20. Aurore
Aurore se réveilla en sursaut. Quelqu'un cognait contre la porte. De la lumière pénétrait par la fenêtre, et dans le lit à côté du sien, Luca dormait à poings fermés. Idem pour Raphaël, dans le canapé, un peu plus loin.
Les coups retentirent à nouveau contre la porte, un peu plus fort. Mais qui tapait ? Aurore se leva péniblement et alla ouvrir.
Aurore : Oui ?
Devant elle se tenait Jordan, vêtu d'un bas beige et d'un t-shirt vert. Il avait les cheveux en bataille, pas coiffés, et il souriait de toutes ses dents.
Jordan : Je... je vous ai réveillée ?
Aurore décida de mentir. De toute façon, lui dire que oui, effectivement, il l'avait réveillée, ne servirait à rien sinon le faire se sentir coupable.
Aurore : Non.
Jordan avait pourtant l'air d'avoir remarqué qu'il l'avait réveillée. Mais alors pourquoi posait-il la question ? S'il savait qu'il l'avait réveillée, pourquoi posait-il la question ?
Jordan : Je... je suis désolé...
Aurore haussa les épaules.
Aurore : Ouais bon, c'est pas grave. Qu'est-ce que tu veux ?
Jordan : Je voulais vous montrer quelque chose... Si vous voulez, bien sûr !
Aurore sortit de la chambre et ferma la porte derrière elle. Elle ne risquait rien à aller voir ce que voulait lui montrer Jordan, et pourrait toujours revenir dans la chambre si ça n'en valait pas la peine.
Aurore : Allons-y !
Jordan lui tendit une main galante. Ce garçon savait vraiment s'y prendre avec une fille ! Personne ne lui avait tendu une main galante jusque là, à part Philippe dans son ancienne vie. Seulement, Philippe ne comptait pas. Aurore aurait préféré ne jamais le connaître. Beaucoup de choses n'auraient pas eu lieu si elle ne l'avait pas connu.
Jordan : Votre Altesse, puis-je ?
Aurore eut un sourire et lui tendit sa main, qu'il prit dans la sienne. Il l'entraîna alors vers le salon. Plus précisément, il l'entraîna vers un pan de mur vide. Ah non, à bien y regarder, il n'était pas vide. Il y avait une minuscule porte de la même couleur que le mur, et, s'y on ne faisait pas un gros effort pour la distinguer, on ne la voyait pas. Jordan ouvrit la porte cachée et fit entrer Aurore.
La salle dans laquelle elle pénétra était plongée dans la pénombre, et il ne semblait pas y avoir de fenêtres. Jordan lâcha la main de la jeune fille. La lumière s'alluma alors, et Aurore retint l'exclamation qui menaçait de sortir de sa bouche. Cette pièce était magnifique ! Elle était plutôt vaste et entièrement peinte en blanc et rose poudré. Mais on ne voyait pas beaucoup la couleur des murs, car il y avait des centaines, peut-être même des milliers de photos collées partout, sur les murs, le plafond, les meubles... Tout ces photos représentaient une sirène, tantôt âgée de deux ans, tantôt âgée de dix ans. Une petite sirène aux cheveux blonds, aux yeux bleus et à la queue rose nacrée. Elle avait, sur chaque photo, un diadème sur la tête.
Aurore se tourna vers Jordan, un peu perdue.
Aurore : C'est moi ?
Jordan acquiesça tandis qu'Aurore s'avançait dans la pièce. Les photos étaient rangées par ordre chronologique. Au fond de la pièce, c'étaient les photos les plus anciennes. Près de la porte, c'étaient les plus récentes. Une seule photo n'était pas collée et flottait au milieu de la pièce. Une photo où ne figurait aucune sirène. Et pourtant, la jeune fille blonde qui était au centre de cette photo ressemblait comme deux gouttes d'eau à la sirène des autres photos, seulement, elle avait l'air plus âgée. Et, à côté de la jeune fille, sur la photo, figuraient une dizaine d'autres personnes.
