Robin des bois 2/3
Une fois la porte refermée derrière Jack, Robin intervient.
"Pourquoi refuser cet argent ? Ne me dites pas que vous n'en avez pas besoin.
— Outre le fait que ce soit de l'argent volé, nombreux sont ceux qui en ont plus besoin que nous. Je peux travailler, alors que notre voisine est malade et élève seule ses 6 enfants. Elle vient malheureusement d'apprendre que son mari ne reviendra pas de la guerre. Et ce n'est qu'un exemple, tous dans ce quartier ont besoin de cet argent. Si seulement j'avais les moyens de les aider davantage...
— J'ai peut-être un moyen pour aider chacun d'entre eux, déclare-t-il en prenant un air mystérieux.
— Et quel est votre plan ?
— Le prince Jean passe quelques jours au château de Nottingham et le shérif vient de lui remettre les impôts de toute la ville, explique-t-il sur le ton de la confidence.
— Vous pensez voler les impôts ? Quand bien même vous réussiriez, ils les prélèveront à nouveau, peut-être les augmenteront-ils encore davantage !
— Nous n'aurons pas besoin d'en récupérer la totalité. Ils les ont tellement augmentés qu'ils ne savent même plus où ils en sont. Il faut seulement que nous accédions à la salle du trésor pendant les festivités qui feront diversion. Nous montons ce plan depuis plusieurs semaines dans la forêt, et il a toutes les chances de réussir.
— Et vous comptez voler tout cet argent à deux ?
— Nous avons bien une armée, mais elle serait moins discrète.
— Une armée ?
— Avez-vous entendu parler des rebelles de la forêt ?
— Les personnes qui se sont retranchées dans la forêt pour résister au shérif ? Je pensais que ce n'était qu'un mythe.
— Ils sont pourtant bien réels.
— Ce sont eux, la grande famille de votre ami Jean ?
— Je les considère également comme ma famille. Ils m'ont accueilli quand tout le monde me rejetait."
Je le sens ému et je souris, attendrie.
"En ce qui concerne votre plan... Avez-vous un moyen d'entrer dans le château ?
— A vrai dire, c'est un point sur lequel nous travaillons encore.
— Toutes les entrées seront méticuleusement gardées. Mais je peux peut-être vous aider.
— Vous m'intéressez, m'enjoint-il de continuer.
— J'ai été embauchée pour servir pendant le banquet organisé par le prince. Je pourrais sûrement trouver un moyen de vous faire entrer.
— Et cela ne vous dérangerait pas d'être complice d'un vol ?
— C'est toujours mieux que d'être complice de celui orchestré par le prince Jean et le shérif sous prétexte d'impôts."
Malgré la pénombre, je distingue un sourire se dessiner sur ses lèvres.
"Puis-je venir vous chercher demain soir afin que vous rencontriez le reste de l'équipe pour cette opération ?" me demande-t-il, les yeux brillants.
J'hésite puis finis par accepter. Difficile pour moi de reculer après ma proposition. Même si je ne cautionne pas le vol, je suis consciente que récupérer ce butin amassé peu scrupuleusement par les autorités pourrait sauver plus d'un habitant de Nottingham.
Avant qu'il s'en aille, j'ose lui demander :
"Pourquoi me faites-vous confiance ?
— Vous m'avez l'air d'être un personne qui veut et qui peut changer les choses. Et mon intuition me trompe rarement."
Je remercie intérieurement l'obscurité de cacher mon air gêné.
Le lendemain soir, Robin m'attend comme prévu en face de la taverne. Quand je l'interroge sur notre destination, il reste mystérieux. Je continue tout de même de le suivre, ayant déjà perdu toute prudence en m'alliant à ce bandit.
Arrivés à la limite de la ville, nous nous enfonçons dans la forêt de Sherwood. Nous marchons encore un moment avant d'apercevoir la lueur d'un feu. Avant de s'approcher davantage, Robin siffle, imitant le gazouillement d'un oiseau. Le même sifflement lui répond. Il me fait signe de continuer et nous rejoignons le feu de camp autour duquel des personnes s'activent. A notre arrivée, tous les regards se tournent vers nous.
"Mesdames et messieurs, je vous présente notre passe vers le trésor !" clame-t-il d'un air triomphant.
