"Donc je lui dis qu'il me plaît bien et je lui demande si on pourrait se revoir, et là il me dit le plus naturellement du monde : "il faut que je vois si mon ex-femme peut garder les enfants ce soir là." Franchement, c'est une manière d'annoncer qu'on est divorcé et qu'on a des gosses ?! s'exclame mon amie avant de reprendre une gorgée de son cocktail.

— Sérieusement ? On ne me l'a jamais faite celle-là, c'est osé !" réagissé-je.

Nous sommes assises à une table sur la terrasse de notre bar préféré. Nous profitons de l'Happy hour après une longue journée de travail. J'en suis déjà à ma deuxième pinte quand notre troisième amie arrive enfin. Nous n'avons pas le temps de l'interroger sur la raison de son retard qu'elle nous en livre déjà les détails.

"Je crois que j'ai croisé un dieu en venant. Un beau blond, cheveux long, encore plus musclé que The Rock ! Mon petit cœur a failli fondre."

Nous sourions à la description de l'apollon.

"Et tu ne l'as pas abordé ? m'étonné-je.

— Je regrette tellement...

— Pour combien tu lui parles si tu le recroises ?" questionne mon autre amie, fixant d'un œil amusé un point derrière nous.

Nous tournons la tête pour voir un homme correspondant exactement à la description faite plus tôt. Est-ce humainement possible d'être aussi musclé ?

"Pourquoi est-il habillé comme ça ? remarqué-je en détaillant son accoutrement semblant sortir d'une autre époque.

— C'est peut-être un acteur ? suggère-t-elle. Cette fois-ci, ne te défile pas.

— Souhaitez-moi bonne chance, lance notre acolyte en se levant pour le rejoindre."

Nous l'observons de loin, captivées par son aisance à accoster l'inconnu. Au bout de quelques minutes, sa main s'agite discrètement dans notre direction. Elle nous fait LE signe. C'est un truc entre nous, quand l'une de nous souhaite écourter une conversation avec quelqu'un, le plus souvent un mec trop lourd ou trop louche. Immédiatement, nous venons à sa rescousse et prétextons l'attendre.

Je ne peux m'empêcher de détailler son interlocuteur. Il est immense. Déjà que je ne suis pas grande, il me dépasse facilement de plusieurs têtes. Mais elle avait raison, il est encore plus beau de près. Ses yeux d'un bleu pur et profond m'attirent particulièrement.

Il la salue poliment et prend congé sans même insister. Nous jetons un regard interrogateur à notre amie, ne comprenant pas ce qu'elle lui reproche. Je remarque subitement ce qui semble être un gros marteau, posé sur le sol.

"C'est à lui ? demandé-je.

— Oui, on dirait qu'il le transporte partout ! Non mais trop bizarre le type. Je crois que c'est un geek, il a carrément l'air de venir d'une autre planète."

Je soulève l'objet avec plus de facilité que je ne le pensais. Son poids est étonnamment léger, contrairement à ce que je m'attendais en voyant son envergure. Ce doit être un accessoire de cinéma.

"Attendez ! Vous oubliez votre... euh..."

Je lui tends l'énorme objet, sans savoir comment le qualifier.

Il se retourne et regarde le marteau au bout de mon bras, puis écarquille les yeux avant de me dévisager.

"Qui êtes-vous ?" me demande-t-il en récupérant son bien.

Un peu décontenancée par sa question que je ne suis pas sûre de comprendre, je me présente simplement par mon prénom. Il murmure alors quelques mots pour lui-même et je crois distinguer un "Comment est-ce possible...".

"Et d'où venez-vous ?" reprend-il.

Il réclame quand même vachement d'informations de manière suspecte, pour moi qui ai l'habitude de me méfier des inconnus rencontrés dans les bars. Pourtant, je me sens étrangement en confiance avec lui.

"Du sud de la France, pourquoi ?"

Il affiche un air surpris et ne semble pas envisager de répondre à ma question. Il continue de me regarder en silence avec insistance, ce qui me rend rapidement mal à l'aise.

"Je vais devoir y aller..." lui dis-je en désignant mes amies.

Il acquiesce et me laisse partir sans ajouter un mot. Je trouve sa réaction étrange mais je n'ai pas plus envie de chercher à l'analyser.

"C'était quoi ça ? m'interroge celle qui avait entrepris de le draguer quelques instants plus tôt.

— Ça a l'air d'être ton truc, les originaux ! ajoute mon autre amie.

— Il a l'air sympa en vrai, dis-je pour me défendre. Effectivement un peu étrange, mais terriblement séduisant !"

La soirée poursuit son cours sans que nous nous étendions davantage sur le sujet et l'inconnu sort rapidement de nos pensées.