Aurore prit la photo entre ses mains. Cette photo, elle la connaissait. Elle avait été prise au lycée. C'était une photo qu'ils avaient fait tous ensemble, lors de la soirée de fin d'année des secondes. Il y avait elle, mais elle avait encore ses jambes. Il y avait Alissia. Et puis aussi Pierre, Thomas, Luca, Raphaël, Lucas, Justine, Amélie, Clément et aussi Tom. Ils étaient tous là. Tous ses amis.
Une larme coula sur sa joue. Ils avaient l'air tellement heureux, tellement insouciants, sur cette photo ! Et maintenant, Luca, Raphaël et elle se préparaient à se battre pour la survie de deux mondes. Et ils n'étaient pas sûr de revoir un jour leurs amis.
Aurore se tourna vers Jordan. Elle hésitait entre être inquiète à l'idée de cette attirance malsaine ou bien être émerveillée par toutes ces photos de son enfance. Finalement, l'émerveillement l'emporta et elle balbutia :
Aurore : C'est magnifique ! Mais... mais que vient faire cette photo ici ?
Elle montra la photo qu'elle tenait dans sa main. Il n'existait que quelques exemplaires de cette photo, et ils étaient chacun d'eux en la possession des seules personnes sur la photo. Comment avait-elle pu atterrir au fond des océans ?
Jordan : Oh. Elle a coulé avec votre bateau. Je l'ai récupérée. Elle était dans ce sac.
Une seconde ! Est-ce qu'Aurore avait bien entendu ? La bateau avait coulé ? Elle demanda, soudain inquiète :
Aurore : Le bateau a coulé ?
Jordan hocha la tête.
Jordan : Oui, vous ne le saviez pas ?
Aurore : Non...
Et s'il était arrivé quelque chose à Pierre et Alissia ? Et s'ils avaient été capturés par Philippe ? Ou pire, et s'ils avaient été tués ?
Aurore : Et que sont devenus les passagers ?
Jordan : Aucune idée. En tout cas, ils n'ont pas coulé avec le bateau. Je le saurais, sinon. Et Philippe ne les a pas capturés, ça, c'est sûr aussi.
Aurore poussa un soupir de soulagement et regarda attentivement le sac que lui montrait Jordan. C'était le sac de Raphaël, pas de doute là-dessus. Mais que faisait cette photo à l'intérieur ? Pourquoi avait-il cette photo dans son sac pour aller passer une journée sur le bateau de Pierre ?
Jordan lui posa une main sur l'épaule.
Jordan : Je suppose que c'étaient vos amis, dans ce bateau ?
Aurore regardait fixement la photo. Elle était tellement nostalgique de ce jour-là. Elle aurait tellement voulu retourner dans le passé, et éviter cette guerre avec Philippe.
Aurore : Oui...
Jordan : Ne vous inquiétez pas, ils vont bien. Enfin, pour le moment...
L'information eut un violent impact sur Aurore, qui se tourna en lâchant la photo.
Aurore : Quoi ?! Qu'est-ce que tu veux dire ?
Jordan : Eh bien... Si vous ne réussissez pas à arrêter Philippe... Ils seront sans doute en grand danger... en plus grand danger que maintenant, c'est sûr.
Aurore : Ils sont vraiment en grand danger, maintenant ?
Cette idée ne plaisait pas du tout à Aurore. D'un autre côté, elle s'en doutait. Si Philippe voulait vraiment la faire plier, il userait de tous les moyens possibles, y compris se servir de ses amis comme appâts. Elle en avait eu la preuve lorsque le mage noir aux côtés de Philippe avait créé les illusions de Pierre et Alissia pour la manipuler.
Jordan : Bien sûr, Princesse. Ce sont tout de même vos meilleurs amis. Et tous vos autres amis sont en danger aussi.
Jordan ne disait rien pour la rassurer, bien au contraire. Tous ses amis étaient en danger ? Tous ? Alors elle devait arrêter Philippe. Pour l'empêcher de contrôler les deux mondes, mais aussi pour l'empêcher de faire du mal à ses amis. Et si elle devait mourir pour sauver ses amis, alors elle mourrait. Mais c'était tout simplement inconcevable que ses amis meurent à cause d'un fou qui voulait contrôler les deux mondes.
