Sarah
— Elle sait ce qu'elle fait, Kyle.
Je me rassois sur ma chaise et croise les bras.
— Je n'en doute pas, Sarah.
Elle lève les yeux au ciel est je retiens mon sourire. Ce n'est toujours pas facile d'être près d'elle, de relâcher la pression quand je sens encore ce pincement dans ma poitrine à chaque fois que mon regard croise le sien. Cette fille est incrusté dans ma peau comme un tatouage que je ne peux pas ignorer. Le bonheur et la douleur que je ressens à chaque fois qu'on se croise est un vrai supplice. Mais ma vie n'a été que ça, basée sur la souffrance, l'inconnu et la douleur, alors j'ai l'habitude.
— Je suis contente de voir que vous avez de la compagnie pour une fois, souffle l'infirmière avec un large sourire pour Sarah.
Mes sourcils se froncent à ses paroles tandis qu'elle termine d'installer la perfusion de chimiothérapie. Pour une fois ? Je sais que ses parents sont très proches d'elle, quelque chose que je n'ai jamais connu. Alors pourquoi ne sont-ils pas ici, avec elle ? J'attends que l'infirmière s'en aille et approche ma chaise du fauteuil en plantant mon regard dans celui de Sarah.
— Quoi ? s'étonne-t-elle face à mon air mécontent.
— Qu'est qu'elle voulait dire par « pour une fois » ? Tu viens toujours seule ?
J'essaye de ne pas porter de jugement, ne pas l'accabler. Ses joues prennent une couleur si faible que je ne suis pas certain qu'elle soit réelle. Ses yeux en revanche, évitent les miens pour se poser sur ses doigts qu'elle tortille un instant.
— Les choses ne sont pas si simples, Kyle.
Sa voix presque inaudible me tord l'estomac. Je ne veux pas qu'elle se braque ou qu'elle me dise de partir parce que je m'énerve. Alors je prends une profonde inspiration, essayant de faire partir l'agacement qui gronde en moi. Je sens mes muscles qui résistent, mais je les force à se relâcher avant de lui demander :
— Personne n'a le temps de t'accompagner ?
— Oh, si ! Beaucoup de personnes. Pratiquement tout le monde, à vrai dire.
Son haussement d'épaule désinvolte me fait serrer les dents. Encore une fois, j'inspire profondément.
— Alors pourquoi...
— Je ne veux pas, me coupe-t-elle avec plus d'agacement que je ne m'y attendais.
Ses yeux s'assombrissent, juste une fraction de seconde, mais c'est assez long pour que mes poings se serrent. Je ravale mes mots et hoche le menton. C'est un nouvel exercice que je m'impose en présence des personnes que j'aime. Prendre le temps de réfléchir avant de parler. Ça me demande un effort plus important que je ne l'aurais cru.
— T'as accepté que je vienne.
Ma voix n'est qu'un souffle parce que des idées torturées m'empêchent déjà de respirer et me rappellent à quel point je ne suis pas désiré, à quel point ma présence dans ce monde ne réjouit personne.
— Je ne sais pas quoi te répondre. J'avais... envie que tu viennes.
— Pourquoi ?
Ses yeux scintillent, et m'évitent, et me retrouvent sans qu'elle ne m'accorde de réponse. Je hais cette douleur dans ma poitrine, ce sentiment désagréable que je n'arrive pas à nommer alors que mon souffle se coupe en attendant sa réponse.
— Je sais que t'as passé des moments... difficiles après notre séparation.
Je préfère ne pas me les remémorer en cet instant. Les doigts enfoncés dans mes genoux, j'essaye de ne pas montrer mes émotions.
— Je m'en veux de t'avoir fait subir ça.
Les dents serrées, je ne répond toujours pas. J'ai du mal à respirer.
— Mais je veux que tu comprennes que mon but était de t'épargner. Je ne voulais pas que tu me vois comme ça.
Ses yeux se baissent et je la regarde plus attentivement. Sarah me semble tellement petite et fragile dans ce grand fauteuil. Une couverture pliée à côté d'elle, sur laquelle repose un roman et sa paire de lunette. Elle ne les mets que pour lire et parfois j'en ris en me disant qu'elle est terriblement sexy quand elle les porte. Le sourire qui s'est incrusté sur mon visage à cette pensée se raidit et disparaît en constatant que ce n'est que le retour d'un souvenir. Un souvenir avec elle. Et qu'elle ne voulait plus de moi.
