49. Aurore
Aurore ne se souvenait que vaguement de ce qui avait succédé à son évanouissement puis son réveil. Lorsqu'elle avait ouvert les yeux, Jordan était penché au-dessus d'elle, le visage pâle et strié de contusions. Luca était là aussi, assis à côté d'elle, l'air grave, soulagé et triste tout à la fois. La blonde n'avait pas eu le temps de demander des informations sur ce qu'il se passait qu'elle avait replongé dans le néant.
Lorsqu'elle s'était réveillée pour la deuxième fois, la nuit était tombée. La tête encore pleine de sifflements dûs aux bruits des combats passés, elle avait exigé des explications. La jeune fille avait donc appris comment Philippe avait saisi l'arc de Morgane et lui avait tiré une flèche dans la poitrine, manquant de peu son cœur. Elle avait appris comment Luca, la voyant s'écrouler, avait vu rouge et s'était jeté sur Philippe à l'aide d'une épée laissée là, et comment il l'avait tué d'un seul coup bien maîtrisé.
Ils avaient gagné. Voilà ce qu'elle retenait de tout ça, voilà le plus important de l'histoire. Ils avaient vaincu Philippe et ses sbires, ils avaient réussi à sauver non pas un mais deux mondes. Ils avaient payé le prix fort, mais ils avaient réussi.
Elle n'avait pas pu dormir, mais personne n'y était parvenu. Ils étaient restés silencieux la nuit durant, pleurant leurs amis morts. Aurore avait même appris que ses frères avaient disparu en même temps qu'elle avait tué le mage noir, ce qui ne l'inquiétait pas. Au contraire, la magie ayant disparu avec son possesseur, il était évident que Sean et Leo étaient libres de trouver la paix.
Lorsque le jour s'était levé, ils avaient organisé un bucher funéraire pour rendre honneur à ceux d'entre eux tombés au combat. Les souvenirs qu'en gardait la jeune fille étaient flous, troublés par les larmes qui coulaient de ses yeux alors. Elle avait vomi son petit-déjeuner, déjà avalé à grand peine, avant même que la fumée ne monte dans le ciel.
À présent, elle était allongée sur son lit de camp, dans la salle de classe qui leur servait de dortoir. Comme une grosse partie du lycée s'était effondrée sous les nombreuses explosions dues à Merlin et son frère, ainsi qu'à Aurore elle-même, ils avaient regroupés tous les lits dans la même pièce, filles et garçons mélangés.
La blonde avait besoin de sommeil, elle le savait parfaitement, mais elle n'arrivait pas à dormir. Elle entendait Pierre sangloter dans un coin de la pièce, allongé sur son propre lit, tandis que Thomas tentait de le réconforter. Se remettrait-il un jour de la perte d'Alissia ? Aurore n'en était pas certaine, tout comme elle n'était pas certaine de pouvoir elle-même se remettre de toutes les pertes subies.
La princesse avait tant l'impression d'étouffer qu'elle se leva et sortit en courant. La lourde porte en bois claqua derrière elle, et la princesse s'effondra sur les marches d'escalier. Elle entendit vaguement que la porte s'ouvrait sur quelqu'un, elle sentit vaguement une présence s'imposer à côté d'elle, mais ses halètements résonnaient trop dans sa tête pour qu'elle réalise vraiment de qui il s'agissait.
Il lui fallut dix minutes pour réussir à se calmer, dix minutes au cours desquelles elle crut étouffer et manquer d'air à de nombreuses reprises. Un médecin aurait qualifié cela de crise de panique, mais qui n'aurait pas eu de tels accès après ce qu'elle avait traversé ? Elle ne prétendait pas avoir subi plus que les autres, ç'aurait été injuste et faux, mais elle était traumatisée, c'était indéniable.
Aurore posa sa tête sur l'épaule de la personne à côté d'elle. Les boucles brunes qui retombèrent devant ses yeux lui indiquèrent qu'il s'agissait de Luca, et le garçon lui prit la main. Il la serra fort dans la sienne.
Luca : Ma question est stupide, mais... Est-ce que ça va ?
En effet, sa question était stupide. Mais Aurore savait qu'on ne la posait jamais vraiment pour s'inquiéter de l'état d'une personne, mais plutôt pour souligner le fait qu'on était là pour elle. Au travers de la question, il fallait percevoir la promesse d'un soutien sans faille. Alors elle ne répondit pas, mais des larmes silencieuses coulèrent sur ses joues.
Aurore : Comment tu fais ? Tu prends ça avec un tel... calme ! Comment est-ce que tu arrives à gérer que... qu'ils ne...
Elle ne pouvait même pas exprimer sa pensée tant celle-ci la peinait.
Luca : Exactement comme toi tu étais calme pendant cette guerre. Je ne le suis pas, je camoufle parce que les gens autour ont besoin de moi. Tu n'as pas flanché lorsque nous avions besoin de ton soutien, aujourd'hui c'est à mon tour de ne pas flancher. Tu ne peux pas être infrangible tout le temps, Aurore. Nous nous reconstruirons, parce qu'il le faut. Mais pour le moment, tu as le droit de pleurer, tu as le droit de hurler et de te sentir mal. Je veille sur toi.