Je suis subitement intimidée par les applaudissements lancés par Robin. Je regarde autour de moi. Un campement de fortune est installé autour du feu de camp, sûrement facile à démonter en cas de patrouille du shérif. Je ne reconnais aucun visage, mis à part Jean, le compagnon de Robin. Des hommes, des femmes et même des enfants forment cette grande bande que l'on appelle "les rebelles de la forêt". Ils ont élu domicile ici. Certains car ils n'avaient plus les moyens de payer les taxes, d'autres simplement pour signifier leur désaccord. Un religieux entre alors dans mon champ de vision.
"Frère Tuck ?
— C'est bien lui, rallié à notre cause également." précise Robin.
Je connais bien l'homme d'Église, toujours bienveillant et généreux avec les plus démunis malgré qu'il soit lui-même dépouillé par le shérif.
"Mes amis, avant de faire la fête, allons faire une dernière réunion en préparation de notre passage à l'action." déclare Robin.
Je suis l'archer, Jean et frère Tuck ainsi qu'un petit groupe d'hommes et de femmes à l'intérieur d'une tente faiblement éclairée par le feu.
"Bien, vous connaissez déjà tous vos postes. Petit-Jean et moi allons entrer par la porte de la cuisine qui nous aura été gentiment ouverte par notre amie ici présente. Vous nous attendrez avec la charrette sous ces fenêtres, tandis qu'une partie d'entre vous feront le guet. Frère Tuck qui est invité nous rejoindra pour divertir les gardes afin que nous pénétrions dans la salle du trésor. De là, nous lancerons par la fenêtre les sacs qu'il faudra récupérer et charger. A notre signal, vous partirez avec la charrette sans nous attendre pour la ramener dans les bois. Nous nous éclipserons de la même manière que nous serons entrés. Cette opération nécessite une grande discrétion. Il ne faut surtout pas qu'ils s'aperçoivent qu'une partie des impôts récoltés a disparu. Nous effectuerons la redistribution avec la même discrétion les jours suivants. Des questions ?"
Je suis impressionnée par leur organisation. Je commence à croire réellement en leur plan. Je ressens même une certaine fierté d'y contribuer. Personne n'ayant de questions, nous nous contentons d'acquiescer.
"Parfait, maintenant désaltérons nous à la réussite de ce plan ! Pour Nottingham !
— Pour Nottingham !" reprennent en chœur les rebelles.
L'air se rafraichissant, je vais m'asseoir devant le feu avec mon gobelet rempli de vin. Je suis bientôt rejoint par Robin.
"Alors, êtes-vous toujours aussi sceptique quant à notre projet ?
— Je dois avouer que non, il semblerait que votre plan puisse vraiment fonctionner.
— Votre proposition nous est d'une grande aide.
— Je suis contente de pouvoir enfin contribuer à aider Nottingham et de résister d'une certaine manière face aux injustices perpétrées par le prince et le shérif.
— Je suis heureux de vous voir vous rallier à notre cause."
Je souris, les yeux fixés sur les flammes dansantes.
"Vous avez déjà une belle équipe, je ne suis pas sûre d'être si essentielle à votre plan.
— Les gens d'ici sont à l'extérieur alors que vous, comme frère Tuck, vous êtes à l'intérieur. Vous êtes des atouts considérables.
— Dites-moi, Robin. Puis-je vous poser une question indiscrète ?
— Seulement si j'ai le droit de vous en poser une aussi.
— Très bien, je vous l'accorde. Il ne me semble pas vous avoir déjà vu à Nottingham avant que l'on commence à entendre parler de vous, il y a quelques mois. Pourtant, c'est là que j'ai grandi. Pourquoi êtes-vous si attaché à aider ses habitants ? D'où venez-vous ?
— Aujourd'hui, je ne viens plus d'aucun autre endroit que d'ici. Mon passé est peu glorieux, je crains que vous ne voyiez plus en moi le même homme si je vous le racontais.
— Racontez-moi.
— Bien. Autrefois, je n'étais qu'un brigand qui sillonnait l'Angleterre en dérobant les biens des voyageurs peu consciencieux. J'ai honte de la vie que je menais, mais je ne savais faire que ça, voler, et j'étais plutôt bon. Puis un jour, dans cette forêt, j'ai rencontré un saint homme qui m'a remis sur le droit chemin. Il m'a permis de rencontrer Petit-Jean et les rebelles. Ils étaient moins nombreux, sur ce campement, mais toujours aussi accueillants. Ils m'ont sauvé d'une vie peu héroïque.
