~ ° Chapitre 21 : Wound ° ~
Le lendemain, Shizu retourna au QG. L'épuisement émotionnel alourdissait chacun de ses pas, mais elle tenta de garder une apparence impassible. Une fois dans le réfectoire, elle choisit une table isolée, espérant trouver un moment de calme pour se recentrer. Pourtant, la tranquillité ne dura pas. Peu de temps après, ses trois ennemis entrèrent et s'installèrent autour d'elle sans demander son avis, comme si leur présence était une évidence.
Le silence entre eux était lourd, presque suffocant. Finalement, Shizu prit la parole, sa voix froide et tranchante brisant la tension.
«_C'est Annie qui les a tués. »
Les mots tombèrent comme une lame, lourds de rancune et de douleur. Maëlys, la première à répondre, haussa les épaules, son ton désinvolte provoquant instantanément l'ire de Shizu.
«_Ah bon ? dit-elle, presque nonchalante. Bah... ce n'est pas très grave. »
Reiner fronça les sourcils et lança un regard d'avertissement.
«_Maëlys, arrête. »
Mais Shizu était déjà sur le point d'exploser. Sa main se referma sur la fourchette posée devant elle. En un éclair, elle attrapa Maëlys par le col de son uniforme et plaqua la pointe de l'ustensile contre sa gorge.
«_Alors ce n'est pas très grave si je te tue, toi aussi ? cracha-t-elle, le regard flamboyant de rage. »
Bertolt, pris au dépourvu, leva les mains dans un geste d'apaisement, sa voix tremblante.
«_Shizu, calme-toi ! Il faut que tu te ressaisisses ! »
Mais elle n'entendait plus rien. Elle se leva brutalement, gardant la fourchette pointée vers le groupe, son souffle court.
«_Alors c'est pas grave si je vous tue tous ? hurla-t-elle, un sourire brisé sur le visage. »
Maëlys, pourtant déstabilisée, esquissa un rictus provocateur.
«_Tu n'oseras pas. Parce que si tu nous tues... tu sais très bien ce qui arrivera. »
C'était la goutte d'eau. Ces mots, empreints de défi, percèrent les dernières barrières de retenue de Shizu. Dans un geste rapide et brutal, elle agrippa le bras de Maëlys et planta la fourchette profondément dans sa chair. Maëlys poussa un cri strident, se tordant sous la douleur, tandis que Bertolt et Reiner se précipitaient pour lui porter secours. Shizu était à bout, elle avait l'impression que le monde était contre elle et sa violence ne faisait que prouver sa fatigue émotionnelle.
«_Mais qu'est-ce qui te prend, Shizu ?! s'écria Reiner, furieux, se précipitant vers Maëlys. »
Shizu, les bras croisés, les observa froidement.
«_Shizu... qu'est-ce qu'il se passe ici ? »
Elle se retourna lentement et vit Armin entrer dans la pièce, accompagné de quelques autres soldats. Ils semblaient avoir entendu le chaos depuis le couloir. Leurs regards étaient incrédules face à la scène : Maëlys, le bras en sang, et Shizu, immobile, la fourchette encore plantée dans la plaie de son adversaire.
Shizu, la mâchoire crispée, évita le regard d'Armin. Elle retira lentement l'ustensile du bras de Maëlys, arrachant un deuxième cri à cette dernière.
«_Ce n'est rien, répondit-elle, la voix vide. On règle juste nos différends. »
Puis, sans ajouter un mot, elle quitta le réfectoire, laissant derrière elle une salle figée entre le choc et l'incompréhension. Shizu marcha sans but précis avant de se retrouver sur le terrain d'entraînement, désert à cette heure de la journée. Elle s'assit en tailleur au milieu du champ, le regard fixé sur l'horizon.
La colère qui l'avait animée quelques instants plus tôt la quitta soudain, remplacée par un sentiment d'épuisement écrasant. Ses pensées tourbillonnaient, désordonnées, envahies par le regret et le désespoir. Elle repensa à tout ce qui s'était passé récemment : le meurtre du garde devant la maison de Kenny, l'explosion de colère envers Maëlys. Tout semblait s'effondrer autour d'elle. Sa vie n'était qu'un enchaînement de malheurs, et elle se sentait piégée dans un cycle sans fin.
Elle ramena ses genoux contre sa poitrine, cherchant un réconfort inexistant. Tout en elle criait qu'il était temps de partir, de fuir cet endroit, ces gens, cette guerre. Elle voulait disparaître, trouver un endroit où personne ne pourrait la retrouver, où personne ne pourrait plus jamais lui faire de mal.