C'était la chose la plus adorable qu'on lui ait jamais dite, pourtant ça la fit pleurer de plus belle. Elle renifla et s'appuya un peu plus sur son meilleur ami, fermant les yeux. Elle dut même finir par s'endormir, car quand elle rouvrit les yeux, elle était allongée dans son lit et le jour s'était levé. Luca avait dû la porter jusqu'à sa couchette, il dormait à côté d'elle, lové sous la fine couverture.
Aurore remua faiblement, et le garçon s'assit aussitôt dans le lit.
Luca : Bien dormi ?
Aurore : Comme une masse.
C'était vrai. Elle avait dormi d'un sommeil de plomb, comme elle n'avait pas dormi depuis des lustres. Peut-être le choc et la douleur mélangés l'avaient-ils assommée, en fin de compte.
Elle fit un signe vague de la main, englobant le lit, Luca et elle-même, et demanda :
Aurore : Pourquoi...
La jeune fille n'eut pas besoin de terminer sa phrase, le brun avait compris.
Luca : Tu t'es endormie sur moi, hier soir. Et comme tu pleurais beaucoup, même dans ton sommeil... j'ai pris la liberté de dormir avec toi.
Il rougit, ce qu'Aurore trouva beaucoup trop adorable. Aussitôt, elle se sentit mal de penser à lui dans ces termes alors qu'elle avait embrassé Raphaël juste avant qu'il ne meure. Surtout compte tenu de ce qu'il lui avait dit. Il avait surpris leur conversation, à Luca et elle. Il savait qu'elle avait alors avoué aimer les deux garçons, sans pouvoir choisir, et qu'elle avait embrassé le brun quand même.
Luca dû percevoir le changement d'expression de la blonde, car il lui posa une main sur l'épaule et la pressa doucement.
Luca : Eh, ça va aller d'accord ? Je sais que c'est dur, mais on va se reconstruire. Tout ira bien.
Comment pouvait-il dire une chose pareille ? Il avait perdu ses deux meilleurs amis, au même titre qu'elle ! Comment pouvait-il rester si confiant, même s'il avait avoué que ce n'était qu'en apparence ?
Une présence à côté d'eux la fit sursauter. Jordan s'était glissé sans bruit jusque là et se tenait bien droit dans son short de pyjama. Il leur tendit une assiette de pancakes chauds.
Jordan : Je sais que ce n'est peut-être pas ce que vous voudriez entendre, mais... Je sais à quel point la douleur semble insoutenable. Je sais que dans ce genre de situation, on a juste envie de s'isoler et de rester prostré jusqu'à la fin de nos jours. Mais ce n'est pas la solution, on ne rend pas hommage à ceux qu'on aime de cette façon. On ne leur rend pas hommage, à eux qui sont tombés au combat, en se morfondant. Il faut continuer à vivre en honorant leur mémoire, en perpétuant leur souvenir.
Aurore ne répondit pas. En effet, ce n'était pas ce qu'elle voulait entendre, pourtant elle savait que Jordan avait raison dans ses propos. Mais c'était dur, beaucoup trop dur.
Luca : Je... Tu as déjà perdu des proches, je me trompe ?
Jordan haussa les épaules avec un pauvre sourire, puis il hocha la tête.
Jordan : Mes parents. Ils sont morts en me léguant tout ce qu'ils possédaient, ce qui explique...
Aurore : Ce qui explique ta maison et le terrain d'entraînement dans ton sous-sol. Et ce qui explique également pourquoi tu vis seul alors que tu n'as que dix-sept ans.
De nouveau, le garçon hocha la tête. Il n'avait pas l'air triste, juste... fatigué. Comme si ça lui avait demandé trop d'efforts d'être en colère pour la mort de sa famille, comme si c'était plus dur de ressasser les évènements plutôt que de tourner la page. Aurore admirait son courage et sa force, elle qui commençait à se demander si elle se remettrait jamais des semaines passées.
Luca : Comment... comment tu as fait ?
La voix du garçon était blanche, méconnaissable. Pour la première fois depuis qu'ils avaient gagné, Aurore le sentait sur le point de flancher. Lui qui s'était efforcé de leur maintenir à tous la tête hors de l'eau, comme elle l'avait fait tout au long de leur périple, voilà qu'il menaçait de s'écrouler.
La jeune fille posa sa main sur l'épaule de son ami et la pressa. C'était un geste désuet comparé à tout ce qu'elle aurait voulu exprimer, mais parfois c'était plus parlant que des mots.
Jordan : Je me suis fait une raison. Je ne dis pas que ç'a été simple, je ne dis pas que je n'ai pas souffert, bien au contraire. Parfois, la douleur est encore là. Mais je me suis résigné à accepter les faits. Tout se passe pour une raison, dans ce monde ou dans l'autre. Si la vie te met à terre, c'est parce qu'elle te réserve mieux dans l'avenir. Je me suis accroché à cette idée d'avenir meilleur. Ça ne remplacera jamais mes parents, c'est vrai, mais avec le temps mon cœur est devenu moins lourd.
Il soupira, et Aurore s'écarta de Luca pour réconforter Jordan. Il avait traversé beaucoup, lui aussi. Contrairement à Aurore, qui avait été envoyée dans une famille d'accueil en quelque sorte, le garçon était lui resté seul. Il s'était réfugié dans ses passions, s'était entraîné sans relâche à se battre contre un ennemi invisible qui ne s'était révélé que bien plus tard.