— Je suis un grand garçon, Sarah. Je peux encaisser. Je n'ai fait que ça toute ma vie, de toute façon.
Son regard s'assombrit à nouveau, bien plus longtemps. Et l'expression de son visage ne me plaît pas. Elle est si pale et si petite, cette énorme poche de chimio reliée à son corps, ses jambes si fines dans son pantalon. Elle grelotte, mais elle est trop fière pour dire quoi que ce soit. Sans un mot, je me perche sur ma jambe intacte et attrape la couverture pour la poser sur elle. Un sourire amusé étire ses lèvres et pris dans la contemplation de son visage, je perd l'équilibre et me rattrape juste à temps, le visage tout près du sien. Son petit rire fait gonfler ma poitrine, un courant chaud parcourant mes veines, réveillant des parties de mon corps qui était endormies depuis longtemps.
— Ne te casse pas l'autre jambe.
Sa main vient jusqu'à mon visage et le bout de ses doigts glacés glisse sur ma joue. Mes yeux se ferment juste une seconde, son souffle sur mon visage fait bondir mon cœur. Lorsque j'ouvre à nouveau les yeux, la chaleur s'est déjà répandue dans tout mon corps et ses lèvres me semblent plus attirantes que mon prochain souffle.
— Je me souviens.
Ma voix n'est qu'un souffle, un aveu que je n'ai pas la force de dire plus fort. Je me souviens de tout, de notre rencontre, nos discussions sans fin, notre relation.
— J'étais... heureux avec toi.
Ses yeux se remplissent de larmes, son pouce glisse sur mes lèvres et dessine le sourire qu'elle me force à lui offrir.
— Tu le seras à nouveau, Kyle. Seulement... pas avec moi.
Ses paroles sont aussi violentes et douloureuses qu'un coup de poignard en plein cœur. Je ne pensais pas pourvoi avoir aussi mal à nouveau. Elle a réveillé mon cœur et vient juste de le massacrer à nouveau. Est-ce si drôle de pourrir ma vie ? Je ne mérite pas mieux ? L'univers a décidé de me baiser jusqu'au bout ? Un rire sans joie m'échappe et je recule, me rassois sur ma chaise et attrape mes béquilles.
— Kyle...
Elle souffle mon nom comme si elle en avait quelque chose à foutre. Comment j'ai pu être aussi naïf ? Encore une fois ? Des larmes coulent sur ses joues. Elle n'essaye même pas de les effacer. Elle veut me torturer, se foutre de ma gueule ? Pourquoi est-ce...
L'ombre si sinistre que je vois dans ses yeux glace soudain mon sang. J'ai l'impression de me voir dans un miroir. Je connais cette noirceur, cette douleur. Je la vois tous les jours dans mes propres yeux, elle ne s'efface jamais.
— T'en vaux la peine, Sarah.
Ma voix n'a rien de doux ou calme. C'est une rage sournoise, un grondement du fond de mes entrailles. Sur un pied, je bascule et m'assois sur le bord de son fauteuil pour prendre son visage entre mes mains, l'obliger à me regarder. Cette noirceur si familière est si cruelle dans son regard, si froide et dégoûtante. La voix sombre et déterminée, je ne peux que lui dire les mots que j'ai toujours voulu entendre sans jamais les écouter. Je les comprends maintenant, je commence à sentir leur impact et tout le poids que j'avais l'habitude d'avoir sur mes épaules me semble un peu plus léger.
— Même si tu refuses, je me battrai pour toi. Et je sais que je ne suis pas le seul. Ces mots n'ont aucun sens pour toi en cet instant, crois-moi je le sais. Mais tu les comprendras, je te le promets. Tu vaux la peine qu'on se batte pour toi, qu'on t'aime sans condition. Ne pense jamais que tu vaux moins que ça.
Une larme roule sur ma joue, mais je la laisse poursuivre son chemin.
— Je t'aime, je n'ai jamais cessé de t'aimer, même quand j'essayais d'effacer tes souvenirs de ma mémoire. Personne ne peut t'effacer. Tu es à moi. Jusqu'au bout.
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