Aurore : Je le tuerai. De mes propres mains, je le tuerai !
Jordan sursauta et la regarda sans comprendre. Avait-elle parlé à voix haute ?
Jordan : Euh, Votre Altesse ?
Aurore tourna la tête vers lui. Devant le regard qu'il lui lançait, elle comprit qu'elle avait bel et bien parlé à voix haute.
Aurore : Philippe, je veux dire.
Jordan : Ah.
Il semblait sur le point de rajouter quelque chose mais il y eut un cri. Aurore reconnut sans doute possible la voix de Luca et son cœur s'arrêta.
Aurore : C'est Luca ! Qu'est-ce qu'il a ?
Un autre cri retentit. Cette fois, c'était Raphaël.
Jordan sortit de la pièce et alla dans le salon en nageant à toute vitesse. Aurore l'entendit demander :
Jordan : Qu'est-ce qui vous arrive ?
Luca : Aurore a disparu !
C'était pour ça qu'ils criaient ? Mais elle n'avait pas disparu, elle était dans cette pièce. Les battements de son cœur ralentirent et elle soupira.
Elle partit vers le salon et répondit, le plus calmement du monde :
Aurore : Non, je suis là.
Luca se tourna vers elle et, dans un élan de folie, la serra dans ses bras. Raphaël arriva aussitôt et s'écria :
Raphaël : Aurore ! Tu nous as fait une de ces peurs ! Ne refais jamais ça ! Tu n'imagines pas l'état dans lequel on était quand on a vu ton lit vide et qu'on ne te trouvait pas !
Aurore se dégagea des bras de Luca et répondit :
Aurore : D'accord. Désolée.
Raphaël : Non mais sérieusement ? Qu'est-ce qu'il t'est passé par la tête ? Espèce de débile ! Ne... refais...JAMAIS ÇA ! Est-ce que c'est clair ? On s'est fait un sang d'encre pour toi !
Aurore fit une grimace. Entendre Raphaël l'engueuler de bon matin n'était pas vraiment agréable.
Aurore : Eh, je t'ai dit d'accord. Et puis il ne m'est rien arrivé, j'étais juste avec Jordan.
Aurore eut l'impression que c'était LA chose à ne pas dire. Luca et Raphaël se tournèrent vers Jordan d'un même mouvement, et Aurore eut l'impression qu'ils hésitaient à se jeter sur lui.
Jordan : Je voulais juste montrer quelque chose à la princesse...
Aurore : Hu-hum ! On est allés...
Elle réalisa qu'il ne valait mieux pas parler aux garçons de la pièce secrète de Jordan. S'ils découvraient que le triton était à fond sur elle, ça risquait de tourner au vinaigre. Aurore acheva donc sa phrase de manière à concilier vérité et modération :
Aurore : ... quelque part. Jordan m'a montré quelque chose de magnifique. Je n'avais jamais vu ça avant, où que ce soit. C'était vraiment magnifique. Mais maintenant, je suis là.
Au regard noir que lançaient ses deux amis à Jordan, elle comprit qu'ils ne passeraient pas l'éponge.
Luca : Et qu'est-ce que vous avez fait, quelque part ?
Aurore voyait où il voulait en venir et n'aimait pas du tout le ton qu'il prenait. Elle eut envie de le gifler.
Aurore : Jordan m'a montré... ce que je vous ai dit. Et après, on vous a entendu crier. Point. C'est tout !
Elle lança un regard noir à Luca, qui la regardait. Puis elle lança un regard noir à Raphaël. Luca haussa un sourcil d'un air soupçonneux.
Aurore : Luca, tu te souviens de ce que je t'ai dit l'autre soir ? Tu t'en rappelles ?
Luca baissa les yeux piteusement, le visage rouge de honte. Aurore ne lui en voulait pas, s'être inquiété pour elle lui avait sûrement fait oublier leur discussion de la veille.