Se redressant, le châtain déclara de but en blanc :
Jordan : Je crois que je vais ouvrir une école.
Surprise par cette intervention soudaine, lui qui avait l'air si mal en point quelques secondes auparavant, Aurore se recula.
Aurore : Quoi ?
Le visage sévère, Jordan répéta :
Jordan : Je vais ouvrir une école.
Luca : Une école ? Mais de quoi tu parles ?
Visiblement, le brun était autant interloqué qu'elle. Toute trace de deuil avait disparu de sa voix.
Jordan : Je veux entraîner les gens, comme je l'ai fait avec vous. C'est... c'était la meilleure chose qui me soit arrivée depuis la mort de mes parents. Je me sens bien, quand j'aide les gens à s'entraîner. Prendre part à cette guerre... c'était horrible évidemment, à bien des égards, mais... je me suis senti renaître, lorsque nous nous entraînions dans mon sous-sol. Alors j'aimerais ouvrir une école de formation au maniement des armes. Pas nécessairement pour former des guerriers, mais plus comme un loisir.
L'espoir qu'Aurore lisait dans son regard lui réchauffa le cœur. Il avait trouvé son moyen de passer au-dessus de tout ce qui s'était récemment passé, il avait trouvé son moyen de tourner la page. Il faisait des projets, et peut-être devait-elle en faire autant. Pourtant, la blonde s'en sentait encore incapable. Car comment pouvait-elle prévoir son avenir sans y inclure Raphaël, Alissia, et les autres ?
Luca : C'est une bonne idée. Et tu es doué, dans ce domaine-là. Sans toi...
Il inspira profondément et Aurore redouta ce qu'il allait dire.
Luca : Sans toi on serait tous morts.
C'en fut trop pour la princesse, qui fondit en larmes sans pouvoir se retenir. Les deux garçons la regardèrent un instant, sans vraiment savoir que faire, avant que Luca ne la prenne dans ses bras.
Luca : Ça va aller, Aurore. Ça va aller.
Il n'y croyait pas lui-même, c'était évident, mais elle lui était reconnaissante d'essayer.
Aurore : Sans moi, vous seriez tous en vie.
Ce n'était même plus question d'en être persuadée, mais elle le savait juste. Chacune de ses cellules, la moindre parcelle de son corps et de son âme, étaient coupables. Elle était responsable de la mort de ses amis.
Aurore : C'est de ma faute si... si Raphaël et... et les autres... sont morts...
Les larmes ruisselaient sur ses joues, chaudes et salées. Tout sortait en même temps, elle évacuait tout ce qu'elle n'avait pas pu évacuer jusque là malgré ses nombreux sanglots depuis la veille.
Luca : Ce n'est pas de ta faute !
Le garçon lui prit le menton entre les doigts et lui releva le visage, fixant ses yeux bleus dans les siens.
Luca : Je veux que ce soit bien clair, Aurore. Ce n'est pas de ta faute ! Tu as fait tout ce qu'il fallait pour nous protéger, et...
Jordan : C'est de la faute de Philippe. De Robert peut-être, mais ce n'est certainement pas de ta faute. Ça ne le sera jamais. Et tu n'as pas le droit de t'accuser de ce qu'il s'est passé, de te morfondre, parce que ça serait déshonorer le sacrifice de tes amis.
Son ton sévère choqua Aurore. Jamais elle n'avait eu pour but de déshonorer ses amis, bien au contraire ! Pourquoi disait-il une chose pareille ? Était-ce comme cela que tous la voyaient, maintenant ?
Jordan se tourna vers Luca, un pli soucieux lui barrant le front. Pourtant, il ne laissait rien paraître.
Jordan : Vos amis sont morts en héros. Je sais à quel point la mort d'un proche, de plusieurs proches, est douloureuse et déstabilisante. Mais vous ne pouvez pas vous morfondre.
Le brun hocha la tête. Quant à Aurore, consciente que Jordan n'était pas méchant mais essayait simplement de la faire réagir, elle essuya ses larmes. Il avait raison, elle ne pouvait pas se laisser aller, ce n'est pas ce que Raphaël aurait voulu.
Jordan : Maintenant, une autre question s'impose. Je sais que c'est dur, mais... Aurore, tu es la dernière personne à pouvoir utiliser la magie.
Le garçon piétina sur place, soudain mal à l'aise, et la blonde eut peur de comprendre où il voulait en venir.
Aurore : Je ne peux pas faire ça...
Elle en était incapable, elle le savait bien. Ça la détruirait.
Luca : Tu ne peux pas faire quoi ? De quoi est-ce que vous parlez ?
Aurore : Je...
Elle ne pouvait pas continuer sa phrase, les mots restaient bloqués dans sa gorge, la brûlant comme mille flammes. Ce fut donc Jordan qui termina pour elle :
Jordan : Il faut que quelqu'un modifie les mémoires de leurs proches. On ne peut pas expliquer ce qu'il s'est réellement passé, c'est impossible. Mais on ne peut pas non plus les laisser se demander toute leur vie ce qui est arrivé à leurs enfants, leurs frères, leurs amis.
Les larmes remontèrent aux yeux d'Aurore, mais cette fois elle se concentra pour ne pas flancher. Il avait raison, bien sûr, mais concéder la véracité d'une information à quelqu'un et la mettre en pratique étaient deux choses différentes.