— Et comment êtes-vous devenu un héros ?
— Vous pensez que je suis un héros ?
— C'est ce que certains pensent.
— Et vous, que pensez-vous de moi ?
— Vous ne répondez pas à ma question.
— J'y répondrai si...
— Je pense que vos manières sont malhonnêtes, mais que votre but est louable. Et qu'en ces temps où l'injustice fait la loi et met en danger des vies humaines, voler aux voleurs n'est peut-être pas si répréhensible que cela. Vous avez aussi cette fâcheuse manie de recourir au chantage, cédé-je sans le laisser finir sa phrase, faisant naître un sourire amusé sur ses lèvres.
— C'était quelques semaines après le départ du roi Richard pour la guerre. J'ai vu le shérif parcourir les rues pour prélever les impôts, insensible face à des familles implorantes, les dépouillant parfois jusqu'au dernier sou. Ce jour-là, j'étais si révolté que j'ai décidé de reprendre mon activité, mais en essayant de rendre justice. Il m'arrive de voler les bourgeois de Nottingham, mais j'essaie la plupart du temps de piocher dans les impôts, dans lesquels le shérif se sert largement pour son confort personnel.
— Je comprends.
— A mon tour, j'ai droit à une question.
— Vous n'avez pas oublié !
— Je n'oublie jamais rien, réplique-t-il avec un sourire équivoque. Vous avez dit que vous n'étiez pas encore mariée, que cela signifie-t-il ? Avez-vous prévu de vous marier ?
— Mes parents l'ont prévu, oui. A la fin de la guerre, mon futur époux reviendra et nous célèbrerons nos noces.
— Vous l'aimez ?
— Ce n'est pas un luxe que je peux me permettre. Pour l'instant, je rapporte de quoi nourrir ma famille. Mais quand mon père sera de retour, ils n'auront plus besoin de moi et préfèreront avoir une bouche en moins à nourrir. Je connais trop peu cet homme pour savoir si je l'aimerais ou s'il m'aimera.
— Ce mariage va-t-il vous rendre heureuse ? N'avez vous donc aucun autre choix ?
— Je crains de ne pas avoir d'autre solution.
— Et pourquoi ne pas nous rejoindre, ici ? Boire du mauvais vin tous les soirs, danser, vivre librement... ça ne vous donne pas envie ?
— Je ne peux pas nier que c'est tentant. Mais que deviendrait ma famille si je suivais mes envies ? Ce serait risquer de la déshonorer en fuyant lâchement.
— Ne pouvez-vous donc pas prendre un époux que vous aimiez et qui vous aime ?
— Je n'ai pas de temps à accorder à l'amour. Les hommes que je croise sont bien souvent alcoolisés, et même ivre aucun n'a jamais eu assez d'esprit pour me plaire.
— Aucun ?
— Aucun, assuré-je.
— C'est donc un homme d'esprit qu'il vous faut.
— C'est quelque chose que vous ne pouvez pas voler.
— Mais je sais voler des cœurs.
— Et cela vous arrive souvent ?
— Ce sont rarement ceux que je convoite."
Les flammes se reflètent dans ses yeux sombres, faisant étinceler ses pupilles. Il a encore ce regard qui m'hypnotise.
Jean, dont j'ai appris qu'il était surnommé Petit-Jean, vient nous chercher pour participer à un concours de tir à l'arc. Le fait qu'il fasse nuit ne semble nullement les perturber.
En voyant Robin, certains concurrents abandonnent, dépités, quand d'autres se sentent d'humeur à relever le défi. Les archers ont beau être bons, il ne rate aucun coup. Sa flèche semble irrémédiablement attirée par le centre de la cible.
"Avez-vous déjà tiré à l'arc ? m'interroge Robin.
— Jamais.
— Et bien je vais pouvoir vous initier.
— Je ne suis pas sûre d'être d'une grande habileté."
Il n'a que faire de mon objection et me met un arc entre les mains. A la lueur des torches, je distingue difficilement la cible posée contre un arbre. Robin se place derrière moi et me montre comment tenir l'arme et comment placer la flèche. Je sens son souffle sur ma nuque et peine à me concentrer. J'ai l'impression qu'il prend un malin plaisir à me troubler.