Luca : Ouais, c'est vrai... Excuse-moi...
Raphaël regarda Luca, puis Aurore, et enfin Jordan. Puis il eut un sourire. Mais pourquoi donc est-ce qu'il souriait ? Il ne pouvait pas savoir.
Raphaël : Excuse-moi aussi...
Aurore :Ouais, bon...
Elle leur lança tout de même un dernier regard noir, histoire de leur faire comprendre que leur réaction l'avait dérangée. Puis elle leur sourit. Elle allait dire quelque chose mais Jordan la coupa :
Jordan : Et si vous alliez vous entraîner ? Prenons rapidement un petit-déjeuner, et descendons.
Aurore : D'accord.
Elle se dirigea vers sa chambre, ferma la porte derrière elle et se changea. Elle enfila un débardeur blanc et une sorte de jupe rouge. Elle releva ses longs cheveux blonds en une queue-de-cheval et les attacha au moyen d'un élastique rose fluo. Elle savait pertinemment que les trois n'allaient pas ensemble, mais elle n'avait pas vraiment le temps de s'en occuper. Elle ne partait pas faire un défilé de mode mais s'entraîner, alors peu importait la tenue qu'elle portait, le tout était qu'elle soit propice à l'entraînement.
Elle retourna ensuite dans le salon, où Luca, Raphaël, Céleste, Axelle, Jordan et Merlin prenaient leur petit-déjeuner. Lorsqu'elle vit ses deux meilleurs amis, son cœur fit bang bang dans sa poitrine. Ils étaient en train d'engloutir tant et plus, tout ce qui leur passait sous la main. Ils devaient être affamés. Ou alors, étant des garçons, il arrivaient à manger dix fois plus que la normale. Au choix. Toujours est-il qu'ils étaient tous à table, en train de petit-déjeuner avant d'aller s'entraîner, encore et encore.
Il ne restait qu'une place, entre Raphaël et Luca. Aurore s'assit prudemment. Elle était assise entre les deux garçons qui faisaient battre son cœur, elle devait donc être prudente et ne pas se laisser aller.
Elle se servit un verre d'un liquide rose et bleu, puis prit une sorte de tarte violette et une autre rouge. Elle engloutit le tout avec un énorme appétit. Les autres firent de même.
Dix minutes plus tard, tout le monde avait fini et descendait encore les sombres escaliers menant au sous-sol. Aurore n'y voyait rien, car l'obscurité était totale. Elle se cogna sur le mur à sa gauche.
Aurore : Aïe !
Elle attrapa la première chose qu'elle put, et la chose qu'elle avait attrapé se mit à parler :
Raphaël : Hé, je vais pas m'envoler, tu sais ! Tu peux me lâcher !
Aurore : Pffff, mais non, je me suis cognée, c'est tout. Espèce d'idiot !
Afin d'appuyer son propos, Aurore lui donna un petit coup de poing dans l'épaule. Mais son poing voltigea dans le vide. Raphaël n'avait pas pu bouger si vite, si ? Elle n'y voyait toujours rien, alors elle demanda :
Aurore : Raphaël ?
Elle n'obtint aucune réponse. Seul le profond silence lui répondit. Ça lui semblait anormal. Elle n'entendait plus que sa propre respiration, rien d'autre.
Aurore : Luca ? Céleste ? Jordan ? Il y a quelqu'un ?
Elle n'obtint toujours pas de réponse, et commença à s'inquiéter. Où étaient-ils tous passés ?
Aurore : Luca ? Raphaël ? LUCA ? RAPHAËL ?
Toujours aucune réponse. Aurore décida d'avancer lentement. Étonnement, elle remarqua que le sol au-dessous d'elle ne descendait plus, il était plat. Elle ne le sentait pas à proprement parler, n'ayant plus de pieds, mais elle le devinait.
Elle vit alors le contour lumineux d'une porte se dessiner dans l'abîme, juste devant elle. Il y avait du bruit derrière. Comme s'il y avait des enfants qui jouaient. Ne voyant aucune autre possibilité, Aurore avança vers la porte, et celle-ci s'ouvrit soudainement.