Luca : Quoi ? Je ne... Qu'est-ce que tu veux dire par là ?
La princesse prit son courage à deux mains et répondit d'une voix tremblante :
Aurore : Il faut que je supprime les souvenirs de Raphaël, Alissia et les autres des mémoires de tous ceux qui les ont connus. Pas des nôtres, bien sûr, c'est juste hors de question, mais... On ne peut pas laisser leurs parents s'inquiéter jusqu'à la fin de leur vie, non ? Ce serait tellement cruel ! Et on ne peut pas leur expliquer ce qui nous est arrivé. Ils doivent déjà être morts d'inquiétude pour ne pas les avoir vus depuis des semaines, crois-tu que ce serait juste de les laisser dans cet état ? Tes propres parents doivent être fous de terreur quant à ce qu'il pourrait t'être arrivé. On ne peut pas... Il faut que les choses reviennent à la normale, pour tous.
Luca hocha la tête et vint la serrer dans ses bras.
Luca : Je suis là, d'accord ? Je ne te lâcherai pas, surtout avec cette... mission.
Aurore renifla mais ne laissa pas les larmes couler. Elle savait qu'elle pouvait compter sur lui, et sur les autres aussi. La blonde ne serait pas seule. Elle pouvait se relever, elle devait se relever. Pas nécessairement pour elle-même, mais pour eux. Pour ceux qui étaient tombés au combat.
Se reculant un peu, elle prit une grande inspiration puis ferma les yeux. La jeune fille n'avait plus besoin de croiser ses mains sur sa poitrine pour faire appel à sa magie, mais elle le fit tout de même, comme par réflexe. Se concentrant, elle visualisa ses amis décédés. Progressivement, elle détruisit les souvenirs d'eux dans les mémoires de leurs proches.
C'était dur, au-delà de ce à quoi elle s'était attendue. C'était comme si son cœur se déchirait, comme si on lui lacérait les chairs à l'aide de couteaux chauffés à blanc. Aurore saignait de l'intérieur, son âme blessée la suppliait d'arrêter. Mais elle ne pouvait pas.
Elle se força à aller jusqu'au bout, supprimant la moindre référence à Raphaël, Alissia, Clément, Tom, Axelle et Céleste, des esprits de ceux qu'ils avaient pu connaître.
Lorsque la blonde ouvrit les yeux, quelque chose s'était éteint en elle. Son cœur se comprima, comme s'il était en manque d'oxygène, et elle se sentit tomber. La dernière chose qu'elle sentit fut une paire de bras qui lui ceinturèrent la taille pour l'empêcher de heurter le sol.
Aurore était consciente qu'elle ne dormait pas, pourtant tout était noir autour d'elle. Des images tournaient devant ses yeux, toutes plus affreuses les unes que les autres. Raphaël mort. Alissia morte. Ses frères morts. Sa mère morte. Son père mort. Et tous les autres. Des scènes réelles, des scènes imaginaires, apocalyptiques. C'était trop, mais elle avait beau vouloir hurler, aucun son ne sortait de sa bouche. Elle était pétrifiée, impossible pour elle de bouger ne serait-ce que le petit orteil.
Quelque part, la jeune fille se demanda si c'était là la mort. Peut-être avait-elle donné trop de forces pour effacer les souvenirs de toutes ces personnes. Puis une lumière aveuglante jaillit devant ses yeux, et elle se sentit aussitôt attirée vers cette petite boule brillante. Lorsqu'elle l'atteignit, une explosion de douleur retentit sous son crâne, et elle ouvrit les yeux en hurlant.
Luca : Aurore ! Tout va bien, tout va bien !
Tâchant de calmer les battements affolés de son cœur, la blonde regarda autour d'elle. Elle était de nouveau dans son lit, et le soleil était bien haut, elle le voyait au travers de la fenêtre.
Aurore : Qu'est-ce que...
Luca : Tu t'es évanouie. Jordan m'a aidé à te ramener ici, tu bougeais tellement que c'était impossible pour moi tout seul. Puis tu t'es mise à hurler à pleins poumons, avant de te redresser.
Il soupira longuement, comme si en même temps que l'air de ses poumons, il évacuait toute sa peur et sa frustration.
Luca : Tu nous as fait peur...
Aurore secoua la tête, essayant en vain de chasser les images de ses pensées. Que cela se soit réellement passé ou non, elle était encore sous le choc.
Jordan : Est-ce que...
Le châtain avait l'air timide, comme s'il n'osait pas poser une question mais qu'il y était obligé.
Jordan : Est-ce que ça a marché ?
Aurore : Oui.
La jeune fille se sentait encore faible, pourtant si elle était bien sûre d'une chose, c'était celle-ci. Elle avait effacé le moindre souvenir de ses amis de la mémoire de leurs proches, permettant ainsi à tous de trouver la paix. À tous sauf elle, évidemment.
Jordan : Tant mieux.
Le garçon soupira à son tour.
Jordan : Nous devons retourner dans l'autre monde. Je sais que c'est dur, mais... nous avons besoin d'un guide, d'un souverain. Votre père...
Aurore sentit la culpabilité la gagner encore plus. Elle n'avait pas repensé à son père depuis un moment, elle ne savait pas comment il allait ni s'il était toujours vivant.