Je lance une première flèche qui tombe à mes pieds. La seconde part plus loin et termine sa course dans les branches de l'arbre. Je rie avec les autres de ma maladresse. Robin m'aide à orienter l'arc vers la cible et ma troisième flèche se plante juste au-dessus de cette dernière.
"Vous progressez vite, remarque-t-il.
— Il faut croire que j'ai l'un des meilleurs professeurs du pays. Et pourtant je suis loin d'être un cas facile.
— Il y a un certain potentiel.
— Ne vous moquez pas.
— Je suis sérieux. Je suis certain qu'avec un peu de pratique vous réussiriez sans mal à atteindre la cible.
— J'y penserai."
Ravie de ma soirée, je me résigne à rentrer car la journée de demain promet d'être longue et fatigante. Robin propose de m'escorter, ce que j'accepte sans hésiter, ne connaissant absolument pas le chemin.
Alors que nous marchons tranquillement, il m'attrape et me plaque contre un arbre, mettant un doigt devant sa bouche pour m'indiquer de me taire. Je lui jette un regard interrogateur. Le bruit de claquements de sabots s'approchant suffit à y répondre. Mon corps se tend. Robin est très proche de moi. Nous communiquons avec les yeux. Il m'envoie un regard rassurant et garde ses pupilles plantées dans les miennes. Il siffle, imitant à perfection le même oiseau que toute à l'heure pour prévenir ses amis de l'approche de cavaliers inconnus.
Le lendemain, je prends une grande bouffée d'air avant de pénétrer dans le château. C'est la première fois que j'y entre. J'admire sans envier la hauteur des tours et la somptuosité des couloirs. J'enfile l'uniforme de service et rejoint le reste du personnel dans la cuisine. Les convives seront là dans moins d'une heure, et nous devons nous tenir prêts pour proposer boissons et amuses bouches dès leur arrivée.
Même si je gagnerai plus qu'en une journée à la taverne, je ne me sens pas à l'aise dans ce monde qui jure avec mon quotidien. Je vais baigner dans le luxe toute la soirée et je serais au services de personnes qui ne connaissent rien à la misère. L'idée du plan de Robin me réconforte. J'espère que nous fêterons ce soir sa victoire.
La salle se remplit tandis que je déambule avec mon plateau, attendant le bon moment pour m'éclipser et déverrouiller la porte de service indiquée. Personne ne me prête réellement attention, ce qui me facilite la tâche. Ma besogne faite, je retourne dans la salle avec un plateau de nouveau chargé. J'échange un regard entendu avec frère Tuck et il quitte la pièce à son tour.
La musique résonne entre les pierres tandis que les gens dansent et boivent joyeusement. J'essaie de ne pas laisser paraître ma nervosité, ne sachant comment se déroulent les opérations.
"Toi ! Apporte ça au prince." m'ordonne l'intendant qui semble dépassé.
Je m'exécute docilement et apporte la boisson qu'il me tend au prince. Déjà légèrement ivre, je ne manque pas de remarquer que ce dernier me regarde d'une manière peu appropriée.
"Je vais en prendre un autre !" exige-t-il.
Je m'éloigne et l'entend ricaner avec sa cour. Quand je reviens quelques instants plus tard, il m'attrape par la taille et me tient fermement, m'empêchant de m'échapper.
"Tu ne fais pas la fête, toi ?
— Non, votre majesté.
— C'est dommage, une jolie fille comme toi qui fait le service. Je t'aurai proposé de te joindre à nous sinon." raille-t-il.
Il tire sur mon bras pour parler dans mon oreille. Il empeste le vin.
"Pour ce qui est de mon lit, en revanche, je suis moins regardant, complète-t-il en resserrant son emprise.
— Je... je dois continuer le service." dis-je, écœurée par son comportement.
S'il avait été un client de la taverne, nous l'aurions déjà mis dehors. Mais il est prince et tout le monde semble s'amuser de ses frasques.
Il ne me lâche pas mais continue de parler avec ses acolytes. Je parcours la salle du regard à la recherche d'un échappatoire quand je croise deux yeux bruns surmontés de deux sourcils froncés observant la scène. Que fait Robin dans la salle ? Le plan a-t-il échoué ?
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