La jeune fille se retrouva face à une sirène ravissante, d'âge adulte, avec qui elle présentait d'étranges et nombreuses ressemblances : les mêmes yeux bleus, les mêmes cheveux blonds, la même silhouette. Cette sirène, Aurore la connaissait, mais cela remontait à tellement loin.
Les larmes lui montèrent aux yeux et elle demanda :
Aurore : Maman ?
La sirène ne répondit pas. À vrai dire, elle ne semblait pas la voir. Elle écarquilla les yeux en fixant un point derrière Aurore, et se précipita. Elle passa au travers d'Aurore, qui poussa un cri, mais la sirène ne s'en rendit pas compte. Depuis quand Aurore était-elle faite de brume et pouvait être traversée aussi facilement ? Était-ce un sortilège de Philippe ? C'était impossible, la maison de Jordan était camouflée. Et puis, pourquoi Philippe lui montrerait-il sa mère ?
La sirène : Sean ! Enfin, Sean, qu'est-ce que tu fais ?
Sean ? Aurore se retourna vivement et se trouva face à son frère, Sean, non fantôme, avec environ quatre ou cinq ans. Il était debout et serrait dans ses bras une toute petite sirène, minuscule, qui semblait avoir un peu moins d'un an.
La sirène : Sean, lâche ta sœur ! Tout de suite !
Le petit garçon lâcha sa sœur, qui se mit à flotter gaiement en babillant.
Sean : Mais, Mère... Elle me tire la nageoire !
Leur mère se tourna vers la petite fille avec une moue sévère.
La sirène : Jade, combien de fois t'ai-je dit de ne pas tirer la nageoire à ton frère ?
La petite sirène agita les bras en gazouillant et s'agrippa à son frère, qui l'attrapa à nouveau.
La sirène : Maintenant, Sean, lâche ta sœur.
Sean : Bien, Mère.
Il lâcha Jade en soupirant. La reine prit sa petite fille dans ses bras et cria :
La reine : Aurooooooore !
Aurore ne comprit pas pourquoi la reine l'appelait alors qu'elle ne la voyait même pas. Puis elle comprit enfin lorsqu'une jeune sirène arriva. C'était elle ! Enfin, c'était elle, mais avant qu'elle ne parte dans le monde des humains, avant que Sean et Leo soient tués ! Elle était dans un souvenir ! Et c'était pour cela que personne ne la voyait ! Enfin... C'était l'explication la plus plausible.
Aurore du passé : Oui, Mère ?
Sa mère lui tendit la petite sirène qui riait toujours.
La reine : Prends ta sœur et emmène-la à sa nurse.
Aurore du passé hocha la tête, mais le cœur n'y était visiblement pas.
Aurore du passé : Oui, Mère.
Elle prit sa sœur et partit. La reine se trouva seule avec Sean, et l'image se brouilla. Aurore du présent sentit sa tête tourner et se retrouva dans un autre souvenir. Cette fois, la reine était allongée dans son lit, les yeux clos, le visage d'un blanc inquiétant. Elle semblait avoir pris dix ans. À côté d'elle, Aurore du passé lui tenait la main, âgée de maintenant de près d'une dizaine d'années. Elle pleurait.
Un triton entra dans la pièce. C'était le roi, mais plus jeune que lorsqu'Aurore l'avait vu dans son ancien palais. Il n'était visiblement pas encore devenu fou.
Le roi : Aurore ! Que fais-tu ici ?! Je t'avais pourtant ordonné de retourner dans ta chambre !
Les pleurs d'Aurore du passé redoublèrent, et elle lâcha la main de sa mère.
Aurore du passé : Mais, Père, je voulais lui dire au revoir !
Le roi : Sors d'ici tout de suite ! Je ne veux plus te voir ! Va dans ta chambre ! Je ne veux plus te voir jusqu'au repas de ce soir ! Allez !
Aurore du passé se leva et partit en nageant rapidement. En passant devant son père, elle hurla :
Aurore du passé : Je vous déteste ! Je vous déteste tous !