Aurore : Je ne sais pas.
La blonde détestait cette voix tremblante qui était la sienne.
Aurore : Mais tu as raison, nous devons retourner à Oseania. Il faut réparer les erreurs de Philippe, une bonne fois pour toute.
Elle soupira. Même si elle essayait de paraître forte, la princesse savait qu'elle ne bernerait pas ses amis.
Aurore : Nous partirons demain matin.
Luca : Tu es sûre ? Tu ne veux pas te reposer un peu avant ?
Aurore secoua la tête en signe de dénégation.
Aurore : Non. Le chaos a assez duré, il est temps de faire revenir mon royaume à la normale. Nous partons demain matin, tous. Je ne vous laisse pas ici.
Luca hocha la tête, Jordan aussi. Ils semblaient d'accord avec son point de vue, aussi Aurore sourit intérieurement. Ce n'était pas un grand sourire franc, de ceux qui illuminent la face du monde, mais c'était déjà un début.
Aurore : En attendant, nous devons réparer le lycée. Je... je vais avoir besoin d'aide. Il me faudra des forces, plus de forces que j'en ai en tout cas.
Jordan : Tu dois pouvoir utiliser nos forces combinées pour augmenter ta magie.
La blonde acquiesça.
Les trois jeunes entreprirent de rassembler tout le monde au milieu de la cour, pour ne pas qu'ils se retrouvent coincés entre deux murs se redressant. Puis Aurore saisit la main que lui tendait Luca.
Luca : Prends tout ce qu'il te faut.
Jordan lui tendit sa propre main, qu'elle prit également dans la sienne. Alors, fermant les yeux, elle se concentra sur la magie qui coulait dans ses veines. Elle la sentit sortir d'elle-même, traverser ses deux amis, puis elle expulsa le tout sous forme de fumée colorée qui s'étira en rayon partout dans le lycée.
Il lui fallut cinq heures pour tout remettre en place, dans les moindres recoins. Cinq heures où ses yeux fermés lui faisaient mal, où ses doigts serrés sur ceux des garçons brûlaient de douleur. Puis elle ouvrit les yeux sur une zone remise à neuf.
Luca, Jordan et elle s'assirent par terre le temps de retrouver leurs esprits. Le soleil déclinait lentement vers l'horizon, indiquant l'approche de la nuit.
Après que la jeune fille ait expliqué sa décision aux autres, ils passèrent à table. Ils dinèrent dans le silence, puis allèrent se coucher dans le silence. Il n'y avait rien à dire, dans ce genre de situation. Ils survivaient tous mentalement comme ils le pouvaient.
Lorsque vint le matin, Aurore avait à peine fermé l'oeil de la nuit. L'espoir de revoir son père la disputait à la raison de le savoir mort, et elle angoissait déjà quant à ce qu'elle devrait dire au peuple. La princesse devait devenir reine, mais peut-être la foule ne voudrait-elle pas d'elle ? Que se passerait-il si elle était refoulée par les habitants de son propre royaume ? Y aurait-il un tirage au sort parmi les gens du peuple, comme avec Robert et son père ?
Une fois habillée, elle rejoignit ses amis dehors. Ils l'attendaient sans un bruit, le visage strié de marques violacées rappelant qu'ils avaient vécu un enfer à peine quelques jours auparavant.
Aurore prit la main de Luca, puis celle Justine, qui se trouvait à côté d'elle. Petit à petit, chacun prit la main de son voisin, et ils formèrent alors un grand cercle. Fermant les yeux pour se concentrer, la blonde les téléporta vers l'autre monde, en faisant attention à les doter de la capacité à respirer sous l'eau. Ils étaient arrivés trop loin pour finir noyés par une simple erreur d'inattention.
Ils réapparurent dans un bruit de bouteille qui s'ouvre, au beau milieu de la place principale. Ceux qui n'étaient jamais venus, Lucas, Justine, Thomas, Amélie et Pierre, lancèrent des regards ébahis à la ronde. Quant à Aurore, elle se sentait enfin chez elle.
Baissant les yeux sur ses jambes, elle s'aperçut que celles-ci avaient disparu pour laisser place à sa queue de poisson d'un beau rose nacré. Elle n'avait même pas fait attention qu'elle recréait son allure de sirène en même temps qu'elle les téléportait tous ici.
Aurore : Bienvenue à Oseania.
Devant eux se dressait le palais, gigantesque face au petit lycée qu'ils avaient occupé pendant plusieurs semaines. Aurore les fit entrer, avant de les installer chacun dans une chambre de l'aile Est, celle qui était destinée aux appartements royaux et des invités.
Le château était désert, presque fantomatique, comme si toute trace de vie s'en était éloignée depuis longtemps. Mais grâce à sa magie, la princesse remit rapidement en état les lieux d'habitation, tout en se promettant qu'elle ferait de même avec le reste du bâtiment lorsqu'elle le pourrait. Mais pour le moment, elle avait plus important à faire.
Seule, elle s'avança jusqu'au couloir réservé aux chambres de la familleroyale. Ses souvenirs étaient un peu flous, pourtant elle fut capable de reconnaître les différentes pièces.
En premier, la chambre de ses défunts frères. Depuis qu'ils étaient partis, ils lui manquaient, même si elle savait que c'était pour le mieux.
