnol m'irrite et m'inspire une forte aversion.
Je trouve que son attitude sonne faux. Cavalier fier et impétueux, le colon sent le noble à plein nez. Certes, il manie bien l'épée et croit protéger les pauvres autochtones. Pour moi, sa volonté de défendre l'opprimé en se prenant pour le sauveur d'un peuple qui n'est pas le sien ne vaut pas mieux que les motivations de ceux qu'il combat. Je suis persuadée qu'il nous considère comme des sauvages et que derrière son masque se cache un personnage hautain et condescendant. J'aimerais tant le remettre à sa place, ce maudit Zorro ! Je prendrais un malin plaisir à lui faire ravaler sa fierté, sa cape et son chapeau.
Mais pour l'heure, j'ai décidé de prendre les choses en main avant que le bandit ne s'attaque à ma famille. Je suis sa piste depuis plusieurs jours et je sens que je m'approche imminemment de lui. Aussi dangereux soit-il, il ne me fait pas peur. J'ai combattu bien des hommes coriaces qui ont plié sans mal sous ma lame, bien entraînée par mon oncle depuis mon adolescence.
Cachée derrière un buisson au bord du chemin, j'attends patiemment son passage. Au bout d'une heure, un bruit de trots signale enfin l'arrivée d'un cavalier. Je reconnais son poncho sombre, seul élément d'identification que j'ai retenu des témoignages. Il semble seul.
Pressée d'en finir, je bondis de ma cachette et lui fait face. Son cheval se cabre mais je ne distingue aucun émoi sur son visage fermé.
"Hola ! Que me voulez-vous ? s'enquiert-il.
— Vous escorter là où vous êtes attendu.
— Plait-il ?
— Votre place est derrière les barreaux." précisé-je.
A ces mots, il se met à rire grassement. Je réprime un frisson.
"Comment comptez-vous vous y prendre, drôlesse ? me considère-t-il.
— C'est simple, je vous laisse le choix. Soit vous coopérez pour que justice se fasse soit je vous y emmènerai par la force.
— J'aimerais bien voir ça. Ce sera sans doute divertissant."
Je ne réplique pas et sors mon épée de son fourreau, le menaçant.
"Êtes-vous sûre de vouloir vous engager là-dedans ? Je risque d'être obligé de vous tuer, avertit-il.
— Vous hésitez ? le provoqué-je. Suis-je si effrayante ?
— Si vous insistez, allons-y." consent-t-il, visiblement agacé que je remette en question son attrait pour le combat.
Le fait que mes adversaires me sous-estiment est la plupart du temps mon plus gros avantage lors des affrontements. Celui-ci ne fait pas exception.
L'homme attend que j'attaque et j'ouvre le duel par un coup volontairement maladroit, qu'il pare sans difficulté. Comme prévu, un sourire satisfait s'affiche sur son visage. Je le laisse prendre l'avantage quelques minutes avant de lui montrer l'étendu de mon talent. Sa garde baissée, je le désarme et le tient en joue, mon sabre contre sa gorge. C'est à mon tour d'esquisser un sourire tandis que le sien s'efface de son visage. Son air suffisant ne le quitte pas, mais il a ce regard dépité qu'ont les hommes vaincus et blessés dans leur ego.
Je prends soin de l'attacher sur son cheval et d'en récupérer les rênes. Alors que je suis en train de les nouer à ma selle, j'entends des sabots se rapprocher et je me mets en garde.
Le cavalier masqué qui apparaît porte une cape et un sombrero. Il est intégralement vêtu de noir, assorti ainsi à sa monture. Je serre les dents en reconnaissant Zorro, qui s'arrête à ma hauteur.
"Et bien, il semble que j'arrive trop tard." déclare-t-il.
Je lui jette un regard indifférent et continue mon entreprise.
"Qui êtes-vous ? m'interroge-t-il. Il ne me semble pas vous avoir déjà croisé.
— C'est que nous n'étions pas destinés à nous connaître. A présent, si vous permettez, cet homme est attendu par le sergent Garcia."
Surpris par la froideur de ma réaction, il s'écarte pour me laisser passer. Il s'attendait certainement à un accueil plus cordial. Pas découragé pour autant, il se met à me suivre.
"C'est vous qui l'avez arrêté ? Seule ?
— Qui voulez-vous que ce soit ? répliqué-je, toujours avec le même ton hostile.
— Je ne voulais pas vous offenser. Au contraire, félicitations, vous devez sacrément bien manier l'épée."
Toujours sur la défensive, je ne réponds pas et poursuis ma route. La scène semble amuser le bandit attaché sur son cheval, qui trouve opportun de nous faire part de ses commentaires.