Aurore du passé s'enfuit alors. Aurore du présent se demanda ce qu'elle allait faire. Elle avait le choix. Ou elle restait à contempler le roi chagriné et la reine décédée, ou alors elle suivait Aurore du passé. Elle opta pour la deuxième option, et suivit la jeune sirène du passé. Celle-ci ne fut pas dure à trouver, elle était allée dans sa chambre.
Quand Aurore du présent entra, elle vit Aurore du passé qui préparait des affaires et qui parlait seule.
Aurore du passé : Je les déteste ! Je les DÉTESTE !
Il y eut un bruit soudain et Aurore du présent se tourna vers l'entrée. Leo du passé entra en trombe dans sa chambre et son double du passé hurla.
Aurore du passé : AAAAAAAAAAH ! Leo ! Tu ne pourrais pas frapper avant d'entrer ? Tu m'as fait peur !
Leo fit une grimace et s'excusa :
Leo : Désolé... Sean et moi, on part avec Robert, on va faire une balade.
Aurore du passé ne le regardait même pas. Elle avait vite reporté son attention sur sa valise. Elle lança d'une voix éteinte :
Aurore du passé : Amusez-vous bien.
Leo observa alors la scène attentivement. Il remarqua bien vite la valise presque bouclée et demanda :
Leo : Tu vas faire quoi ?
Aurore du passé : Je vais m'enfuir avec Philippe.
Leo : T'enfuir ? Avec Philippe ?
L'idée semblait déranger Leo, malgré ses six ans. Apparemment, le fait que sa sœur puisse s'enfuir lui semblait ridicule.
Aurore du passé : Oui.
Son frère haussa les épaules. Sûrement qu'à six ans, il ne devait pas comprendre grand chose aux histoires de grands.
Leo : D'accord. Alors amuse-toi bien avec Philippe ! Sean et moi, on s'amusera avec Robert ! À bientôt !
Lorsqu'Aurore du présent vit son frère partir, elle hurla :
Aurore du présent : Leo non c'est un piège !
Mais rien n'y fit, Aurore étant dans un souvenir, Leo ne l'entendit pas et partit, droit vers sa mort. L'image se brouilla à nouveau et Aurore bascula dans le néant. Elle finit par se retrouver dans un autre genre de souvenir. Mais cette fois, il y avait quelque chose de différent. Elle n'était plus une sorte de fantôme, elle prenait entièrement part à son souvenir. Elle était elle, Aurore, la même au présent et au passé. Elle marchait dans la cour de son lycée, et elle avait des jambes. Étrange, parce qu'avant ce souvenir, elle avait encore une queue de poisson.
Elle entendit un bruit derrière elle et se tourna vivement. Alissia lui souriait de toutes ses dents, main dans la main avec Pierre. À côté d'eux, il y avait Thomas, Luca et Raphaël, souriant aussi.
Alissia : T'étais où, Aurore ? Ça fait des heures qu'on te cherche ! C'est notre rentrée en première et toi tu voulais te la jouer solo ?
Ce n'était pas un souvenir. Ça, Aurore en était sûre. Car elle n'était jamais rentrée en première. Les vacances n'étaient pas terminées. Alors si ce n'était pas un souvenir, qu'est-ce que c'était ?
Elle répondit, sans avoir le moindre contrôle sur ses lèvres et ses paroles :
Aurore : Non, excusez-moi, forcément que je vais la faire avec vous, cette rentrée ! Allez venez ! Prêts pour la S et la ES ?
Elle passa un bras au-dessus de l'épaule de Thomas, et l'autre au-dessus de l'épaule d'Alissia. Mais que faisait-elle donc ?
Elle secoua légèrement la tête, et l'image se brouilla. Elle se retrouva alors dans une sorte de parc. Elle avait à nouveau sa queue de poisson. Et deux jeunes tritons jouaient. Ce n'était pas un de ses souvenirs, elle en était sûre. Et les deux jeunes tritons... Ils ressemblaient l'un à son père le roi, et l'autre à Philippe, avec les yeux plus clairs et les cheveux plus foncés. Aurore devina qu'il s'agissait de son père, le roi Stéphane, enfant, et d'un ami à lui. Robert ? Le père de Philippe ?