À côté, la chambre de Jade. Sa petite sœur était en sécurité à présent, de retour avec Esperanza et Léo. Aurore n'irait pas la chercher, car comme elle l'avait dit à sa tante, la famille c'était les liens du cœur, pas forcément du sang. Jade était mieux là où elle se trouvait, nul besoin de la reconduire dans ce grand palais où elle ne se sentirait pas chez elle.
La jeune fille retournerait voir sa tante, un jour prochaine. Quand tout serait remis en ordre dans ce royaume, elle percerait la surface de l'océan pour rendre visite à sa sœur, son cousin et leur mère. Elle leur expliquerait le sacrifice d'Edward, et qu'il n'avait jamais cessé de veiller sur eux.
Arrivée au bout du couloir, la blonde fit face à deux portes. L'une était celle de la chambre parentale, qu'elle n'ouvrit pas de peur d'être trop secouée par cette vision.
La deuxième, celle de sa propre chambre. Inspirant un grand coup, elle poussa la porte et contempla l'intérieur sans un mot.
Rien n'avait changé, tout était comme dans ses souvenirs, aussi flous soient-ils. Le lit à baldaquin se trouvait toujours au centre de la pièce, recouvert d'une parure de lit rose poudré. Dans un coin de la chambre, une coiffeuse munie d'un miroir trônait là, avec un siège à l'assise en velours. Divers meubles tels qu'un divan, des fauteuils, une énorme penderie et d'autres encore, étaient toujours à leur place, attendant simplement que quelqu'un vienne vivre dans ces appartements.
Aurore resta là de longues minutes, contemplant l'espace figé comme une scène de film patientant jusqu'à la remise en route. Elle sursauta lorsqu'une main se posa sur son épaule.
Luca : Tout va bien ?
Il s'était glissé sans bruit jusque là, nageant tant bien que mal à l'aide de ses jambes. Pendant un instant, la princesse se demanda quelle couleur aurait sa queue s'il en avait une, puis elle se gifla mentalement. Elle n'avait pas de temps à perdre avec des questions inutiles.
Aurore : Je ne sais pas... Cette chambre, c'était la mienne. Tout est resté exactement comme ça l'était il y a six ans, mais... J'ai du mal à me sentir à l'aise ici. C'est comme si elle appartenait à quelqu'un d'autre, à une autre Aurore. Une Aurore du passé.
Son ami hocha la tête.
Luca : C'est normal. Tu n'es pas la même personne qu'il y a six ans, comme tu n'es pas la même personne qu'il y a un mois. Nous avons tous changé.
Il avait raison, bien sûr. Mais est-ce que ce changement était positif, ou négatif ? Aurore n'était pas sûre de vouloir la réponse.
Aurore : Je sais.
Elle soupira.
Aurore : Il faut que je rassemble le peuple sur la place.
Luca hocha la tête.
Luca : Tu as une idée ?
Aurore : Tu te rappelles quand nous errions dans la ville ? Il y avait des haut-parleurs un peu partout. Je vais faire passer une annonce.
Aurore ne comprenait pas comment elle n'avait pas pu y penser avant, mais maintenant qu'elle avait émis l'idée, cela lui semblait plus que logique. Sortant de la chambre à reculons, elle referma la porte et partit dans le couloir, Luca dans son sillage.
Ils rejoignirent Jordan dans la chambre que la princesse lui avait attribuée. Le garçon fut ravi de pouvoir aider Aurore, surtout pour ce genre de choses, et il se fit un plaisir de passer une annonce pour demander un rassemblement général une heure plus tard sur la place du palais.
Ce fut comme ça que, l'heure passée, tout le groupe se trouva sur le balcon principal du palais, face à la place noire de monde. Aurore avait revêtu des habits d'exception pour l'occasion. Elle avait fouillé dans le dressing de sa mère pour en sortir une robe en mousseline rouge avec les accessoires assortis, bijoux et diadème en or.
Afin de faire bonne impression, la blonde avait prêté des habits neufs à tous, même si ses amis restaient pieds nus par manque de chaussures dans ce monde. Ils ressemblaient à un cortège de nobles en déplacement, prêts à prendre le commandement du royaume.
Luca serra brièvement l'épaule de la jeune fille, la poussant à s'avancer. Elle prit une grande inspiration et s'exécuta, le cœur battant à tout rompre dans sa poitrine.
Aurore : Le traître Robert est mort. Son fils Philippe, traître lui-aussi, est mort. Mon père, le roi Stéphane, est mort également, empoisonné par son second qui n'était autre que Robert déguisé. Mon oncle Edward est mort. C'est pourquoi aujourd'hui je me présente à vous, mon bon peuple. Je suis Aurore Grace Irina Bellefeuille, fille de Stéphane et Grace Bellefeuille, souveraine légitime du royaume, et je suis venue revendiquer le trône.
Il y eut d'abord un blanc, saisissant pour une telle foule. Pourtant, Aurore ne sentait aucune animosité de la part du peuple, comme s'ils étaient simplement en train de réaliser tout le mal qu'elle s'était donné pour les sauver d'un tyran.
Derrière elle, ses amis, cette équipe devenue aujourd'hui sa famille, se tenaient immobiles. La princesse devinait leur présence sereine et calme, eux qui avaient pourtant pris part à cette guerre et perdu des proches au même titre qu'elle.