Le lendemain matin, c'est au travail qu'une surprise m'attends. Je découvre dans mon cabinet le grand blond, tranquillement installé sur le canapé réservé à mes patients.

"Vous êtes psychologue, alors ? C'est la première fois que j'en rencontre une, il n'y en a presque que dans votre monde. Pourtant, nombreux sont ceux qui en auraient besoin.

— Vous m'avez suivie ? dis-je, décontenancée par sa présence et ses paroles incompréhensibles.

— Non, mais je n'ai pas eu beaucoup de mal à vous retrouver.

— Mais... qui êtes vous ?

— Thor, fils d'Odin et prince d'Asgard."

Je le regarde, interloquée. Mes quelques notions en mythologie rendent son discours familier, sans qu'il soit plausible pour autant.

"Vous venez pour un suivi ? Vous devez prendre rendez-vous pour cela... Si vous voulez, je peux regarder si j'ai de la place la semaine prochaine."

Je me dirige à mon bureau et déverrouille mon ordinateur pour ouvrir mon agenda. J'espère qu'il n'est pas dangereux. Il faut dire qu'il est un peu imposant, avec son marteau géant.

"Non pas que je n'ai pas quelques névroses familiales dont je pourrais parler pendant des années, mais ce n'est pas la raison de ma visite. Pouvez-vous me tenir ça ?" s'enquiert-il en me tendant son marteau.

Je lui jette un regard interrogateur et m'exécute sans trop comprendre.

"Étonnant... commente-t-il en m'observant.

— Pouvez-vous m'expliquer ce que vous me voulez ? insisté-je.

— Il y a quelque chose de spécial en vous. Mjöllnir vous trouve digne. Mais je ne saurais dire pourquoi pour le moment...

— Excusez-moi, qui ?

— Mjöllnir, mon marteau.

— Vous pouviez pas trouver plus compliqué comme nom pour votre... outil ?

— En réalité, c'est plus une arme, sent-il utile de préciser.

— Voilà qui est encore plus rassurant. Je suis désolée, j'ai beaucoup de questions mais mes premiers patients vont bientôt arriver. Peut-être pouvons nous continuer cette conversation plus tard ?"

Avant qu'il n'ait le temps de me répondre, la terre se met soudainement à trembler et des bruits d'explosion retentissent. Nous nous précipitons à l'extérieur pour voir ce qu'il se passe. Trois gros rochers tombent du ciel, creusant et fissurant le béton du parking.

"Je crois qu'ils attendront... déclare-t-il.

— Ce sont des météorites ?

— Non, ce sont des vaisseaux.

— Vous voulez dire qu'il s'agit d'une invasion extra-terrestre ?

— Quelles que soient leurs intentions, leur entrée n'a pas l'air bien cordiale. Attention !" s'exclame-t-il en me plaquant au sol, protégeant ma tête de sa main.

Un nouveau rocher-vaisseau finit sa course à quelques mètres de nous, provoquant une onde de choc qui nous fait rouler sur nous-mêmes.

Celui qui s'est présenté comme un prince se relève et se dirige vers une créature étrange qui sort du vaisseau. Ça n'a ni l'air d'un être humain, ni d'un animal. Les extra-terrestres existent-ils donc réellement ? Quatre de ses sosies sortent des autres vaisseaux et l'entourent, le toisant d'un air menaçant. Ils échangent dans une langue que je ne reconnais pas.

Thor parle calmement, mais le personnage en face de lui semble s'énerver. Il sort une épée mesurant au moins le double de sa taille et la pointe dans sa direction. Ce dernier recule alors d'un pas et tend une main dans laquelle vient se loger son marteau. Sans plus de pourparlers, l'alien et ses congénères attaquent l'homme au marteau. Est-il vraiment un homme, d'ailleurs ?

Un tas de questions s'accumulent dans ma tête, mais je suis forcée de reconnaître que le moment est mal choisi pour parfaire ma culture du surnaturel.

Je me met en retrait et observe la bataille. Je doute que mon temps de survie soit très long si je m'en mêle. Le bon sens voudrait en outre que je quitte les lieux au plus vite. Mais je reste immobile, captivée par la scène qui se joue sous mes yeux. Ils sont tous dotés de pouvoirs surhumains et les dégâts collatéraux sont nombreux. Je plains ceux qui ont garé leur voiture sur ce parking qui s'est transformé en champ de bataille. Parking où j'ai d'ailleurs stationné la mienne ce matin.

Je cherche mon véhicule du regard. Heureusement, il est intact. C'est ce moment que choisit l'un des extra-terrestres pour tomber sur le toit, l'écrasant brusquement sous mes yeux. Comment suis-je censée expliquer ça à mon assurance ?

Je ne sais pas ce que le beau blond leur a fait, mais ils ont l'air de sacrément lui en vouloir.