Stéphane : Eh, Rob ! Regarde !
Il lui montra une petite épée en bois, dont il semblait être très fier, et fit quelques mouvements avec.
Robert : Ouaaaaaah ! Elle est trop belle !
Stéphane : C'est ma maman qui me l'a achetée !
Le visage de Robert s'assombrit, et celui de Stéphane devint livide.
Stéphane : Oh... Excuse-moi, Robert... Je sais que t'aimes pas quand je parle de ma maman... Mais pourquoi, d'ailleurs ?
Robert : T'as de la chance d'avoir une maman comme ça.
Stéphane : Je suis sûre que ta maman est super aussi !
Robert baissa les yeux. Apparemment, sa mère n'était pas la meilleure mère qu'on puisse souhaiter.
Robert : Non...
Stéphane haussa les sourcils, comme si l'idée même qu'une mère puisse ne pas être super était absurde.
Stéphane : Non ?
Robert : Non. Ma maman, tout ce qu'elle sait faire, c'est me crier dessus, me frapper, et me dire que je suis bon à rien. Elle dit aussi que ma sœur est une princesse, et mon frère un roi, mais que moi, je ne suis rien. Elle dit tout le temps qu'elle ne voulait pas m'avoir, qu'elle ne m'aurait jamais eu si papa ne l'avait pas obligée. Elle dit que, quand je suis né, elle voulait m'abandonner. Mais que papa l'en a empêché, et qu'il lui a fait faire le serment de sang. Et après ça, il est parti. Il m'a donné un coup de queue et m'a dit ''je ne sais pas pourquoi je t'ai sauvé la vie''. Et après, maman a commencé à me frapper plus fort et plus souvent. Elle achète plein de cadeaux pour ma sœur et mon frère, même s'ils ne sont pas sages et sont méchants. Moi, je suis sage, je travaille à l'école, et je suis gentil. Mais maman me frappe.
Aurore eut presque envie de le plaindre, jusqu'à ce qu'elle se rappelle qu'il s'agissait de Robert, le père de Philippe, l'assassin de ses frères, de sa mère, et presque de son père. Elle se demandait d'ailleurs comment ces deux tritons qui semblaient très amis avaient pu en venir à se haïr à ce point.
Stéphane : Je suis désolé...
Il tendit son épée en bois à son ami et la lui glissa dans les mains.
Stéphane : Tiens, je te la donne. Si ta maman te frappe encore, bats-toi avec cette épée.
Robert regarda Stéphane avec une joie immense et le serra dans ses bras.
Robert : Merci beaucoup, Steph ! Merci !
Une sirène d'un certain âge arriva soudain vers eux en braillant.
La sirène : Robert ! Rentre à la maison tout de suite ! Tu es un bon à rien, un abominable ver !
La sirène attrapa le pauvre triton par les cheveux et le gifla. Le petit Robert lui donna un coup avec son épée en bois, et le visage de la femme prit un aspect terrifiant.
L'image se brouilla, et Aurore se retrouva dans le même parc, en compagnie des mêmes tritons, mais cette fois, ils avaient l'air d'avoir une vingtaine d'années. Ils étaient assis face à face et, à les voir regarder de tous les côtés avec inquiétude, Aurore pensa qu'ils avaient l'air de comploter.
Robert : Le roi est un tyran. Il faut faire quelque chose.
Stéphane hocha la tête, et après avoir regardé tout autour de lui, il demanda :
Stéphane : Qu'est-ce que tu proposes ?
Robert haussa les épaules avec désinvolture.
Robert : Il est vieux, et n'a aucun enfant. Ou nous devons attendre qu'il meure naturellement, ou alors... on peut forcer un peu les choses.
La lueur mauvaise qui brillait dans les yeux de Robert ne présageait rien de bon, mais Stéphane ne sembla pas s'en apercevoir.