Un premier clap retentit. Face à elle, debout devant le promontoire sur lequel elle s'était hissée, une petite sirène commençait à applaudir, sous le regard perplexe de ses parents. Puis un deuxième clap, un triton qui se joignait à elle. Puis trois, puis quatre, puis cinq. En quelques secondes, la foule battait des mains à tout rompre. Ils n'avaient peut-être eu vent que de rumeurs sur la bataille qui avait débarrassé les deux mondes de Philippe et de ses troupes, pourtant ils semblaient reconnaissants. Ils auraient pu douter, mais ils décidèrent de faire confiance, et cela réchauffa le cœur d'Aurore.
La jeune fille se tourna vers ses amis, qui souriaient.
Luca : Votre Majesté.
Il porta une main à son cœur et baissa la tête avec respect, ne pouvant s'agenouiller puisqu'ils étaient sous l'eau. Suivant son exemple, le peuple fit de même. Cela ne pouvait dire qu'une seule chose : ils la reconnaissaient comme leur souveraine légitime.
Aurore se doutait qu'il fallait faire les choses bien, aussi elle ne fut pas étonnée de voir nager jusqu'à elle le grand prêtre du royaume, qui inclina la tête devant elle et se tourna face à la foule.
Le prêtre : Aurore Grace Irina Bellefeuille !Promettez-vous de prendre soin du royaume ?
La blonde n'avait jamais été dans une telle posture, pourtant les mots lui vinrent naturellement. Il n'y avait plus aucune place pour le doute, à cet instant.
Aurore : Je le promets.
Le prêtre : Promettez-vous de veiller sur vos sujet, au péril de votre propre vie s'il le fallait ?
Ne l'avait-elle pas déjà fait ? N'avait-elle pas combattu Philippe, faisant de lourds sacrifices par la même occasion, libérant ainsi le peuple d'Oseania d'un futur tyran ?
Aurore : Je le promets.
Le prêtre : Promettez-vous de donner un héritier ou une héritière au trône ?
À seize ans, elle avait d'autres chats à fouetter que de se soucier d'une future famille. Puis elle repensa à cette vision qu'elle avait eue bien des jours auparavant, celle d'une famille qu'elle aurait fondé avec Luca. Le souvenir de Leo, Calypso et Sabine s'imprima dans son esprit et elle sourit.
Pour la première fois depuis la fin de la guerre, c'était un vrai sourire franc. Un sourire pur et innocent, loin des horreurs qu'elle avait traversées.
Aurore : Je le promets.
Le prêtre : Dans ce cas, par les pouvoirs qui me sont conférés, je vous déclare reine de ce royaume. Puisse le destin vous être bénéfique.
La foule se mit à applaudir à tout rompre, et il fut déclaré que le repas du soir serait un festin grandiose pour célébrer Aurore, ses amis et leurs prouesses sur le champ de bataille. Au même titre que la princesse avait été promue reine, le reste du groupe avait été élue garde d'élite d'Oseania.
À présent, ils étaient tous dans la grande salle de réception du palais, face à la foule et à l'imposant banquet. Il avait été décidé d'un repas où chacun se servait de ce qu'il voulait, restant debout et pouvant discuter avec les autres selon son bon vouloir.
Aurore avait été félicitée par un grand nombre de personnes, tous des inconnus. Pourtant ils étaient son peuple, les citoyens de ce monde. Malgré les pertes que son petit groupe de héros avait subies, elle arrivait à retrouver le sourire face à ces gens heureux.
D'un œil examinateur, elle fit le tour de l'endroit avec ses yeux, contemplant la scène qui se déroulait là. Ses amis se tenaient dans un coin, comme si la présence de tous ces tritons et sirènes les rendait mal à l'aise. Ils en avaient vu, des choses, au cours des dernières semaines. Mais être téléportés dans un autre monde dont on ignorait tout, c'était nouveau pour eux. Aurore comprenait leur difficulté à s'adapter.
Quoi qu'il arrive, elle les renverrait dans leur monde d'origine. Elle n'avait pas le choix, il fallait qu'ils retrouvent leurs familles, leurs vies. Quant à la sienne, elle était désormais ici. Elle pourrait toujours rendre visite à ses amis, mais rien ne serait plus pareil. La jeune fille ne passerait plus son temps avec eux, elle n'évoluerait plus dans le même milieu.
Aurore savait qu'ils ne perdraient pas contact. Ils avaient trop traversé ensemble pour ça, ils étaient à présent soudés comme les doigts de la main, impossibles à diviser. Mais ce serait dur, elle en était consciente.
Avec un soupir, la blonde s'éloigna de ce tohu-bohu. Elle avait besoin d'être un peu seule, de réfléchir mais surtout, de respirer un peu. L'impression d'étouffer était trop grande pour qu'elle reste ne serait-ce qu'une minute de plus au milieu de tous ces gens !
Levant les yeux sur les environs, la jeune fille se rendit compte qu'elle se trouvait dans un couloir parsemé d'alcôves comme autant de niches creusées dans les murs. Dans l'une d'elle, un divan était installé, sûrement pour permettre un peu de repos à une âme égarée telle la sienne.