Quelque chose s'écrase sur le mur à côté de moi. Un alien avec un marteau enfoncé dans le crâne. Chouette. Je réprime un haut le cœur devant les détails de son anatomie dispersée dont même un film d'horreur se passerait.

Alors que Thor tend la main pour rappeler son marteau, une créature la bloque avec son pied et entreprend de l'écraser. Le voyant en difficulté, je fais preuve d'une grande témérité. Je récupère l'arme et je m'approche hésitante des individus qui me tournent le dos, occupés à tourmenter celui qu'ils ont mis à terre.

J'envoie un coup peu intimidant dans l'épaule du premier. Surpris, il se retourne, libérant ainsi la main du blond. La suite des évènements s'enchaine à une vitesse folle. Je me sens comme guidée par le marteau. Je frappe et pare les coups, affrontant férocement les intrus. Dans un état semi-conscient, je suis la cadence sans trop savoir ce que je maîtrise encore. Mais je n'en reste pas moins vulnérable, car un coup parti trop vite me met à terre et envoie valser l'arme. Thor, qui s'était remis à se battre à main nue, l'attrape et le tend vers le ciel.

"Ça suffit !" rugit-il.

Le ciel se couvre immédiatement, le bleu azur laissant place à un temps orageux. Des éclairs jaillissent et consument instantanément les créatures restantes. Quand il abaisse son marteau, le ciel s'éclaircit aussitôt.

"Et tu n'aurais pas pu faire ça plus tôt ? suggéré-je. J'aurais peut-être encore une voiture."

Il se tourne vers moi et me regarde, interloqué. Encore dans le feu de l'action, je ne me suis même pas aperçue que j'étais passée au tutoiement. Peut-être que le fait qu'on ait combattu des aliens ensemble m'autorise ce genre de familiarité ?

"Okay, c'est encore un truc que je ne peux pas comprendre, concédé-je.

— J'avais juste envie de me battre un peu. Et puis, s'ils s'étaient arrêtés plus tôt je les aurais laissé repartir en vie."

J'affiche une mine dépitée et observe le désastre autour de moi. Je me souviens alors que j'y ai largement pris part, sans savoir comment j'en ai été capable.

"Peut-être pourrais-tu m'expliquer ce qu'il s'est passé à présent ?

— Eh bien, ils étaient en colère parce que j'ai tué leur chef il y a quelques jours. Mais il voulait s'en prendre à mon peuple, je n'ai fait que le protéger.

— Je voulais plutôt dire... M'expliquer ça, dis-je en soulevant le marteau et en l'agitant sous son nez.

— Eh bien... Il semblerait que Mjöllnir ait vu juste. Tu t'es bien battue.

— Mais comment est-ce possible ? J'ai à peine une bagarre dans un bar à mon actif, et je n'en ai que de vagues souvenirs.

— Je ne suis pas sûr d'avoir la réponse à ça. Peut-être que tu as une autre vocation, peut-être que... Tu es sûre d'être humaine ?

— Comment ça, sûre ? J'ignorais encore que les extra-terrestres existaient il y a quelques heures ! Je devrais aussi douter de ça ?

— Non, oublie, c'est totalement possible... Il doit bien y avoir une explication, mais il va falloir effectuer quelques recherches."

Je le regarde silencieusement, confuse et désemparée. Que suis-je censée faire maintenant ? Rentrer chez moi et continuer ma vie comme si de rien n'était ? Ce qui est sûr, c'est que je ne pourrais pas reprendre les consultations avant que le mur de mon cabinet soit réparé. Devinant mon désarroi, Thor reprend la parole.

"Ecoute, pour te remercier de ton aide, je t'invite sur Asgard. Là-bas, nous aurons le temps d'investiguer et je te promets de répondre à toutes tes questions.

— J'imagine que ce n'est pas accessible en avion ? Ecoute, je ne suis pas une grande scientifique mais il me reste quelques notions du collège et il ne me semble pas être capable de respirer là-haut, dis-je en désignant le ciel.

— Fais moi confiance."

Des sirènes retentissent au loin. Je n'ai aucune idée de comment expliquer ce désastre ou justifier mon implication.

"Ok, je veux bien y faire un tour. Comment s'y rend-on ?

— Tiens-toi à moi." dit-il en me soulevant sans peine.

Je m'accroche à lui tandis qu'il referme l'un de ses bras musclés sur moi et lève son marteau au-dessus de nos têtes.

"Heimdall, ramène-nous." prononce-t-il.

Nous décollons de terre pour être aspirés dans une sorte de long tube arc-en-ciel. Je ferme les yeux et resserre mon étreinte. Il a peut-être l'habitude, mais pour moi le voyage n'est pas des plus confortables.