Mais où aller ? Et même si elle fuyait, pouvait-elle vraiment échapper aux ombres de son passé ?
Le vent glacial balaya le terrain, faisant voleter quelques mèches de ses cheveux devant son visage. Elle ferma les yeux et soupira longuement. Le vent froid s'insinuait sous son uniforme, mais elle ne bougeait pas. À l'intérieur d'elle, c'était encore plus glacial. Son cœur semblait pris dans un étau, chaque battement une douleur supplémentaire. Elle ne savait plus quoi faire. Tout semblait s'effondrer. Le poids de ses erreurs, de ses choix imposés, de ses mensonges, était devenu insupportable. Elle avait tout gâché : sa vie, ses relations, et même les maigres espoirs qu'elle avait pu entretenir.
Le visage de ses anciens amis s'imposa à son esprit, leurs sourires, leurs voix. Et maintenant, le silence éternel. Une culpabilité féroce déchirait son âme. Elle avait survécu alors qu'ils étaient morts. Pourquoi elle ? Elle ne méritait pas d'être encore là.
Se relevant péniblement, Shizu marcha lentement vers une des structures métalliques utilisées pour l'entraînement. Son esprit n'était plus qu'un tourbillon de douleur et d'idées sombres. Elle s'arrêta devant une corde suspendue, utilisée habituellement pour des exercices de montée. Elle resta immobile quelques secondes, sa respiration saccadée.
Ses mains tremblaient lorsqu'elle attrapa la corde et la noua, ses gestes précis mais hésitants. Chaque fibre de son être criait qu'elle ne voulait plus continuer.
Alors qu'elle glissait le nœud autour de son cou, les larmes commencèrent à couler silencieusement sur ses joues.
«_Je suis désolée... murmura-t-elle dans un souffle à peine audible. »
Elle ferma les yeux, se préparant à basculer.
Mais une poigne ferme l'attrapa soudainement par le bras, la tirant violemment en arrière. Elle tomba lourdement au sol, le souffle coupé, avant de lever les yeux, stupéfaite.
Le caporal-chef Livaï se tenait devant elle, son visage sombre et fermé, mais ses yeux brillaient d'une colère qu'elle n'avait jamais vue auparavant.
«_Qu'est-ce que tu es en train de faire, idiote ? lâcha-t-il d'un ton glacial. »
Shizu ouvrit la bouche, mais aucun mot n'en sortit. Elle baissa la tête, honteuse.
Livaï la fixa, son regard perçant cherchant à comprendre. Il voyait ses yeux rougis, ses épaules tremblantes, et surtout, ce vide qu'il reconnaissait trop bien.
«_Tu pensais que c'était la solution ? demanda-t-il, sa voix plus basse mais toujours tranchante. »
Elle serra les poings, incapable de répondre. Les larmes recommencèrent à couler, et elle murmura, presque inaudible :
«_Je n'en peux plus...Je veux juste que ça s'arrête... »
Il s'agenouilla devant elle, attrapant son menton pour l'obliger à le regarder dans les yeux.
«_Écoute-moi bien. Rien ne s'arrête comme ça. Pas de cette façon. T'as le droit d'être fatiguée. On l'est tous, d'une manière ou d'une autre. Mais si tu crois que ça suffit pour abandonner, t'as rien compris. »
Elle voulut détourner le regard, mais il la força à maintenir le contact visuel.
«_Quoi qu'il se soit passé, quoi qu'il se passera, tu es là. Et tant que tu es là, tu te bats. »
Sa voix était dure, mais il y avait une pointe de quelque chose d'autre. De l'inquiétude ? De la compassion ?
Shizu secoua la tête, ses mots se déversant comme un torrent.
«_Vous ne savez pas... Je...Je suis un monstre. Je mens à tout le monde, je fais souffrir les gens autour de moi, je ne mérite même pas de respirer. Tout ce que je touche finit par mourir ou être détruit ! »
Shizu parlait sans retenue, sa voix oscillant entre colère et désespoir. Elle vidait son sac, déversant tout ce qu'elle avait gardé enfoui en elle depuis si longtemps. Peu importe qui se trouvait en face d'elle, peu importe les conséquences. À cet instant, elle n'était qu'une âme brisée cherchant un exutoire, un moyen de relâcher le poids qui l'écrasait.
Livaï resta silencieux un moment, son expression indéchiffrable. Puis, il lâcha son menton et s'assit à côté d'elle, fixant l'horizon.
