On a des personnages, très bien, mais ils ne serviraient pas à grand chose s'ils n'avaient pas d'histoire, ces trois sots.

On sait déjà qu'ils viennent de finir leur année. Disons qu'on les retrouve juste à la sortie de la fac. Tiens, d'ailleurs, on retrouvera seulement Amélie et Enzo à la sortie. Amélie sera en fac de lettres, elle aimera beaucoup tous les grand poètes et écrire aussi. Enzo, lui, fera des études de sciences. Il pensera bien aimer la fac de sciences parce que ça lui permet de donner des limites à toutes ses réflexions. Enzo, à la fac de sciences, il peut ne réfléchir que sur les sujets auxquels on lui demande de réfléchir. Bob, lui, s'en fout de la fac. Il enchaîne les petits boulots depuis qu'il a quitté l'école d'aviation. Bob, il est à tour de rôle peintre, écrivain ou musicien. Souvent, d'ailleurs, il est tout ça à la fois. Et Bob, il aime cette vie. Bob, il comprend même pas tous ces gens qui s'usent à écouter d'autres gens raconter leur vie. Bob, il trouve que les gens sont bien sots de payer pour être payé plus tard. Tant qu'il peut manger et voir ses amis, Bob, il aime sa vie.

Donc c'est la fin de l'année scolaire. C'est d'abord Amélie qui sort du gros bâtiment de la fac de lettres. Elle sourit, parce qu'Amélie sourit tout le temps, souhaite bonnes vacances à ses amis de la fac, et elle en a beaucoup, des amis, parce qu'elle est toujours heureuse et les gens heureux attirent car ils ont toujours l'air d'avoir une vie formidable, et on aimerait bien savoir comment ils font pour avoir une vie formidable. Seulement, Amélie, elle n'a pas une vie formidable, mais ça, ses amis de la fac ne le savent pas. Ils ne le savent pas car ils ne veulent pas le savoir.  Amélie, donc, sort de la fac, dit au revoir à ses amis qui n'ont pas une vie formidable et va rejoindre Enzo qui sort, lui aussi, de la fac. Ensemble, ils vont chez Bob en se racontant leur vie. Ils aiment bien raconter leur vie, Amélie et Enzo, ça leur permet de mieux se connaître et ils aiment bien ça, mieux se connaître. Et puis, bon, raconter sa vie, ça veut dire qu'elle mérite d'être racontée, pas vrai ?

Alors, tout en parlant, ils finiront par arriver chez Bob. Bob ne sera pas encore rentré, mais il aura laissé la porte ouverte. Bob laisse toujours la porte ouverte et Amélie et Enzo le savent alors ils rentreront. Chez Bob, ce sera tout petit. En même temps, Bob il n'a pas besoin de beaucoup de place et puis, la place, il s'en fout. Il s'en fout de tout, Bob. En attendant que Bob rentre, et aussi un peu parce qu'Amélie ne veut pas pleurer devant Enzo (c'est vrai qu'à force de raconter sa vie, elle s'est rendue compte qu'elle avait une vie compliquée et c'est quand même triste, les vies compliquées), ils se sont mis à faire de la musique. C'est vrai que Amélie et Enzo ont tellement l'habitude de se retrouver chez Bob, qu'à force, ils ont finit par y laisser leurs instruments.

Ils joueront pendant une heure, et Bob finira par arriver. Peut-être marquera-t-il une pause sur le seuil de la porte, en voyant Amélie et son violon, Enzo et sa guitare, et leur musique qu'eux-même ne connaissent pas. Peut-être qu'il sourira et peut-être qu'une larme pointera, là, dans son oeil. Mais Bob, il secouera la tête et refermera la porte. Il se composera un visage neutre et replacera ses mains dans ses poches. Ben oui, quoi, Bob il s'en fout de tout, pas vrai ?

Bob, il attrapera son saxophone et il se joindra à Amélie et Enzo. Et ils joueront comme ça encore deux heures. Ils joueront pendant deux autres heures une musique que personne ne connaît. Et ils seront un peu sots de jouer une musique que personne ne connaît, même pas eux.

Les trois gamins apprentis de la vie, ils joueront de la musique, comme ça. Et en même temps qu'ils joueront de la musique, ils croiront à leur rêve.

Et puis tiens, on va l'arrêter là, cette histoire. On va laisser Amélie, Bob et Enzo jouer leur musique qu'ils ne connaissent pas en réfléchissant à leur rêve. Peut-être qu'ils y arriveront, à voler. Ou peut-être pas. La suite leur appartient. Et puis de toute façon, on est déjà sots d'avoir commencé cette histoire, ne le soyons pas plus en la terminant.