Stéphane : Tu proposes de tuer le roi ? Mais qui prendrait la suite ?
Robert : Un de nous deux.
Stéphane sourit à son tour et une lueur mauvaise passa dans son regard. Aurore ne pouvait pas croire que son père ait pu projeter de tuer leur roi, même vieux et tyrannique.
Stéphane : Ton idée me plaît. Mais comment déterminer qui de nous deux deviendra le nouveau roi ?
Robert : Je sais pas. Occupons-nous d'abord de tuer le vieux roi malade ! On verra les détails après !
Il accompagna sa phrase d'un clin d'oeil.
L'image se brouilla, et Aurore se retrouva à nouveau dans le parc, mais cette fois, il y avait beaucoup de monde, car un messager du roi était là. Flottant à quelques mètres au-dessus de la foule, il s'éclaircit la voix et annonça :
Le messager : Le roi est mort. N'ayant aucun descendant, ni aucune famille, par tirage au sort, le sort du royaume revient entre les main de nul autre que... Stéphane Bellefeuille !
Le père d'Aurore poussa un cri de stupeur et se tourna vers Robert, qui devint livide.
L'image se brouilla, et Aurore se retrouva dans le château. Stéphane et Robert se disputaient.
Stéphane : Écoute, Robert, tu ne va pas encore revenir là-dessus ! Ça fait déjà cinq ans que je suis roi. Ma femme vient d'accoucher d'une petite fille, la tienne d'un petit garçon. Je sais que tu aurais voulu que l'on tire au sort, mais j'ai été désigné pour être roi, ça règle la question du tirage au sort. Si ça avait été toi, j'aurais été content, je t'aurais soutenu !
Voyant que son ami ne semblait pas convaincu, Stéphane lui passa un bras autour des épaules en se frottant le menton d'un air pensif.
Stéphane : Écoute, je te propose un marché. Marions nos enfants. Si je n'ai pas de garçon, ton fils deviendra roi à ma mort.
Robert : D'accord.
Ils se serrèrent la main.
L'image se brouilla encore une fois, et Aurore se retrouva dans la même pièce, avec les mêmes tritons, mais beaucoup plus âgés. Ils se disputaient encore, mais cette fois, Stéphane ne semblait pas vouloir contrôler sa colère. Il faisait de grands gestes avec ses bras et avait du feu dans le regard.
Stéphane : Enfin Robert ! Qu'est-ce qu'il t'a pris ? Tu as tué mes garçons ! Es-tu devenu fou ?
Robert : Fou ? Est-ce toi qui es fou ? Depuis le début, il n'y en a que pour les autres ! Je ne compte pas ! D'abord ma mère, puis toi ! Je veux être roi ! Je l'ai toujours voulu ! Mais tu t'es mis en travers de mon chemin ! Mon fils devait devenir roi ! Sauf que tu as eu tes garçons ! Et tu as oublié la promesse que tu m'avais faite, comme quoi mon fils pourrait être roi ! Alors oui, j'ai tué tes fils, pour que mon fils puisse être roi ! Tout a toujours été pour les autres ! D'abord ma mère qui me prenait pour un moins que rien et gâtait mon frère et ma sœur, et maintenant toi, qui étais mon meilleur ami et qui me trahis ! J'aurais pu être roi si on avait tiré au sort ! Mais non, monsieur, sous prétexte que le messager l'a appelé pour être roi, refuse de tirer au sort comme prévu et me laissé tomber !
Stéphane ne répondit rien et regarda simplement Robert avec une expression indéchiffrable. Au bout de quelques secondes qui parurent interminables, Stéphane prit la parole d'une voix dénuée de sentiments.
Stéphane : Tu vas être exécuté. Tout à l'heure. Devant ton fils. Je te souhaite une mort bien douloureuse, mon vieil ami.
Le roi sortit de la pièce, et Robert fut enchaîné par des gardes.
L'image se brouilla une dernière fois, et Aurore ouvrit les yeux en entendant hurler son prénom :
AURORE !
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