«_On est tous des monstres, Shizu. Toi, moi... Ceux qui survivent dans ce monde n'ont jamais les mains propres. Mais la différence, c'est qu'on continue d'avancer, peu importe le poids qu'on porte. Tu penses être seule à porter le poids du monde, mais regarde autour de toi. Chaque soldat ici traîne ses propres fantômes, ses propres échecs. La différence, c'est que certains continuent à se battre malgré ça. Pas parce qu'ils veulent. Parce qu'ils doivent. »
Ces mots résonnèrent en elle et elle tourna la tête vers lui, ses larmes toujours présentes.
« Comment... Comment fais-tu ? murmura-t-elle. »
Livaï la regarda un instant, son tutoiement remontant le long de son échine. Pourtant, il l'effaça et haussa légèrement les épaules.
«_Je fais ce que je peux. Ce n'est jamais parfait. Mais ce que je sais, c'est que chaque seconde où tu respires encore, c'est une chance de faire quelque chose de bien. Une chance de te battre pour ceux qui ne peuvent plus... Il finit sa phrase dans un murmure, pensant à sa bien-aimée. Il s'était promis de vivre pour elle. »
Il se releva et tendit une main vers elle.
«_Alors arrête tes conneries et relève-toi. Je ne vais pas te ramasser chaque fois que tu veux te jeter dans le vide. Tu peux continuer à t'apitoyer sur ton sort ou te lever et essayer de changer les choses. À toi de choisir. »
Shizu hésita, son regard passant de la main tendue de Livaï à son visage. Elle voyait la sincérité dans ses mots, même s'ils étaient prononcés avec sa rudesse habituelle.
Finalement, elle attrapa sa main et se releva. Livaï hocha légèrement la tête, satisfait.
Shizu resta silencieuse un moment, ses pensées tourbillonnant dans un chaos indescriptible. Livaï l'avait relevée, mais l'idée de se relever dans un sens plus profond semblait encore lointaine, presque impossible. Pourtant, ses doigts tremblaient moins, et sa respiration, bien qu'irrégulière, n'était plus le souffle haletant de quelqu'un sur le bord du gouffre.
«_Pourquoi... murmura-t-elle, brisant enfin le silence. »
Livaï haussa un sourcil, attendant qu'elle termine sa phrase.
«_Pourquoi tu m'as empêchée de... partir ? Sa voix était rauque, presque étranglée, mais elle força ses mots à sortir. »
Il la fixa un moment, son regard acéré fouillant les recoins de son âme.
«_Parce que je connais ce regard. Celui de quelqu'un qui croit qu'il n'a plus rien à offrir. C'est une erreur. Une de celles qu'on ne peut pas réparer une fois qu'elle est faite.
_Mais qu'est-ce que j'ai à offrir, Livaï ? Qu'est-ce qui reste de moi, après tout ce que j'ai fait... et laissé faire ? »
Le caporal croisa les bras, pencha légèrement la tête et répondit d'un ton tranchant :
«_Si tu ne sais pas encore ce que t'as à offrir, alors il est temps que tu trouves. Mais ça ne se fera pas en creusant ta propre tombe. En tout cas, moi, je ne peux pas te donner de réponse, c'est à toi de la trouver. »
Le silence qui suivit était chargé, mais cette fois, ce n'était pas une absence de mots : c'était un espace pour réfléchir, pour digérer ses paroles.
Finalement, Livaï tourna les talons et commença à s'éloigner. Avant de disparaître dans la pénombre du couloir, il lança par-dessus son épaule :
«_T'as le choix, Shizu. Tu peux continuer à fuir, ou tu peux prouver que t'es plus forte que ce que tu crois. Mais si tu baisses les bras à nouveau, je ne serai pas là pour te rattraper. »
Seule à nouveau, Shizu resta figée, ses pensées oscillant entre honte et une étrange lueur d'espoir. Ces derniers jours, elle avait touché le fond. Elle s'était perdue dans sa douleur, dans sa colère, au point de presque tout abandonner. Mais les mots de Livaï, brutaux et sincères, avaient trouvé un écho en elle.
Elle regarda ses mains, toujours tremblantes, et se rappela le poids du couvert qu'elle avait tenu plus tôt. Ce poids, elle pouvait le retourner. Pas pour se détruire, mais pour lutter. Pour la première fois depuis des mois, une idée germa en elle : elle pouvait encore choisir.
Shizu retourna au réfectoire, les pas lourds, la tête remplie de pensées confuses. À l'intérieur, une tension palpable régnait. Maëlys, assise avec les autres, avait maintenant un bandage propre autour du bras. Les visages de ses camarades étaient teintés d'inquiétude tandis qu'ils lui demandaient comment elle se sentait. Maëlys, quant à elle, leur répondait d'un ton faussement détendu, mais son regard trahissait une colère à peine contenue.