Aurore s'assit et soupira. Ils avaient fait le plus dur, pourtant elle ne pouvait s'empêcher de penser que des temps difficiles allaient suivre avant le renouveau.
« Tu parles d'une pensée positive ! », se réprimanda-t-elle.
Une voix appelant son prénom la fit sursauter. Quelqu'un l'avait suivie dans le couloir et la cherchait visiblement, et elle ne fut aucunement surprise de voir apparaître Luca devant elle.
Luca : Je me demandais où tu étais passée...
Il s'assit à côté d'elle et sourit doucement.
Luca : Est-ce que tout va bien ?
Aurore ne répondit pas. Elle n'en avait pas besoin, elle savait que le garçon voyait dans ses yeux ses états d'âme. Elle décelait la même chose dans son regard d'azur, comme s'ils étaient tous les deux liés par quelque chose. Par leur passé, par les événements récents, par tout ce qui les avait un jour unis dans une même galère. Ils étaient plus que ce qu'ils avaient jamais été, et c'était bien ce qui faisait peur à la blonde.
La jeune fille secoua la tête puis la posa sur l'épaule du brun.
Aurore : J'ai peur.
Luca tourna la tête vers elle et fronça les sourcils, l'air néanmoins peu surpris par sa confession.
Luca : Aurore, tu as seize ans, tu viens d'être proclamée reine d'un royaume que tu n'as pas connu depuis tes dix ans. C'est normal que tu aies peur, c'est plutôt le contraire qui serait étonnant. Mais tu n'es pas seule, tu ne seras jamais seule.
Doucement, il prit le visage de la fille entre ses doigts. Aurore sut automatiquement ce qui allait se passer, sans réussir à savoir si elle en avait envie ou non.
Luca : Je ne t'abandonnerai pas, Aurore Grace Irina Bellefeuille. Je te le promets.
Alors il posa ses lèvres sur les siennes, et la blonde ferma automatiquement les yeux pour profiter du baiser. Mais bien vite, la réalité la rattrapa et elle le repoussa.
Aurore le repoussa, doucement, certes, mais elle l'écarta d'elle d'un mouvement vif. Elle vit l'incompréhension, l'incertitude, teinter le regard du garçon. Les sourcils froncés, il la regardait de ses grands yeux bleus, sa main toujours sur la joue de sa meilleure amie.
Luca : Quelque chose ne va pas ?
Aurore frissonna. Si quelque chose n'allait pas ? Ils venaient de sortir d'une guerre qui avait ébranlé leurs convictions, une guerre qui avait failli réduire à néant leurs deux mondes si différents et pourtant si semblables. Elle avait perdu beaucoup d'êtres chers durant un court laps de temps. Ses frères, sa mère, son père, son oncle, Alissia, Raphaël, et tous les autres... Même la mort d'Axelle la touchait profondément, alors qu'elle n'avait jamais été proche d'elle.
« Et pourquoi ? », demanda une petite voix vicieuse à l'intérieur d'elle-même. « Tout ça parce que tu étais jalouse de l'attention que lui portait Raphaël, alors que toi-même tu étais incapable de choisir entre Luca et lui. »
Le cœur de la princesse se serra. Comment avait-elle pu penser que tout se passerait bien maintenant la guerre finie, qu'elle pourrait vivre sa vie avec Luca sans problème ? Le souvenir de Raphaël mourant dans ses bras était encore trop présent, trop vif, bien trop douloureux pour qu'elle puisse vivre sa vie correctement. Elle ne pouvait pas sortir avec Luca, elle avait l'impression de tromper Raphaël alors qu'elle n'était jamais sortie avec lui. Son cœur avait toujours balancé entre les deux garçons, avec une légère préférence pour Luca. Mais Raphaël s'était sacrifié pour la sauver, et elle s'en voulait terriblement.
Aurore : Je suis désolée...
Luca : Désolée pour quoi ?
Une larme perla au coin de son œil, suivie par une autre et encore une autre. La blonde essayait de les retenir tant bien que mal, mais c'était difficile. Son cœur était en miettes, elle culpabilisait de la mort d'un de ses meilleurs amis, mais également parce qu'elle était incapable de combler les attentes de Luca. Elle ne pouvait pas, pas encore. S'engager avec Luca, c'était comme salir la mémoire de Raphaël pour elle. Elle ne pouvait pas faire son deuil en même temps.
Aurore : Je ne peux pas... Toi et moi, on... Je ne peux pas. Pas encore en tout cas. Raphaël...
Le brun sembla comprendre car il s'approcha d'elle et déposa un baiser sur son front.
Luca : Je comprends. Reviens me voir le jour où tu seras prête, je t'attendrai. Mais sache que rien de tout ça n'était de ta faute.
Il n'avait pas l'air vexé, ni déçu, pourtant sa voix vibrait d'une façon particulière. D'un autre côté, lui aussi avait perdu un ami, un frère, son meilleur ami d'enfance. Ce n'était pas seulement dur pour Aurore, ça l'était pour tout le monde.
Luca s'éloigna après avoir exercé une douce pression sur le bras de la jeune fille, qui le regarda partir, le cœur serré et les larmes coulant sur son visage. Et une seule question s'imposa à elle avec la force d'un ouragan : serait-elle prête un jour ? Serait-elle prête à vivre avec lui après tout ce qu'ils avaient traversé ensemble ?
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