"Monsieur, cette demoiselle n'est point cordiale, j'en suis témoin."
Je me retourne et le fusille du regard.
"Tu ferais mieux de te taire, si tu ne souhaites pas que je te bâillonne pour le reste du chemin.
— Vous voyez !"
Sans plus attendre, je mets ma menace à exécution afin d'apaiser mes oreilles. Mais celui qui se fait appeler Zorro ne semble pas décidé à continuer sa route. Je l'interroge du regard.
"C'est aussi mon chemin, se défend-il. J'avais pour projet de rejoindre le village bien avant de vous croiser. En réalité, j'avais aussi pour projet de mettre la main sur lui, mais je n'ai visiblement pas été assez rapide cette fois."
Malgré ma mine peu convaincue, j'acquiesce et continue en silence.
"Attendez !" dit-il soudainement, me faisant signe de m'arrêter.
A l'affût, il jauge le paysage.
"Qu'y a-t-il ?
— Nous ne sommes pas seuls."
Mon sang ne fait qu'un tour et j'arrache le bâillon de mon prisonnier pour découvrir un sourire insolent.
"Combien as-tu d'hommes ?" dis-je en l'agrippant par le col.
Il ne me répond pas, se contentant de garder son expression provocante. Je peste contre lui.
"Te voilà moins bavard, maintenant !"
Enervée, je lui remets le tissu dans la bouche et scrute les alentours dont je perçois l'agitation suspecte. Une embuscade se prépare, Zorro l'a bien senti.
"Êtes-vous prête à me montrer vos talents d'épéiste ?
— En ai-je le choix ?"
Un sourire amusé se dessine sur ses lèvres et nous avançons prudemment, prêts à dégainer. Comme prévu, une dizaine d'hommes surgissent pour nous barrer la route, menaçants.
"Libérez-le et nous vous laisserons peut-être repartir en vie.
— Qu'ils ont l'air vilains, s'amuse le cavalier masqué. Je tremble de peur.
— Nous ne nous rendrons pas, dis-je, plus sérieuse.
— Bien, nous vous aurons au moins laissé le choix."
Ils nous attaquent et je sors promptement mon épée. Par souci d'équité et de praticité, nous descendons de nos chevaux. Malgré la dangerosité des combats, j'apprécie les sensations enivrantes qu'ils font monter en moi. C'en devient presque addictif.
Les coups s'enchaînent. Vu leur surnombre, je ne prends pas le loisir de les duper et réplique farouchement. Un à un, je désarme mes adversaires et les met à terre.
Je jette un coup d'œil pour voir où en est mon allié temporaire. Sa position n'est pas enviable, même s'il se bat bien. Je soupire et décide de l'aider pour mettre plus vite un terme à ce contre-temps. Face à nous deux, les derniers ennemis ne tiennent pas longtemps.
En portant un ultime coup qui envoie à terre mon opposant, je trébuche sur le corps d'un autre et bascule vers l'arrière. Ma chute peu glorieuse est amortie par mes fesses. Zorro s'approche et tend la main vers moi pour m'aider à me relever. Je reste fière et me relève par moi même avant de frotter mes mains pour en retirer la poussière. Il me fixe, mi-amusé, mi-interloqué.
Nous menottons les quelques malfrats qui ne se sont pas enfuis et Zorro les attache à sa monture. Je lève les yeux au ciel en apercevant les marques sur leurs vêtements. Il a pris le temps de graver un Z sur chacun avec son épée.
"Rentrons." dis-je en remontant sur mon cheval.
Il m'imite et nous poursuivons notre route. Nous atteignons sans plus d'encombre le village et livrons au sergent Garcia nos prisonniers. Zorro ne s'attarde pas, car les militaires seraient ravis de le cueillir s'ils l'apercevaient dans les parages.
"C'était un plaisir de vous rencontrer, affirme-t-il. J'espère que nos chemins se croiseront de nouveau. Peut-être aurai-je la joie de connaître votre nom la prochaine fois."
N'oubliant pas mes réticences, je feint de le saluer avec un sourire complaisant.
Je reste un instant pour raconter nos péripéties au sergent, qui se montre aussi captivé qu'étonné. Ce n'est pas la première fois que je lui livre un voleur et il ne semble pourtant toujours pas s'habituer à ma singularité. Il n'y a pas beaucoup de femmes qui savent se battre dans la région, et encore moins qui s'amusent à arrêter des bandits sur leur temps libre. C'est pour cette raison que je me fais discrète et laisse bien volontiers Zorro me voler la vedette.
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