Sur les murs de la salle du restaurant, des tableaux peints dans des teintes douces et agréables pour respecter l'ambiance feutrée de l'endroit aux accents romantiques, étaient mis en exposition pour promouvoir de quelconques artistes oubliés et dont personne ne semblait vraiment se soucier. La carte du restaurant était présentée sur un tableau noir et écrite à la craie blanche. On semblait y servir une variété remarquable de boissons et de plats, certains des plus exotiques.

Le reste de la salle était occupé par de nombreuses petites tables drapées d'un linceul et surmontées d'une chandelle. Elles étaient éparpillées de manière presque symétrique, ce qui laissait penser qu'elles n'ont pas été placées au hasard. Sur le mur, derrière le comptoir de bois vernis, se trouvait de grandes étagères où reposaient cocktails et alcools en tout genre. On pouvait voir une autre porte derrière le comptoir, couverte par un rideau mauve délavé sur lequel était grossièrement accrochée la mention"privée», doublée d'un petit écriteau que l'on peut apercevoir si par hasard on déplace le rideau.

La lumière dans la pièce était prodiguée par des ampoules sur les murs, couvertes par des abat-jour en tissu, d'un rouge passé qui la rendaient plus douce et formaient quelque jeux d'ombres plutôt agréables à l'œil. Tout ceci étant, l'ambiance à l'intérieur du restaurant était plutôt savoureuse et charmante, bien qu'il y fasse agréablement chaud. Trop chaud pour la jeune humaine. Ce rendez-vous improvisé dans un cadre aussi romantique que celui-ci lui procurait bien sûr un enchantement sans pareil, mais dieu sait que la montée de stress qui l'accablait était insoutenable lorsque tous deux prirent place à l'une des tables.

Elle voulait tout lui dire : l'amour inconditionnel qu'elle ressentait pour lui, à quel point il était beau et charmant, que ses calembours en tout genre la rendait folle de lui, son sourire, ses mimiques, sa joie, comment elle voyait leur avenir... Elle voulait lui ouvrir son cœur et plus encore ; le lui offrir. Lui et son âme. Leur union serait éternelle, leur vie bucolique et passionnée. Mais la pudeur l'en empêchait, et heureusement. Que penserait-il d'elle en l'entendant déblatérer de telles paroles ? Comment réagirait-il ? Il s'enfuirait à coup sûr et ne chercherait plus jamais à la recroiser dans les Souterrains, c'est certain. Non,mieux vaut attendre patiemment son heure, car toute chose vient à qui sait attendre dit l'une des doxa humaine.

Sans avait passé commande auprès d'un serveur qui revenait déjà apporter le vin, nectar divin pour les connaisseurs. Ce breuvage vermeil qu'il versait dans leurs verres, à la nappe doucement rougeâtre et violacée à la fois, serait pour la jeune demoiselle le coup de grâce. Si jamais elle lapait ne serait-ce qu'une seule gorgée de ce liquide acidulé, ça en serait fini de la douce et innocente jeune fille. L'alcool lui monterait à la tête et elle déballerait ses sentiment pour lui sans que rien ne la retienne, et alors, ça en serait vraiment fini...

Sans ne se montra pas si retissant face à la boisson et empoigna l'objet susceptible de projeter cette ombre acquise aux contours anguleux, qui n'est autre que le verre à pied cristallin, qui n'en finit pas d'exhiber ses rondeurs. Il le porta d'une manière nonchalante à sa bouche, après avoir trinqué avec la jeune fille qu'il avait en face de lui. Cette dernière préféra tremper ses lèvres sans prendre une goutte du précieux mélange et le reposa devant elle, perdue dans la contemplation du squelette.

Ce dernier était auréolé d'une douce lueur dorée qui faisait briller les os de son crâne et ceux de ses mains d'une blancheur immaculée. Qu'il était beau dans sa veste bleue à capuche, que son sourire était fondant, que son regard était perçant... L'idéal ; voilà ce que représentait Sans le squelette aux yeux de la jeune amoureuse.

Les plats arrivèrent et se succédèrent dans un climat des plus langoureux. Sans parlait, Carla rêvait sans vraiment écouter, trop étourdie par cette douce lueur qui éblouissait son cœur. Mais elle faisait bonne figure en relevant de temps à autre les fondements de ses paroles qui l'intéressaient sans l'ombre d'un doute. Qu'il est difficile de suivre ce flot de paroles, sans se perdre dans la contemplation des limbes romantiques d'un amour passionné. Son cœur battait comme un cheval au galop dans sa poitrine de jeune fille,belle et délicate. « Je ne suis pas sûre qu'il soit intact » pensait-elle en cet instant magique des plus surréalistes. Qui aurait cru qu'un jour, ils en arriveraient là ?

Le reste du repas se déroula ainsi, ponctué de blagues qui faisaient rire la jeune fille et d'une discussion qui tournait autour de cette dernière. Lorsque soudainement, le petit osseux marqua une pause. La jeune fille sortit alors de ses pensées bucoliques et reporta le reste de son attention sur la réalité de la situation.

-Écoute, gamine...

-Euh oui oui, pardon... Je me suis un peu perdue dans... Je t'écoute,Sans...

-Nos destins sont étroitement liés, gamine...

Ça y est, le voilà lancé. Il allait enfin lui faire sa déclaration, celle que Carla attendait depuis si longtemps en silence, avec espoir... Ses rêves se réaliseraient, sa vie changerait et leur amour sera éternel...

 -Mais jamais ils ne se rejoignent...  

[Fin]