Shizu s'arrêta un instant à l'entrée, hésitante. Elle sentit les regards furtifs des soldats autour d'elle, des murmures étouffés. Pourtant, elle se redressa et avança. Le poids de ses propres pensées l'écrasait, mais elle avait décidé de ne pas se défiler.
Elle se plaça près de la table où Maëlys était assise, son visage toujours marqué par la dispute de plus tôt. En la voyant, Maëlys releva la tête, ses yeux sombres d'émotion. D'un geste lent mais décidé, elle se leva, lui faisant face.
«_Alors, tu comptes faire quoi maintenant ? lança Maëlys d'un ton sec, une pointe de mépris perçant dans sa voix. »
Shizu serra les poings, retenant une vague d'émotions.
«_Ce que je vais faire ? Peut-être te rappeler que tu es loin d'être innocente. Ce qui est arrivé, c'est de ta faute autant que de la mienne. »
Maëlys arqua un sourcil, presque provocante.
«_De ma faute ? C'est toi qui as perdu le contrôle et qui m'a blessée. Tu crois que c'est comme ça qu'on gère les choses, Shizu ? Peut-être que je devrais en parler à lui. »
Le sang de Shizu se glaça. Elle savait très bien de qui Maëlys parlait, et cette menace implicite fit bouillir sa colère.
«_Tu vas vraiment courir pleurnicher ? répondit-elle, la voix tremblante mais pleine de reproche. Juste parce que je t'ai blessée ? Tu sais ce que ça fait de perdre des gens qu'on aime ? Ceux que j'ai perdus ne peuvent même plus parler pour se défendre. Ils sont morts, Maëlys, MORTS ! Alors oui, peut-être que je t'ai fait mal, mais comparé à ce qu'ils ont subi, ce n'est rien. »
La salle entière s'était tue. Les camarades de Shizu et Maëlys, tout comme les officiers présents, observaient la scène avec une attention crispée. Reiner, assis un peu plus loin, se leva lentement, s'interposant doucement entre les deux jeunes femmes.
«_Ça suffit, Shizu. Calme-toi. Ce n'est pas le moment de régler ça comme ça, dit-il, la voix apaisante mais ferme. »
Shizu tourna son regard vers lui, un regard encore embrumé de colère et de douleur.
«_Je n'ai pas besoin de ton aide, Reiner. Si elle veut me trahir, qu'elle le fasse. Mais qu'elle arrête de jouer la victime, parce qu'on sait tous qu'elle est loin d'être innocente. »
Mais alors qu'elle parlait, Reiner sembla soudain se raidir, ses yeux s'écarquillant légèrement. Il s'approcha brusquement d'elle et, avant qu'elle ne puisse réagir, l'attrapa par les épaules et l'entraîna un peu à l'écart.
«_Tes yeux, Shizu, murmura-t-il rapidement. Ils ont changé de couleur. On doit sortir d'ici avant que quelqu'un ne remarque. »
Shizu se figea, prise de court.
«_Quoi ? Mes yeux ? Mais qu'est-ce que tu racontes ? »
Reiner ne répondit pas et l'écarta davantage de la vue des autres. Sa poigne ferme lui fit comprendre que quelque chose n'allait pas. Shizu, bien que réticente, céda sous la pression de son camarade. Elle rabattit rapidement la capuche de sa cape sur sa tête et quitta la pièce en hâte. Une fois hors de vue, elle courut vers les douches, cherchant désespérément un miroir. Une fois arrivée, elle s'approcha du lavabo et observa son reflet. Rien. Ses yeux étaient exactement comme d'habitude, de cette teinte noisette familière.
Elle serra les bords du lavabo, tremblant de frustration. Pourquoi Reiner lui avait-il dit ça ? Était-ce pour la calmer ? Pour l'éloigner de la confrontation ? Elle ne savait plus quoi penser. Ses émotions, déjà à vif, s'agitaient davantage, menaçant de la submerger.
Elle quitta les douches, la tête basse, errant dans les couloirs sans but précis. Elle ne comprenait pas ce qu'il lui arrivait. Était-ce la perte de ses amis qui la rendait ainsi ? La culpabilité de ne pas les avoir sauvés ? Ou bien le poids de tout ce qu'elle cachait ? En marchant, elle se perdit dans ses pensées. Annie. Elle devait lui parler, comprendre pourquoi elle avait fait ça. Mais comment ? Comment atteindre la capitale sans attirer l'attention ? Comment affronter celle qu'elle avait autrefois appelée amie ?
Chaque question la ramenait à la même conclusion : elle était seule.
A suivre....
Yo, bonne année 2021 les amis.
[CHAPITRE REECRIS]
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